“Malgré tous ses démêlés avec la justice Ramgoolam est toujours ‘alive and kicking’ politiquement”

Interview: Jocelyn Chan Low, historien et observateur politique

MMM : ‘Le plus vendable reste Bérenger lui-même… il est devenu une institution tout comme SSR de son vivant de même que SAJ’

‘Le deuxième ‘miracle économique mauricien’ est peut-être derrière la porte’

Les élections générales ont été suivies du grand “nettoyage” à Maurice et plusieurs photos chocs ont fait la Une des médias. Les arrestations et les procès ont alimenté bien des débats sur l’avenir de Navin Ramgoolam et de son parti. De même, plusieurs hypothèses ont surgi à propos de l’avenir de Paul Bérenger et de sa succession. Quelques mois plus tard, le sort réservé aux leaders des partis politiques laisse perplexe. Jocelyn Chan Low, historien et observateur politique, nous en parle.

Mauritius Times : Commentant le rassemblement de dimanche dernier organisé par le Parti travailliste pour marquer le 115e anniversaire de la naissance de Sir Seewoosagur Ramgoolam, Navin Ramgoolam disait que ce rassemblement a été un « game changer » et que « le parti a retrouvé de l’énergie ». Passons sur l’énergie, mais parler de ‘game changer’ semble prématuré à ce stade, n’est-ce pas?

Jocelyn Chan Low: Ni oui ni non. Tout dépend de la perspective dans laquelle on se place. Au fond jusqu’à tout récemment, le Parti travailliste avait du mal à faire le deuil de la cuisante défaite de décembre 2014 et cela pour plusieurs raisons.

D’abord, ce débâcle était totalement inespéré. Mais surtout il a été suivi des événements que l’on sait : Arrestation du Dr Navin Ramgoolam et de plusieurs de ses ex-ministres et collaborateurs pour plusieurs délits allégués — Betamax, Dufry, Roches Noires… –, les images du fameux coffre-fort débordant de dollars trouvé chez lui, etc…et aussi la fronde d’Arvind Boolell alors que certains, et non des moindres, prenaient leur distance du parti. Avec la non-participation aux élections municipales, on aurait pu croire que c’était game over pour le PTr et surtout pour son leader sous caution qu’on découvrait dans les médias surtout à sa sortie des tribunaux ou des locaux du CCID aux Casernes centrales.

Mais le rassemblement de dimanche dernier à Kewal Nagar a surtout demontré que l’ex-Premier ministre, malgré tous ses démêlés avec la justice, est toujours ‘alive and kicking’ politiquement. En soi, cela est un véritable exploit et démontre une résilience politique hors du commun.

Bien sûr, Navin Ramgoolam a quand même beaucoup de chemin à parcourir avant de redevenir un major player sur la scène politique, surtout que ce chemin passe d’abord par les tribunaux.

* Effectivement, Navin Ramgoolam a démontré au cours de ces neuf derniers mois que ses démêlés avec la justice depuis sa débâcle électorale de décembre dernier ne l’ont pas abattu comme on aurait pu le croire, et qu’il compte bien ‘put up a strong fight’ contre les tentatives de l’Alliance Lepep de le mettre KO… Demeure-t-il malgré tout, à votre avis, la meilleure option pour le PTr ?

Le rassemblement de dimanche dernier va sans doute balayer toute velléité de contestation du leadership de Navin Ramgoolam. Et si c’était cela l’objectif recherché ?

Remarquez qu’il a bien calculé son coup. Au début de ses démêlés avec la justice, il s’est mis en retrait et Arvind Boolell avait été nommé porte-parole du parti. Mais Navin Ramgoolam n’avait au fond jamais abandonné le leadership du parti et on connaît les circonstances dans lesquelles il a fait son come-back. Il était alors question d’un Congrès en septembre.

A la place, il y a eu une cérémonie en hommage à SSR au lieu hautement symbolique Kewal Nagar qui, finalement, a dérivé vers un nouvel adoubement de Navin Ramgoolam comme leader incontesté du Parti travailliste.

Cela dit, avec un leader qui potentiellement aura à faire face à autant de procès, le PTr sera grandement handicapé dans son action. Mais remarquez qu’il n’est pas le seul à se retrouver dans une telle situation.

