Invasion imminente de Gaza
Eclairages
La poudrière du Moyen-Orient n’a jamais semblé aussi proche de l’étincelle qui déclenche un conflit mondialisé
Par A. Bartleby
Plus d’une dizaine de jours se sont écoulés depuis l’attaque du Hamas sur Israël. À l’heure où nous écrivons ces lignes, l’armée israélienne est mobilisée et se prépare à une invasion terrestre de Gaza.
Guerre Hamas-Israël : Des milliers de personnes tentent de quitter Gaza avant l’assaut de l’armée israelienne. P – 20 Minutes
Cela fait plusieurs jours que l’armée de l’air israélienne bombarde ce qu’elle appelle les positions de Hamas dans la bande de Gaza, faisant des centaines de morts parmi les civils. Le bilan humain est déjà désastreux avec plus de 1,200 morts parmi les civils du côté israélien et une estimation dépassant les 2,500 morts du côté des Palestiniens.
Tout ce qui avait été atteint comme semblant de paix ces dernières années vient de partir en poussière, et la poudrière du Moyen-Orient n’a jamais semblé aussi proche de l’étincelle qui déclenche un conflit vraiment mondialisé.
Ce terme, « mondialisé », est utilisé en lieu et place de « mondial » pour mieux faire ressortir le fait que nous ne sommes pas dans la situation d’une guerre qui va se généraliser globalement, en mobilisant les appareils de production de la quasi-totalité des pays du monde comme cela avait été le cas pour les guerres de 1914-1918 et de 1939-1945.
Nous semblons être bien plutôt dans une situation où la guerre de Gaza sera un autre front de la guerre hautement stratégique pour le contrôle des ressources énergétiques, une sorte d’autre front parallèle au front ukrainien, qui va mobiliser plus de ressources et impliquer plus d’enjeux géostratégiques.
Nous expliquions la semaine dernière comment l’Arabie saoudite et l’Iran menaient une guerre par proxy dans le sud du Soudan depuis près d’une décennie. La guerre de Gaza sera exactement cela : une guerre par proxy entre plusieurs puissances qui utiliseront le terreau palestinien pour avancer leurs intérêts sécuritaires, économiques et géopolitiques, avec le contrôle des ressources énergétiques et la mainmise sur le commerce régional en ligne de mire.
C’est exactement cela qui est en jeu. Les Palestiniens n’ont eu de cesse d’être pris dans un étau tragique entre Israël en proie à la gourmandise de territoire, et des pays arabes qui n’auraient en réalité pas grand-chose à faire de la cause palestinienne, sauf à l’utiliser pour leurs propres intérêts…
Les accords d’Abraham… tout s’est effondré le 4 novembre 1995
L’espoir créé par les accords d’Abraham laissaient enfin entrevoir une résolution pragmatique à ce conflit, une quasi première depuis les accords d’Oslo signés entre Yasser Arafat et Yitzhak Rabin en septembre 1993. La voie vers la paix était posée en 1993 mais cet accord historique s’est effondré le 4 novembre 1995 lorsque Yigal Amir, un militant de l’extrême-droite sioniste israélienne, avait assassiné Rabin de trois coups de feu.
L’ironie de l’histoire voudrait que le gouvernement israélien actuel soit composé d’individus issus des mêmes groupuscules d’extrême-droite que Yigal Amir. Parallèlement à cela, Gaza a basculé sous le contrôle du Hamas, qui se distingue du Fatah de Mahmoud Abbas qui gouverne la Cisjordanie.
Cette scission entre deux Palestine, celle de Gaza et du Hamas et celle de la Cisjordanie et du Fatah, produit une situation profondément complexe. Israël a tenté de normaliser ses relations avec le Hamas et Gaza depuis quelques années en délivrant notamment des permis de travail à des milliers de Gazaouis et en laissant le Qatar acheminer du financement vers Gaza en passant par Israël – les spécialistes parlent d’une somme mensuelle de $35 millions qui transitent par Israël dans des valises destinée aux dirigeants du Hamas.
Ce « commerce » permettait à Israël de garder la main sur Gaza, en alimentant le territoire de monnaie, tout en laissant le Qatar se porter garant de cet argent, ce qui produit une situation de dépendance entre ces trois entités. Le gouvernement du Hamas utilisait d’ailleurs cet argent pour opérer les services publics dans la bande de Gaza. Mais tout cela s’est arrêté le 7 octobre dernier, et nous sommes aujourd’hui plongés dans une situation dont la volatilité est profondément inquiétante.
