La marche pour un Maurice meilleur

Un mouvement mal engagé 

 Il y a 40 ans, le rêve d’une génération a été détourné d’une façon assez analogue. Si nous ne tirons pas les leçons des erreurs de l’Histoire, nous sommes condamnés à les répéter. Le groupe de Facebook a mis la charrue avant les bœufs. Il lui faut retourner à la case départ et repartir du bon pied… 

Par Jooneed Jeeroburkhan

Assoiffée d’égalité citoyenne, de méritocratie, de respect mutuel dans la grande diversité culturelle qui est la nôtre, la jeunesse de Maurice vit très mal sa condition présente, faite de mille et une hypocrisies, inégalités, humiliations, compromissions et corruptions. Et elle s’inquiète avec raison pour son avenir et celui du pays. Un de ces jours, elle se mettra en branle, comme le font déjà la jeunesse d’autres pays, pour réclamer justice et dignité, et pour bâtir une société équitable, écologique et durable, par une démocratie plus participative et transparente. J’en ai l’intime conviction.

Mais je suis tout aussi convaincu que la vague pour le changement, lancée sur Facebook, qui dit avoir réuni plus de 20,000 adhésions en deux semaines et qui projette de manifester le samedi 10 septembre à Port-Louis, ne représente pas ce virage historique que les jeunes ne sont pas seuls à appeler de leurs vœux.

J’étudie ce phénomène depuis son lancement, l’un des initiateurs m’ayant demandé mon adhésion par courriel. J’ai dit non, sans hésiter, trouvant suspects le caractère spontanéiste du mouvement, son côté improvisation, happening et flash mob virtuels, l’effet d’un mimétisme superficiel faisant boule de neige, bref son aspect cirque, sinema, natak et tamasa. Car voilà un groupe qui réclame démocratie et transparence, mais qui ne s’est soumis à aucun débat public préalable pour faire connaître son argumentaire et ses porte-parole, et pour démontrer comment il définit et s’entend sur un programme.

« Avec nous ou Contre nous », comme disait Bush

D’où la cacophonie à laquelle on assiste depuis deux semaines sur Facebook. Les meneurs, et ils sont une poignée s’exprimant avec l’autorité, voire l’arrogance, de propriétaires, clouent sans ménagement le bec aux contradicteurs, et même à celles et ceux qui ont des questions raisonnables et légitimes. Il y aussi des provocateurs, bien sûr, mais l’attitude des meneurs à leur égard rappelle d’emblée celle de George W. Bush après le 11 septembre 2001 : « Ou vous êtes avec nous, ou vous êtes contre nous. Faites votre choix ».

Ce n’est pourtant que le début de l’amorce d’un débat, des vagissements de nouveaux nés de la politique (qui prétendent, étrangement, être apolitiques!), plutôt qu’un balbutiement d’opinions diverses, voire contraires. Or, à parcourir la page Facebook, on se rend compte que l’objectif des organisateurs n’est pas le débat, mais la mobilisation pour aller marcher dans Port-Louis le samedi 10 septembre. Celles et ceux qui ne se soumettent pas à cette priorité des priorités n’ont qu’à aller voir ailleurs.

J’ai maintenu un échange de courriels avec l’initiateur qui avait sollicité mon adhésion, et avec d’autres Mauriciens dont je tiens les opinions en haute estime. J’ai soulevé bien des questions et fait maintes observations. Comme, par exemple, le fait que le manifeste en 20 points du mouvement s’attaque uniquement au système politique et aux politiciens, sans interpeller une seule fois le secteur privé et l’oligarchie, et sans jamais dénoncer le financement des partis et des élections par le secteur privé, ce qui constitue pourtant la mère de toutes les corruptions! Transparency Mauritius a fait les louanges de l’initiative sur Facebook, mais n’a pas relevé cette énorme omission du rôle des « corrupteurs »!

