Kaya, émeutes et exclusion en 2023

Eclairages

Par A. Bartleby

Le chanteur Kaya mourut en cellule policière le 21 février 1999, à la suite de son arrestation pour possession de marijuana. Le pays bascula dans une semaine angoissante, avec des émeutes qui éclatèrent dans plusieurs régions de l’île. Personne n’a oublié la vitesse de propagation des rumeurs et des fausses informations, ce qui aurait eu des conséquences dramatiques aujourd’hui avec les réseaux sociaux et la logique des ‘fake news’.

Ces émeutes, qui constituèrent le soulèvement des exclus, marqua symboliquement la fin du XXème siècle à Maurice, et le basculement du pays vers quelque chose d’autre : la diversification économique et la financiarisation de l’économie. Depuis, l’économie mauricienne repose sur trois piliers : le tourisme, l’immobilier de luxe (destiné aux étrangers notamment) et le secteur financier. Le taux d’ouverture de notre économie sur le monde dépasse les 100%, ce qui démontre notre dépendance envers les investissements étrangers, mais aussi notre fragilité à cause d’une mondialisation qui devient de plus en plus instable.

Février 99 avait ainsi été suivi de la mise en place de politiques économiques d’envergure, lesquelles avaient pour objectif un accroissement de la richesse nationale. La diversification économique permit d’importantes avancées dans le domaine de l’économie et de l’entreprise, avec pour conséquence une fluidification de la mobilité sociale. Mais après un cycle d’un peu plus de 20 ans, nous voyons aujourd’hui les limites de ce modèle de développement fondé sur la croissance par la consommation et trop dépendant des flux d’investissement étrangers.

Ceci signifie tout simplement qu’il faut comprendre comment fonctionne l’exclusion aujourd’hui, et quels liens entretient-elle avec la précarité des classes ouvrières et moyennes.

En effet, l’exclusion actuelle ne prend pas uniquement les formes de la misère, comme c’était le cas à la fin du siècle dernier. L’exclusion actuelle se retrouve dans un ensemble de phénomènes économiques et sociaux – comme les difficultés des jeunes à devenir propriétaires d’un logement, le chômage des jeunes, l’endettement des ménages pour la consommation, etc.– que nous nous devons de comprendre si nous ne souhaitons pas nous retrouver dans une situation similaire aux émeutes de février 99.

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‘An Ode to Geetharines of Mauritius’ – Lancement d’un livre de Sarita Boodhoo au IGCIC

Sarita Boodhoo, la Chairperson de la Bhojpuri Speaking Union, a lancé cette semaine son dernier livre intitulé ‘GeetGawai Bhojpuri Folk Songs in Mauritius : An Ode to Geetharines of Mauritius’. Ce livre est un travail d’archive important pour mieux comprendre la fonction du GeetGawai dans la constitution d’une conscience identitaire indo-mauricienne. C’est cette conscience qui donnera la matière spirituelle nécessaire à la construction de la conscience politique de la communauté hindoue à Maurice, les baïtkas jouant un rôle essentiel dans la dissémination des savoirs ancestraux.

De ce point de vue, le livre de Sarita Boodhoo – par-delà l’exercice anthropologique et musicologique qu’il est – vient apporter une compréhension qui dépasse en réalité la simple description des chants et des rituels du GeetGawai, mais touche à quelque chose de plus fondamental encore : celui du rôle de la culture dans la construction d’un imaginaire et d’une vision politique.

Il y a ainsi, dans cette approche, des liens forts à tisser entre le GeetGawai et le ségatipik – les deux expressions artistiques majeurs des dominés de l’histoire coloniale mauricienne : les descendants des esclaves affranchis et les descendants des travailleurs engagés.

Ce travail reste à être effectué, mais le livre de Sarita Boodhoo en constitue déjà une pierre importante, surtout que l’auteur met l’accent sur le rôle fondamental des femmes dans le développement de la culture bhojpuri à Maurice. Dans un pays où les femmes sont devenues démographiquement plus nombreuses que les hommes, ceci n’est pas anodin. Le grand poète Louis Aragon avait décidément raison lorsqu’il écrivait « la femme est l’avenir de l’homme »…

Il faudrait rajouter qu’elle en constitue également son passé et son présent.

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Remise en liberté de Bruneau Laurette : lorsque les internautes se lâchent

Le tribunal de Moka a accordé la remise en liberté conditionnelle à Bruneau Laurette mardi dernier. Cette remise en liberté conditionnelle est accompagnée de conditions extrêmement strictes, avec notamment deux cautions d’unmillion de roupies chacune, une autre caution de Rs 50 000, une reconnaissance de dette de Rs 50 millions ainsi que d’une série d’interdits et de règles à respecter. Le bureau du DPP a immédiatement fait appel de cette décision de la magistrate de la cour de Moka.

