« Un avis consultatif de la Cour internationale de Justice favorable à Maurice aura un effet extraordinaire »

Interview : Me Anil Gayan


« Ce que Bancoult recherche, c’est le droit de retour de 700 Chagossiens à l’archipel des Chagos – as British citizens et non pas en tant que Mauriciens »

« Si Siddick Chady et les autres sont impliqués, OK qu’ils payent le prix ! Mais on ne peut pas jouer avec la réputation des gens

Anil Gayan, ancien ministre des Affaires étrangères, croit qu’on jongle avec les mots dans l’affaire des Chagos. Tant de choses en suspens. Ne traite-t-on pas ces dossiers sur le mode de l’amateurisme ? C’est l’avenir du sud-est de l’océan Indien et tous les enjeux politiques, économiques qui devraient passer au premier plan. Mais comment faire entendre raison ?

Mauritius Times : « Very successful meeting » selon le Haut Commissaire britannique Nick Leake, dans une déclaration à Le Mauricien, concernant la rencontre entre le Premier ministre britannique David Cameron et le Dr Navin Ramgoolam par rapport à l’affaire des Chagos. Il soutient aussi que la décision de Maurice de porter le contentieux par rapport à la création d’une zone maritime protégée autour des Chagos devant le Tribunal international des droits de la mer a eu un impact sur les autorités anglaises. Qu’en pensez-vous ?

Me Anil Gayan : De quel impact parle-t-il ? Il ne l’a pas précisé. Mon interprétation, c’est qu’il y a depuis un certain temps des articles qui sont plantés, comme dans le journal The Guardian pour, me semble-t-il, créer un ‘mood’ concernant les Chagos. Il me semble aussi que la rencontre entre le Premier ministre Navin Ramgoolam et David Cameron était essentiellement consacrée à la signature de l’accord contre la piraterie et que c’est par hasard qu’on a discuté des Chagos. Cela ne me convainc pas du tout. Je crois qu’une réunion sur les Chagos doit être préparée — d’ailleurs, le Premier ministre a lui-même dit qu’il n’y a pas eu de communiqué après sa rencontre avec David Cameron parce que ce n’était pas préparé. Le Haut Commissaire britannique est évidemment en train de privilégier la diplomatie alors qu’à Maurice on est en train de dire des choses pour dire tout simplement…

Je pense aussi que le fait que Maurice ait logé une affaire devant le Tribunal international des Droits de la mer, cela a fourni une occasion en or aux Anglais de repousser l’échéance de quelques négociations concernant les Chagos ; ils vont évidemment utiliser cela comme prétexte en arguant qu’il faudra attendre une décision du Tribunal. On ne sait pas quand cette décision sera prise ; en bref l’échéance pose un problème. Or quand Maurice se préparait à loger cette affaire, on avait fait croire que très vite on allait récupérer les Chagos. Tel n’a pas été le cas, tel ne sera jamais le cas ! Parce que la façon de procéder de Maurice n’est pas la bonne. Quand on va dans le Tribunal, on revendique que la Grande Bretagne n’avait pas le droit de créer cette zone pour la protection marine. Or ce qu’il faut invoquer, c’est la souveraineté de Maurice sur les Chagos. Et aujourd’hui on voit qu’on est en train de piétiner malgré tout ce que nous racontent les avocats anglais, Robertson et les autres. Personnellement, je ne suis pas convaincu que Maurice est en train d’agir d’une manière claire et nette dans sa revendication de sa souveraineté sur les Chagos.

* La revendication de cette souveraineté devra se faire devant quelle instance ?

La Cour internationale de Justice, l’organe judiciaire principal de l’Organisation des Nations Unies. La Grande Bretagne a affirmé qu’elle ne reconnaît pas la compétence de cette Cour pour trancher les litiges par rapport à certains sujets. Mais il faut aussi savoir que la Cour internationale de Justice peut aussi donner des avis consultatifs. Par exemple, on peut demander à la Cour internationale un avis consultatif par rapport à l’excision des archipels des Chagos en 1965. Est-ce que cela a été fait dans le cadre du droit international ou pas ? Les avis consultatifs sont reconnus en droit international. Or personne n’a évoqué cette option. Il faut savoir qu’avant que la Namibie ne devienne un pays indépendant, il y a eu un avis consultatif de la Cour internationale de Justice, et conséquemment cela a provoqué l’indépendance de ce pays.

