« Le BLS tombera de lui-même comme une papaye mûre…

Interview : Yvan Martial

… faute de candidats à vouloir se couvrir de l’opprobre d’être désignés députés correctifs »

BLS : « A quoi me sert la satisfaction d’avoir raison, même avec le plus grand nombre, si j’ai la cruauté de priver mon frère paralytique d’une béquille qui lui est d’une aide incontournable et incontestable ? »

« « S’il est malsain d’évoquer l’état de santé de Navin Ramgoolam, que dire de la démangeaison d’évoquer sa succession au sein du PTr »

Actualité oblige : Cette semaine, notre invité nous donne son point de vue sur le ruling du Comité des droits humains des Nations Unies, suite à l’affaire logée par Rezistans ek Alternativ. Il commente aussi l’importance du BLS dans le système électoral mauricien, dans un contexte où nul n’est capable d’affirmer avec certitude ce que pense la masse silencieuse de la République de Maurice multiculturelle à propos de cette délicate question.

Mauritius Times : L’idée de mener un nouveau recensement ethnique de la population, émise par certains hommes politiques, dans le sillage du ‘ruling’ du Comité des droits humains des Nations Unies, s’est heurtée à une certaine opposition. Cette attitude laisse entrevoir probablement un réel désir de préserver la cohésion sociale et surtout l’envie de consolider le « vouloir vivre ensemble ». C’est la nation mauricienne qui se construit, d’après vous ?

Yvan Martial: Avant tout, je veux rappeler cette vérité première, hélas, oubliée, méprisée même, par nos meilleurs éditorialistes : notre recensement décennal ne doit jamais être l’affaire d’hommes politiques mais de statisticiens. Les statistiques nationales sont une science sociologique, devant répondre à des exigences comparatives mondiales, et donc à des normes internationales. Il serait navrant et déplorable si, demain, nos statisticiens d’Etat soient contraints d’expliquer, à leurs pairs mondiaux, qu’ils sont dans l’incapacité de fractionner, de décomposer, notre population arc-en-ciel, en Blancs, homme de couleur, Créoles d’origine africaine, Hindous, Tamouls, Télégous, Marathis, Biharis, Musulmans de différentes écoles de pensée, Bouddhistes, Chrétiens d’origine chinoise ou indienne, naturalisés de fraîche date, parce que nos hommes politiques sont trop froussards pour oser ouvrir cette boîte de Pandore, pour oser affronter, sans détour, la vérité sociologique même quand elle est déplaisante, même quand elle détruit certains mythes savamment entretenus.

Les statistiques nationales constituent un outil de connaissance de notre population, donc de nous-mêmes. Cet outil se doit d’être le plus précis, le plus exact, le moins confus possible. Les statistiques nationales doivent être la photographie aérienne la plus exacte, la plus précise, de notre population arc-en-ciel, à un moment donné. Nous devons distinguer entre l’outil et l’usage qu’on en fait, entre l’outil et l’ouvrier. Des statistiques scientifiquement exactes et précises ne sauraient être communalistes. Peuvent l’être, en revanche, le regard malsain que nous pouvons porter sur elles, l’usage abusif que les plus mal-intentionnés parmi nous peuvent vouloir faire d’elles, la malhonnêteté intellectuelle, poussant les plus véreux d’entre nous à leur faire dire ce qu’elles ne disent pas, voire même à leur faire dire le contraire de ce qu’elles démontrent.

Les statistiques nationales doivent être la photo grandeur nature de notre population, avec ses tares et ses qualités. Une photo de qualité irréprochable ne saurait être le moindrement floue et imprécise. Nous, y compris nos hommes politiques et éditorialistes, n’avons pas le droit d’exiger de nos statisticiens irréprochables, d’être volontairement flous et imprécis, encourant de ce fait le risque de devenir la risée de leurs pairs internationaux, simplement pour complaire à nos phobies politiciennes qui ne brillent guère par leur désintéressement…

J’ai confiance en nos statisticiens à condition qu’ils ne se laissent pas inféodés par des hommes politiques, par des éditorialistes, dont on connaît l’agenda caché. Accordons donc une liberté totale de manœuvre à nos statisticiens, comme à tous nos professionnels, à tous nos techniciens d’Etat. Nos hommes politiques n’ont pas le droit de les enfermer dans les chaînes de l’esclavage de la pensée politicienne unique, dans le politiquement correct, opposition comprise.

