« On est déjà entré dans l’après-Bérenger/Jugnauth/ Ramgoolam »

Interview: Joseph Tsang Man Kin

“Un parti comme le Parti travailliste ne peut pas mourir. La philosophie qui l’anime souffle et est toujours vivante”

Joseph Tsang Man Kin fait une rétrospective des élections générales et s’appesantit sur les points forts et faibles du Parti travailliste au fil des années. Il s’intéresse à l’actualité et aux besoins et attentes des Travaillistes contemporains. De même, il considère le rôle des leaders d’antan et ce qui est attendu des nouveaux leaders dans un environnement différent au 21e siècle.

Mauritius Times : On dit que les grands partis peuvent connaître des difficultés conjoncturelles en raison du phénomène de scissions ou d’échecs électoraux, mais ils ne meurent pas, alors que d’autres tendent à s’effriter et à disparaître…

Joseph Tsang Man Kin : Vous avez tout à fait raison sur cette entrée en matière. C’est un phénomène conjoncturel. Il y a toujours des blessures à panser et cela ne se fait pas en public. Et après, on revient sur le ring.

* Le Parti travailliste a survécu 1982, mais 2014 aura été des plus humiliantes pour ce parti pour les raisons que nous connaissons tous. Pourra-t-il malgré tout surmonter cet échec et reprendre sa place sur l’échiquier politique ?

Je ne pense pas que l’on puisse comparer 1982 et 2014.

1982 : c’est un malentendu ! L’électorat endoctriné et fanatisé, voulait le changement, changement de dirigeants à la tête du pays, c’est tout. Cet électorat ne cherchait même pas à savoir ce qui allait se passer après les élections pour la bonne et simple raison que le MMM n’avait rien à proposer et, par la suite, comme on a pu le constater, n’a eu aucune grande idée qui ait été retenue ou implémentée. C’est pour cette raison que l’on peut parler de manipulation et de hold-up psychologique. Ce qui est à souligner, c’est qu’à aucun moment on n’a mis en cause l’intégrité de SSR.

1982 : c’est l’arrivée de la nouvelle génération, jeune et déterminée, qui avait en face une génération vieillissante, mais respectée, et le triomphe donc d’une équipe qui savait communiquer avec la masse en créole alors qu’en face il y avait une équipe qui lui parlait en anglais.

Les nouveaux venus sur la scène politique avaient noué, lors de leurs années d’études en France, des contacts avec les socialistes et les communistes, et ceux-ci leur ont apporté – par la suite – à partir de la Réunion, un soutien stratégique et financier dans leurs campagnes électorales et durant les élections.

Je dis bien un malentendu ! Car on ne chasse pas un homme qui a tant donné au pays. On ne pourra jamais dire qu’il a été l’homme d’une clique, et aurait négligé les plus démunis. On avait alors effacé de la mémoire des sans-abris qu’il leur avait donné des milliers de maisons Longtil.

Avec du recul, on ne peut nier le fait que la population mauricienne bénéficiait déjà des bienfaits du Welfare State : soins gratuits et éducation gratuite, entre autres, et tout cela grâce au gouvernement Ramgoolam qui a fait encore plus en mettant en place la base et les structures pour les futures réalisations économiques que l’on a appelées par la suite le miracle économique des années 1980 du PM Jugnauth.

N’oublions surtout pas que ce sont les décisions de SSR en 1976 d’accorder l’éducation gratuite dont tout le monde reconnaît les bienfaits aujourd’hui : l’île Maurice est bien en avance sur le plan du développement économique et social. Je profite ici pour souligner la vision de sir Veerasamy Ringadoo qui a pris la décision, courageuse et impopulaire, à deux reprises de dévaluer la roupie mauricienne, ce qui a été à la base de la relance économique, ce qui explique nos succès et nos réalisations aujourd’hui.

Je dois aussi ajouter, non pour accuser mais pour rétablir la véracité historique, que l’arrivée au pouvoir du MMM – avec tous ses abus et violations des droits de l’homme par le gouvernement d’Anerood Jugnauth en 1982 – a été rendue possible grâce aux activités et obstructions d’Harish Boodhoo. Celui-ci pouvait être de bonne foi mais il n’avait rien compris de la vison de SSR et avait mené campagne pour faire du tort non seulement au Parti travailliste, mais plus grave, surtout au projet socialiste que le Parti travailliste n’avait pas fini de réaliser.

