La colle ne prend pas entre le PTr et le MMM. Les dernières élections législatives en sont l’illustration la plus patente

Interview : Jean Claude de l’Estrac

‘C’est trop tard, Bérenger ne peut pas partir maintenant… à la veille des élections. Il a raté l’occasion de le faire’

‘ Le MMM retrouvant éventuellement des couleurs, pourrait devenir le joker de 2020 ‘


Jean-Claude de l’Estrac sort, la semaine prochaine, un autre livre sur l’histoire politique de Maurice ‘Jugnauth-Bérenger : Ennemis Intimes, 1982-1995’, dans lequel il fait le récit des événements qui allaient culminer dans le premier 60-0 de l’histoire politique du pays et son implosion au bout de 8 mois. C’était une période marquée par de vives tensions politiques, et qui allait voir la création du MSM d’Anerood Jugnauth, après l’échec de l’alliance MMM-PSM. J-C de l’Estrac nous livre aussi son opinion sur le MMM et ses perspectives d’avenir. « Aujourd’hui, il n’a ni le programme ni la méthode qui lui permettrait de se reconnecter avec son électorat boudeur. Il a quand même un point fort : Bérenger est perçu, à juste raison, comme un leader intègre et travailleur, le MMM comme un parti plutôt propre. S’il se présente seul aux prochaines élections, ce sera un atout de poids… » Lire l’essentiel de l’interview ci-après :


Mauritius Times : Vous allez sortir un autre livre sur l’histoire politique de Maurice la semaine prochaine – ‘Jugnauth-Bérenger : Ennemis Intimes, 1982-1995’. C’était une période dont le début fut marqué par de vives tensions politiques. Pour avoir fait partie du MMM et avoir été impliqué activement dans les événements qui allaient culminer dans le premier 60-0 de l’histoire politique du pays et son implosion au bout de 8 mois, diriez-vous après 36 années de recul que c’était voué à l’échec ?

Jean Claude de l’Estrac : Oh non. Mais quel gâchis ! L’échec n’était pas une fatalité. Il a été la conséquence de deux facteurs distincts : d’abord le conflit de personnalités Jugnauth/Bérenger, ce qui avait fini par faire d’eux des « ennemis intimes » ; ensuite il y a eu un conflit idéologique entre les passéistes du PSM de Harish Boodhoo et les rêveurs pressés du MMM.

Toutefois, au cœur de la dynamique des événements, ce fut une affaire de relations humaines : le tempérament rugueux et péremptoire de Bérenger a heurté l’écorché vif qu’est Anerood Jugnauth.

* Les signes de ce qui allait survenir étaient-ils visibles avant même la tenue des élections de 1982 ou fallait-il passer par l’exercice du pouvoir pour se rendre à l’évidence que l’alliance avec le PSM n’allait pas marcher ?

Ils étaient bien visibles, mais Bérenger, en particulier, n’avait pas accordé d’attention aux mises en garde de Jugnauth. A plusieurs reprises, publiquement, dans des interviews de presse notamment, Anerood Jugnauth avait indiqué qu’il entendait assumer la plénitude des pouvoirs une fois installé dans le fauteuil de Premier ministre.

Dans l’opposition, il s’était contenté d’être l’ombre de Bérenger, véritable chef du parti. Bérenger, fort de son influence sur le MMM, a cru pouvoir orienter les actions du chef de gouvernement.

Jugnauth, arcbouté sur sa « dignité » à fleur de peau, n’a pas toléré. Pour se protéger politiquement, se sentant menacé par le tout-puissant secrétaire général du MMM, il s’est réfugié dans le camp de Boodhoo. Le paradoxe, c’est qu’il était hostile au départ à une alliance avec le PSM. C’est l’autre grande erreur de Bérenger : le MMM n’avait pas besoin du PSM pour gagner les élections de 1982.

Mais vous avez raison, les tensions nées de l’exercice du pouvoir avaient exacerbé les différends.

* Diriez-vous aujourd’hui que ce sont les intérêts et les ambitions des leaders politiques ou est-ce que ce sont ceux de leur électorat respectif qui ont fait capoter le gouvernement MMM-PSM ?

Il y a eu, à la fois, les conflits de personnes et un télescopage entre deux visions de la société.

Les conflits de personnalités n’ont pas opposé que Jugnauth et Bérenger. Le style clivant et abrupt de Bérenger, son vocabulaire méprisant lui avait valu de solides inimitiés au Conseil des ministres, même quand il pouvait avoir raison sur le fond.

