« Je suis désolée » : à l’exemple d’Angela Merkel, les dirigeants devraient plus souvent présenter leurs excuses

La majorité des leaders ne s’excusent pas pour leurs erreurs, même flagrantes. Pourtant, des excuses sincères et spontanées sont bénéfiques

La chancelière allemande Angela Merkel lors d’une conférence de presse, le 30 mars 2021, à Berlin. Elle est l’une des rares leaders à avoir présenter ses excuses dans la gestion de la pandémie de Covid-19. AP Photo/Markus Schreiber, pool)

Rares sont les dirigeants en fonction qui reconnaissent une erreur, présentent leurs excuses et demandent pardon.

C’est pour cela que ces mots d’Angela Merkel, à la fin mars, à propos de sa gestion de la crise sanitaire et le durcissement des règles sanitaires à Pâques ont surpris et marqué les esprits : « Cette erreur est mon erreur et mon erreur seule. Car à la fin, c’est moi qui porte la responsabilité de tout, de par mon mandat. Je regrette profondément cette erreur et je demande pardon aux concitoyennes et concitoyens pour la confusion qu’elle a pu causer. »

Angela Merkel s’est ainsi démarquée de l’écrasante majorité des autres dirigeants qui refusent de reconnaître leurs erreurs ou bien le font tardivement, sous la pression et du bout des lèvres. On se souvient par exemple de Richard Nixon qui a utilisé à plusieurs reprises l’expression « des erreurs ont été faites » au moment du Watergate pour tenter d’atténuer sa responsabilité. Ou bien encore d’Henry Kissinger répondant de manière fuyante à des accusations à son égard : « Des erreurs ont probablement été commises par l’administration dans laquelle j’ai servi ».

Dans sa gestion de la pandémie de la Covid-19 au Québec, qui a provoqué la mort de plus de 10 000 citoyens, le premier ministre François Legault s’est blanchi de toute erreur. Il s’est ainsi attribué une note parfaite. Quant au président français, Emmanuel Macron, il a souligné que « celui qui ne fait pas d’erreur, c’est celui qui ne cherche pas, qui ne fait rien ou qui mécaniquement fait la même chose que la veille ». Et il a regretté que la France devienne « une nation de 66 millions de procureurs »

Depuis six ans, je m’intéresse aux erreurs de management et de leadership. J’ai recueilli plus de 200 erreurs commises par des gestionnaires et des dirigeants. La plupart de ces erreurs sont de fausses bonnes idées : ce qui semble une bonne pratique aux yeux des gestionnaires est en réalité une mauvaise pratique d’après la recherche scientifique en gestion. Ne pas présenter ses excuses en cas d’erreur semble précisément une fausse bonne idée.

Vraies et fausses excuses

Les excuses d’Angela Merkel sont de vraies excuses, semblent sincères et spontanées, ce qui tranche avec les fausses excuses :

* L’excuse vide qui consiste à se contenter d’un simple : « Je suis désolé ». Cela donne l’impression d’excuses obligées, que la personne qui prononce ces mots ne les pense pas véritablement. C’est le cas de Kissinger qui a attendu d’être à la retraite et pressé par un journaliste pour évoquer des erreurs éventuellement commises.

* L’excuse excessive consiste en des excuses surjouées, trop nombreuses et trop longues ou bien à se confondre en excuse en se mettant en avant : « Je suis désolé, je me sens si mal, je n’en dors plus de la nuit… ». Il y a un renversement des rôles : celle qui présente ses excuses tente de faire pleurer l’autre, se fait passer pour la victime. Un message de contrition préparé avec une firme de communication est souvent trop travaillé pour sembler sincère. Voici par exemple celui de Tiger Woods accusé d’adultère : « J’ai laissé tomber ma famille, et je regrette ces transgressions de tout mon cœur. Je n’ai pas été fidèle à mes valeurs et au comportement que ma famille mérite. Je ne suis pas sans fautes et je suis loin d’être parfait. » Ses excuses manquent de simplicité et d’authenticité ; ce n’est pas sa façon de parler habituelle.

* L’excuse incomplète qui consiste en une excuse partielle de type : « Je suis désolé pour ce qui s’est passé », « Je suis désolé que tu te sois senti mal ». La personne ne reconnaît pas directement sa responsabilité, ne demande pas pardon. Richard Nixon entre typiquement dans cette catégorie en reconnaissant l’existence d’erreurs sans reconnaître en être l’auteur.

