‘La bataille se déroulera entre le PTr et le MSM en milieu rural, et les forces d’appoint arbitreront en milieu urbain’

Interview : Jean-Claude de l’Estrac

‘Le « désastre » pour le MSM serait de perdre les générales parce qu’il aurait surestimé sa force électorale’


Se dirige-t-on vers une partielle au No 7 ? La question reste posée suivant la démission de Vishnu Lutchmeenaraidoo en tant que ministre des Affaires étrangères et membre de l’Assemblée nationale. Contrairement à ce qu’en pense l’opposition, Jean-Claude de l’Estrac soutient, dans l’interview de cette semaine, que le Premier ministre a intérêt à tenir cette partielle. « Je ne vois vraiment pas pourquoi il l’amputera d’une année, d’autant plus qu’il a besoin de temps pour chercher à honorer ses promesses électorales dont a pris du retard. Ensuite, si j’étais Pravind Jugnauth, j’aurais profité de cette occasion pour tester le ‘mood’ de l’électorat… » Lutte à trois ? Qu’en pense-t-il ? « Pour l’instant, les leaders des trois principaux partis affichent la plus grande méfiance les uns vis-à-vis des autres. Mais comme personne ne peut espérer constituer une majorité parlementaire, ils se réservent tous la possibilité de nouvelles ententes… »


Mauritius Times : Si on vous dit que l’opposition se trompe en ce qui concerne la stratégie politique décidée par le leader du MSM par rapport à la tenue d’une partielle au No 7 et que Pravind Jugnauth a réellement l’intention de tenir cette partielle et qu’il ira jusqu’au bout de son mandat, que diriez-vous?

Jean-Claude de l’Estrac : La fin du mandat de ce gouvernement, c’est mai 2020. Je ne vois vraiment pas pourquoi il l’amputera d’une année, d’autant plus qu’il a besoin de temps pour chercher à honorer ses promesses électorales dont l’exécution a pris du retard.

Ensuite, si j’étais Pravind Jugnauth, j’aurais profité de cette occasion pour tester le ‘mood’ de l’électorat à près d’un an des échéances électorales nationales. Bien sûr, cela comporte le risque d’une défaite, mais autant savoir quel est le rapport des forces et s’organiser en conséquence.

Je vois un autre intérêt pour le MSM : il affrontera une opposition dispersée d’autant plus que les possibilités d’alliances entre ses différentes composantes sont sans intérêt dans cette circonscription de Piton-Rivière du Rempart.

* Mais c’est quand même un “big gamble” que d’organiser une partielle à quelques mois des élections générales. On peut gagner la partielle et perdre les élections générales, tout comme on peut aussi perdre et gagner. Qu’en pensez-vous ?

Exactement ! C’est pourquoi cette partielle peut se révéler plus un « eye opener » qu’un « gamble ». Il vaut mieux, pour le MSM, perdre une partielle en jaugeant sa vraie force plutôt que la surestimer et aller droit dans le mur des générales.

Plusieurs fois dans notre histoire politique, les partielles ont provoqué une redistribution de cartes basée sur la force électorale mesurée des partis en présence. Le résultat de ces partielles, si elles devaient se tenir, donnera une indication de ce qui pourrait être le résultat dans la moitié des circonscriptions. Il n’indiquera pas, pour autant, ce qui pourrait être le résultat final du scrutin national.

* Le contexte et les circonstances sont toutefois différents dans ce cas précis : il ne s’agit pas de décembre 2017 et on n’est pas au No 18. Perdre une partielle dans un contexte rural à quelques mois des législatives sera un désastre pour le MSM, n’est-ce pas ?

Je viens de vous le dire, le « désastre » pour le MSM serait de perdre les générales parce qu’il aurait surestimé sa force électorale. En l’absence de sondages réguliers et fiables, comme cela se passe dans les démocraties, tous nos partis politiques ont tendance à magnifier le soutien dont ils disposent dans la population.

Voyez ce qui s’est passé en 2014 ; personne n’a vu venir… même pas ceux qui ont finalement remporté la victoire… Une partielle à Piton-Rivière du Rempart offrira une foule d’enseignements à l’ensemble de la classe politique, ce qui évitera aux partis d’aller aux générales les yeux fermés.

