Jeunes, Argent et Travail

Carnet Hebdo

Par Nita Chicooree-Mercier

La lecture du budget est un exercice annuel qui mobilise l’attention de tout un chacun – la classe politique, le monde syndical, les acteurs du secteur privé, et les mesures annoncées comme par exemple, l’éducation des enfants, sont prises très au sérieux.

Ce rituel dont le ministre des Finances tient le double rôle de grand prêtre et de vedette de l’Assemblée suscite un tollé de critiques reposant sur des analyses argumentées et fondées pour les uns et, pour d’autres, relevant d’un jeu annuel de mécontentement et de rejet, une comédie jouée sur la place publique par les acteurs aguerris des deux côtés de la barrière politique et diffusée à travers les médias.

L’accalmie résultant de la baisse du prix de l’essence (dont la hausse, déclare-t-on, a servi de machine à sous à l’État pour tenir l’économie à flot) risque d’être éphémère si l’Organisation des pays exportateurs de pétrole, sous l’égide de l’actuel prince héritier de l’Arabie saoudite, met à exécution le plan de réduire la production de l’or noir. La grogne populaire pointera alors de nouveau le nez. En attendant, deux mesures taxées de ‘populistes’ par les opposants et qui ne peuvent qu’être bien accueillies par les bénéficiaires: l’augmentation de mille roupies pour les plus de 60 ans, et le chèque de vingt mille roupies que toucheront les futurs jeunes adultes de 18 ans.

Rs 20,000 à chaque personne qui atteindra l’âge de la majorité : c’est une aubaine. C’est une somme qui pourrait contribuer aux frais d’inscription à l’université. En 2019, le parti mauve avait proposé une allocation mensuelle de Rs 5,000 à chaque étudiant. C’était aussi raisonnable. Cependant, le bon sens voudrait qu’il faille d’abord connaître la valeur de l’argent et du travail pour pouvoir apprécier à sa juste valeur une somme qui vous est offerte par l’État, une collectivité nationale.

Ne faudrait-il pas d’abord que les adolescents scolarisés apprennent à gagner de temps à autre un peu d’argent pendant le week-end et les grandes vacances? Cela leur permettrait de sortir du cocon familial où tout leur est offert sur un plateau, d’apprendre à accepter des règles du monde du travail, à laisser les caprices à la porte et s’adapter à la personnalité d’un patron et apprendre des compétences sur le terrain. Toute une expérience qui leur permettrait de cultiver le goût de l’effort, de grandir et de gagner en maturité.

Est-ce que cette offre s’accompagnera d’un exercice pédagogique visant à sensibiliser les jeunes gens sur le bon usage d’une manne déboursée des fonds publics? La question mérite d’être posée, surtout pour une génération élevée avec smartphone, abreuvée d’internet, accrochée aux divertissements virtuels en ligne et bercée par Netflix le soir venu à chaque fois que les cours privés pour atteindre les ‘credits’ honorables à l’examen de SC et HSC leur laisse un peu de répit. Ne parlons pas des marchands de la drogue qui rôdent autour des collèges comme les vautours qui guettent leur proie!

Un sociologue averti est à même de pouvoir démontrer comment un développement rapide du pays en l’espace de quelques décennies a quelque peu bouleversé la société par le progrès matériel et les biens de consommation, une prospérité que certains pays pourtant riches ont mis des décennies à acquérir. Cet aspect positif a été terni par un chamboulement sur l’échelle des valeurs qui influent sur les relations sociales et familiales. Une génération de parents s’est jetée à bras-le-corps pour saisir les opportunités dans les secteurs florissants de l’économie qui leur assurent des revenus élevés. Le désir d’apporter un maximum de confort dans le nid familial a quelque peu mis au second plan la nécessité d’inculquer le goût de l’effort, la valeur du travail et de l’argent aux adolescents en âge de comprendre le fonctionnement de la société.

Nombreux sont ceux qui ont profité d’une vie facile sans lever le petit doigt pour soulager leurs parents des corvées ménagères ou apporter leur contribution au portefeuille familial. Devenus salariés à leur tour, mais sans quitter le nid familial, ils continuent à vivre sous les ailes protectrices des parents et, à attendre, les pieds sous la table, que le dîner leur soit servi le soir. Leur volonté en faveur d’une participation financière dans le budget familial est plutôt aléatoire.

Et après? La trentaine apporte son lot d’obligations professionnelles et de responsabilités conjugales et parentales. Confrontés aux affres de la vie quotidienne – prêt bancaire, logement, tracasseries professionnelles, déboires conjugaux, et garde d’enfants – c’est vers les parents que l’appel à l’aide est lancé. Cette solidarité est érigée en vertu, un trait valorisant des pays tiers-mondistes et de culture orientale. Mais c’est aussi la cause de multiples dérives qu’il convient de mettre en lumière et d’y remédier.

Jadis les collégiens dont les parents tenaient une boutik étaient embauchés pendant les vacances et ils recevaient comme récompense une boisson gazeuse en fin de semaine. Ce temps est révolu. Et ce n’est peut-être pas à la génération de leurs parents, pris dans le tourbillon de la consommation et du paraître, qu’il faut s’attendre à une prise de conscience de l’infantilisation des adolescents et des jeunes adultes, étudiants et autres.

Certains parents très aisés ont cru bien faire d’offrir à leurs enfants – ayant à peine obtenu leur permis de conduire – une voiture de marque coûtant un million de roupies. Au vu de ce qui se produit souvent par la suite, est-ce que ce n’est pas une erreur monumentale ? Quel pourcentage parmi ces jeunes travaillent à temps partiel pour subvenir à leurs besoins pendant leurs études?

C’est aussi au pouvoir public de conseiller les familles sur la manière de responsabiliser les jeunes, et le monde de l’entreprise à faire preuve de souplesse à bien vouloir intégrer les moins de 18 ans pour des périodes courtes, des demi-journées, pendant le week-end et les grandes vacances dans le monde professionnel. Il y a quand même la possibilité d’aider dans un secrétariat, faire la plonge dans un restaurant, servir comme pompiste ou être vendeur dans un magasin, effectuer des petits boulots que les étudiants mauriciens font bien à l’étranger pour une petite rémunération, et même parfois uniquement pour acquérir de l’expérience sans aucun salaire ou autre avantage.

Le but est de faire l’expérience du monde de travail, d’avoir une occupation saine dans la vie réelle, d’acquérir le goût de la responsabilité et le plaisir de gagner de l’argent par soi-même. Si le travail des moins de dix-huit ans est une pratique courante dans les pays développés, pourquoi pas à Maurice où le niveau de vie s’est nettement amélioré depuis plus de trois décennies?


Mauritius Times ePaper Friday 9 June 2023

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