Groupes «socio-culturels » et « Brigades canines » 

J’ai aussi noté qu’un mouvement qui dénonce avec véhémence les « groupes socio-culturels » décide de démarrer sa marche au Centre social Marie-Reine-de-la-Paix, et de la terminer à la Cathédrale Saint-Louis! Donc les groupes liés aux Hindous, aux Musulmans, aux Tamouls, aux Marathis, aux Télégous, etc., sont « socio-culturels », mais ceux liés à l’Église catholique ne le sont pas. « Dans quelle Maurice vivent ces gens-là et quelle Maurice veulent-ils bâtir ? », telle est la question que j’ai posée à mes interlocuteurs. Et j’ai relevé que la liste de 20,000 était artificiellement gonflée puisque chaque adhérent y ajoutait par dizaines les noms de ses ami-e-s, réels ou fictifs.

L’initiateur qui m’avait invité à adhérer au mouvement s’est dit d’accord avec toutes mes observations et interrogations. Mais il a plaidé la grande difficulté de « faire entendre raison » à ses camarades plus influents et… plus menaçants. D’ailleurs, aux dernières nouvelles, il m’a écrit qu’il avait été « marginalisé » sous « la menace de représailles ». Et quand a surgi l’histoire de « brigades canines », c’est-à-dire des chiens dressés menés par leurs maîtres, pour faire régner l’ordre lors de la marche et pour réprimer tout agent provocateur, je n’ai pu m’empêcher de penser à la chasse aux esclaves marrons qui a marqué notre histoire et notre mémoire collective.

Wikileaks, Israël et la Palestine

Et quel meilleur indice du sectarisme de ce mouvement que la ruée de nos grands médias privés, dont on connaît le parti pris pour l’oligarchie et le secteur privé contre l’État, pour encenser cette initiative et monter en épingle ses têtes d’affiche. En même temps qu’ils étalaient le contenu des câbles de l’ambassade US divulgués par Wikileaks comme si c’était de l’argent comptant et comme si l’ambassade US était un arbitre impartial! Et qu’ils citaient The Economist, toujours comme parole d’évangile, pour dire que le pays se dirige vers des législatives anticipées.

Est-ce que la divulgation brute et soudaine des 250,000 câbles secrets états-uniens touchant surtout des pays non alignés n’a aucun rapport avec le vote que les Nations Unies doivent prendre le 20 septembre sur un État palestinien? Israël et ses puissants alliés se démènent pour faire déraper, sinon bloquer, ce vote. Wikileaks ne nous le dira pas, mais je suis curieux de lire les câbles qui partent ces jours-ci de l’ambassade US à Port-Louis sur la possible déstabilisation du gouvernement mauricien à la veille du vote de l’ONU sur la Palestine – où Maurice laisse entendre qu’il votera en faveur de l’État palestinien, alors que les USA et l’Europe se préparent à voter contre.

Remettre les bœufs avant la charrue

À n’en pas douter, la corruption, le communalisme, le castéisme et le favoritisme sont autant de maux réels qui rongent la société mauricienne, avec les inégalités criantes héritées du colonialisme, de l’esclavage, de l’engagisme et d’un modèle socio-économique rapace et écocide. Notre système politique, nos leaders pouvoiristes et leur vieux jeu de chaises musicales, tous partis confondus, en portent l’énorme responsabilité, 43 ans après l’indépendance du pays. Mais le poids de l’Histoire, de l’oligarchie et du secteur privé, surtout dans le cadre du néolibéralisme mondialisé, ne peut pas être évacué à si bon compte.

Il y a dans le mouvement amorcé sur Facebook des jeunes, et des moins jeunes, qui sont sincères et généreux, qui désirent vraiment un avenir et un pays meilleurs pour toutes et tous. Mais il y a aussi parmi eux, parmi les meneurs surtout, des inconnus aux agendas cachés qui ont à cœur des intérêts inavoués autres que nationaux. Sans oublier les groupies et autres roder bout. Je maintiens que la vraie démocratie ne se construit qu’à partir de la base. J’ajoute qu’un débat fondamental doit précéder l’action sur le terrain. Autrement on est dans le domaine de la pensée magique. Il y a 40 ans, le rêve d’une génération a été détourné d’une façon assez analogue. Si nous ne tirons pas les leçons des erreurs de l’Histoire, nous sommes condamnés à les répéter. Le groupe de Facebook a mis la charrue avant les bœufs. Il lui faut retourner à la case départ et repartir du bon pied.

 

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