Ce stérile débat sur nos recensements décennaux ouvre surtout nos yeux scandalisés, choqués, blessés, sur la mainmise despotique que veulent exercer des hommes politiques non qualifiés sur nos statisticiens, comme sur d’autres professionnels, tout autant formés, qualifiés, que nos statisticiens. Que des éditorialistes renommés encouragent nos pires hommes politiques à persister dans leur volonté de réduire en servitude nos hauts fonctionnaires, cela ne fait guère honneur à la presse mauricienne.

Si nos statistiques ne peuvent être communalistes, nous pouvons l’être et acceptons de l’être. Je donne un seul exemple : à la veille de Législatives, nos journaux les plus démagogues s’arrangent pour publier l’article de presse le plus puant de communalisme mais le plus recherché, le plus apte à multiplier la vente du papier journal. Il s’agit de l’article dénombrant, circonscription par circonscription, le nombre et le pourcentage d’Hindous, de Tamouls, de Télégous, de Marathis, de Biharis, de Musulmans, de Créoles, de Chinois. La source de cet article infect, mais que je suis le premier à prendre en considération (je possède assez d’hypocrisie pour agir de la sorte) n’est certainement pas notre Bureau central des Statistiques.

Ayons au moins le courage de nous avouer à nous-mêmes que nous sommes éminemment capables de faire une lecture, la plus communaliste qui soit, même de l’annuaire téléphonique, pour ne pas parler, ici, de listes de lauréats, de boursiers, de recrues et de promotions du service civil, des dirigeants de nos 100 premières compagnies. Nous sommes même capables d’une lecture communaliste de notre quadricolore : rouge hindou, bleu créole, jaune tamoul ou chinois, vert musulman. Gloire à toi Mother l’Inde !

* Pour revenir à l’opposition contre un nouveau recensement communal, une question se pose toutefois : faisons-nous une bonne lecture de ce que souhaitent la grande majorité des Mauriciens ? Ou doit-on mettre cela sur le compte des « wild ravings » de quelques intellectuels ?

Si nous voulions faire une lecture exacte et instructive de ce que souhaitent les Mauriciens en plus grand nombre, nous saurions faire bon usage d’une multiplication de sondages (de vérité scientifique) quels qu’en soient les résultats favorables ou défavorables. Il ne saurait être question ici de sondages frelatés, au questionnaire imposé par des intérêts, entre autres politiciens, inavouables et opaques, sondages que ceux, qu’ils léseront, s’empresseront de qualifier de « bidons ».

Il est, bien sûr, plus facile pour des hommes politiques, pour des commentateurs de nos faits et gestes, de mettre, sur le dos de la masse des Mauriciens, nos fantasmes, surtout politiciens et partisans, les plus saugrenus.

La presse mauricienne a, ici, un beau rôle à jouer, une noble cause à défendre. Ici comme ailleurs, elle est capable du meilleur comme du pire. Le pire, c’est quand elle permet à n’importe qui de dire n’importe quoi, tout en l’attribuant à la majorité des Mauriciens. Le meilleur c’est quand, courageusement, professionnellement, notre presse se fait la voix des sans voix, quand elle ouvre ses colonnes généreusement à ceux qui ne peuvent rien faire d’autre que d’assister au bal des voleurs, prétendant danser dans l’intérêt public ou dans l’intérêt du Peuple. Les radios jouent mieux ce rôle car il n’y a pas d’intermédiaire. Mais la parole s’envole tandis que nos écrits demeurent heureusement gravés dans les collections de nos journaux.

Le vrai intellectuel, journaliste compris, c’est celui qui a la volonté inébranlable de découvrir coûte que coûte la Vérité, celle que nos princes voudraient cacher. C’est celui qui a le courage professionnel de publier cette Vérité populaire scientifique et non démagogique, même si cela lui coûte un poste d’attaché de presse gouvernemental ou encore un sourire ministériel public même pharisaïque.

N’importe qui parmi nous peut se mettre à l’abri de ces vessies des hommes politiques qu’on veut nous refiler comme des lanternes, en nous mettant humblement et sans a priori à l’écoute du tout venant, surtout quand il nous dit des choses désagréables à entendre. Les compliments mielleux ne peuvent que nous adoucir, nous amollir. La critique au gros sel nous brûle certes mais nous purifie, nous cautérise, nous améliore, nous sauve. Miel ou gros sel ? A nous de choisir.