* N’est-ce pas un gamble dangereux que de porter cette affaire devant la Cour internationale de Justice, car cela comporte un risque plus conséquent si cette Cour donne un avis qui va contre l’intérêt de Maurice ?

Soit on a la souveraineté selon le droit international – ce que Maurice pense détenir et recherche, soit on ne l’a pas toujours selon le droit international. Donc on ne peut pas se permettre de repousser l’échéance : soit on veut avoir une décision, soit on ne le veut pas. Un avis consultatif de la Cour internationale de Justice favorable à Maurice aura un effet extraordinaire sur les relations internationales et aussi au niveau du Conseil de sécurité des Nations Unies — parce que personne ne va contre un avis consultatif.

* Cela va entraîner une pression considérable sur les Anglais, n’est-ce pas ?

Oui, sans doute, mais encore faut-il avoir cet avis consultatif favorable à Maurice en premier lieu.

* En attendant, quel impact vont avoir les deux procès, l’un logé par le Groupe Chagossien mené par Olivier Bancoult devant l’European Court of Human Rights et l’autre logé par le gouvernement mauricien devant le Tribunal international des Droits de la mer sur la question de souveraineté de Maurice sur les Chagos ?

S’agissant du cas d’Olivier Bancoult devant la Cour européenne des droits de l’homme, c’est un cas qui concerne les Britanniques et le droit britannique. Il s’agit de savoir s’il y a violation des droits de l’homme ou non. Ce qui est revendiqué par les Chagossiens devant cette instance, c’est le droit du retour des Chagossiens sur le territoire que l’Angleterre considère être le sien. Si jamais Bancoult gagne son procès, cela va avoir un effet défavorable pour notre revendication en faveur de la souveraineté mauricienne sur les Chagos. Ce que Bancoult recherche, c’est le droit de retour de 700 Chagossiens à l’archipel des Chagos – mais, entendons-nous bien, as British citizens et non pas en tant que Mauriciens. Je crois qu’il y a un amalgame qu’on fait à Maurice en ce qui concerne les Chagos, le droit de retour, et la souveraineté alors que techniquement, c’est quelque chose qui pourrait s’avérer contre notre intérêt.

* Donc une victoire de Bancoult va affaiblir la position mauricienne ?

Oui, parce qu’il y aura une décision d’une très haute cour en faveur des Britanniques qui ont réclamé le droit de retour aux Chagos. Et ils vont s’y rendre en tant que Britanniques, pas en tant que Mauriciens – alors que nous, nous revendiquons notre souveraineté sur ce territoire. C’est compliqué.

* Et qu’en est-il de l’autre cas devant le Tribunal international de Droits de la mer ?

Personnellement, je considère que c’est une perte de temps et d’argent. La déclaration des zones protégées est reconnue dans la Convention sur les Droits de la mer. Ce n’est pas quelque chose de mauvais, mais là où le problème se pose concernant cette zone protégée, c’est qu’elle s’étend à partir de la limite extérieure de la mer territoriale de l’État jusqu’à 200 milles marins de ses côtes au maximum alors que les zones protégées sont dans des régions spécifiques. C’est un endroit sensible et on protège cette zone. Or la Grande Bretagne a déclaré toute la zone comme une zone protégée. Ce n’est pas ce qu’on est en train de contester devant le tribunal, mais plutôt que la Grande Bretagne n’avait pas le droit de le faire. Le Tribunal peut bien dire que c’est un droit qui est reconnu à l’Etat côtier, et la Grande Bretagne est un Etat côtier. Si on ne reconnaît pas la Grande Bretagne comme un Etat côtier, on ne doit pas reconnaître la France comme étant un Etat côtier pour les Kirkland ou l’Australie pour les Iles Cocos… C’est compliqué, nous sommes en train de noyer le poisson avec ce Tribunal. La priorité est la souveraineté de Maurice sur les Chagos ; il ne faut pas nous battre sur des peccadilles, des petites choses.