Par la suite, c’est aux élections de 1983 que les deux électorats, se sont scindés. Je me souviens de Gaëtan Duval, alors dans l’opposition, qui avait évoqué l’extraordinaire « communion » avec la population au moment des élections de 1982. Les divisions politiques et la campagne proprement raciste menée aux élections de 1983 ont durablement affaibli et Bérenger et le MMM.

* Mais il faut se rendre à l’évidence qu’au bout du compte, c’est l’électorat qui détermine l’orientation et l’action du leader et du parti au risque de ce dernier de se faire sanctionner par la base du parti – comme le MMM et le PTr en ont fait l’expérience en décembre 2014. ‘It’s the tail which wags the dog’, comme dirait l’Anglais. Qu’en pensez-vous ?

L’électorat est frivole. Il l’est d’autant plus qu’il est aujourd’hui difficile de discerner ce qui distingue réellement les trois ou quatre principaux partis du gouvernement. Au plan programmatique, il n’y a rien en vérité.

Je retiens l’idée de votre « dog » mais différemment. Au fait, l’électorat est devenu un chien renifleur, il ira vers celui qui apparait pouvoir gagner les élections. Le symbole qu’il préfère : l’Hôtel du Gouvernement !

* Peut-on dire que la cassure (de l’électorat) de 1967 a été « carried forward » avec l’émergence du MMM et dirigé d’une main de maître par Paul Bérenger ? Gaëtan Duval devait d’ailleurs laconiquement qualifier Paul Bérenger comme son « héritier politique »…

Non, pas à l’origine. Le MMM des années 70 est un grand parti national. Aux élections de 1976, il fait élire ses candidats tant dans les régions rurales qu’urbaines. J’ai la conviction que si Bérenger avait été candidat aux élections partielles de Pamplemousses-Triolet en 1971, il aurait été élu. Et l’histoire politique de Maurice aurait été bien différente.

Non, au fait, le MMM, par la qualité de ses propositions, avait ressoudé le pays après la cassure de 1967. C’était d’ailleurs un de ses grands desseins, l’un des slogans majeurs de l’époque : « Remplacer la lutte des races par la lutte des classes ». C’était après la scission que Jugnauth, Boodhoo et quelques autres avaient créé le Diable Blanc en 1983. Sur le fond, c’est terriblement injuste à l’égard de Bérenger ; dans la forme, il porte une part de responsabilité.

* Le MSM, sous la direction d’Anerood Jugnauth, malgré son faible poids électoral durant toutes ces années, depuis sa création en 1983, s’est bien tiré d’affaire. Le PTr, avec Navin Ramgoolam à la tête du parti, s’en est pas mal sorti non plus. Pourquoi est-ce que les choses ont évolué différemment pour le MMM – le « plus grand parti » du pays selon son leader ?

Même s’il est vrai que tous les partis traditionnels ont connu des crises ou des scissions, aucun n’a provoqué autant de ruptures que le MMM. Au fil des années, il a connu un dépérissement continu qui l’a vidé de sa sève. L’intelligence collective s’est muée en pouvoir personnel, les contorsions politiciennes ont dégoûté son électorat. Aujourd’hui, il n’a ni le programme ni la méthode qui lui permettrait de se reconnecter avec son électorat boudeur.

Il a quand même un point fort qui pourrait bien avoir de l’impact par les temps qui courent : Bérenger est perçu, à juste raison, comme un leader intègre et travailleur, le MMM comme un parti plutôt propre. S’il se présente seul aux prochaines élections, ce sera un atout de poids.

* Croyez-vous que les choses auraient pu être différentes en octobre 1982 ou à chaque fois que le MMM s’est retrouvé en désaccord avec son allié gouvernemental par la suite – que ce soit le MSM ou le PTr – si ce parti avait été dirigé dans les faits par Prem Nababsing ou Jean-Claude de l’Estrac ?

Il ne fait pas de doute que la personnalité tranchante de Bérenger, son impatience chronique et son manque d’empathie pour ses collègues ont aiguisé les désaccords. Un leader plus consensuel aurait pu éviter nombre de crispations.

* En d’autres mots, voulez-vous dire que Paul Bérenger aurait dû songer à partir afin d’éviter de subir l’expérience de l’humiliation comme celle qu’a connue Sir Seewoosagur Ramgoolam en 1982 ?