* Compte tenu des alignements partisans et des contradictions d’hommes politiques de tous bords, la confusion s’installe dans le débat concernant la réforme électorale, n’est-ce pas ?

La confusion s’installe parmi nous, obscurcit notre raison parce que nos hommes politiques le veulent bien. Trop de nos journalistes acceptent très bienveillamment d’être leurs sinistres complices, en se contentant de répéter, comme de vulgaires perroquets, ce qu’ils leur débitent, aussi connus comme des parlementères. Il nous suffirait, à nous journalistes, de demander à l’homme ou à la femme politique B de commenter ce que professe l’homme ou la femme politique A, pour pouvoir offrir, à nos lecteurs, une vision déjà moins subjective d’un problème donné.

Savez-vous seulement qu’il y a des journaux qui ne publient pas le point de vue de X ou de Y, sans avoir reçu l’aval et la bénédiction de tel ou tel leader de parti politique. Je connais d’excellents journalistes qui ont été licenciés, séance tenante, pour avoir osé dire au Grand manitou d’un puissant Groupe de compagnies ce qu’il pensait de ses combines fallacieuses. La peur de perdre d’importants revenus publicitaires peut expliquer bien des cécités et des surdités journalistiques.

Les princes qui nous gouvernement sont souvent plus proches des princes des ténèbres que des enfants de Lumière, en dépit de leur prétention à se vouloir transparents, translucides. On reconnaît les princes des ténèbres quand ils agissent, le soir venu, à l’insu de tous, et surtout de journalistes, connus pour leur manque de flair professionnel et leur lâcheté devant la Vérité, qu’il s’agit de dévoiler coûte que coûte.

* Il serait peut-être souhaitable de rechercher l’avis des Mauriciens sur toute cette question de réforme électorale par le biais d’un référendum. Qu’en pensez-vous ?

Il faut réserver l’outil scientifique du référendum à des causes exceptionnelles. Pour être scientifiquement exact, un référendum doit poser une seule question, dont la simplicité doit être évidente. Le maintien ou non du Best Loser System se prête, certes, à un référendum. Il aurait l’avantage de connaître scientifiquement la volonté nationale des Mauriciens à ce sujet, particulièrement délicat.

Nous devons quand même tenir compte d’une inévitable campagne électorale, devant précéder l’exercice de ce référendum. Cette campagne électorale aura le sinistre objectif d’inviter le peuple à penser comme tel ou tel parti. Nous revoyons là, la triste volonté politicienne de penser pour le Peuple, de le dominer, de le mettre au service d’intérêts, particuliers inavouables, d’asservir le Peuple, au lieu de laisser les citoyens agir en adultes libres. Dictature de la Pensée unique, que de crimes démocratiques commis en ton nom !

Le débat peut être Best Loser System ou non ? La réponse référendaire à cette question peut ne pas être la bonne, même si le oui l’emporte à une écrasante majorité. Oui, il se peut qu’une majorité de Mauriciens soient en faveur de l’abolition du Best Loser System mais s’ils sont des Mauriciens dignes de ce nom, ils se doivent d’accorder une attention prioritaire aux plus fragiles, aux plus faibles, aux plus vulnérables d’entre nous, ceux qui pensent devoir avoir toujours besoin de la béquille du BLS pour se déplacer. A quoi me sert la satisfaction d’avoir raison, même avec le plus grand nombre, si j’ai la cruauté de priver mon frère paralytique d’une béquille qui lui est d’une aide incontournable et incontestable ?

Il existe une vérité scientifique dynamique qui enseigne que, dans tout convoi, dans tout train, la vitesse de la locomotive doit se régler sur la vitesse de croisière du wagon le plus lent. Si pour plaire à la majorité des usagers du convoi, la locomotive va à une vitesse, excédant imprudemment, dangereusement, celle du wagon le plus lent, ce dernier n’est pas en mesure de protester mais il finira par dérailler, entraînant avec lui l’ensemble du train.

Je peux dire que je suis contre le BLS mais je ne suis pas le pays Maurice pour autant. Même si j’étais Premier ministre, je ne suis pas le pays Maurice pour autant. Je ne suis surtout pas l’île Maurice souffrante et vulnérable, celle qui a le plus besoin d’aide et du soutien, de la compréhension des plus forts, de ses frères et sœurs aînés.