Plusieurs voix sérieuses s’élèvent depuis plusieurs jours pour exhorter Israël à la retenue. D’ailleurs, nous avons constaté un « shift » dans la teneur des discours des dirigeants israéliens, qui ne laissaient aucune place à la moindre négociation dans l’immédiat de l’attaque du Hamas.
Ils sont aujourd’hui légèrement plus mesurés, acceptant même de rétablir la fourniture d’eau momentanément dans certaines régions de Gaza et demandant aux civils de la partie nord de la bande d’évacuer vers le sud avant que l’armée n’entame son opération au sol. Cette évacuation concerne près de 1,2 millions de personnes, quasiment la population mauricienne, et il semblerait que plusieurs centaines de milliers de Gazaouis aient réussi à se diriger vers le sud.
Des centaines de morts dans une frappe sur un hôpital à Gaza
Les choses ont pris un tournant dramatique dans la nuit de mardi lorsqu’un hôpital a été la cible des missiles. Les autorités israéliennes et le Hamas n’arrêtent pas de se renvoyer la balle dans l’attribution des responsabilités, Israël démentant le fait qu’il s’agit d’un tir israélien et le Hamas accusant l’armée israélienne de bavure.
La frayeur des analystes chevronnés était qu’Israël ne dépasse une ligne rouge, qui n’a jamais été définie, qui ferait que le conflit passerait dans une autre dimension. Le bombardement de l’hôpital à Gaza, faisant plusieurs centaines de morts, pourrait bien apparaître comme une telle ligne rouge aux yeux d’une grande partie du monde.
Si la preuve est apportée qu’il s’agissait d’une frappe israélienne, l’argument sera démontré que l’armée israélienne ne distingue pas entre civils palestiniens et Hamas, tout comme les terroristes du Hamas ne distinguent pas entre civils israéliens et État israélien. Cela laisse présager le pire à la veille d’une intervention au sol de l’armée israélienne.
Nous ne nous avancerons pas sur ce qui suivra l’intervention au sol, mais nous pourrions deviner que l’armée israélienne entrerait dans une guerre âpre faisant face à des tactiques de « urban warfare » et de guérillas venant d’un Hamas prêt à en découdre.
L’histoire militaire récente démontre que ce genre de situation produit un seul cas de figure : un bourbier dont aucune armée ne peut s’en sortir rapidement. Cela avait été le cas pour l’armée américaine en Irak et en Afghanistan, par exemple.
L’autre tendance serait celle évoquée plus haut : une mondialisation du conflit. Le Président américain Joe Biden a déjà mis l’Iran en garde, ce qui n’a pas empêché le gouvernement iranien de positionner des missiles en Syrie et de tenter d’ouvrir un front dans le nord d’Israël en utilisant le Hezbollah. La réponse américaine a été de déployer un autre porte-avions, avec tout son contingent militaire en Méditerranée, ce qui ne laisse présager rien de bon.
Une issue existe-t-elle actuellement ? Il est difficile de l’affirmer, mais il faudra observer comment l’Arabie saoudite, la Chine, l’Inde, la Russie et l’Union africaine, eux, se positionnent. Ils ont été plutôt discrets depuis le début de la guerre, ne faisant que condamner les attaques sur Israël et appeler Israël à la retenue. Il se pourrait bien que leur intervention soit décisive dans le scénario actuel, donnant de facto au BRICS+ une capacité diplomatique qui pourrait être bien plus efficace que toute action de l’ONU.
Mais nous ne sommes pas encore là.
* * *
Privy Council : conséquences du jugement sur nos pratiques électorales
Le jugement du Privy Council dans le cas opposant Suren Dayal à Pravind Jugnauth et ses colistiers de la circonscription numéro 8 est enfin tombé. Les spéculations allaient bon train sur l’issue du jugement, après un “hearing” qui ne semblait pas être en faveur de la partie plaignante compte tenu des questions et de la posture des Law Lords pendant la séance. Les avis n’hésitaient pas à avancer une issue favorable pour l’actuel Premier ministre.