Des excuses pour poursuivre la relation

À quoi servent les excuses ? À exprimer son émotion intérieure afin de réparer et poursuivre la relation avec les personnes lésées, explique le professeur Nicolas Tavuchis dans son livre Mea culpa (Stanford University Press).

Les excuses répondent à une attente des personnes lésées, désamorcent leur colère et leur font sentir que les deux parties appartiennent à la même communauté : elles partagent une certaine humanité.

Des études montrent d’ailleurs que les excuses font du bien aux offensés, mais aussi à l’offenseur : l’estime de soi et la fierté augmentent.

Un aveu de faiblesse ou de force ?

Alors pourquoi les dirigeants rechignent-ils à présenter leurs excuses ? Parce qu’ils en sous-estiment les bénéfices et en surestiment le coût. Ils craignent qu’un tel acte passe pour un aveu de faiblesse.

Or, les dirigeants qui reconnaissent leurs erreurs et présentent de vraies et sincères excuses voient leur image s’améliorer. C’est une marque d’humilité, ce qui donne plus envie aux autres de les suivre. C’est aussi un gage de confiance.

Un bon exemple est le cas de Michael McCain, PDG de Maple Leaf Foods, qui a dû présenter des excuses après la mort de vingt personnes de listeria à la suite de la consommation de viande avariée. McCain a admis qu’en tant que dirigeant il en était responsable. Il n’a pas cherché à minimiser les faits ou à désigner d’autres responsables. Sa priorité était de restaurer la confiance des consommateurs et de prendre des mesures pour faire en sorte qu’un tel drame ne se reproduise pas. Son discours semble avoir été juste, car les médias ont loué la gestion de crise mise en place par l’entreprise. Et la confiance des consommateurs est remontée en flèche peu après.

Reconnaître sa responsabilité, c’est aussi mettre en lumière son pouvoir. Lorsqu’un dirigeant attribue des événements négatifs à des causes externes, il renvoie une image d’incertitude et d’impuissance. Par exemple, lorsque les dirigeants d’entreprise laissent entendre que les mauvais résultats sont liés à des causes externes, le cours de la Bourse diminue. En revanche, une étude menée aux États-Unis sur une période de dix-huit ans par les chercheurs Gerald Salancik et James Meindl montre que quand les dirigeants mettent en avant des causes internes et proposent des solutions, la valeur des actions de leur entreprise augmente. Pourquoi ? Car les dirigeants montrent qu’ils contrôlent la situation.

Nier toute responsabilité, c’est également laisser penser qu’on n’apprend pas de ses erreurs. Or, comme l’indique le philosophe et écrivain George Santayana dans son livre The Life of Reason : « lorsque l’expérience n’est pas retenue […] l’enfance est perpétuelle. Ceux qui ne se souviennent pas du passé sont condamnés à le répéter ».

Les dirigeants auraient donc intérêt à s’inspirer d’Angela Merkel, reconnaître leurs erreurs et présenter de vraies excuses. À condition que celles-ci semblent sincères. Sinon, le remède serait pire que le mal !

Il y a erreur et erreur

Il existe toutefois une exception. Les erreurs de comportement (être maladroit, impulsif, malhonnête…) sont jugées moins pardonnables que les erreurs de jugement (prendre une mauvaise décision). Elles s’apparentent parfois plus à des fautes qu’à des erreurs et paraissent directement liées à la personnalité de son auteur. Or la personnalité d’un individu est stable. Donc d’autres « gaffes » risquent de survenir, à l’image du personnage de bande dessinée Gaston Lagaffe qui les multiplie.

Justin Trudeau est sans doute le leader occidental qui s’est le plus excusé dans sa carrière. Mais ses excuses portent avant tout sur ses erreurs de comportements (bousculade d’une députée, visage grimé en noir, contrat douteux avec l’UNIS). Ou encore, ses excuses concernent des événements survenus dans le passé (du Canada) dont il n’est pas directement responsable. C’est pourquoi il n’en tire pas un grand bénéfice.

Par Denis Monneuse
Chercheur à l’Université du Québec à Montréal,

Université du Québec à Montréal (UQAM)


* Published in print edition on 16 April 2021

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