Je ne doute pas de sa sincérité puisqu’il a – dans un esprit patriotique – enterré son parti, le PSM, mais il porte une lourde responsabilité dans la déviation du cours de notre Histoire qui a failli expérimenter la fin du Welfare State. En amenant le MMM au pouvoir, Harish Boodhoo a ainsi donné l’occasion à Bérenger de supprimer l’éducation gratuite, et de s’attaquer aux pauvres en supprimant les subsides sur le riz et la farine. Heureusement, les autres ministres ont eu le courage de lui tenir tête, Kader Bhayat, en premier.

En 1982, Chacha perd les élections. Battu oui, mais sur le champ de l’honneur ! Il n’y avait alors aucune haine contre Chacha. On ne pouvait pas être contre cet homme qui est à la base de tout ce qui a été réalisé à Maurice, mais on voulait du changement, ce qui relève des droits d’un peuple souverain.

En 2014, nous nous sommes trouvé dans un contexte complètement différent. Cette fois, on a vu le spectacle grotesque du couple Ramgoolam-Bérenger arrogant et méprisant, qui prenait le peuple véritablement pour des imbéciles. Il n’y a pas eu d’endoctrinement, ni de bourrage de crâne, comme en1982 ! Et même s’il y en a eu, la population avait vu clair dans leur jeu et avait pris sa décision. Les Travaillistes ont donc voté en masse contre ce projet et ont désavoué le leader de leur parti.

Non ! Les partisans travaillistes n’ont jamais été humiliés parce qu’ils n’ont jamais voulu de cette république bananière. Le seul et véritable humilié dans cette histoire, du côté travailliste, c’est son leader, avec son partenaire, le leader du MMM. Ce sont ces deux personnages ambitieux et mal-intentionnés qui ont été sanctionnés !

Si, en 1982, dans les conditions exceptionnelles que nous savons, le Parti travailliste n’a pas disparu, ce ne sera certainement pas le cas aujourd’hui. Le Parti travailliste n’a pas été battu, les partisans n’ont pas perdu. Bien au contraire, ils ont gagné, ils ont voté pour chasser le couple sinistre et ils ont balayé leur projet liberticide qui allait mettre toute l’île Maurice à genoux devant deux individus, Ramgoolam et Bérenger, qui ne pensaient qu’à eux-mêmes.

Donc, les fidèles du Parti travailliste ont voté « non » de façon partisane mais en véritables patriotes pour protéger la démocratie et empêcher la dictature de s’instaurer dans le pays. On voyait bien que le pays était mal gouverné et que le régime était devenu irresponsable, incompétent, patrimonialiste. (Le « patrimonialisme » : c’est le contexte où les dirigeants d’un pays ne font plus la distinction entre les biens de l’Etat et leurs biens personnels, comme lorsque l’on donne les terres de l’Etat à ses copains ou copines. Dans les Caraïbes, le terme « la profitation » est utilisée).

Mais, après les révélations scandaleuses sur le passage de Navin Ramgoolam au pouvoir, on ne finit pas de se dire qu’on l’a échappé belle. Plus jamais ! Ni la population ni les Travaillistes ne voudront une répétition de ces évènements qui nous ont déshonorés et blessés. Dans ce qui s’est passé, on peut dire avec raison que les partisans travaillistes sont restés fidèles au parti, à eux-mêmes et à leurs nobles idéaux !

Ce qui est certain, un parti comme le Parti travailliste – qui a fait l’Ile Maurice – , ne peut pas mourir. La philosophie qui l’anime souffle et est toujours vivante. Même si ses leaders peuvent parfois l’oublier, l’ignorer ou la trahir ! Ses réalisations sont partout ! Et aucune des grandes réalisations de ce pays n’a été faite sans lui !

* Si le PTr connaît une certaine remontée actuellement, c’est surtout “by default”, affirme-t-on, pour diverses raisons dont la gestion des affaires de l’Etat par l’actuel gouvernement et en dépit de “l’opération nettoyage” enclenchée par le gouvernement Lepep. Mais faut-il qu’on s’intéresse plutôt à sauver l’idéologie travailliste – le vrai – que de se focaliser sur les moyens pouvant aider à préserver une carrière politique pour les uns et les autres, non ?