Donc, c’est sans surprise réelle que nous avons appris le contenu de la délibération des Law Lords lundi après-midi. Le MSM avait déjà anticipé une telle issue et avait déployé ses partisans à son quartier général au Sun Trust. Cette démonstration de force se voulait être une réponse forte aux congrès de l’alliance de l’opposition. Et la teneur des discours (et notamment celui de Pravind Jugnauth) n’a pas manqué d’attaquer l’opposition et sa démarche.
Navin Ramgoolam a également réagi en affirmant qu’il respectait bien évidemment le jugement mais que ce dernier ne signifiait aucunement que les élections de 2019 étaient « free and fair ».
Comme nous le disions la semaine dernière, le défi pour les leaders de l’alliance de l’opposition parlementaire est de pouvoir exister dans une temporalité qui sera désormais dictée par Pravind Jugnauth, et ce, en faisant évoluer leur rhétorique. Désormais, il faudra changer de cap et proposer des politiques apportant des solutions aux problèmes actuels des Mauriciens, dans une situation globale extrêmement complexe. Cela pourrait représenter un défi certain pour ces trois partis dont les idéologies et les ambitions politiques divergent parfois radicalement. Ces trois partis devraient donc se mettre au travail.
L’importance du jugement rendu par le Privy Council dépasse de loin les ambitions politiques partisanes et s’inscrit dans une culture nationale qui en sera influencée. En effet, en rejetant tous les points avancés par les avocats de Suren Dayal, le Privy Council a officiellement déclaré que la culture électorale mauricienne fonctionnait parfaitement bien pour les conditions politiques et sociales du pays. Et le rejet de tous les points avancés par les Law lords implique également qu’aucune recommandation ne devrait s’appliquer pour des réformes électorales.
Relevons uniquement le fait que nous avons cette tendance et cette culture de la surenchère électorale. Cela fait partie intégrante du libéralisme mauricien où la liberté de l’expression politique prime sur la rationalité des propositions politiques. C’est d’ailleurs pour cela que nous voyons, tous azimuts, la multiplicité des partis politiques s’engager dans la surenchère politique.
Est-ce qu’il appartenait au Privy Council, une instance « hors sol », de statuer sur cette culture ? Ou bien appartient-il plutôt à la responsabilité des politiciens et au discernement de l’électorat de proposer des politiques justes et réalisables, d’un côté, et de voter pour les propositions qui participent à la construction du bien commun, de l’autre ?
En rendant son verdict, le Privy Council a également témoigné de sa volonté de ne pas s’ingérer dans cette culture électorale et dans l’esprit libéral qui constitue son fondement. Après tout, si nous n’avons pas cette concurrence des promesses et des propositions pendant une campagne électorale, que resterait-il ? Ainsi, par-delà le contexte politique actuel du jugement, nous devons poser une question bien plus profonde.
- Si les partis politiques ne peuvent pas faire campagne sur des propositions de politique publique, alors sur quoi feront-ils campagne ?
- Dans un pays où la donnée identitaire est une clé de voûte de la construction de l’espace politique, sans proposition de politique publique, que reste-t-il donc à débattre dans cet espace, si ce n’est que la question de la répartition identitaire de ce même espace ?
En d’autres termes, des propositions de politique publique permettent aux partis politiques de proposer des choses universelles, qui concernent tous les Mauriciens. Sans cela, notre système politique et électoral pourrait être condamné à ne devenir qu’une lutte identitaire qui nous mènerait dans un gouffre dont nous ne pourrions guère nous en extraire.
Peut-être donc que le Privy Council, tout comme la Cour suprême de la République de Maurice, ont eu raison de rejeter un cas qui aurait produit un précédent bien plus dangereux que le simple soupçon de corruption formulé par les avocats de la partie plaignante.
* * *
Un sommet pour marquer l’anniversaire des 10 ans de la ‘Belt and Road Initiative’
Un sommet pour marquer les 10 ans de la ‘Belt and Road Initiative’ (BRI) a été organisé cette semaine en Chine. Près de 130 pays étaient représentés par diverses délégations, mais l’événement majeur de ce sommet, c’était la présence de Vladimir Poutine à Pékin.
Le président russe ne se déplace plus depuis le début de la guerre en Ukraine à cause d’un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale (CPI) pour crimes de guerre contre lui. Néanmoins, une visite à Pékin n’implique pas un tel scénario étant donné que la Chine n’est pas signataire des accords permettant à la CPI de sommer une arrestation.
