« Le MMM et sa presse refusent d’accepter leur défaite » 

Interview : Patrick Assirvaden

* « La presse locale est à l’affût des situations de conflits éventuels entre ministres… c’est un jeu politique auquel nous sommes habitués

* « Il est évident que, si les IPP ne reviennent pas à de meilleurs sentiments, nous aurons certainement un plan B »


Energie verte, énergie propre, énergie pour un environnement salubre et réalités des besoins énergétiques croissants d’un pays… Comment penser autrement et développer des alternatives dans le cadre du MID ? Quelle est l’importance de la planification dans ce secteur pour notre pays ? Quelles sont les réalités mauriciennes en termes de l’offre et de la demande ? Patrick Assirvaden nous en parle… 


Mauritius Times : On affirme que même si vous n’êtes plus présent au Central Electricity Board, vous êtes toujours impliqué dans le secteur énergétique. Dites-nous donc: où en est-on avec le dossier concernant les Independent Power Producers (IPPs) et la révision de ces «contrats-béton»?

Patrick Assirvaden : Impliqué n’est pas vraiment le mot – un observateur attentif, passionné certes, mais vu que je fus le Président du CEB pendant cinq ans, c’est normal qu’on me sollicite pour avoir mon opinion sur ce sujet très important et délicat pour le pays. Quitte à me répéter pour la énième fois, je crois que l’île Maurice entière est consciente que les contrats, signés dans le passé, n’ont pas été équitables surtout pour la population.

Les consultants engagés d’un commun accord entre le gouvernement et les IPP pour trancher à propos de la question ont effectué un travail exhaustif et ont conclu que nos arguments étaient justes. Ils ont démontré que les profits des IPP étaient démesurés par rapport aux risques encourus dans de tels investissements, et ce, au détriment des consommateurs qui doivent aujourd’hui en faire les frais à travers leurs factures d’électricité. Ça, c’est un fait.

Il est un fait aussi que tout ce qui est légal n’est pas forcément moral et c’est dans ce contexte que le gouvernement a souhaité une révision des termes de ces contrats pour rétablir un juste équilibre. Nous sommes toujours dans l’attente d’une position officielle des IPP bien que leur réaction première a été plutôt négative, me semble-t-il. Ils essayent, je dis bien essayent, de changer les règles du jeu.

J’espère que le temps portera conseil et je salue au passage l’extraordinaire patience et implication de notre Premier ministre, qui je le sais, suit personnellement ce dossier, ayant à cœur l’intérêt de la nation.

* A entendre le discours du Président de la Commission pour la démocratisation de l’économie, M. Cader Sayed-Hossen par rapport au dossier CEB-IPP, on a la nette impression que le gouvernement privilégierait le veto gouvernemental à tout projet IPP visant à développer leurs opérations et à augmenter leur capacité de production d’électricité aux dépens d’une contestation légale. C’est la voie à suivre, selon vous?

La voie à suivre est bien évidemment celui du bon sens dans une perspective à long terme plutôt que de penser au profit immédiat. Aujourd’hui, les IPP comptent pour environ 55% de la production totale d’énergie sur le réseau du CEB et je pense que le gouvernement souhaite tout à fait légitimement contenir une progression de ce chiffre en permettant au CEB de continuer à jouer un rôle important, et ce, dans un souci d’équilibre stratégique, tout en privilégiant l’intérêt du consommateur.

Nous voyons que le CEB procède actuellement à un investissement de près de 4 milliards de roupies pour une capacité de 90MW à Fort Victoria. D’autre part, le CEB sera partie prenante à hauteur de 26% dans la future Centrale de Pointe aux Caves, basée sur la technologie du charbon pulvérisé comme cela se fait déjà depuis plusieurs années à la Centrale du Gol à la Réunion.

Il n’y a donc pas de veto comme vous le dites. Il y a seulement un délai de quelques années qui devrait permettre de développer un climat plus sain entre les IPP traditionnels et le CEB pour tout développement futur sous le contrôle d’un Régulateur Indépendant qui aura donc suffisamment de temps pour bien apprécier tous les éléments d’un dossier complexe, quitte à faire appel à une expertise étrangère si cela s’avère nécessaire. Fort Victoria et CT Power ou autres projets doivent assurer une fourniture adéquate jusqu’à 2016, ce qui fait que des négociations pour les futures tranches de 50 MW devraient être au moins finalisées en 2014, donc entamées en 2012-2013, dans seulement deux à trois années ! Il faut bien évidemment réaliser qu’en 2016, les premiers moteurs installés à Fort George auront près de 25 ans de fonctionnement et devront à leur tour être déclassés, comme c’est le cas aujourd’hui à la Centrale de Saint Louis.