S’il y a un référendum sur le BLS, la question devrait donc être plutôt : Pensez-vous oui ou non que tous les Mauriciens peuvent se passer désormais du BLS ? Toute réponse négative, même minime, entraîne, bien sûr, le maintien du BLS. Cela s’appelle la Solidarité Nationale. C’est le contraire de la Pensée Unique, du Politiquement Correct.

* Mais, recensement communal ou pas, l’abolition du Best Loser System et l’abandon de toute obligation de décliner son appartenance ethnique pour les besoins électoraux vont-ils, selon vous, vraiment contribuer à éliminer le communalisme à Maurice ?

Ma solution à ce problème de BLS et d’appartenance ethnico-religieuse est très particulière et plutôt originale. Je n’ai pas souvenance que d’autres commentateurs aient pris la peine de dire s’ils l’approuvent ou la désapprouvent. Cela prouve surtout mon insignifiance. Je suis pour la plus grande liberté personnelle, à ce sujet, comme pour la plupart de nos autres problèmes.

Nos problèmes s’atténuent grandement, quand on permet, aux Mauriciens, d’agir comme ils le désirent, dans le respect de la liberté des autres et de nos lois. Le mal vient quand un pouvoir quelconque, le pouvoir politique par exemple, refuse d’accorder aux Mauriciens la liberté de penser et d’agir comme ils le désirent, aux conditions précitées. L’obligation de déclarer son appartenance ethnique, faite à tout citoyen, désirant briguer les suffrages des électeurs, lors des Législatives, est une atteinte inqualifiable à leurs droits et libertés. Laissons-les donc se porter candidats sans déclarer leur appartenance ethnico-religieuse, étant entendu qu’en refusant de le faire, ils renoncent du même coup à la possibilité d’être repêchés comme BLS ethnico-religieux. En nous accordant cette liberté additionnelle, les princes qui nous gouvernent, opposition comprise, accroissent le champ de nos libertés, sans devoir supprimer un BLS, qui fait ses preuves, depuis l’Indépendance, en servant de béquilles à nos frères et sœurs, souffrant d’une insécurité identitaire.

Je pense qu’un beau jour, le BLS tombera de lui-même comme une papaye mûre, faute de candidats à vouloir se couvrir de l’opprobre d’être désignés députés correctifs, en vertu de son appartenance ethnico-religieuse. Qui peut se vanter d’avoir fait tomber une papaye mûre ?

Saluons ici la mémoire de Jules Koenig qui refuse, en 1967, obstinément à devenir un député correctif, après avoir été désavoué par l’électorat de La Caverne-Phoenix. Tout le monde ne peut, bien sûr, être un Jules Koenig.

Ayons donc la charité de laisser le BLS à ceux d’entre nous qui pensent ne pas pouvoir présentement être privés de possible sécurité identitaire, qui fait, ne l’oublions jamais, des engagements pré-constitutionnels les plus sacrés. Aucun fils n’a le droit de ne pas respecter l’engagement formel pris par son père.

* Navin Ramgoolam, à son retour de l’Angleterre, a déclaré lors de sa première fonction publique que le ‘Best Loser System’ est dépassé. Paul Bérenger, lui, souhaite le maintien de quatre ‘Best Losers’. Le leader du MMM n’a probablement rien à perdre quoi qu’il propose alors que Navin Ramgoolam court le risque d’offusquer une partie de l’électorat qui l’a soutenu lors des deux dernières élections générales. Que recherche Navin Ramgoolam, selon-vous ? Une place honorable dans l’Histoire avec le « legacy » d’avoir éliminé le compartimentage communal de notre Constitution et de notre système de représentation parlementaire ?

Je ne peux pas répondre à la place de Navin Ramgoolam. Nul ne peut prétendre, de son vivant, pouvoir jouer un rôle quelconque dans le cours de notre histoire politique ou économique. Nous devons avoir la modestie d’agir, jour après jour, conformément à ce que nous dicte notre conscience, cette part de Dieu qui réside dans le cœur de chacun d’entre nous, à condition, bien sûr, que nous acceptons d’accorder une place dans notre vie à Dieu.

Nous devons avoir suffisamment de modestie pour laisser, à ceux, qui nous succéderont, sur la Terre des Hommes, de juger nos actions et nos intentions. Ils seront aussi impitoyables à notre égard que nous sommes impitoyables à l’égard de nos devanciers, surtout quand ils n’appartiennent pas à notre pensée unique, surtout quand ils sont les moulins à vent contre lesquels nous nous escrimons, parfois, bien inutilement.

