“La Commission électorale et la ‘Electoral Supervisory Commission’ ont des comptes à rendre”

Interview: Me Antoine Domingue

* ‘C’est la responsabilité de la police et des autres ‘lawenforcementagencies’ de s’assurer que toute enquête dans l’affaire des ‘Kistnen Papers’soit diligentée et bouclée dans les plus brefs délais’

* ‘Ce qui m’interpelle, c’est la philosophie de chaque gouvernement en place de tout museler et de tout contrôler : on n’a presque plus le droit de manifester ou de s’exprimer sans être inquiété


Cette semaine, Mauritius Times a interviewé Me Antoine Domingue à propos des pétitions électorales ayant trait aux dernières élections législatives. Dans quelle mesure la République peut-elle se vanter encore aujourd’hui de choisir au moyen de bulletins de vote des citoyensun gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ?


Mauritius Times : L’aveu de la Commission électorale de la découverte des irrégularités dans le décompte des voix dans la circonscription no. 19 lors des dernières élections, deux ans après les faits et alors qu’une pétition électorale contestant l’élection d’Ivan Collendavelloo fut logée quelques temps après, cela est quand même étonnant, Me Domingue. Votre réaction ?

Oui, en effet, je pense que le commissaire électoral aurait dû avoir mis le doigt sur la plaie beaucoup plus tôt, puisque d’après ce que j’ai compris les chiffres ne sont pas concordants – figures don’tadd up. Cela, d’autant plus qu’il y avait eu un recount(recomptage des voix) à la demande d’Ivan Collendavelloo. Donc, dans ce genre de situation, on est obligé de redoubler de prudence pour s’assurer que le résultat final soit conforme au scrutin. Il incombe donc au Returningofficer de concert avec leElectoralCommissioneret la commission électoralede redoubler de prudence avant la proclamation des résultats.

Il est consternant de constater que ce n’est que deux ans plus tard – quand l’affaire est entendue en cour- que cette situation anormale est dévoilée pour la première fois.

Le principe fondamental en matière de pétition électorale(Representation of the People Act) impose au pétitionnaire l’obligation de faire état dans sa pétition et de prouver en Courl’existence d’irrégularitésdans le processus électoral et, en outre, de démontrer à la courque ces mêmes irrégularités ont affectéle résultat duscrutin.

C’est pour cela qu’il y a deux types de pétitionsélectorales :

  • l’une c’est pour demander l’invalidation d’une électionqui peut aboutirà une élection partielle, et
  • l’autre,plus simple, vise à un rescrutiny of the ballot papers (un nouvel examen minutieux des bulletins de vote) qui peut aboutirà l’invalidation des résultats proclamés par le ReturningOfficer.Dans ce genre de cas, on ne demande pasà la cour d’invalider l’élection en tant que tel, mais uniquement le returndu ReturningOfficer.

C’est dans cettedeuxièmecatégorie de pétitionsque l’on devrait commencer à identifier au départ. Les choses devraient aller beaucoup plus vite. Il est inacceptable que ce ne soit qu’après deux ans qu’on admette devant la cour qu’il y a effectivement eu une erreur dans le décompte des voix.

Dans le cas qui nous préoccupe,néanmoins, il fautattendre que la cour se prononce sur la question maintenant que l’erreur mathématique a été admise. L’un des avocats de la pétitionnaire a d’ailleurs déclaré publiquement que cela étaitmaintenant laissé à l’appréciation souveraine des juges. On attend donc à ce que la cour se prononce sur la question.

(NdlR: Les juges Aruna Devi Narain et Denis Mootoo ont, dans un jugement rendu ce matin, ordonné un nouveau décompte partiel dans la circonscription numéro 19. Les juges ont souligné qu’il s’agit d’une mesure exceptionnelle puisque le point sur laquelle le « recount » a été ordonné n’avait pas été pris dans la pétition électorale. Les juges ont aussi mis en garde les officiers de la Commission électorale, le ReturningOfficer sur leur devoir de vigilance lors du dépouillement.)

* Les irrégularités constatées dans le décompte des voix dans la circonscription no. 19 ne viennent-elles pas corroborer les doutes quant aux irrégularités suspectées dans d’autres circonscriptions du pays ? Que devrions-nous attendre de la Commission électorale dans ce cas-là ?