La remontée ou non du Parti travailliste n’a rien à voir avec les performances ou les échecs de l’équipe au pouvoir. Je dirai que le Parti travailliste ne remonte pas mais ne descend pas non plus. Il est là, toujours présent, au beau fixe et attend. Les partisans travaillistes ne l’ont pas abandonné, ils sont silencieux, ils désapprouvent l’entêtement de Navin Ramgoolam à vouloir s’accrocher au parti, mais les Travaillistes n’ont pas bougé. Ils sont derrière le parti et attendent un nouveau chef.

L’opération nettoyage est une nécessité, elle doit continuer. C’est la principale raison qui a amené la nouvelle équipe au pouvoir. Mais attention ! Les Travaillistes ne veulent pas de la chasse aux sorcières, une vieille pratique chère à Anerood Jugnauth et qu’il lui semble difficile d’abandonner.

Or, les ministres préoccupés par le nettoyage doivent se rappeler qu’ils sont des ministres et non des shérifs du Far West, chargés de ramener les malfaiteurs morts ou vifs… Attention au non-respect des procédures, ce qui signifie que malgré les bonnes intentions, il faut le savoir faire, car le non-respect des procédures peut conduire aux résultats contraires : le coupable échappe à la justice et, dans le cas qui nous préoccupe, l’Etat ou plus grave, les contribuables sont appelés à payer des dommages aux coupables.

Quand on s’occupe de la chose politique, c’est-à-dire des affaires de l’Etat, ce qui doit nous préoccuper, ce sont les idées, les programmes d’abord et les individus, ensuite. Il faut choisir les dirigeants en raison de leurs idées, de leur caractère, de leur parcours politique, et de leur engagement au service des autres.

* De plus en plus, les partis politiques rivalisent pour apporter à la ‘demande politique’ l’offre qui pourra lui correspondre. Mais il n’est pas évident que cette ‘demande politique’ soit à la recherche de ce travaillisme d’antan qui distinguait le PTr des autres formations politiques de l’époque. Ce travaillisme-là a-t-il toujours sa raison-être, ou faut-il le ‘revisiter’ en fonction du nouveau contexte socio-économique ?

Sommes-nous dans le même pays ? Permettez-moi de le dire. Je n’ai ni vu ni entendu aucun des trois partis du gouvernement actuel rivaliser pour apporter une réponse quelconque aux interrogations ou aux attentes de la population mauricienne. Ni ensemble non plus, les trois n’ont pas mis au point un projet de société et ne donnent aucune indication qu’ils vont mettre au point un projet collectif pour le bien de la société mauricienne. Pourquoi ? Est-ce parce que le char est tiré par un bœuf, un âne et un canard ?

Par contre, le Parti travailliste est le seul parti à avoir eu un projet de société : le Welfare State et à l’avoir réalisé. Et, en plus, le Parti travailliste est le parti qui a modernisé le pays, initié l’industrialisation du pays, créé la zone franche, promu le tourisme, (si SSR avait confié la mission à Gaëtan Duval, c’est Régis Fanchette le cerveau de sa réalisation !) En fait, tout vient du Parti travailliste : la santé gratuite, l’éducation gratuite, Air Mauritius, Club Méditerranée, les autoroutes, la TV, les logements sociaux Longtil, la MSPCA, je dis tout. Et j’ajoute, le parti qui prétendait rivaliser avec le Parti travailliste, je parle du MMM, ce parti n’a aucun projet qui porte sa signature, sauf les IRS, projets responsables de l’enrichissement d’un groupe et de l’appauvrissement continu de la population.

L’inégalité, c’est le plus grand problème de notre monde contemporain. Le cumul des capitaux ne fait qu’enrichir un groupe et le salaire qui ne grandit pas aussi vite ne fait que croître l’écart entre les riches et les pauvres. Dans notre île à la mentalité insulaire, on continue de gouverner le pays aujourd’hui au XXIe siècle sans prendre connaissance de ce que disent les grands penseurs de notre temps. Lecture indispensable : Capital de Picketty ou Inequality d’Aitkinson.

* Il faut aussi un porte-drapeau, un leader qui ait un projet politique qui puisse galvaniser les esprits. Or, c’est le charisme et le mythe qui ont la cote ces temps-ci. Peut-on réussir sans charisme ou mythe ou est-ce des exigences qu’il faut faire avec?

