« Le système de “Best Loser” a fait son temps » 

Interview : Marc Hein, Légiste et Président du NESC

« Nous ne pouvons accepter que le communalisme soit libellé, écrit, défini et institutionnalisé
dans la Constitution »


Le mode de scrutin présent a pénalisé, d’une façon ou d’une autre, tous les partis politiques existants… Les partis en sont conscients mais ont peur de faire le pas en avant.Marc Hein, Avocat au Barreau, Directeur du Cabinet Juristconsult et Président du National Economic & Social Council (NESC), a été un des plus jeunes députés élus à l’Assemblée nationale et il a aussi assumé les fonctions de ex-Président du barreau mauricien. Il a toujours été passionné des sujets de société et du droit constitutionnel. Aujourd’hui, il ne fait plus de politique active et s’occupe de son cabinet Juristconsult, connu pour ses conseils en droit des affaires et dans l’offshore.

Notre invité, cette semaine, nous livre ses impressions sur les débats, circonscrits dans le monde politique mauricien, autour de la réforme électorale et de la deuxième République tandis que la société civile, elle, s’intéresse à l’état de l’économie mauricienne dans un contexte international qui s’annonce difficile. 


Mauritius Times : Alors qu’aux Etats-Unis et en Europe, les signaux négatifs sur l’économie s’accumulent et qu’il y a des craintes récurrentes d’un retour de la récession dans ces pays – nos principaux marchés d’exportation –, il y a eu à Maurice une grande effervescence politique autour de la question de la réforme électorale et de l’instauration d’une deuxième République. Toutefois, le Premier ministre a affirmé, cette semaine, que la priorité des priorités dans la présente conjoncture demeure l’économie. Diriez-vous que « good sense has prevailed » en fin de compte, ou est-ce encore une occasion ratée… ?

Marc Hein : Effectivement, l’agenda et les priorités du gouvernement sont décidés par le Premier ministre avec l’avis de son Conseil des Ministres.

L’économie mondiale montre de graves signes de turbulences et on a pu constater, dans les jours passés, les conséquences directes et immédiates en observant les bourses internationales et celle de Maurice dégringoler.

Il est important de maintenir la confiance des opérateurs locaux et internationaux sur la capacité de Maurice à continuer un développement économique durable. Donc l’économie est une priorité, nul ne peut le nier.

La réforme électorale et l’instauration d’une IIème République ont en effet subitement fait surface. La première implique une révision du processus électoral alors que la seconde est vaste et d’ordre plus général. Les deux réformes ne sont pas nécessairement liées mais évidemment un projet de IIème République peut inclure une révision électorale. Je constate qu’il y a pas mal de confusion dans l’esprit des Mauriciens à ces sujets.

Est-ce une occasion ratée de réforme électorale ? Il est peut-être trop tôt pour répondre à cette question.  

* Toutefois, puisque ces questions ont été évoquées, parlons-en : beaucoup de personnes s’accordent à dire que des sujets aussi sensibles que la réforme électorale et l’instauration d’une deuxième République ne peuvent être que l’affaire des politiciens et qu’ils doivent donc faire l’objet de débats au sein d’une assemblée constituante où les partis politiques, les académiques, les syndicalistes, les membres de la société civile peuvent exprimer leurs points de vue afin de rechercher l’approbation des Mauriciens. Qu’en pensez-vous ?

La réforme électorale est débattue à Maurice depuis longtemps. Il y a eu la Commission Sachs et un « Select Committee » de l’Assemblée nationale, il y a quelques années. Plusieurs options ont été proposées si l’on veut changer le mode de scrutin électoral et il est question d’élire environ 20 ou 30 députés additionnels par le biais de la représentation proportionnelle. Plusieurs sont pour cette réforme et puis, il y a évidemment ceux qui sont contre toute réforme et en faveur du statu quo.

Cependant, en ce qui s’agit de passer à une IIème République, nous avons eu très peu de débats sur ce thème et les enjeux doivent être connus du public. Notre Constitution est basée sur le modèle de Westminster avec les pouvoirs exécutifs surtout dans les mains du Premier ministre et de son Cabinet. Le Premier ministre est donc Chef du gouvernement et le Président, Chef de l’Etat. Les pouvoirs du Président, nous l’avons vu récemment en matière de nominations dans le service public, sont importants mais limités. Il y a donc matière à discuter du partage des pouvoirs entre futurs Président et Premier ministre, puis aussi la balance entre ces deux fonctions et le Parlement. Puis, les garde-fous (checks and balances) à ces postes et institutions de l’Etat doivent être réaménagés.

