La baisse du prix de l’essence, une pomme de discorde

Prix des carburants

Par Prakash Neerohoo

Les prix des carburants (essence et diesel) continuent de provoquer la grogne chez les consommateurs en ces temps d’inflation galopante (10% au moins). À compter du 28 janvier dernier, le prix de l’essence a connu une baisse de Rs 2,80 par litre, passant de Rs 69 à Rs 66,20. Toutefois, cette diminution de prix ne semble toujours pas satisfaire les consommateurs, qui la jugent trop faible par rapport à la tendance baissière des prix du pétrole sur le marché mondial depuis mi-2022.

En effet, comme les consommateurs le soulignent avec raison, et ce, depuis un certain temps déjà, il n’y a pas toujours de corrélation directe entre les prix locaux des carburants et les prix mondiaux du pétrole. Les prix locaux des carburants augmentent toujours suite à une hausse des prix mondiaux, ce qui indique une corrélation positive.

En revanche, les prix locaux ne baissent pas suffisamment souvent, voire ne baissent pas du tout parfois, en cas de baisse des prix mondiaux, ce qui indique une corrélation négative. Il est clair que l’évolution des prix locaux ne suit pas la logique commerciale du marché mondial où les prix augmentent ou baissent selon la loi de l’offre et de la demande.

Ainsi, sur le marché mondial, le prix de référence du pétrole (prix Brent) est passé de 118,10 $ par baril le 28 juin 2022 à 70,79 $ par baril le 22 janvier 2024, soit une baisse de 33%. Or, à Maurice, le prix de l’essence par litre est passé de Rs 74,10 à Rs 69 durant cette période, soit une baisse de seulement 7%.

En examinant la composition des prix des carburants, on constate une grande différence entre le prix d’importation CAF (Coût, Assurance, Fret) et le prix de vente à la pompe. Le Tableau 1 montre les différents éléments qui entrent dans la composition du prix au détail. On constate que la valeur CAF est de Rs 30,46 sur le prix de vente de Rs 66,20 par litre, soit 45%. La différence est principalement représentée par des facteurs qui n’ont aucun rapport avec les coûts d’importation et d’exploitation de la STC.

Ces facteurs étrangers comprennent les taxes (Taxe d’accise et VAT) et les différentes contributions prélevées sur les prix de vente pour divers besoins de financement, tels que la contribution à la Road Development Authority (RDA), la contribution aux frais de transport à Rodrigues, la contribution pour la construction de facilités de stockage, et la subvention sur les denrées de base (riz, farine, gaz naturel).

La dernière baisse de Rs 2,80 par litre d’essence représente une réduction du prix de vente de 4,1%. Comme indiqué au tableau 2, cette baisse du prix de vente de 4,1% se compare défavorablement à la baisse de 14% du prix CAF (Coût, Assurance, Fret) de l’essence entre le 1er octobre 2023 (Rs 35,38 par litre) et le 27 janvier 2024 (Rs 30,46 par litre). Durant cette même période, le prix CAF du diesel a baissé de Rs 36,37 à Rs 30,84 par litre, soit une baisse de 15%, mais le prix de vente du diesel est resté inchangé. La raison en est le déficit de Rs 4,5 milliards dans le fonds de stabilisation du prix du diesel.

La State Trading Corporation (STC) prélève une contribution de Rs 5,56 par litre de diesel pour combler ce déficit. Il semble anormal que ce fonds soit autant déficitaire alors que la STC est censée recouvrer le prix CAF du diesel auprès des consommateurs. Si une politique de vérité des prix est pratiquée pour faire payer aux consommateurs les prix du marché, il n’y aura aucune raison d’accumuler un déficit dans le compte de stabilisation d’année en année.

Comme l’indique le Tableau 3, les taxes et les contributions prélevées à la source totalisent Rs 30,97 par litre d’essence, soit 46,8% du prix de vente au détail. Il est évident que ces taxes et contributions diverses représentent une vache à lait que le Gouvernement entend traire pour longtemps afin de trouver les moyens de financer ses dépenses publiques, en sus des taxes directes (impôts sur les revenus, CSG sur les salaires) et d’autres taxes indirectes (TVA sur la consommation générale).

Selon le rapport annuel de la STC pour l’exercice financier 2021-2022, la taxe d’accise sur les produits pétroliers a rapporté Rs 4,1 milliards et la TVA a rapporté Rs 3 milliards.

Bien que les chiffres ne soient pas disponibles pour 2022-2023, on peut déduire que ces sources de revenu demeurent stables pour le Gouvernement. Cela est d’autant plus vrai que la demande de carburants est inélastique dans le sens où toute hausse de prix ne réduit pas la demande. D’ailleurs, le nombre de véhicules sur la route (quatre roues et deux roues) utilisant des carburants continue de progresser, passant de 648 176 en 2022 à 674 138 en 2023 (jusqu’en novembre), selon les chiffres officiels.

La question des prix des carburants ne saurait être dissociée d’une problématique plus vaste, celle de l’utilisation des sources d’énergie renouvelables dans le cadre du développement durable. À l’ère du changement climatique provoqué par l’effet de serre dû à l’usage débridé des ressources fossiles, de nombreux pays ont mis en œuvre des moyens visant à réduire la consommation de carburants :

(a) encourager les citoyens à utiliser des modes de transport moins polluants comme les véhicules hybrides ou électriques sur lesquels une remise de taxe est disponible ;

(b) promouvoir l’utilisation des transports collectifs (train, autobus, tramway) pour réduire le nombre de véhicules sur la route ;

(c) promouvoir le covoiturage entre amis faisant le même trajet ;

(d) introduire la taxe sur le carbone pour encourager les consommateurs à se tourner vers des sources d’énergie plus propres.

Faute d’une taxe sur le carbone, les taxes indirectes sur les carburants à Maurice sont suffisamment lourdes pour inciter les consommateurs à diminuer leur empreinte écologique (carbon footprint). Toutefois, la politique de fournir des facilités hors taxe pour l’achat de véhicules roulant au carburant pétrolier aux employés du secteur public et aux chauffeurs de taxis est en contradiction avec cet objectif.

Mauritius Times ePaper Friday 2 February 2024