* La démission de Vishnu Lutchmeenaraidoo a probablement contrarié le calendrier politique du Premier ministre. Est-ce également le cas pour d’éventuelles négociations d’alliance qu’il aurait pu envisager depuis sa double victoire au Privy Council et devant la Cour internationale de justice ?

Pas si j’ai raison de penser que son calendrier va jusqu’à mai 2020. Quant à la « double victoire » pour reprendre votre terme, elle ne pèsera d’aucun poids aux prochaines législatives.

Ce n’est pas le verdict du Privy Council qui effacera la très mauvaise perception que les Mauriciens ont de toute l’affaire MedPoint. Et quant à l’avis consultatif de la Cour internationale de justice, on finira bien par comprendre qu’il n’a rien changé, mais strictement rien pour les Chagossiens. Et que sur l’ensemble du British Indian Ocean Territory, flotte toujours l’Union Jack.

J’enrage de constater l’absence de nouvelles initiatives diplomatiques auprès de la Grande-Bretagne suite à l’avis de la CIJ – par exemple, une demande formelle de négociation pour la rétrocession d’une partie du BIOT, Péros Banhos, Salomon, Boddam, Trois Frères… des îlots à grand potentiel touristique.

Le mieux est l’ennemi du bien. Mais on reste dans la stratégie stérile de condamnation politique et verbeuse de l’Assemblée générale des Nations unies, en bombant le torse. Cinquante ans que cela dure ! Demandez aux Palestiniens.

* Le nouveau contexte politique suivant la démission de Lutchmeenaraidoo — et la tenue d’une partielle au No 7 (?) — auront-ils, selon vous, une quelconque influence sur les options politiques de Paul Bérenger ou pensez-vous qu’il s’en tiendra à l’option annoncée précédemment — c’est-à-dire que le MMM ira seul aux élections?

Je suis toujours persuadé que Bérenger, personnellement, souhaite vraiment que le MMM se présente seul aux élections. Il mesure pertinemment les risques que cela comporte. Peut-être veut-il, à cette étape de sa vie politique, retrouver grâce aux yeux d’un électorat qui lui a tourné le dos après l’avoir idolâtré.

Je pense qu’il doit être réconforté par le léger frémissement que l’on peut sentir en faveur du MMM. Mais ce bruissement ne va pas assez loin, ce qui risque de pousser le MMM, finalement, vers de nouveaux arrangements.

Une alternative pour un MMM revigoré serait un rapprochement avec la bande à Ganoo et celle de Obeegadoo. Ce pourrait être un fort déclic, l’appel à une nostalgie féconde. Mais cela ne se fera pas, non pas pour des raisons politiques, mais à cause des égos.

* Une lutte à trois apportera sans doute plus de clarification dans la politique à Maurice, comme vous l’aviez déclaré auparavant, mais les avis sont partagés quant à la possibilité du MMM d’obtenir une victoire dans une telle configuration surtout après sa performance au No 18 pourtant une circonscription urbaine où il n’a pu obtenir que 14% des votes. Vous y croyez toujours.

C’est ce vers quoi l’on se dirige par la force des choses. Mais comme tout est possible en politique, comme disait l’autre, une nouvelle embrouille n’est pas exclue. Pour l’instant, les leaders des trois principaux partis affichent la plus grande méfiance les uns vis-à-vis des autres. Mais comme personne ne peut espérer constituer une majorité parlementaire, ils se réservent tous la possibilité de nouvelles ententes.

* Voyez-vous dans le jeune leader du MSM des similitudes avec la manière de faire la politique de Sir Anerood Jugnauth. Autant ou sinon plus froid que SAJ dans ses calculs et aussi ou moins capable de prendre des risques?

Je pense que Pravind Jugnauth est l’homme politique le plus méconnu du pays, underrated décrit mieux sa situation. Il est un animal froid, il maîtrise ses nerfs, il est patient, il sait attendre son heure, il n’a pas d’état d’âme. Je crois aussi qu’il a la rancune tenace. Oui, je le crois capable de prendre des risques, mais de manière plus réfléchie que son père qui a fonctionné à l’intuition.