* Doit-on donc comprendre qu’on est arrivé à conclure qu’une révision des « contrats-béton » liant le CEB aux IPP serait peine perdue, d’où cette menace de veto gouvernemental à tout projet d’expansion des opérations des IPP?

Il est évident que, si les IPP ne reviennent pas à de meilleurs sentiments et persistent à privilégier une approche purement légale et pas tout à fait correcte au problème, nous aurons certainement un plan B, sur lequel je pense une réflexion est déjà en cours et qui condamnera très certainement tout développement futur des IPP traditionnels, charbon-bagasse, peut-être à jamais, mettant très certainement en cause la pérennité de leurs activités dans le domaine de la production d’énergie qui constitue aujourd’hui une part très importante de leurs chiffres d’affaires et je parle là en termes de milliards! Je suis, pour ma part, convaincu que le bon sens prévaudra, car il y va de l’intérêt de tous, de l’intérêt de notre pays et des consommateurs.

* La question concernant notre capacité de production d’électricité – « largement insuffisante » selon certains observateurs et répercutée par quelques politiciens – a été soulevée au Parlement récemment. Il semblerait que le gouvernement aurait donné son accord pour les projets de CT Power et Gamma Coventa, malgré les objections portant sur les risques de pollution, cela afin de faire face aux risques de « black-out » à l’avenir. Estimez-vous que c’est une bonne décision?

Je ne suis pas au courant que le “green light” a été donné aux deux projets mentionnés. En ce qui concerne la capacité de production, elle est aujourd’hui suffisante jusqu’en 2013 avec la phase II de Fort Victoria – 60MW additionnels à l’horizon début 2012. Ce que dit l’opposition depuis quelque temps est, à mon avis, soit une ignorance, soit ils font de la politique démagogique. Ça fait cinq ans que le leader de l’opposition prévoit un « blackout » chaque année. Je l’ai toujours dit : il n’y a aucun risque pour l’immédiat. La Centrale CT Power (ou un autre nouveau projet) est maintenant prévue pour être opérationnelle en 2013 et un nouveau besoin d’équipement est prévu pour l’horizon 2016. Il ne faut pas faire l’amalgame avec le projet de Gamma Coventa qui est un projet différent et d’un type très particulier, dans la mesure où sa production d’énergie n’est pas traditionnelle et que l’aspect environnemental est plus compliqué et requiert plus de sophistication.

Je ne suis pas un expert en matière d’environnement, mais je sais qu’aux Etats-Unis, de tels projets sont en chantier et ont eu l’agrément des autorités concernées avec la garantie d’application des réglementations nouvelles de “Maximum Achievable Control Technology – MACT”. Je ne sais pas si le projet de Gamma Coventa à Maurice répond à ces critères et je laisserai le soin aux autorités compétentes de décider de l’avenir d’un tel projet. Tout gouvernement responsable de l’intérêt de la nation doit veiller à ce que le risque de « black-out » soit quasiment nul, et je peux vous assurer que c’est le cas à Maurice et que le ministère concerné est particulièrement attentif à ce sujet.

* Vous ne voyez donc pas de contradiction entre le concept de ‘Maurice Ile Durable’ et les projets de CT Power et Gamma Coventa? CT Power et Gamma Coventa représentent-ils un moindre mal à vos yeux?

Non, il n’y a absolument aucune contradiction entre les projets de CT Power ou autre projet de charbon et le concept de Maurice Ile durable, car les deux ne sont pas dans le même registre. Il faut se rendre compte que les 100MW de CT Power ont un productible potentiel de 750GwH annuellement tandis que 100MW d’éolien à Maurice peut, au mieux avoir un productible de 200GwH seulement pour un investissement bien plus élevé. Dans le premier cas, la puissance est garantie et disponible pendant 8,000 heures tandis que dans le second cas, cette puissance aléatoire, donc non garantie, n’est disponible que pendant 2,000 heures annuelles seulement. Donc, ils sont complémentaires.

La production nationale actuelle est de l’ordre de 2,400 GwH avec une croissance d’environ 120 GwH chaque année. Ces éléments de base doivent, une fois pour toutes, permettre la distinction entre ces deux types de projets et placer chaque projet dans sa vraie perspective de développement. Il n’y a absolument aucune comparaison et donc aucune compétition entre ces deux types de projets qui sont tous les deux nécessaires dans notre contexte d’insularité et de dépendance pour bien longtemps encore des combustibles fossiles.