Laissez-moi vous dire tout de suite : le monde moderne n’a pas besoin de leaders charismatiques. On a besoin d’idées et les idées ne viennent pas nécessairement de leaders charismatiques.

Dans le passé, le leader charismatique était le seul gars instruit dans une population composée à majorité d’illettrés. Ainsi, la masse aveugle suivait le beau parleur. Or, aujourd’hui, notre population est éduquée. Elle n’est plus disposée à suivre le leader charismatique les yeux fermés. Les leaders charismatiques sont des produits d’agences de communication : ils sont fabriqués, selon une recette bien rôdée, pour plaire et pour attraper des votes. La masse est toujours manipulée et conditionnée. Donc, il faut se méfier et tâcher de voir ce qu’il y a derrière le masque !

Il n’y a plus d’idée ou de solution miracle aujourd’hui. Il faudrait que les gens de bonne volonté de tous les partis ou qui n’appartiennent à aucun parti s’asseyent ensemble et réfléchissent sur l’avenir du pays, sur le type de société que nous voulons tous, tous les Mauriciens ensemble, et créer pour nous, pour nos enfants et petits-enfants.

Ce qu’il faut aujourd’hui, c’est la réflexion collective. Et c’est justement ce que les trois partis au pouvoir n’ont pas été en mesure jusqu’ici de nous donner, On aurait pu dire qu’ils n’ont pas eu le temps de se réunir et de réfléchir, mais vu qu’ils ont laissé passer neuf mois sans nous annoncer une bonne nouvelle, il semblerait que l’on a affaire à une équipe incapable de générer des idées et surtout incapable de susciter la réflexion collective en son sein.

Plus grave, et ce qui est surprenant, c’est l’ignorance absolue chez nos dirigeants, presque la totalité de nos députés et ministres de notre appartenance au MAEP (Mécanisme Africain d’Evaluation par les Pairs, ou APRM – Africa Peer Review Mechanism. Le MAEP/APRM a fait un Rapport sur Maurice dès 2011. Ce Rapport du MAEP de 450 pages, que je comparerais au rapports de Titmus et de Meade du temps de SSR, devrait être un livre de chevet pour qui s’occupe des affaires nationales et voudrait vraiment connaître les réalités mauriciennes. Ceux qui n’ont pas d’idées sur ce qui devrait se faire doivent se faire un devoir de le lire et de l’étudier. Ils devraient aussi jeter un coup d’œil sur un très bon document national : Post -2015 – UN Development Agenda : The Future We Want, National Report de Mars 2013. Ce document devrait être un livre de chevet de nos députés et ministres.

Je trouve dommage que ces deux documents ou les idées qu’ils contiennent n’aient pas inspiré les auteur des discours du précédent Président de la République, Kailash Purryag, du PM Anerood Jugnauth, entouré de son équipe du secteur privé et même du discours du ministre des Finances. Ajoutons que le Rapport de MAEP/APRM ou le National Report : The Future We Want apporte des analyses et des propositions en partant de la base, ce qui est indispensable pour la bonne gouvernance aujourd’hui.

* Les Travaillistes vous diront que Navin Ramgoolam demeure malgré tout, c’est-à-dire malgré ses tracasseries découlant des enquêtes policières depuis le début de l’année, la meilleure option pour le PTr. Il semblerait que ses adversaires soient du même avis, à voir l’acharnement avec lequel on cherche à le clouer au pilori. Il est probable que c’est aussi le réalisme politique qui fait pencher la balance en faveur de Ramgoolam. Etes-vous du même avis ?

A vous entendre, je n’ai pas l’impression que nous rencontrons les mêmes partisans travaillistes. Bien sûr, il y a ceux qui souhaitent son retour, surtout ceux-là qui font partie du comité exécutif dont plus d’une vingtaine viennent de sa circonscription.

Non ! Il ne s’est pas comporté comme un véritable travailliste. Il n’a pas été à la hauteur de nos espérances. Ce qu’il faudrait au Parti travailliste, c’est l’élection d’un nouveau leader. Que chacune des CLP (Constituency Labour Party) des 20 circonscriptions présente des candidats pour le leadership et que le choix se fasse parmi les 100 candidats.