Ensuite, le remplacement d’un leader ne se fait jamais sans provoquer de fractures ou de grands chamboulements à l’intérieur d’un parti politique. Il y a tellement de ‘paramètres’ à respecter, de lobbys à concilier …

* On peut donc dire que le PTr a besoin de Navin Ramgoolam dans les circonstances actuelles autant que lui, il a besoin d’un bouclier politique contre les assauts de l’Alliance Lepep ?

Si ses ‘excès’ et ses procès à venir sont des handicaps, il est indéniable qu’il possède toujours de solides atouts. L’aura que lui confère le fait d’être le fils de SSR de même que son charisme indéniable, et aussi sa pugnacité et sa combativité, et surtout, il faut le reconnaître, c’est un politicien aguerri et un fin stratège politique. Mais reste qu’en dehors des die hards du labour, il a un énorme déficit de crédibilité à combler.

Mais en ce qu’il s’agit de bouclier politique contre les assauts de l’Alliance Lepep, j’en doute fort. C’est au niveau des procès au judiciaire que cela se joue et la séparation des pouvoirs est une réalité dans la République de Maurice.

* S’il paraît évident que le PTr connaît actuellement une certaine remontée – cette foule qui s’est déplacée pour s’afficher publiquement aux côtés du PTr semble indiquer que le Parti est en voie de récupérer l’ensemble de son noyau dur –, il lui restera cependant du chemin à parcourir afin de reconquérir cette autre partie de son électorat — les 20% des flottants qui ont bougé vers l’Alliance Lepep en décembre 2014 et qui font la différence lors des législatives. Qu’en pensez-vous ?

Un des phénomènes marquants de la vie politique à Maurice au cours de ces deux dernières décennies, c’est le déclin constant des noyaux durs des partis politiques traditionnels, et ce, pour plusieurs raisons que je ne pourrais évoquer ici.

Le dernier sondage, avant les dernières élections générales, estimait le noyau dur du PTr à moins de 20% et celui du MMM à quelque 12%. Au fait, on se retrouve aujourd’hui avec une énorme masse de floating voters qui peut basculer d’un moment à l’autre et déjouer tous les calculs des états-majors politiques. Et il n’y a aucune étude sérieuse sur les attentes et les aspirations de cet électorat. Mais cette volatilité fait qu’on peut difficilement prévoir, à ce stade, l’évolution politique à Maurice à moyen terme.

En outre, il y a beaucoup d’impondérables.

D’abord, pour une fois, le sort à la fois du PTr et du MSM est étroitement lié au procès devant les tribunaux. Et là, ce sont des procédures qui risquent d’être très longues. En attendant, c’est l’attentisme.

Deuxièmement, il y a le fait économique : Y aura-t-il ou non la relance, les 100,000 emplois, les smart cities, etc…? Le feel good factor reviendra-t-il ou non ? La population démontre déjà une certaine impatience. Mais l’évolution mauricienne dépend beaucoup aussi de l’évolution de la conjoncture internationale.

Certains facteurs échappent ainsi à notre contrôle mais c’est surtout sur la capacité de résoudre le problème du chômage, à améliorer la qualité de vie de tous les Mauriciens, à stopper l’appauvrissement, voire la prolétarianisation’ de la classe moyenne que sera jugé le gouvernement actuel.

Et puis, il y a le timing et la conjoncture politique de l’après-SAJ. A ce stade, il est prématuré de se hasarder à faire de la prospective.

* Toute la partie n’est pas encore jouée, et clairement d’autres enquêtes vont sans doute être initiées en vue de clouer au pilori le leader du PTr – comme celles concernant l’affaire de Bagatelle Dam ou l’achat des avions d’Airbus, etc –, mais tout ce que nous avons été amené à voir ne semble pas avoir eu l’effet escompté d’un point de vue politique. Qu’est-ce qui expliquerait cela, à votre avis ? Les gens ne croient plus dans les jeux des politiques ou même dans certaines institutions, et ils se sont résignés à soutenir ce qui leur paraît représenter « the least evil » ?