C’est ainsi qu’un Vladimir Poutine tout sourire est arrivé en Chine pour rencontrer son « dear friend » Xi Jinping. Les deux hommes s’étaient rencontrés en personne en mars dernier lors d’une visite officielle du président chinois en Russie. Cette dernière rencontre avait été extrêmement cordiale. Une caméra a même été témoin d’un échange important entre Poutine et Xi, où ce dernier avait déclaré à son homologue russe qu’après près d’un siècle leurs deux pays étaient revenus sur le devant de la scène internationale et qu’ils allaient désormais présider au destin de l’avenir du monde.
Cet échange n’avait pas manqué de faire le buzz à l’époque.
De manière pragmatique, le président russe est à Pékin pour discuter de projets d’investissement avec son homologue chinois. La priorité actuelle de la Russie est la finalisation du projet Power of Siberia 2, un pipeline de 2,800 kms de long, qui acheminera du gaz russe vers le nord-est de la Chine. Les négociations sont à un stade très avancé et il ne reste plus que quelques détails à régler entre les deux pays avant de trouver un accord final, qui pourrait bien être annoncé à l’issue du sommet.
Ce pipeline s’inscrit dans la stratégie russe de diversifier encore plus les bénéficiaires de son gaz naturel. Pour rappel, la compagnie russe Gazprom est le plus grand distributeur de gaz naturel au monde, avec des revenus dépassant les $120 milliards annuellement.
La finalisation de ce pipeline relève d’une importance hautement stratégique pour la Russie car elle ouvrira une deuxième voie d’acheminement vers la Chine, donnant au gouvernement russe encore plus d’indépendance par rapport aux exportations vers l’Europe via les pipelines Nord Stream.
BRICS, ou l’alternative au monde occidental
De manière plus profonde, un tel projet s’inscrit dans la droite lignée de cette attitude démontrée par le fameux échange entre Xi et Poutine en mars dernier. Depuis plusieurs années, la Chine ne cache plus ses ambitions géopolitiques sur le plan mondial. Au contraire, elle se positionne de plus en plus fermement comme une alternative au monde occidental, et la BRI s’inscrit directement dans cette ambition.
De ce fait, la relation sino-russe relève d’une importance capitale pour les ambitions des deux pays. La Chine a besoin de la Russie pour consolider ses approvisionnements en énergie et aussi pour peser sur les institutions du multilatéralisme. Et la Russie, elle, a besoin de la Chine pour se libérer des sanctions occidentales et avoir une plus grande marge de manœuvre sur l’échiquier mondial.
Xi Jinping n’a d’ailleurs jamais vraiment condamné ce que les Russes ont nommé “l’intervention spéciale” en Ukraine, reconnaissant même à Poutine le droit légitime de protéger les Ukrainiens russophones et de consolider la sécurité de la Russie en face d’un OTAN qui n’a eu de cesse de gratter du terrain vers l’est. Parallèlement, Vladimir Poutine affiche constamment son soutien à l’émergence d’un nouvel ordre mondial avec la Russie, la Chine et l’Inde en tête de gondole. C’est d’ailleurs là tout l’esprit de la création des BRICS et le sens premier du projet de dédollarisation du pétrole et du gaz.
Ainsi, le sommet de la BRI semble plus se transformer en une opération de PR pour mettre à l’avant l’entente extrêmement cordiale entre Vladimir Poutine et Xi Jinping. Avec les troubles qui se déroulent au Moyen-Orient, cette relation extrêmement amicale relève également d’un enjeu sécuritaire pour le monde, surtout lorsque l’on sait que la Russie entretient des liens forts avec l’Iran.
Tout cela ne peut pas manquer de nous renvoyer à ce fameux échange de mars dernier entre les deux hommes, échange qu’ils ont pris soin de mettre en scène afin que les caméras capturent l’image. Oui, les ambitions chinoises et russes sont alignées. Et elles ne sont pas uniquement alignées dans une cause commune contre le bloc occidental. Elles sont également alignées dans leur volonté de former un bloc qui aura les moyens de sérieusement contester l’hégémonie sécuritaire, économique et institutionnelle du bloc occidental.
Mauritius Times ePaper Friday 20 October 2023
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