* Il se peut aussi que Pravind Jugnauth nourrit de grandes ambitions pour son parti dans le moyen terme : celle de transformer le MSM en un « grand parti » et non pas se contenter du statut de parti d’appoint. Les conditions existent-elles pour qu’il puisse réaliser cela ?

Je le crois bien, pas seulement en raison de ses réalisations mais aussi du fait des déboires de son grand rival, le Parti Travailliste. C’était déjà l’ambition de son père qui a débuté sa carrière politique aux côtés de Sookdeo Bissoondoyal de l’Independent Forward Bloc, une formation viscéralement anti-travailliste, ou plutôt anti-Ramgoolam.

La dernière fois où l’on a pu mesurer le poids du MSM, il avait fait environ 20%, c’était en 1995. Depuis le Parti Travailliste de Navin Ramgoolam s’est affaibli même s’il conserve une base suffisamment forte pour espérer revenir au pouvoir, mais pas seul. Seul, personne n’y arrivera d’ailleurs, c’est ainsi depuis toujours.

La question des prochaines élections est donc celle de savoir qui du PTr ou du MSM se trouvera en pole position pour dicter les termes des accords indispensables pour constituer une majorité parlementaire.

* Lindsay Rivière a posé la question suivante dans une interview récemment : Pourquoi un jeune de 2020 voterait pour le PTr ? Cela est valable pour le MMM ou le MSM. Qu’en pensez-vous ?

La question est pertinente, mais la réponse risque de nous plonger dans la plus grande perplexité. Si nous répondons que les jeunes n’ont aucune raison de voter pour aucun de ces partis traditionnels, vers qui doivent-ils se tourner ?

Je crois que nous devons reconnaître que partout dans le monde démocratique, les partis politiques sont des vieilles institutions de longue durée. Ceux qui restent pertinents et capables de séduire les nouvelles générations d’électeurs sont ceux qui ont su se renouveler, moderniser leurs pratiques, et investir les nouveaux champs d’intérêt de la jeunesse. Mais même quand c’est le cas, on constate partout une désaffectation des jeunes pour la chose politique.

Si on veut sauver la démocratie représentative, il faudrait rendre le vote obligatoire. Après tout, le citoyen a aussi des devoirs, pas que des droits.

* On disait précédemment que la tenue d’une partielle représente un “big gamble” pour le MSM. Cela est également valable pour l’opposition et en particulier pour le Parti Travailliste ?

Le risque est grand pour les Travaillistes également. Si le PTr perd, la preuve sera faite que ses prétentions sont exagérées. Ce qui n’implique pas qu’il aura perdu toutes ses chances. Si les grands partis maintiennent leur intention de se présenter seuls – avec des forces d’appoint géographiques -, la bataille se déroulera entre le PTr et le MSM en milieu rural, et les forces d’appoint arbitreront en milieu urbain. La grande interrogation, c’est le MMM.

* Nous n’avons pas parlé des raisons qui auraient poussé Vishnu Lutchmeenaraidoo à la démission, mais il semble qu’il y ait aussi des intérêts géopolitiques en jeu surtout par rapport au projet de port de pêche qui est, selon Lutchmeenaraidoo, « toujours au stade de projet ». Qu’est-ce que les échos qui vous parviennent vous indiquent ?

Connaissant notre homme, je ne pense pas un instant qu’il aurait tout abandonné en raison d’un désaccord technique sur un port de pêche. Il est terriblement embêté que le projet de son promoteur chinois ait capoté.

Les raisons du torpillage du projet sont certainement liées aux questions géopolitiques que vous évoquez. Les Chinois sont extrêmement actifs dans l’océan Indien depuis peu. Ils construisent des bases militaires, ils négocient des accords portuaires, ils estiment légitime de protéger leur commerce qui transite par l’océan Indien.

L’Inde s’inquiète de cet activisme. Delhi a toujours considéré que l’océan Indien est l’océan de l’Inde. Et que Maurice est « la petite Inde ». Que Port-Louis, son unique port, est sous bonne garde, grâce à la coopération indo-mauricienne, elle n’aimerait pas voir arriver des navires de pêche chinois qui pourraient ne pas être que des navires de pêche.


* Published in print edition on 29 March 2019

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