‘Maurice Ile Durable’ est une brillante initiative — très brillante initiative — prise, il faut bien le préciser, par le Premier ministre voilà déjà deux ans. Ce qu’il nous faudra, c’est un bouquet énergétique préconisé par Professeur Joël de Rosnay. Du charbon, de l’huile lourde, de la bagasse, de l’eau hydro, la photovoltaïque et les fameux SIPPS ; le MID sera alors une réalité.

* On vous voit mal en tant qu’ancien Président du conseil d’administration du CEB critiquer le projet de CT Power, puisque le CEB s’est engagé à être actionnaire à hauteur de 26% du CT Power?

Je ne suis pas là pour critiquer ou encenser, je dis les choses comme elles sont. Je ne rêve pas moi… La vérité est que effectivement, la participation du CEB dans un projet privé à hauteur de 26% est une grande première et je suis fier d’avoir pu contribuer à une telle réalisation mais il n’y a pas que la participation de 26%, les risques concernant les emprunts, les taux d’intérêts, sont partagés et en plus, il y a encore deux choses très importantes : les pénalités sont bien plus sévères et à la fin des 20 ans, le CEB sera propriétaire de la Centrale ! Jamais dans l’histoire du CEB, nous avons eu un contrat aussi avantageux pour les consommateurs. Les IPP traditionnels n’avaient jamais voulu la participation du CEB peut-être dans le désir de tout contrôler et d’engranger un maximum de profits. Je puis vous assurer que ce ne sera désormais jamais plus le cas. D’ailleurs, j’ai entendu que le CEB est même actuellement sollicité par certains pour une participation dans leur projet.

* Au fait, que faites-vous du programme gouvernemental ‘Maurice Ile Durable’. Vous vous dites que c’est un réel «pain in the neck» n’est-ce pas pour une institution telle que le CEB?

Le concept de Maurice île Durable s’inscrit dans le long terme et dépend pour beaucoup des avancées technologiques pour être significatif dans notre contexte énergétique. La gazéification de la bagasse, l’amélioration des rendements des cellules photovoltaïques, les biocarburants de troisième génération, le développement de la motorisation électrique dans le transport, l’implantation des éoliens, ce sont autant de secteurs porteurs d’espoir pour l’avenir.

Ceci étant, nous entamons modestement ce parcours en développant, dans un premier temps, le créneau éolien avec des technologies déjà éprouvées ailleurs, au site de Curepipe Point et à Rodrigues. J’espère, et je le souhaite vivement, qu’il y aura une installation de l’ordre de 10 MW sur ce site pour 2012 et vivement qu’il y ait d’autres projets similaires à Roches Noires et Britannia respectivement. Nous avons déjà du recul avec une expérience de sept années à Rodrigues, et dès l’année prochaine, la contribution de cette ressource sera de l’ordre de 15% dans la production d’électricité — ce qui est remarquable pour une petite île isolée. L’île de la Réunion est en avance de plus de 10 ans sur nous et déjà ils ont une saturation de l’énergie renouvelable… C’est une aubaine pour l’île Maurice.

Je dois toutefois déplorer un certain manque d’agressivité et de dynamisme dans le traitement administratif de ces dossiers, d’où un retard embarrassant. Par exemple, alors que beaucoup d’investisseurs étrangers se montrent très intéressés dans le créneau de l’énergie photovoltaïque, et que près de 20 MW sont déjà en service à la Réunion, nous attendons toujours des autorités la publication des « feed-in tariffs » et ce dossier traîne depuis au moins deux ans. Nous piétinons trop – le MID, à mon avis, devrait être géré par un board avec un président, cela ira plus vite. J’ai l’impression qu’ils ont peur de prendre des décisions…

* Pour revenir à la question concernant la capacité de production d’électricité, pouvez-vous affirmer que le CEB sera en mesure de répondre à l’augmentation de la demande qui se situe entre 4 et 5% annuellement – dans le court et moyen termes à Maurice ?

Je ne peux que vous confirmer la déclaration du ministre de tutelle à l’Assemblée nationale, à savoir qu’avec la future installation de Fort Victoria et de CT Power, nous ne devons pas avoir de soucis particuliers jusqu’en 2016. Nous avons donc le temps nécessaire pour réfléchir sur toutes les options pour la période 2016-2025. L’opposition essaye de semer la panique au sein de la population et de faire peur aux investisseurs alors que, dans la réalité, le risque n’existe pas et je sais qu’ils savent eux aussi que nous sommes à couvert jusqu’à 2013-2014.