* A votre avis, la bataille ne peut être gagnée que sur le front diplomatique et au niveau de l’opinion publique ?

Je pense qu’il faut qu’il y ait des négociations au niveau diplomatique. Or lorsqu’on se met à porter l’affaire devant un tribunal, cela ne fait que brouiller les cartes. Maurice, aujourd’hui, dispose des cartes à jouer par rapport à l’Archipel des Chagos. En 2000, j’étais intervenu à l’Assemblée, et ceci a été repris par le Premier ministre comme si c’était quelque chose de nouveau : en somme je faisais comprendre qu’en 2016 Maurice devait être partie prenante de toutes les négociations pour le renouvellement du bail concernant Diego Garcia. Nous avions aussi spécifié — c’était sous le gouvernement MSM-MMM (Anerood Jugnauth était Premier ministre et Paul Bérenger Vice-Premier ministre) –, que nous n’avions pas de problème à ce que les Etats-Unis continuent à utiliser la base de Diego Garcia comme base militaire aussi longtemps que les modalités en soient discutées et négociées avec nous. En ce qui concerne les autres îles de l’archipel, les Etats-Unis n’auront pas le droit et ils vont reconnaître la souveraineté de Maurice sur ces autres îles qu’on aurait pu exploiter à des fins touristiques, économiques…

Mais malheureusement alors que tout allait dans la bonne direction avec des rencontres à Londres avec Robin Cook, avec Jack Straw et aussi avec Condoleeza Rice pour essayer de trouver une solution à ce problème, il y a eu les attaques terroristes aux Etats-Unis. Des attaques qui ont recentré les besoins de la sécurité des Etats-Unis, qui dès lors voulaient être totalement libres de faire ce qu’ils voulaient de leurs bases. Aujourd’hui, Afghanistan est un problème qui pourra être résolu, maintenant que les forces de l’OTAN vont se retirer de ce pays, et que la Chine et l’Inde coopèrent pour la sécurité en Afghanistan. Mais il demeure que l’Iran reste un problème tout comme la Syrie l’est, et je ne vois pas comment dans une telle situation les Etats-Unis seraient disposés à discuter à moins qu’il y ait certaines conditions. Des conditions que nous, nous devons mettre sur le tapis pour sécuriser les Etats-Unis.

De quoi les Etats-Unis ont-ils peur ? Que demain les données changent : que Maurice songe à accorder un bail à une autre puissance… vers l’est – que ce soit l’Inde, la Chine, la Russie, etc – pour aménager une base militaire sur l’une des autres îles de l’archipel. C’est un risque que les Etats-Unis ne veulent pas prendre. Maurice n’est pas une puissance militaire et n’a pas d’ambition expansionniste. Maurice peut donner cette garantie que notre besoin pour les îles soit pour le pétrole s’il y a des hydrocarbures, le gaz et le tourisme mais on ne va pas militariser ces îles et on ne va pas permettre à quelque puissance de militariser ces îles. C’est important de sécuriser les Etats-Unis dans ce sens.

L’autre sujet sur lequel on peut compter pour convaincre les Américains, c’est qu’ils maintiennent Diego Garcia mais qu’ils développent déjà les Iles Coco qui appartiennent à l’Australie pour une autre base dans cette partie du monde. Le focus des Etats-Unis n’est plus l’Europe, il semble ne plus être le Moyen-Orient comme les régions de l’Asie. Avec la montée en puissance de la Chine, les Etats-Unis sont en train de recentrer leurs forces militaires vers l’Australie, les Philippines et Singapour. Ce qui démontre un shift de la puissance américaine de leurs bases traditionnelles vers un autre centre. Je crois que cela peut aider les Américains à penser qu’ils n’ont pas tellement besoin de Diego Garcia. Ils vont tout de même maintenir cette base puisque Maurice n’a aucune objection à ce que Diego Garcia continue à être utilisée par les Américains pour une durée à être discutée. Je crois que c’est possible de sécuriser les Etats-Unis dans ce sens.

