“Il n’y aura pas de procès si la police ne parvient pas à prouver que cet argent provient d’un acte criminel…

Interview: Me Y. Mohamed

… je me demande si la police va réussir à apporter ces preuves. C’est trop facile de faire des spéculations…”

“Le fait d’avoir retrouvé de l’argent dans des
coffres-forts ne veut absolument rien dire”

… il n’y a aucune loi à Maurice pour interdire à qui que ce soit la liberté de garder autant d’argent qu’il le souhaite… dans un matelas ou même dans un coffre-fort

 

Entre coffres-forts et valises, dépositions et déclarations, les projecteurs des medias restent braqués sur Navin Ramgoolam depuis quelques jours. En vérité, le fond du problème concerne la transparence dans les financements des partis politiques et l’usage de cette somme par les membres de chaque parti, d’une part, et les circuits empruntés pour le blanchiment d’argent et les transferts de Maurice à l’étranger, d’autre part. Me Yousuf Mohamed nous éclaire sur le sujet du jour.

Mauritius Times : Vous disiez dans la soirée de vendredi dernier que vous ne pouvez pas faire de miracle. Diriez-vous aujourd’hui, quatre jours après l’arrestation de Navin Ramgoolam, qu’il faudra bien plus qu’un miracle pour que vous puissiez le sortir du pétrin dans lequel il s’est retrouvé ?

Yousuf Mohamed : Tous les avocats vous diront la même chose : les avocats ne font pas de miracle ; tout dépend des faits, des témoignages et de toute autre preuve présentés par la poursuite. Ceux-la feront l’objet d’une analyse par les avocats de la défense, qui vont par la suite réfléchir sur la défense la plus efficace à adopter éventuellement. Donc c’est le même scénario qui va se jouer dans le cas de Navin Ramgoolam : nous savons ce que la poursuite va mettre de l’avant en termes de témoignages et d’‘exhibits’, et nous allons adopter la ligne de défense qui s’impose à la lumière des preuves apportées par la poursuite.

Le fait d’avoir retrouvé de l’argent dans des coffres-forts ne veut absolument rien dire. Parce qu’il n’y a aucune loi à Maurice pour interdire à qui que ce soit la liberté de garder autant d’argent qu’il le souhaite chez lui – dans un matelas ou même dans un coffre-fort. Cela pour de multiples raisons : manque de confiance dans le système bancaire, ou coût prohibitif des frais et autres charges bancaires… Mais il faut bien déclarer cet argent et pouvoir expliquer aux autorités concernées la provenance de cet argent.

Aussi, il faut bien comprendre qu’un paiement de plus de Rs 500,000 est prohibé par la loi. Cela a été récemment confirmé par un jugement du Privy Council dans l’affaire de Toolsy Beezadhur. Dans un «dissenting judgement» rendu hier, le 7 août 2014, les Law Lords avaient estimé que la justice mauricienne n’avait fait qu’appliquer les articles 5(1) et 8 de la Financial Intelligence and Anti Money Laundering Act (FIAMLA). La Commission anticorruption avait épinglé l’ancien infirmier pour des dépôts dépassant Rs 350 000 et Rs 500 000 auprès de la State Bank of Mauritius (SBM) entre 2002 et 2007, et pour un retrait de Rs 2,7 millions pour l’acquisition d’une maison en Espagne. Dans ce jugement, le Conseil privé s’était aussi demandé la raison pour laquelle la SBM n’avait pas été inculpée dans cette affaire.

Donc, rien ne m’empêche de garder plusieurs millions de roupies chez moi pourvu que je puisse en prouver la provenance.

* Dans ce cas précis, l’affaire des coffres-forts et des deux valises retrouvés chez Navin Ramgoolam, « doesn’t the evidence speak for itself »?

Non, le fait d’avoir trouvé de l’argent chez Navin Ramgoolam, dans ses coffres-forts, non. Au contraire. Je vais vous poser une question : tous les leaders politiques ne reçoivent-ils pas beaucoup d’argent pour leurs partis, que ce soit pour le besoin d’une campagne électorale ou pour construire un bâtiment quelconque ? Prenons le Sun Trust : Sir Anerood Jugnauth n’a-t-il pas déjà déclaré que lui, contrairement au Parti travailliste, il a fait construire ce bâtiment à partir des contributions de diverses personnes qui voulaient aider le Sun Trust ?

* Autant donc que tout soit transparent ?