Autre question fondamentale : Comment serait élu le Président ? Par le peuple, par les membres du Parlement ou encore, par une grande assemblée de tous les élus mauriciens ?

Ces questions doivent être discutées évidemment par la classe politique, les juristes, les académiques, les syndicalistes, les forces vives et surtout la société civile.

Le judiciaire mauricien doit nécessairement être aussi consulté. Cela est important. Je profite pour ajouter que le judiciaire voit aussi, à l’horizon, une réforme majeure pour créer une Cour d’appel, séparée de la Cour suprême.

Peut-être est-ce donc l’occasion de revoir d’une façon fondamentale l’ensemble de notre Constitution si nous parlons de réformes du législatif, de l’exécutif et du judiciaire ?

* Au-delà des calculs des politiques qui semblent davantage préoccupés par la question du partage du pouvoir, pensez-vous qu’il y a effectivement lieu de réformer notre système électoral ? 

Le système électoral a fauté en envoyant au pouvoir en deux fois des partis avec un score de 60-0 à l’Assemblée nationale. A ce moment-là, le germe de l’opposition ou de la désunion se propage de l’intérieur du parti ou de l’alliance au pouvoir. Notre système doit fonctionner avec une opposition forte et avec des contre-pouvoirs pour protéger la démocratie. De plus, il est impensable que le peuple vote, disons à 40%, pour une opposition et que toute cette minorité opposante se retrouve sans représentants au Parlement. Le mode de scrutin présent a pénalisé, d’une façon ou d’une autre, tous les partis politiques existants à un moment donné. Les partis en sont conscients mais ont peur de faire le pas en avant.  

* En ce qui concerne le système de ‘Best Loser’, certains sont d’avis que cela a quand même permis une coexistence pacifique des communautés à Maurice, et que l’introduction de la proportionnelle va favoriser l’émergence de petits partis (dont certains purement ethniques… extrémistes mêmes) et par conséquent le jeu d’alliances, ce qui va accroître le facteur d’instabilité. Par ailleurs, un seuil trop élevé (au-delà de 10%) pour qu’un parti puisse se faire représenter au Parlement, éliminerait du coup certains petits partis et profiterait aux grands partis. Situation complexe, n’est-ce pas ?

Ce n’est évidemment pas une situation simple mais il ne faut pas la compliquer davantage inutilement. Mon opinion personnelle, comme mauricien et comme avocat, est que le système de “ Best Loser ” a fait son temps. Je le répète une fois de plus, c’est uniquement en raison de ce système que l’on retrouve dans la Constitution [Ière cédule, section 3 (4)] la division de notre nation en communautés. Les mots “hindou, musulman, sino-mauricien et population générale » ne sont dans la Constitution seulement que dans cette cédule et seulement pour le choix des « best losers ». Ces mots désignant les communautés n’ont aucune autre utilité.

Nous devons tous respecter les religions, les cultures, les langues ancestrales différentes, de tous les Mauriciens. Nous le savons tous, nous sommes un pays de peuplements divers mais optons – de grâce – pour l’unité dans la diversité. Il me semble que nous sommes tous d’accord aujourd’hui pour œuvrer pour le mauricianisme.

Dès ce moment, nous ne pouvons accepter que le communalisme soit libellé, écrit, défini et institutionnalisé dans la Constitution. Pour moi, c’est net, clair et simple. Pour les minorités qui craignent une sous-représentation au Parlement, il faut une dose de proportionnelle dans le mode de désignation des députés. Cela peut garantir indirectement la représentation des minorités lors des élections et les minorités ne devraient pas avoir peur.

J’ajouterai aussi que je suis inquiet de voir la volonté de certains de vouloir diviser I’île Maurice en communautés et sous-communautés. Notre Constitution ne doit pas les aider dans cette sombre besogne mais, au contraire, être un instrument qui unifie la nation et la patrie.

Finalement, il ne faut pas oublier que le « best loser system » a pu donner une opposition au pays en cas de 60-0. Donc si ce système est aboli, il est essentiel d’avoir une dose de représentation proportionnelle pour qu’il y ait une opposition au Parlement dans tous les cas de figure.