* On affirme cependant qu’on se dirige vers un surinvestissement dans la production d’électricité à Rodrigues avec des projets coûtant environ Rs 600 millions. Qu’en pensez-vous?

A Rodrigues, la situation est bien différente. Alors que nous avons déjà une capacité installée de 11 MW, toutes sources confondues, la demande maximale est de l’ordre de 5.5 MW seulement et les moteurs diesels sont loin d’être sollicités à leur puissance nominale sur une base de fonctionnement annuelle. Alors que j’étais Président du CEB, je me souviens d’une requête formelle du conseil d’administration pour une étude sur la projection de la demande afin de justifier tout investissement. A ma connaissance, cette étude n’a jamais été actualisée comme elle devrait l’être pour tenir compte de l’évolution de la demande depuis plus d’une année, et j’apprends qu’un investissement important de l’ordre de Rs 600 millions est déjà décidé et qu’un contrat est sur le point d’être alloué pour l’installation d’un nouveau moteur de 2,5 MW, soit près de 50% de la demande de pointe, alors que nous venons d’investir Rs 45 millions dans l’éolien.

J’espère que le Ministère concerné et le board du CEB exigeront une étude détaillée satisfaisante avant que la commande du nouveau moteur soit effective, car il s’agit des dépenses publiques. Rs 600 millions, c’est beaucoup d’argent… En tout cas, je suis convaincu que certains responsables gagneraient à se faire inscrire aux cours de bonne gouvernance pour mieux assurer leurs responsabilités à l’avenir car ce dossier est manifestement traité à la légère par certains au CEB.

* Quelles sont les autres priorités de l’heure dans le domaine de l’énergie électrique ?

Les autres priorités dans le secteur de l’énergie demeure les investissements pour la consolidation de nos réseaux de distribution et de transport ainsi que la remise à niveau de nos postes de transformation haute tension/moyenne tension qui ont souffert d’un manque d’investissement évident dans le passé, eu égard à la priorité accordée à la production.

Nous devons nous préparer à affronter les aléas climatiques qui sont de plus en plus sévères du fait du changement climatique. Tout le monde se rend compte des effets néfastes des cyclones sur notre économie ; aussi, il faut donner de l’importance à la maîtrise de la demande de l’énergie. On a initié plusieurs actions, il y a trois ou quatre ans déjà : 30,000 chauffe-eau solaires vendus, un million d’ampoules à basse consommation vendues, 450,000 leaflets distribués dans les foyers pour conscientiser la population sur la nécessité d’économiser et de ne pas gaspiller l’énergie, causeries dans les écoles – initiées il y a déjà trois ans avec le ministère des Utilités Publiques et le CEB. Toutes ces activités démontrent que nous sommes sur la bonne voie pour gagner d’abord la bataille de la maîtrise de l’énergie. Le Portugal a pu réduire sa demande d’énergie de 15%, de 2,700MW. L’Allemagne a gagné cette bataille de la maîtrise de la demande d’énergie tout comme l’île de la Réunion avant de gagner la bataille de l’énergie renouvelable.

* La presse fait mention cette semaine de «l’amertume» du ministre Duval concernant le démantèlement de la «Cleaning Unit» de la Tourism Authority. Ça commence déjà à «chauffer» au sein de l’alliance gouvernementale? A peine 100 jours après son installation au pouvoir?

Non, il ne faut pas allumer le feu là où il n’y en a pas. Une certaine presse et l’opposition semblent mal digérer notre victoire lors des dernières élections générales. Le Premier ministre a raison : le MMM et sa presse refusent d’accepter leur défaite. Donc, ils voient le mal partout. Il est évident que chaque ministre a son propre style et que la presse locale est à l’affût des situations de conflits éventuels entre ministres… c’est un jeu politique auquel nous sommes habitués. Nous avons été élus pour diriger ce pays et, si pour la bonne marche de la Tourism Authority, il faut démanteler le “Cleaning Unit”, je ne vois pas où est le problème. Gouverner, c’est aussi réformer, changer pour plus d’efficience. Personellement, je crois dans le « rethinking» et la remise en cause, car rien, absolument rien, n’est acquis dans la vie ! »


* Published in print edition on 27 August 2010

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