* Par ailleurs le Premier ministre mauricien dit envisager lors d’une prochaine visite à Washington de proposer que Maurice participe aux côtés de la Grande Bretagne et des Etats-Unis lors des discussions qui auront lieu à partir de 2014 concernant l’avenir des Chagos. Est-ce réalisable à votre avis ?

Je crois que ce n’est pas réalisable maintenant en raison de ce procès devant le Tribunal des Droits de la mer. Comment les Etats-Unis peuvent-ils s’aventurer dans une certaine direction quand il y a le risque que le Tribunal décide autrement ? Si le Tribunal décide que la Grande Bretagne n’a aucun droit sur les Chagos, comment est-ce que les Etats Unis peuvent agir d’une manière trilatérale avec Maurice sur quelque chose qui touche les Chagos ? Cela s’avère un problème pour les Etats-Unis, qui vont nous dire : allons attendre que le Tribunal tranche cette question et on décidera en conséquence.

* En attendant ?

En attendant il y aura la reconduction du bail pour 20 ans à partir de 2016, ce qui nous amènera à 2036. Les négociations seront repoussées pour 2036.

* Le temps joue-t-il contre Maurice, selon vous ?

Le temps ? Techniquement oui, mais je crois qu’il faut créer le mood. On ne peut pas avoir un Premier ministre qui va discuter avec David Cameron et qui fait des remarques désobligeantes à l’Assemblée envers la Grande Bretagne. Ce n’est pas diplomatique. A ce niveau, on attend un minimum d’égards vis-à-vis de sa contrepartie. Et comment est-ce que la Grande Bretagne va réagir face à cela ? Il se pourrait que le Premier ministre dise des choses pour justifier sa visite en Angleterre où rien ne s’est passé parce qu’il n’y a pas eu de préparation de ce dossier. Comment un Premier ministre peut-il aller discuter d’un dossier sensible sans son ministre des Affaires étrangères ?

* Pensez-vous que l’offensive diplomatique de Maurice auprès de l’Union africaine, le mouvement non-aligné, le groupe des 77 ces dernières années ait pu amener les Anglais à de meilleurs sentiments vis-à-vis de Maurice, ce qui expliquerait leur accord de principe pour le début d’un processus de dialogue positif avec le gouvernement mauricien par rapport à l’utilisation future de l’archipel des Chagos ?

Ce sont des avancées qui existaient toujours. Il n’y a rien de nouveau qui se soit produit. Ce qui est nouveau, c’est qu’il y a des Anglais – des avocats et d’autres conseillers – dont les services ont été retenus par le gouvernement mauricien pour combattre d’autres Anglais.

* Mais il y a aussi le fait que le gouvernement anglais par la voix de David Cameron a accepté un début de dialogue positif, selon la déclaration du Premier ministre, n’est-ce pas ?

David Cameron ne l’a pas dit. Et moi j’ai été sur le site du Downing Street, et cette déclaration n’y figure pas. Il faut faire très attention. C’est ce que dit le Premier ministre mais ce que n’a pas confirmé Downing Street.

* Par ailleurs il y a l’affaire Boskalis qui est de nouveau dans l’actualité, Me Gayan. Quelle lecture faites-vous des derniers développements concernant cette affaire ?

Je suis surpris que c’est la police qui est en train d’enquêter sur une affaire qui était traitée par l’ICAC pendant tellement d’années. Je trouve étrange que le dossier quitte l’ICAC pour se diriger vers Line Barracks. Quelles en sont les raisons ?… Je ne sais pas, mais encore une fois, l’ICAC se décrédibilise. Si cette affaire ne concernait pas l’ICAC, il fallait remettre cela à la police years back. Je crois que « cela fait vilain » pour les institutions. Si Siddick Chady et les autres sont impliqués, OK qu’ils payent le prix ! Mais on ne peut pas jouer avec la réputation et la liberté des gens de cette manière. On ne peut pas traîner les affaires en longueur de cette façon.


* Published in print edition on 15 June 2012

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