Je préfère, et de loin, l’aveu de Sir Seewoosagur Ramgoolam, aveu confié humblement au journaliste de L’Express, Désiré Appou : « Je veux qu’on se souvienne de moi (SSR) comme celui qui voulait essuyer toute larme, coulant sur toute joue mauricienne ». Il est vrai que n’est pas SSR qui veut.

* Par ailleurs, on ne sait pas si c’est l’état de santé du Premier ministre qui l’a provoqué, mais curieusement la question de succession à la tête du PTr a été évoquée ces derniers jours. Le Dr Bunwaree soutient que cette question est « prématurée » et « malvenue ». Le pensez-vous également ?

Il est toujours malvenu de parler publiquement de l’état de santé de n’importe qui, a fortiori de commenter ad nauseam de celui d’un Premier ministre. Ne comptez pas sur moi pour dire quoi que ce soit sur l’état de santé de Navin Ramgoolam. Seul un voyeurisme abject peut expliquer toute curiosité malsaine de vouloir obtenir des informations confidentielles sur l’état de santé de quelqu’un.

S’il est malsain d’évoquer l’état de santé de Navin Ramgoolam, que dire de la démangeaison d’évoquer sa succession au sein du Parti Travailliste. Autant souhaiter sa disparition, pour ne pas dire plus, car seule celle-ci est en mesure d’enclencher le processus d’une succession qui ne se pose absolument pas pour l’instant. La question se posera seulement quand des personnes, dignes de foi et bien placées, commenceront à évoquer sérieusement, mais avec toute la retenue voulue, la perception grandissante que le pays Maurice pourrait ne plus être gouverné d’une manière optimale, en raison de l’état de santé de son Grand Timonier.

N’oublions pas que Navin Ramgoolam a aujourd’hui l’âge qu’a son père, au moment de notre accession à l’Indépendance, en 1967-68. C’est dire qu’il a toute sa carrière de Premier ministre devant lui, et non derrière lui. Si, comme celle de son père, la sienne doit durer jusqu’à ses 82 ans ou davantage, cela nous mène vers l’an de grâce 2030. La première fois que j’ai rencontré de près Sir Seewoosagur Ramgoolam, il avait environ 73 ans. Je ne lui ai donc jamais connu en bonne santé, comme celle apparente de son fils, à qui je souhaite le plus long règne possible, tant qu’il jouira du soutien d’une majorité de Mauriciens. C’est le Peuple qui doit décider qui doit être notre Premier ministre et pour combien de temps.* Ce qui surprend dans la déclaration du Dr Bunwaree (dans l’interview accordée à l’express dimanche), c’est sa réaction à l’idée qu’Arvind Boolell puisse être considéré comme un héritier potentiel. « Pourquoi lui ? » s’est-il demandé. Réaction qui laisse déjà entrevoir que la succession au niveau du PTr pourrait s’avérer fort délicate et même douloureuse. Qu’en pensez-vous ?

Le règlement de la question de la succession d’un leader de parti est, par nature, propre à chaque parti. La question se pose donc à la mort ou à la démission de ce leader. Tout le reste est spéculation maladive et malsaine. Est fou tout homme politique se prêtant à ce sinistre jeu de suppositions et de possibles scenarii. Plus fou encore est l’homme politique, alimentant ce brasier successoral, dans le vain espoir de servir les intérêts de X ou Y, sinon les siens, au risque de mettre en péril l’avenir de son parti. En ces temps d’émeutes et de dérapages sur Facebook ou dans la presse écrite, nul besoin de jeter de l’huile sur le feu. Soyons plutôt des artisans de paix.

La question de succession du leader d’un parti ne se pose pas quand on entre, en politique active, pour se mettre au service du Peuple, sans nourrir d’autres ambitions, et surtout pas des ambitions personnelles. L’homme politique sincère, ne voulant que servir, sans se servir, n’éprouve aucune peine à laisser, aux instances désignées du parti, le soin de désigner un successeur au leader, à sa disparition ou à sa démission. L’identité et la personnalité du futur leader importent moins que la possibilité de servir le Peuple, dans le cadre et les possibilités offerts par le Parti.