Pourvu que ce soit transparent. Par contre, en ce qui concerne des paiements de plus de Rs 500,000, c’est tout à fait autre chose. Mais sachez que toute violation est sanctionnée par une amende. Maintenant, si un sympathisant veut bien faire une contribution à mon parti, disons quelques millions, j’ai tout à fait le droit en tant que leader du parti de garder cet argent, non pas pour mon usage personnel et pour le parti, mais là où comme bon me semble. Qu’est-ce qui m’empêche de le faire ?

* A condition que « you do not get caught », n’est-ce pas ?

Non, la question de « getting caught or not » ne se pose pas, puisque je suis là en train de garder l’argent de mon parti politique. Il fut un temps où le Comité d’Action Musulman (CAM) recevait de l’argent de certains bienfaiteurs et, en tant que leader du parti, mon père avait la responsabilité de garder cet argent. Il gardait donc ces donations dans son magasin. « But he kept a book for it. Every penny was accounted for… however most of the money collected in that account came from my father himself ! » Remarquez qu’à cette époque, il n’existait aucune loi pour combattre quelque blanchiment d’argent.

Aujourd’hui, je peux vous affirmer que malgré le fait de la promulgation de la Financial Intelligence and Anti Money Laundering Act, personne ne peut m’empêcher de garder des millions de roupies que j’ai reçues sous forme de donations.

Pour en revenir à ma déclaration par rapport à cette question de miracle, je le répète : tout dépendra des témoignages et des preuves que la police va présenter pour le besoin de la poursuite. Et toute l’équipe d’avocats et moi-même qui allons assurer la défense de Navin Ramgoolam, nous allons essayer de démolir ce que la police va avancer.

* La charge de la preuve de blanchiment d’argent doit-elle donc incomber à la police ?

La police doit prouver que Navin Ramgoolam a reçu de l’argent sale, c’est-à-dire qui provient d’une activité dont le revenu est considéré comme de l’argent sale (car illégale) – « the proceeds of crime ». Comment est-ce que la police va prouver cela ? « Where is the crime ? What crime ? »

* Cette affaire lui fait beaucoup de tort sur le plan politique, mais pas nécessairement d’un point de vue légal? C’est ça ?

Politiquement, cela peut lui faire mal ? Pourquoi ? Si les gens viennent pour me donner de l’argent à moi, Yousuf Mohamed, en tant que leader d’un parti politique, comment cela peut me faire mal politiquement – si j’ai bien l’intention de me servir de cet argent pour mon parti ? Au contraire, cela me ferait du bien en tant que leader d’un parti.

* Vous voulez dire, Me Mohamed, que Navin Ramgoolam n’aura pas à expliquer la provenance de cette somme d’argent et qu’il appartiendra à la police de prouver que l’argent provient d’une activité criminelle ?

Le premier fardeau de la preuve repose sur la police. Une fois que la police aura mis de l’avant toute preuve dont elle dispose, liant cet argent aux « proceeds of crime », il incombera – par la suite – à la défense de contester cela et d’expliquer la provenance de l’argent, ce qui n’est pas de nature criminelle.

* Expliquer la provenance de l’argent comporte également des risques, car cela pourrait embarrasser les « bienfaiteurs », comme vous le dites, dans la conjoncture actuelle, non ?

Des risques ? Oui, car comme je l’ai déjà dit, si quelqu’un me donne ou me fait un paiement au-delà de Rs 500,000, cela pourrait me causer des ennuis.

* En d’autres mots, l’affaire s’est compliquée avec la découverte de cette énorme somme d’argent, et cela semble se compliquer davantage au fil des jours au fur et à mesure que le compte des liasses de billets de banques est effectué ?

Aucun avocat ne peut innocenter son client facilement. Il nous faut des preuves et nous battre pour innocenter nos clients. Aucun avocat ne fait de miracle ; un miracle est accompli par le geste d’un prophète ou d’un homme saint. Je ne suis ni prophète ni homme saint ; il faut que je me batte conformément aux dispositions de la loi.

* Dites-nous, Me Mohamed, la gravité de l’offense, si offense il y en a, a-t-elle un rapport avec le montant de la somme retrouvée dans les coffres et valises ?

De quelle offense parle-t-on ? Jusqu’à l’heure je n’en vois aucune. Vous savez aussi bien que moi, qu’à la veille de chaque élection, les leaders des partis, que ce soit Anerood Jugnauth, Paul Bérenger, Pravind Jugnauth, ou Navin Ramgoolam reçoivent tous des contributions. Allez fouiller dans la maison d’un leader immédiatement après les élections, il y aura toujours une certaine somme d’argent provenant des contributions des gens et des compagnies. D’ailleurs, il n’y a aucune loi qui proscrit de telles contributions.