Cette décision du bureau du DPP a immédiatement été suivie d’invectives et de dénonciations sur les réseaux sociaux. Nous vivons décidément dans un pays où certains Mauriciens – souvent les moins éduqués et les moins qualifiés – pensent qu’ils sont experts en tout. Il semble même y avoir un rapport symétrique entre la bêtise et la certitude du savoir, rapport qui répond à la loi : « plus on est bête, moins la vie nous apparaît comme un mystère ».

Ainsi, un bon nombre de nos compatriotes sont allés de leur interprétation de la procédure judiciaire et du rôle du bureau du DPP, certains n’hésitant pas à proposer des réformes au système, alors qu’ils n’y connaissent strictement rien. Mais bon, il s’agit là du prix de la liberté d’expression – qui prend trop souvent la forme des plus grandioses démonstrations de stupidité – sur les réseaux sociaux.

Mais les choses sont devenues profondément malsaines lorsqu’une photo d’une avocate du bureau du DPP a commencé à circuler sur les réseaux sociaux, dans des postes profondément inquiétants. En effet, ces mêmes postes appelaient à des actes de violences physiques et sexuelles sur cette avocate qui, il faut le préciser, n’a fait que son travail en suivant les instructions du bureau du DPP.Ces postes sont absolument intolérables et il est du ressort de la police d’agir au plus vite.

Mais soulevons un autre point ici. Une étude d’un think-tank français démontra, il y a quelques années, que les réseaux sociaux – et le rapport ambigu qu’ils établissaient avec la Vérité et la véracité des faits – facilitaient la résurgence du fascisme aujourd’hui. Avant d’être une doctrine ou un système politique, le fascisme est une forme de jouissance et de plaisir – individuel ou collectif – ressenti dans la projection d’un sentiment de pouvoir ou de supériorité sur les autres, et où ce sentiment de jouissance appelle à l’écrasement et la domination totale de l’autre, voire même, son élimination totale dans les cas extrêmes.

Au regard des commentaires actuels, il est clair que certains groupies de Bruneau Laurette sont en train de se radicaliser jusqu’aux prémices du fascisme (il faut préciser ici qu’ils ne sont pas les seuls à prendre cette tendance). Est-ce vraiment cela la libération promise par celui que certains comparent à un messie ?

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Pèlerinage endeuillé : quelles leçons tirer ?

Le drame qui a eu lieu à Grand Bassin la semaine dernière a mis en émoi tout le pays et a relancé le débat sur la dimension et la hauteur de certains kanwars. Comme l’a fait ressortir le politologue AvinaashMunohur, qui fut un témoin de la scène, sur un poste Facebook, avant de condamner il serait plus avisé de comprendre la sociologie derrière le phénomène des grands kanwars.

Comme l’a expliqué le politologue, il s’agit là d’une expression sociale qui dépasse de très loin les limites du calendrier du pèlerinage, certains de ces groupes de kanwartis se réunissant pendantplusieurs mois afin de concevoir et de construire leurs kanwars. Et ceci n’est en effet pas du tout négligeable.

L’effort, la dévotion et la ferveur mis dans la construction de ces kanwars relèvent d’une expression culturelle et artistique certaine, et qui semble appartenir aux jeunes issus des classes ouvrières car c’est là le point important à saisir, nous voyons là en réalité l’expression d’une conscience de classe et de la visibilité qu’elle souhaite acquérir à travers la construction de ces kanwars…

Les politiciens ont parfaitement bien saisi cette dimension, que les classes moyennes supérieures occultent totalement, ce qui explique leurs réticences à intervenir afin d’imposer des limites. À travers la manifestation religieuse, c’est aussi une manifestation politique qui se joue.

Mais il est clair que des limites se doivent d’être trouvées puisque les risques existent. Et il serait approprié que ces limites tiennent en compte les dangers de la route à Maurice. En effet, le problème des dangers liés aux grands kanwars est intimement lié aux dangers de la route elle-même. N’oublions pas que les routes ont fait 107 morts en 2022, ce qui constitue une moyenne de deux morts par semaine.

Nous avons, à Maurice, une culture de la route qui est elle-même dangereuse, avec des entraves permanentes aux règles de la sécurité routière. Et c’est également là qu’il faut être beaucoup plus sévère et forcer les usagers de la route à être plus disciplinés et plus prudents.

Donc, oui à la régulation des dimensions des kanwars, mais oui aussi à une politique visant à mieux éduquer les usagers de la route quant aux risques qui existent bien au-delà de la semaine de pèlerinage. Read More… Become a Subscriber


Mauritius Times ePaper Friday 24 February 2023

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