Tout homme ou femme politique sait que tout parti a besoin d’accorder plus d’importance à celui qui possède le bon acte de naissance, pour le diriger, et éventuellement pour diriger le pays. Certains sont donc plus égaux que d’autres. L’essentiel demeure, toutefois, de pouvoir se mettre au service du Peuple, grâce à l’appareil de leur Parti.

Le Parti Travailliste a failli disparaître à jamais, après le 11 juin 1982 parce que Sir Seewoosagur Ramgoolam n’a jamais pu choisir réellement son dauphin et successeur. Cela a permis une mortelle rivalité entre ses principaux lieutenants, pour ne pas parler des jeunes Turcs qu’ils ont écartés, à l’instar d’Harish Boodhoo ou d‘Anil Baichoo, pour ne pas remonter à Jean Delaître, à Philippe Forget, à Eddy Chang-Kye.

Un parti politique appartient à son fondateur ou leader historique. L’IFB appartenait aux frères Bissoondoyal. Il disparaît avec leur disparition. Le PMSD post-Koenig appartient à Gaëtan Duval jusqu’au 5 mai 1996. La question du leadership du PMSD ne se posait pas du vivant de Gaëtan Duval. Si Xavier veut hériter du parti légué par son père, il doit d’abord le ressusciter. Le MMM appartient à Paul Bérenger. Pour être de son parti, il faut accepter son leadership stalinien. La question de sa succession ne se pose pas de son vivant. D’autres leaders se retrouvent sans parti ou sans partisans. C’est dommage car ils ont encore quelque chose à dire au pays Maurice.

C’est dommage parce que trop de journalistes font davantage attention au messager qu’au message… On n’interroge pas un penseur politique alors qu’il a des choses sensées à nous dire, sous prétexte qu’il ne représente rien, sinon sa personne et sa pensée. On s’agglutine, micros tendus, vers le premier imbécile venu, sous prétexte qu’il a été bombardé porte-parole du parti, ayant pignon sur l’Hôtel du Gouvernement ou dans le caro cannes, quand il ne s’autoproclame pas porte-parole de tel ou tel parti. Même s’il ne peut débiter que des fadaises.

Le MSM appartient à Anerood Jugnauth. Pravind doit encore prouver qu’il est plus que le fils de Sir Anerood Jugnauth.

Navin Ramgoolam ne doit à personne, pas même à son père, le néo-Parti Travailliste qu’il dirige souverainement, davantage depuis l’an 2000 que depuis 1991.

Inspirons-nous de ce qu’il est advenu de nos anciens partis, pour deviner le sort réservé aux partis politiques, dominant présentement notre scène politique.

* Pour revenir à l’état de santé du Premier ministre – parti en Angleterre pour une visite médicale –, le Dr Bunwaree a, dans cette même interview à l’express dimanche, parlé en termes d’ « instants pénibles » pour le PM, qui « ne sait pas précisément de quoi il souffre »… A-t-il trop dit, selon vous ?

Le profane, que je suis en matière médicale, s’étonne que deux médecins puissent ignorer de quel mal souffre l’un d’entre eux. Un médecin peut formuler un diagnostic erroné quand le patient, devant lui, est incapable de lui décrire les symptômes exacts du mal dont il souffre, quand il est incapable de préciser si cela « le chatouille ou le gratouille ». Le médecin, ne pouvant entrer à l’intérieur du corps de son patient, ne peut que se baser sur une description maladroite des symptômes, présentés parfois de manière incompatible, contradictoire, pour donner un diagnostic.

Un médecin, ne sachant pas de quoi souffre le PM, surprend donc le profane que je suis. Quand un autre médecin partage l’ignorance de son confrère au mal inconnu, cela me surprend encore davantage. Ne dit-on pas : « Médecin guéris toi, toi-même ». Aurais-je été médecin et qu’un confrère se plaigne à moi de ne pas savoir de quel mal il souffre, je l’aurais renvoyé à ses chères études médicales. Que faire d’un médecin incapable de se soigner, parce qu’il est incapable de savoir de quel mal il souffre ?

Vasant Bunwaree aurait été mieux inspiré en disant, à son intervieweur : « Aucune question sur l’état de santé de qui que ce soit. Cela relève du domaine confidentiel ». Ce ministre n’a pas le droit d’oublier qu’il est un de nos meilleurs cardiologues…


* Published in print edition on 21 September 2012

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