Pasnécessairement. Cela dépend des conditions et des circonstances qui ont prévalu dans chaque cas. Ce qui est propre à Stanley-Rose Hill n’est pas nécessairement le cas en ce qui concerne Rodrigues.

Une élection tenue dans une circonscription spécifique est faite indépendamment de ce qui se passe ailleurs, quoique les même procédures et règles sont édictées par la loi électorale.

Dans tous les cas toutefois, le returndoit être conforme au vœu de l’électorat tel qu’il s’est exprimé lors du scrutin :« Vox Populi, Vox Dei ».Dans ce genre de cas, il faudrait procéder à un rescrutiny of all the ballot papers (nouvel examen minutieux des bulletins de vote) afin de s’assurer que le résultat est bien conforme au vœu de l’électorat et qu’un candidat n’a pas été « undulyreturned as elected » (indûment rapporté comme étant élu).

La responsabilité du ReturningOfficer et du Commissaire électoralest engagée dans cette affaire, et il y va de leur crédibilité ainsi que de celle de la Electoral Supervisory Commissionqui, comme son nom l’indique, est constitutionnellement responsable de la supervision de la conduite des élections des membres de l’Assemblée nationale. Cette commission et ses membres ont aussi des comptes à rendre.

* Il faut toutefois se rappeler que le rejet de la pétition d’Ezra Jhuboo, un candidat non élu dans la circonscription n° 14, Savanne/Black River par la Cour suprême semble avoir établi une tendance. N’est-il donc pas probable – suivant la même logique de ce jugement – que toutes les autres pétitions réclamant un nouveau dépouillement des votes pour les mêmes motifs que ceux de la pétition d’Ezra Jhuboo seraient aussi susceptibles d’être rejetées par la Cour suprême ?

La décision intervenue n’est pas binding(légalement contraignant)sur un autre benchà moins que cela ne soit entériné en appelpar le Conseil privé.

* Mais dans le cas d’Ezra Jhuboo, faut-il aussi se rappeler que les Juges Manna et Mootoo avaient soutenu que ce dernier “n’a pas réussi à prouver au moyen de preuves convaincantes selon la prépondérance des probabilités qu’il y avait un lien entre lesfameuses’Computer Rooms’ et les résultats finaux annoncés”. Ils avaient aussi rejeté “l’opacité présumée entourant la ‘Computer Room’ ainsi que les allégations d’irrégularités dans l’exercice de comptage et du calcul des votes. Donc, rien n’est gagné d’avance en ce qui concerne les autres pétitions électorales?

Un autre benchpeut avoir un avis différent. Selon la loi électorale, un pétitionnaire doit nécessaire démontrer qu’il y a eu des irrégularitéset que celles-ci ont affecté le résultat. Mais les irrégularités prouvées ou celle admises ne vont pas nécessairement mener àune invalidation à moins qu’un candidat n’ait été undulyreturned or elected,auquel cas la cour doit notifier le Speaker de sa décision.

* Ce qui est navrant dans ces affaires de pétitions électorales, c’est le temps qu’on a mis pour entendre et débattre de ces cas… On est presque à mi-mandat de l’actuel gouvernement. Comment réagissez-vous à cela ?

Cela a été dit et répété à maintes reprises. Finalement, c’est l’ancien chef juge (Caunhye CJ)qui avait pris le taureau par les cornes et il a fait en sorte que les affaires soient expedited(accélérées). Mais cela prend un certain temps quand même avant que l’affaire ne soit en état d’être entendue et que le jugement n’intervienne en premier ressort, mais qui est encore susceptible d’appelau‘JudicialCommittee of the Privy Council’(le Conseil privé).

Il faut faire en sorte qu’une pétitionélectorale soit entendue et jugée en première instance, et en appel au Conseil privé, dans un délai raisonnable eu égard à la durée de la législature. Il faudrait donc faire diligencedès que la procédure est engagée devant la cour.

* Autre chose qui cloche : ,c’est l’enquête policière – devant être menée à propos des ‘KistnenPapers’ – semble piétiner. Les officiers chevronnés du CCID devraient pouvoir aplanir toutes les difficultés et ainsi balayer tous les doutes quant à quelques irrégularités dans cette circonscription, n’est-ce pas?