Ainsi, à travers le bulletin secret, nous pourrons avoir un leader librement choisi par les partisans. Jugnauth prend un malin plaisir à voir Ramgoolam rester à la tête du parti – cela empêche le parti de démarrer. Il croit que, de cette façon, il n’y aura personne pour le chasser du pouvoir.

Il continuera de régner sans rien craindre du Parti travailliste. A l’heure actuelle, à travers Navin Ramgoolam, Jugnauth tient le Parti travailliste en otage. Et Ramgoolam devient ainsi le meilleur agent de Jugnauth.

* Les politologues soutiennent toutefois que l’évolution rapide qui s’opère dans le monde tant réel que virtuel exigera une nouvelle façon de faire de la politique: plus de transparence, de démocratie interne, de consultation et de participation à la formulation des politiques du parti, etc. Qu’est-ce qui explique qu’on ne parvient pas à se défaire de des mauvaises habitudes du passé au sein des principaux partis du pays ?

Ce que vous dites est tout à fait exact. Faire de la politique de façon nouvelle ! C’est pour répondre justement aux besoins nouveaux et aux exigences nouvelles des citoyens d’aujourd’hui. Les ménagères défilent dans les rues en tapant sur les ustensiles de cuisine en Amérique latine. Il y a eu le printemps arabe. En effet, les citoyens du monde entier réclament de plus en plus de la bonne gouvernance dans leur pays, de la bonne gouvernance dans le gouvernement, dans l’économie du pays, dans les entreprises et dans le socio-politique. Ils veulent de la transparence dans la gestion des affaires, ils veulent combattre la corruption.

Mais la question qui se pose dans le contexte mauricien, c’est de savoir si nos partis politiques sont capables d’innover. Mais, auparavant, permettez-moi de faire un constat que l’on pourrait trouver étrange.

Je vais commencer par dire qu’il n’y a pas de partis politiques à Maurice. Un parti politique réfléchit sur les grandes questions qui se posent à un pays. Est-ce que vous avez vu un seul de nos partis politiques réfléchir sur les grandes questions de notre pays ? Ici, nous n’avons pas eu à réfléchir pour trouver ce que nous avions à faire. Le programme a été dicté par les circonstances historiques.

C’est ainsi que le Dr Ramgoolam, en rentrant au pays en 1935, avait les enseignements du Fabian Society en tête et, à la fin de la deuxième guerre, sa mission pour le pays s’était imposée à lui : créer un Welfare State et obtenir l’indépendance du pays. On n’avait pas besoin d’un parti politique pour trouver cela. SSR avait une brillante équipe de juristes formés à Londres (les Boolell, Duval, Ringadoo, Walter ou un autodidacte hors pair …) et avait hérité du gouvernement anglais des meilleurs hauts fonctionnaires (les Burrenchobay, Banymandhub, Chasle, Fanchette, Goorah, Hazareesingh, Lallah, Venchard) triés sur le volet.

Le Parti travailliste était donc condamné à réussir. Les membres du Bureau Politique ou du comité exécutif n’avaient pas à réfléchir. Ils avaient à sa disposition une Agents association qui représentait tout le parti, et ces agents servaient surtout à encadrer les meetings publics ou le jour des élections ils transportaient les électeurs aux centres de vote.

On n’a pas changé. C’est tout ce que les partis politiques savent faire. C’est seulement un rubber stamp. L’inutilité intellectuelle des partis politiques a continué jusqu’à présent. D’ailleurs, quand Ramgoolam et Bérenger proposaient leur projet de République, avez-vous entendu dire qu’il y a eu des débat au sein de ces comités exécutifs : aucune réflexion ni au Parti travailliste ni au MMM sur leur projet et personne n’a eu la force intellectuelle ou morale pour s’y opposer.

C’est ainsi qu’on arrive à entendre des ministres dire qu’ils ont été forcés de mettre leur signature sur des documents avec lesquels ils n’étaient pas d’accord. C’est ce système qui a amené des êtres indignes et incompétents à des postes de haute responsabilité.

Quand je suis devenu le Secrétaire Général du Parti travailliste, en 1990, j’ai voulu changer tout cela. J’ai mis en place les CLP, (Constituency Labour Parties) comme prévu par la Constitution du Parti travailliste et les avais groupés en différentes régions. Je les avais placés sous la responsabilité de quatre Assistants Secrétaires-Généraux pour me soutenir.