* En tout cas, si réforme il doit y avoir, ne devrait-on pas aussi et par la même occasion, examiner la question des financements politiques, renforcer les pouvoirs de l’Electoral Supervisory Commission, introduire un code de conduite pour les politiques ?

Il y a eu peu de volonté de la part des partis politiques pour réguler leurs financements. Ce que le candidat aux élections générales dépense est supposément contrôlé, mais pas ce que le parti dépense. Je dis d’ailleurs « supposément » parce qu’aucun candidat des grands partis ne respecte ce qui est prévu. Il faudra une pression des forces vives, des syndicats, des médias, bref de la société civile ou qui sait, peut-être si une affaire se présente devant nos tribunaux, un coup de pouce du judicaire pour forcer la main aux partis politiques.

Quand à l’Electoral Supervisory Commission, elle est heureusement très respectée ainsi que le bureau du Commissaire électoral. Leurs pouvoirs peuvent être revus dans le cadre d’une réforme.

* At the end of the day, si la presse écrite et les radios privées ne faisaient pas le relais pour diffuser les commentaires de quelques académiques, syndicalistes et de certains membres du barreau par rapport à toutes ces questions précitées, on pourrait croire que la société civile ne s’intéresse guère à ces questions-là… Vous êtes Président du National Economic & Social Council depuis près de six mois. Vos réactions ?

Le National Economic & Social Council existe de par un texte de loi de 2001 et est constitué d’un conseil de 24 membres. Les membres du NESC sont des représentants des syndicats, du monde des affaires, de la société civile ainsi que de hauts fonctionnaires. Le NESC fonctionne principalement par le biais de trois commissions : la Commission des Affaires Sociales, la Commission des Affaires Economiques et la Commission sur l’Infrastructure, les Ressources Physiques et l’Environnement.

Le NESC est un organe consultatif qui donne son avis, soit d’elle-même ou à la requête des ministères qui le réclament.

C’est une organisation qui intervient pour promouvoir le dialogue entre les institutions publiques et la société civile. Un conseil économique & social peut aussi être une passerelle entre la société civile et la société politique. Elle offre une place de choix à la société civile pour la construction d’une démocratie participative à l’île Maurice.

* Il semble toutefois que le NESC n’est pas très connu du grand public. La société civile n’est pas au courant du travail qui est fait par cette institution. Quel est votre avis ?

Je suis totalement d’accord que le NESC et son travail sont peu connus du public. Le nouveau Conseil est en place depuis mars de cette année et nous avons beaucoup fait pour réétudier son mode de fonctionnement. Nous allons bientôt atteindre une vitesse de croisière. Je voudrais bien voir le NESC proposer des solutions innovatrices et modernes aux fléaux socio-économiques qui nous menacent. Nous avons, en juillet dernier, produit un excellent rapport sur l’Environnement et le déboisement à l’île Maurice de façon à maintenir la couverture verte des arbres. En ce moment, nous travaillons de façon assidue sur l’intégration sociale des groupes vulnérables – nommément les hommes et femmes, ex-détenus, prostitués, et sidéens et la Commission des Affaires Sociales est en train de faire fait un gros travail dessus.

Finalement, la Commission des Affaires Economiques travaille sur l’endettement des ménages mauriciens et sur les moyens d’aider les familles mauriciennes – surtout défavorisées et endettées – à mieux gérer leur budget. Nous faisons beaucoup avec peu de moyens et ferons de notre mieux, dans un proche avenir, pour communiquer avec le grand public.

* Finalement, estimez-vous, avec tous nos problèmes de société, que les Mauriciens devraient avoir un bon moral fin 2011 ?

Quand nous regardons un verre d’eau rempli à moitié, nous devons le regarder non pas comme à demi vide mais comme à demi rempli et analyser ce qu’il faut faire pour le remplir. Nous avons trop tendance à voir la négativité partout sans vouloir regarder ce qu’il y a de bien autour de nous. Eliminons les bad vibes pour les remplacer par de good vibes et tout le monde s’en portera mieux.

La petite île Maurice, seule au milieu de l’océan Indien, a toujours fait face à des problèmes socio-économiques et nous continuerons à faire face à ses problèmes. Les problèmes ne disparaîtront pas, mais nous les surmonterons grâce à notre capacité de travail, à notre sens de l’innovation, au partage de nos richesses et surtout si nous agissons ensemble comme une nation unie et soudée face à l’adversité.


* Published in print edition on 26 August 2011

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