C’est vrai que la ‘remontée’ du Dr Navin Ramgoolam, tout au moins au sein d’une frange de l’électorat travailliste peut surprendre. Mais de l’autre, comme toile de fond, il y a le cynisme de l’électorat mauricien.

Des scandales politico-financiers ont émaillé tous les gouvernements depuis l’indépendance. Certes, cette fois les Mauriciens ont découvert l’ampleur des scandales.

Mais on savait que la politique est un million-dollar business tout comme le financement occulte des partis politiques. Et surtout, malheureusement, un grand nombre de Mauriciens semblent résignés à accepter cela. Pire. Un sondage récent avait même révélé qu’un grand nombre de jeunes trouvent la corruption comme un fait normal et n’hésiteraient pas à solliciter des membres de la classe politique pour un ‘backing, un passe-droit’

* Par contre « the least evil », sinon le meilleur premier-ministrable pour les militants demeure toujours Paul Bérenger, paraît-il, les Collendavelloo, Ganoo et autres Lesjongard ne faisant pas le poids devant le « leader historique » malgré sa lourde défaite en décembre dernier pour s’être laissé prendre comme un requin par Navin Ramgoolam ?

Je ne sais pas si tous les militants voient toujours en Paul Bérenger le meilleur premier ministrable dans la conjoncture actuelle car les élections de décembre 2014 ont démontré la difficulté de faire accepter ce dernier comme Premier ministre au sein d’une frange importante de l’électorat. Mais il est définitivement perçu comme le leader incontesté et incontestable du MMM. Les votes à bulletin secret des militants du parti à la dernière assemblée des délégués sont là pour l’attester.

En ce qu’il s’agit des erreurs de stratégies de même que des dissidences, au cours de sa longue histoire, le MMM en a vu d’autres et s’en est toujours sorti.

* Ouvrons une parenthèse ici : qu’est-ce qui explique que les militants ont choisi de ne pas soutenir Paul Bérenger en décembre 2014 alors qu’il avait réussi à arracher de Navin Ramgoolam une alliance inespérée et dont les termes et conditions étaient largement et fondamentalement en faveur du MMM et de son leader, faisant de ce dernier le Premier ministre pendant cinq ans – ce que probablement Paul Bérenger ne parviendra pas à obtenir de l’électorat sauf dans le cadre d’une alliance ou dans une lutte à trois ? C’est l’émotionnel qui avait pris le dessus sur le rationnel ?

A réfléchir froidement, même les éditorialistes hostiles à l’accord PTr-MMM concédaient à l’époque que c’était le meilleur deal que le MMM pouvait obtenir en ce qu’il s’agit du jeu des alliances sur lequel repose toute la vie politique à Maurice. Le problème est que Bérenger a été tellement efficace en tant que leader de l’opposition et le régime sortant avait tellement porté flanc que c’était avec les représentants d’un régime honni qu’il allait faire alliance.

Malgré cela, l’alliance PTr-MMM aurait pu être accepté par la grosse majorité de l’électorat du MMM. Mais il y a eu le ridicule du on and off. C’est cela qui avait fini par décrédibiliser l’alliance, et Paul Bérenger avec, avant même qu’elle ne soit conclue. Le marketing de cette alliance a été en outre désastreux et Navin Ramgoolam, en faisant croire qu’il allait détenir tous les pouvoirs et ses discours remplis de sous-entendus, avaient fini par faire fuir les militants.

* Paul Bérenger a démontré au cours de sa carrière une grande capacité de faire le contraire de ce qu’il a soutenu auparavant. Il a dit publiquement ce qu’il pense du PTr avec Navin Ramgoolam à la tête, mais il devra aussi penser à l’après-Bérenger et il se pourrait qu’il laisse la porte entre-ouverte ? Rien n’est donc à exclure, même pas une nouvelle alliance avec Navin Ramgoolam, c’est-à-dire si ce dernier se trouve toujours à la tête du PTr, non ?

Paul Bérenger a surtout démontré qu’il est un pragmatique adepte de la realpolitik qu’exige le First Past The Post. Mais, comme je le disais auparavant, il y a trop d’impondérables qui entrent en jeu pour qu’on puisse faire actuellement une lecture des options politiques à venir.