Plus important j’avais mis en place des groupes de discussions et, chaque semaine, on s’occupait d’un sujet sur une série de thèmes. J’avais surtout mis en place des groupes de réflexion et de discussion dans plusieurs régions du pays, On abordait les problèmes de notre société et je me souviens encore de l’enthousiasme que nos débats suscitaient. Il y avait beaucoup de jeunes. On avait ainsi travaillé pendant plusieurs mois, on avait des rapports extrêmement intéressants jusqu’au jour où le leader Navin Ramgoolam de retour de Londres m’a fait part des reproches des anciens du parti. On m’accusait de casser le parti en deux. J’étais choqué et je me souviens lui avoir parlé de la nécessité d’avoir une aile pensante dans le parti, comme le 1922 Group, qui en Angleterre soutenait un forum de réflexion pour le parti conservateur.

Donc on en est resté là. Compte tenu de tout ce qui est arrivé par la suite, je regrette énormément d’avoir cédé, mais je n’étais pas un politicien, mais un idéaliste entraîné dans la politique par un ministre arrogant du MMM dont l’incompétence m’a poussé à la démission pour entrer en politique. Mais si c’était aujourd’hui, je n’aurais pas cédé et, en rétrospective, je pense que si les comités de réflexion avaient continué leur travail, nous n’aurions pas eu tous les problèmes qui nous tourmentent aujourd’hui.

Donc si vos parlez de mauvaises habitudes, c’est peut-être vrai, mais il s’agit surtout de l’absence de bonnes pratiques, ce qui nous a enfermés dans un conditionnement dont nous ne nous sommes pas débarrassés.

L’actuel Comité Exécutif du Parti travailliste comprend une grande majorité de membres qui perdraient leur siège si on suit le principe d’avoir cinq (5) membres par circonscription. Or, de la seule circonscription de Navin Ramgoolam, il y a eu à un certain moment plus d’une trentaine de membres. Est-ce étonnant si ce Comité Exécutif-là lui demande de rester à la tête du parti ?

Si on veut respecter la règle, il faudrait tout simplement appliquer la loi. Or, les partis politiques n’étant pas enregistrés, ils ne doivent rendre de compte à personne. S’ils sont enregistrés, alors le Registrar of Associations aura son mot à dire et pourra mettre le nez dans les livres de comptes des partis politiques et le grand public connaîtra les sources de financement et des dépenses.

Mai on peut se défaire de ces mauvaises habitudes très simplement : en choisissant le leader du parti par bulletin secret. L’évènement récent en Grande Bretagne devrait nous servir de leçon. Je parle de l’élection de Jeremy Corbyn, qui est le nouveau patron du PTr britannique. On ne peut qu’admirer sa façon de se comporter comme parlementaire, ce qui l’a propulsé au poste de chef de l’Opposition.

* C’est encore le « réalisme politique » dont on parlait auparavant qui aurait fait pencher la balance en faveur du maintien de Paul Bérenger en tant que leader du MMM, parti qui célèbre son 46e anniversaire le 27 septembre prochain, non ? Cela malgré son alliance désastreuse avec le leader du PTr en décembre dernier et plusieurs autres échecs électoraux auparavant ?

Personne n’a voulu maintenir Bérenger à la tête du MMM sauf lui-même. La plupart sont des suiveurs et n’ont pas le courage de leurs opinions. On connaît les coups bas et les arm twisting nécessaires pour se hisser à cette position. Avec quel résultat ? Inutiles, à bout de souffle, fatigués et sans idées, il continue de s’accrocher. Pareils chefs ne comprennent plus rien, n’ont aucune contribution à faire à leur parti, ce sont des poids lourds. Laisser partir les plus fidèles de leur équipe : cela démontre à quel point les hommes politiques peuvent être égoïstes, antipatriotiques. Un vrai chef sait quand le moment est venu de partir, de quitter la table, mais les minables s’accrochent, veulent toujours de nouveaux mandats non pour servir le pays mais pour se servir eux-mêmes. Ils font pitié.

* Dans l’immédiat, que faites-vous de la performance de la gestion des affaires de l’Etat par le gouvernement Lepep ? C’est fait pour durer ?

Tout le monde sait que SAJ a remporté les dernières élections générales by default. Conséquence : les candidats de Lepep n’étaient pas prêts à diriger les affaires de l’Etat. Les faits sont là pour prouver mes dires.