Absolument. C’est la responsabilité de la police et d’autres lawenforcementagencies de s’assurer que toute enquête dans l’affaire des ‘Kistnen Papers’, requise par le commissaire électoral et approuvée par la commission de supervision électorale, soit diligentée et bouclée dans les plus brefs délais.

RezistansekAlternativqui a porté plainte au CCID, tel qu’on lui a demandé de le faire, attend toujours. La cour de district de Moka et maintenant le DPP sont en possession des originaux des documents qui devraient retenir l’attention de la police.

* Partagez-vous l’opinion que tout le système a été bloqué : les investigations dans les high-profile cases que ce soit au niveau de la police ou de l’ICAC, piétinent ou ne mènent à nulle part ; au Parlement les voix de l’Opposition seraientétoufféespar un overbearingSpeaker (autoritaire) ?

Il me semble que les investigations prennent beaucoup trop de temps et trainent en longueur ou tournent en rond. D’ailleurs,beaucoup de charges provisoires ont étérayées par la Cour à cause des retards « systémiques ».

En ce qui concerne le Speaker, il appartient à l’Assemblée et à la cour d’intervenir à chaque fois que le Speaker viole laconstitution. Il y a des précédents auxquels on peut se référer.Toutefois, en vertu du principe de la séparation des pouvoirs, la Cour ne peut intervenirqu’en cas de violation de la constitution.

La cour n’est pas compétente si un député ne se plaint que d’une violation ou d’une mauvaise interprétation ou d’une mauvaise application des Standing Orders de l’Assemblée nationale.

* De là à dire que la manière dontles investigations sont menées, cela estfaitd’une façon délibérée, vous ne partagerez pas cette opinion, n’est-ce pas?

Cela peut parfois être le cas, mais généralementc’est dûà l’ineptie et à une mauvaise gestion de l’enquête en cours. Comme je vous l’ai dit, les délais sont systémiques,c’est-à-diredûsau système. Cela ne devrait pas être le cas pour l’ICAC qui a mis en place a new investigatorymechanism.

* Qu’est-ce qui vous préoccupe le plus par rapport à ce qui se passe dans le pays présentement?

Au-delà de la situation difficile sur les plans sanitaire et économique, ce qui m’interpelle, c’est la philosophie de chaque gouvernement en place, en particulier celui-ci, de tout museler et de tout contrôler : on n’a presque plus le droit de manifester ou de s’exprimer sans être inquiété.

Il ne faut pas simplementpaylip service to democracy.Le principe de démocratie est entériné dans les textes, mais – trop souvent -, c’est lettre morte à cause d’une culture de répression et de surutilisation de l’appareil répressif de l’État sous tous les régimes en place, celui-ci et aussi ceux d’avant.

D’autre part, il y a plusieurs textes qui devraient être revus. A mon sens, il est intolérable dans une démocratie telle que la nôtre, surtout en 2022, que l’on ne puisse pas manifester paisiblement et en petit nombre devant l’Assemblée nationale.

* Eu égard à cette situation qui prévaut dans le pays, la question reste posée: How do weget out of this mess?

Les politiciens sont grandement responsables pour cet état de choses. Ils tiennent des discours différents selon leur positionnement politique, l’un dans l’opposition et son contraire, au sein du gouvernement.

Un exemple flagrant est la « Freedom of Information Act » (loi sur la liberté de l’information) qui avait été promise à cor et à cri par un parti politique actuellement au pouvoir. On attend toujours. Comme disait le Président Pompidou dans son opuscule intitulé Le nœud gordien: « Les programmes tout le monde en a et chacun sait ce qu’il en advient… ! »

* Que faites-vous de la démarche des partis de l’opposition de mettre sur pied une alliance élargiepour combattre l’actuel régime ?

Pour le moment, je ne vois qu’une vague proposition de PM, DPM et Président de la République, choisis ou désignés sur une base ethnique. Cela ne correspond pas aux attentes de la population.

On s’attendait a minima à un programme commun étoffé…Attendons voir, avant de se prononcer plus avant.


* Published in print edition on 21 January 2022

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