En ce qui concerne le montant de la somme d’argent tel qu’évoqué dans votre question, je vous disais plutôt qu’il faut bien comprendre qu’un paiement de plus de Rs 500,000 est prohibé par la loi, mais ce qui est important à retenir, c’est le principe : « It’s an offence to be in possession of dirty money or criminal property. » Mais la poursuite devra d’abord présenter les preuves pour soutenir que l’argent provient « from the proceeds of crime » avant que la défense ne vienne soumettre ses contre-arguments et n’étaye sa défense.

* Il semblerait que personne, ni votre client ni ses avocats, ne s’attendait à une perquisition de la police à la rue Desforges ou à River Walk?

Personne. C’est vendredi après-midi lorsque je suis allé voir Navin Ramgoolam à la rue Desforges pour l’accompagner au Central CID, comme demandé par M. Jangi, que la police s’est présentée là-bas avec deux mandats de perquisition : l’un pour les documents et l’autre pour l’affaire de blanchiment d’argent.

Personnellement, je croyais que la convocation n’avait un lien qu’avec l’affaire de Roches-Noires, rien d’autre. Pour moi, l’affaire Roches-Noires… ce n’est même pas nécessaire d’y penser ; c’est une peccadille même si certains ont voulu, pour des raisons bassement politiciennes, lier l’affaire de Roches-Noires à la mort d’Anand Kumar Ramdhony en cellule policière. Vu la teneur de la conversation que j’ai eue avec la police ce jour-là, j’ai compris que la police voulait à tout prix que cette perquisition ait lieu le soir même. Donc, c’était pressé, c’était nécessaire…

* Avez-vous l’impression, Me Mohamed, que la police recherchait quelque chose de précis, pas seulement de l’argent mais aussi des documents en particulier ?

Je crois, personnellement, vu mon expérience, qu’ils pensaient trouver des documents attestant des transferts vers l’étranger. Je dis cela parce qu’il y a eu une nouvelle perquisition, le lendemain, si je ne me trompe pas, chez Navin Ramgoolam à la rue Desforges et à River Walk, mais ils n’ont rien trouvé.

Il y avait beaucoup de documents dans les coffres-forts, mais on n’a pas eu l’occasion de voir ces documents avec la police encore. Donc, je ne connais pas la teneur de ces documents à ce jour (ndlr : mardi 10 février 15).

* On peut supposer qu’au fur et à mesure que ‘things come to light’, il pourrait y avoir des victimes collatéraux, probablement des financiers et autres donateurs ?

Je ne sais pas ; tout est possible dans la vie. On peut penser qu’il y aura effectivement des dommages collatéraux… c’est une possibilité.

* On pourrait aussi penser que d’autres hommes politiques de différents bords pourraient se retrouver dans des situations embarrassantes à partir des dossiers retrouvés ?

Des hommes politiques des autres partis ? Je ne pense pas que Navin Ramgoolam pourrait avoir des documents concernant des hommes d’autres bords politiques.

* Etes-vous personnellement satisfait que le décompte des billets de banque et toute la procédure engagée ont lieu correctement ? Tout cela semble prendre du temps… ?

Ce n’est pas facile d’effectuer cet exercice. Il faut d’abord ouvrir les coffres, retirer les billets, les installer en liasses et les mettre dans la machine à compter et, ensuite, refaire les liasses. Il faut noter à la main tout ce qui a été trouvé et tout cela prend du temps.

Je dois vous dire que la police fait un excellent travail. C’est un travail de fourmi depuis le début. Je ne peux rien dire contre les procédures policières ; ils ont fait un très bon travail et avec tout le respect que la police devait à Ramgoolam.

* Les Travaillistes ne peuvent donc pas se plaindre du traitement reçu par Navin Ramgoolam depuis son arrestation aux mains de la police depuis vendredi dernier à partir de l’après-midi jusqu’à presque 3 heures le lendemain matin, sa comparution en cour samedi jusqu’à sa libération sous caution tard dans l’après-midi?

Les Travaillistes n’ont aucune raison de se plaindre. Pour avoir été présent à ses côtés depuis son arrestation, je peux vous dire qu’il a été traité de manière correcte.

Ce qui m’a agacé, c’est la présence, aux Casernes centrales l’autre jour, de l’Attorney General qui est un ‘Adviser’ du Gouvernement, nommé par le parti au pouvoir, et qui est aussi un membre du MSM.

Sa présence est venue donner une couleur politique à toute l’affaire. J’ai beaucoup d’estime pour M. Yerrigadoo que je connais bien de longue date, mais je crois que le Commissaire de Police a eu tort de l’inviter aux Casernes centrales. Il a été mal conseillé.