* Paul Bérenger devra aussi éventuellement ‘manage’ les ambitions politiques des uns et des autres au sein de son parti — celles de Pradeep Jeeha, d’Ajay Gunness ou de Joanna Bérenger. Qu’est-ce qui sera plus ‘vendable’ à votre avis ?

Le plus vendable reste Bérenger lui-même mais entouré d’une forte équipe où les femmes et les jeunes sont à l’avant-plan. Bérenger est devenu une institution tout comme SSR de son vivant de même que SAJ. Et les institutions se remplacent difficilement…

* La perspective d’une dynastie politique ne posera pas de problème pour les militants, pensez-vous ? Et vous personnellement, qu’en pensez-vous ?

Si la passation du pouvoir à Joanna ou Emmanuel se fait sans vote démocratique à bulletin secret, on pourra alors évoquer la dynastie. Mais si les élections se font d’une manière démocratique après que ce/ces derniers ait/aient gravi tous les échelons du parti, où est le problème ?

Logiquement, il est totalement légitime pour tout membre d’un parti politique d’aspirer au leadership de son parti s’il se sent capable, qu’il soit fils ou fille du leader ou non. Mais pourvu que cela se fasse dans la transparence et sans aucun passe-droit.

* L’instrumentalisation des partis pour promouvoir ou protéger les intérêts de certaines “familles politiques”, la démocratie au sein des partis et aussi le financement de ces partis, ce sont autant de questions qui restent sujettes à être examinées et débattues. Mais il ne semble pas que les réponses à ces questions intéressent les dirigeants politiques ?

Oui et non. Il est vrai que le bon fonctionnement d’une démocratie dépend d’un ‘healthy party system’. Et on ne peut pas dire qu’il y a un healthy party system à Maurice. La raison est multiple et il faut se plonger dans l’Histoire pour comprendre.

Les partis politiques de masse ont émergé assez lentement à Maurice et ont été très vite associés chacun à une personnalité politique. En outre, le cadre légal des partis hérité de la période britannique est très déficient. Aucune part n’est-il fait mention que les partis doivent s’enregistrer auprès du Registrar of Associations et soumettre leurs comptes pour des vérifications. En fait, ils n’ont comme obligation que de s’enregistrer à la Commission électorale à la veille du Nomination Day pour les besoins de symboles et de participation aux élections – le fonctionnement du BLS dépend à la fois du party vote et de l’ethnicité.

Ainsi les partis politiques à Maurice fonctionnent d’après des ‘constitutions’ internes que chaque leader peut modifier ou mettre de côté dépendant de son humeur. Quant aux financements, c’est une manne inespérée. Il ne faut pas se leurrer, les partis jonglent avec des millions à la veille des élections générales en toute opacité.

Toutefois, le contrôle des financements a été évoqué sous le gouvernement MSM-MMM. Mais la question est extrêmement complexe. Le contrôle du financement des partis politiques nécessite un cadre légal clair et sans aucune ambiguïté, ce qui fera des partis politiques des personnes morales en droit, avec des obligations au fisc, etc…

Ce cadre légal validera en principe les règlements internes des partis politiques et pourrait assurer, dans une certaine mesure, une démocratisation des partis. Mais le contrôle du financement des partis passe obligatoirement par le financement des partis par l’Etat, c’est-à-dire par les contribuables et des lois très dures quant au financement privé qui évidemment doit être fait dans la transparence.

Pour cela, la mise sur pied d’une regulatory body hors de tout soupçon est impérative. Mais pour en arriver là, il faut d’abord qu’il y ait consensus entre les partis sur la formule à adopter. Mais qui veut tuer la poule aux œufs d’or ?

* Tout ce qui précède part à partir de la prémisse que le gouvernement Lepep ne réussira pas à « deliver » ce que la population attend de lui et que cette Alliance traversera une zone de turbulence politique dans l’après-Jugnauth. Le gouvernement Lepep pourrait nous surprendre, non ?

Evidemment. Le deuxième ‘miracle économique mauricien’ est peut-être derrière la porte. En tout cas, le gouvernement a démontré sa volonté de remettre l’économie au centre des préoccupations nationales et c’est tant mieux. Il est grand temps qu’on s’éloigne de la politicaille.

 

Published in print edition on 25 September 2015

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