A l’heure actuelle, il a fallu d’une coalition de trois partis, sans réelle envergure, sans grand passé historique pour prendre le pouvoir sans aucune difficulté parce que la grande masse des Travaillistes ne voulaient pas du tout du projet du couple Ramgoolam-Bérenger. Par contre, cette même équipe Jugnauth ne pourra jamais dire qu’on l’a portée au pouvoir pour réaliser un programme. Il n’y a jamais eu de programme Jugnauth, sauf quelques idées fort simples et populistes que souhaitait le peuple mauricien. Mais aujourd’hui, il devient évident que le gouvernement n’a aucun projet de société.

Ils commettent bavure sur bavure. A titre d’exemple, le gouvernement a mal géré l’affaire BAI. Rappelez-vous la publicité Ferodo : Never start something you cannot stop. N’est-ce pas ? Le dossier énergétique est un autre exemple flagrant. Il y a beaucoup d’amateurisme, à l’exception de quelques ministres qui sont des professionnels respectés dans leur propre discipline. Ivan Collendavelloo est un bon avocat mais il n’a pas prouvé qu’il est un bon gestionnaire… Roshi Badhain court trop vite… Par contre l’affaire du sud a été bien géré et je ne doute pas que Raj Dayal y ait prêté main forte.

Mais ce groupe au pouvoir est en train de mourir faute d’idées. Jeter le petit Mauricien dans la fosse aux lions, toujours affamés, n’est certainement pas une bonne idée. Ce qui est regrettable, c’est que ce gouvernement est inconsistant dans sa manière de traiter les affaires de l’Etat.

Si tout le monde est d’accord pour mettre de l’ordre dans les affaires de l’Etat et pour combattre les passe-droit et les abus de pouvoir, il va sans dire que personne n’est d’accord quand on voit le régime au pouvoir se mettre à pratiquer une politique de vengeance et de persécution contre les partisans travaillistes.

Un Etat ne peut se construire dans la haine et ne doit pas avoir de la place pour la petitesse d’esprit et la mesquinerie. Un chef d’Etat doit être un rassembleur ! Son rôle n’est pas de fermer les yeux sur les tracasseries et les persécutions que l’on fait subir à ses adversaires politiques.

* Il semblerait qu’au niveau du MMM et du MSM, on réfléchit déjà sur l’après-Paul Bérenger et l’après-Anerood – la question est revenue sur le tapis au sein de ce parti dans le sillage du jugement de l’affaire MedPoint et demeure en suspens. La réponse demeure incertaine. Le scénario de succession dynastique ne se pose pas en ce qui concerne le PTr, et les Travaillistes ont de toute façon du pain sur la planche ces jours-ci.

Sans avoir à réfléchir, on peut déjà constater et dire que l’on est déjà entré dans l’après-Bérenger. Il se débat, désespérément, comme le prouve ses banderoles et affiches au coin des rues…Il parle de valeurs, on se demande lesquelles. Ses 46 années dont il semble vouloir se servir pour impressionner représentent une longue période stérile, sans éclat.

On est également entré dans l’après-Jugnauth. Son parti est en panne d’idées et est au pouvoir par accident. On ne voit pas comment ce « parti » pourra survivre avec une succession rendue incertaine à cause de la condamnation de l’héritier en suspens dans l’affaire Medpoint.

Je dois ajouter que nous sommes également entrés dans l’après-Ramgoolam. Le coup de grâce de SAJ ne va plus tarder. Au Parti travailliste de se réveiller et de prendre ses dispositions

Il ne reste donc que le Parti travailliste sur l’échiquier politique. Notre tournée dans les différentes circonscriptions confirme que le Parti travailliste n’a pas capitulé. Il est présent et ses partisans ne l’ont pas abandonné, surtout en raison de la piètre performance des trois partis au pouvoir, qui jusqu’ici malgré les réalisations de quelques ministres exceptionnels, semblent incapables de fonctionner comme une équipe, avec un projet commun, donc incapables de décoller. C’est pour cette raison que les Travaillistes sont convaincus qu’avec leur glorieux passé, leur parti a encore un rôle capital à jouer dans le pays, pour son développement et son rayonnement.

Donc l’avenir nous appartient : le phœnix va renaître de ses cendres. Le Parti travailliste tient la clé de l’avenir.

  • Published in print edition on 18 September 2015

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