C’est trop tard, Bérenger ne peut pas partir maintenant… à la veille des élections. Il a raté l’occasion de le faire, au moment de l’annonce de sa maladie. Maintenant, il lui faudra boire le calice jusqu’à la lie… Sauf que si l’on se trouve dans la configuration d’une lutte multipartite, un MMM retrouvant éventuellement des couleurs, pourrait devenir le joker de 2020.

* Faites-vous aujourd’hui, avec recul, une appréciation différente des dirigeants politiques comme SSR et Sir Gaëtan Duval – et dont les gouvernements le MMM avait combattu dans le temps ?

D’abord, évitons l’amalgame. Le MMM a combattu SSR avec une sorte de dépit amoureux. Bérenger, en particulier, était fasciné par l’histoire du Parti Travailliste et par la personnalité de Sir Seewoosagur. Il l’a raconté, lui-même, jeune étudiant revenant au pays, il a failli intégrer le Parti Travailliste.

En revanche, le Duval des frasques, des paillettes et du cliquant était repoussant pour l’austère MMM. Duval a certainement contribué à ouvrir le pays, mais on lui attribue aujourd’hui des mérites qui ne lui appartiennent pas toujours.

* C’est connu qu’il y a eu, en différentes occasions, des négociations en vue de sceller une alliance du MMM avec le PTr de SSR. Pourquoi cela n’a-t-il pas marché ?
C’est largement dû à l’hostilité historique entre les deux électorats. La colle ne prend pas. Les dernières élections législatives en sont l’illustration la plus patente. Cette campagne était vouée à l’échec.
Ramgoolam a tenté d’expliquer à son électorat, méfiant à l’égard de Bérenger, qu’il allait au Réduit mais, qu’en réalité, il allait rester Premier ministre.

Bérenger a expliqué à son électorat, méfiant à l’égard de Ramgoolam, qu’il avait conclu une alliance parce que c’était lui le Premier ministre qui allait diriger le gouvernement.

* Il semble qu’avec le temps, suivant les événements qui allaient culminer avec la création du RMM, vous vous êtes rapproché de Sir Anerood Jugnauth – et, par la suite, avec Navin Ramgoolam. Etait-ce pour des raisons conjoncturelles ou par une quelconque affinité ?

Au parti d’abord, au gouvernement ensuite, j’ai été effectivement très proche d’Anerood Jugnauth. J’ai été le Campaign Manager qui avait fait de lui le Premier ministre du changement, et produit la première biographie qui avait donné de l’épaisseur à son personnage.

Au gouvernement, nous étions souvent sur la même longueur d’onde. Quand Bérenger a orchestré une deuxième rupture avec Jugnauth, j’ai résisté. Et, avec moi, une majorité du Bureau politique. Jugnauth n’a pas l’air de s’en souvenir…

L’histoire se termine mal pour moi. Bérenger et ses amis m’ont présenté comme « L’homme de Jugnauth » à l’élection partielle de Stanley-Rose Hill. Jugnauth pense que j’avais surestimé ma force électorale. Je pense que j’avais sous-estimé l’impopularité du gouvernement Jugnauth.

Quant à Ramgoolam, nous avons commencé à nous voir quand j’ai quitté la politique. Le chef de gouvernement qu’il était devenu avait pris l’habitude de me consulter de temps en temps sur des dossiers d’intérêt public. Je donnais mon avis volontiers, je n’ai pas le sentiment d’avoir été très écouté.

* En ce qui concerne Sir Anerood Jugnauth, est-ce que votre opinion à propos de l’homme a changé après les quatre années du gouvernement Lepep ?

C’est l’homme qui a changé. Déjà l’homme qui est revenu au pouvoir après l’échec de 1995 n’était plus le même. Il a été un excellent Premier ministre pendant ses deux premiers mandats. Ensuite, c’est très discutable.

* Le renouvellement de la classe politique se fait toujours attendre malgré les 40 années qui se sont écoulées depuis l’émergence du MMM et du MSM. Voyez-vous la relève assurée par les Arvin Boolell, Xavier Duval, Pravind Jugnauth, Steve Obeegadoo, Shakeel Mohamed… ?

A l’exception de Pravind Jugnauth, les autres seront toujours des seconds couteaux aux prochaines élections.

* Avec ou sans réforme électorale telle que proposée par l’actuel Gouvernement, comment voyez-vous les choses évoluer à partir de 2019 ?

Il y a encore trop d’incertitudes, je ne vois rien. Nous en reparlerons après le jugement du Privy Council…


* Published in print edition on 7 December 2018

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