* Expliquer la provenance de cette somme retrouvée dans les coffres et valises en invoquant le financement du PTr, surtout pour les besoins de la dernière campagne électorale, est-ce, selon vous, une stratégie de défense risquée comme le soutiennent d’autres légistes ?

Tout dépendra en fin de compte de la crédibilité de la défense qu’on va présenter aux magistrats, qui sont souverains de ce côté-là. Nous allons apporter notre défense, nous allons consolider notre défense, et il appartiendra aux magistrats de prendre une décision.

Mais avant d’en arriver là, n’oubliez pas qu’il n’y aura pas de procès si la police ne parvient pas à prouver que cet argent provient d’un acte criminel. Personnellement, je me demande si la police va réussir à apporter ces preuves. C’est trop facile de faire des spéculations.

Si c’est ainsi, allons voir chez les leaders des autres partis politiques s’il reste toujours de l’argent obtenu sous forme de contributions pour les dernières élections. Poursuivons tous les leaders politiques, qui reçoivent tous des contributions pour les élections…

* C’est Navin Ramgoolam qui fait l’objet d’une enquête policière, suite à ce qui a été retrouvé chez lui, pas les autres…

Oui, malheureusement. Parce que « gouvernement pas dans la main Travailliste » ! Par ailleurs, qui dit que cette pratique d’accepter des contributions va cesser ? Est-ce que les événements de ces derniers jours vont dorénavant décourager les leaders politiques d’accepter des contributions ? Qu’en est-il des bienfaiteurs ou autres lobbyistes?

* Pour revenir à ce que vous disiez par rapport aux preuves que la police devra présenter pour soutenir son ‘case’, Me Valayden, lui, avance que c’est la défense qui aura un plus gros travail à effectuer pour expliquer la provenance de l’argent, cela en raison de la Section 6 de la FIAMLA selon laquelle il n’y a pas eu lieu pour la poursuite de prouver que l’argent est lié à des activités criminelles. Qu’en pensez-vous ?

Allons voir ce que cette section de la loi nous apprend:

La section 6 (1) A person may be convicted of a money laundering offence notwithstanding the absence of a conviction in respect of a crime which generated the proceeds alleged to have been laundered.

(2) Any person may, upon single information or upon separate information, be charged with and convicted of both the money laundering offence and of the offence which generated the proceeds alleged to have been laundered.

(3) In any proceedings against a person for an offence under this Part, it shall be sufficient to aver in the information that the property is, in whole or in part, directly or indirectly the proceeds of a crime, without specifying any particular crime, and the Court, having regard to all the evidence, may reasonably infer that the proceeds were, in whole or in part, directly or indirectly, the proceeds of a crime.

Donc, c’est clair : il appartient à la poursuite d’apporter les preuves attestant que l’argent provient d’une activité criminelle, et la Cour portera éventuellement son jugement sur ces preuves, cela à la lumière de la défense qu’on va présenter.

* Cette affaire va sans doute dominer l’actualité pendant des mois…

Pendant des années peut-être parce qu’il n’y aura pas d’affaire en Cour. Si jamais il y a effectivement une affaire en cour… ce ne sera pas avant trois ou quatre ans. Yousuf Mohamed ne sera peut-être plus de ce monde, vu que j’ai déjà 82 ans.

Vous me posiez des questions tout à l’heure à propos des ramifications et autres victimes collatérales de cette affaire, surtout celles qui ont effectué des paiements ou contributions dépassant les Rs 500,000.

Oui, effectivement, il se pourrait qu’il y en ait. Mais la police va devoir enquêter dans tout cela. Disons que Navin Ramgoolam avait dans son coffre-fort un colis qui contenait de l’argent provenant d’un Monsieur X. La police va contacter ce Monsieur X pour savoir si, oui ou non, il a effectivement donné de l’argent à Navin Ramgoolam, pour quelle raison et pourquoi il a donné plus de Rs 500,000…

* Suffit-il qu’un seul témoin vienne de l’avant avec la confirmation d’un paiement découlant d’une activité criminelle pour qu’il y ait un ‘case’ solide contre Navin Ramgoolam ?

Aucun témoin ne peut venir dire que cet argent provient de la recette du crime ; personne ne peut le faire à moins qu’il ne puisse le prouver. De toute façon, je me demande qui serait disposé de venir dire un tel mensonge. Si quelqu’un vient affirmer cela, c’est qu’il veut faire du tort à Navin Ramgoolam ou qu’il veut délibérément, sur les instructions d’une autre personne, lui faire du tort.

 

* Published in print edition on 13 February  2015

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