Ile de la Passe, Ilot Vacoas, Ile aux Fouquets : Abus de pouvoir et corruption au 17e siècle

Après 52 ans d’indépendance, à l’heure où les jeunes réclament le respect de leur identité nationale, il est temps de mieux connaître l’Histoire

By Vina Ballgobin

Au 17e siècle, les Hollandais exploitent le bois d’ébène et les sources alimentaires. On en a retenu le fort de Vieux Grand-Port et l’accident de Pieter Both ; on croit à tort que les Hollandais ont exterminé les dodos. Mais après 52 ans d’indépendance, à l’heure où les jeunes réclament le respect de leur identité nationale, il est temps de mieux connaître l’Histoire.

Source: www.crommelin.org

Lorsque l’on visite Grand-Port, de la baie du Chaland à la Pointe du Diable, en passant par Ferney et les Treize Cantons, sans oublier la Rue des Hollandais, et ces trois îles un peu plus loin, il faudrait aussi que résonne dans la mémoire collective l’histoire tragique vécue par François Leguat – issu de la province de Bourgogne en France – et ses dix compagnons à cause de l’opperhoofd (commandant) cruel et tyrannique, Rudolf Diodati.

A la fin du 17e siècle, les cachalots et les baleines vivent en grand nombre dans l’océan Indien. Ils rejettent de l’ambre gris (issu des intestins) qui est porté par les courants et déposé sur les plages autour de l’île Maurice. On peut en ramasser assez facilement. Parfois, les morceaux pèsent 25 kilos. La Compagnie néerlandaise des Indes nrientales achète l’ambre gris à un prix fixé d’avance. Mais Diodati collabore avec quelques corrompus pour tirer un maximum de bénéfices du business d’ambre gris.

De Amsterdam aux Mascareignes

Le 18 octobre 1685, Louis XIV annonce la révocation de l’édit de Nantes (qui accordait des droits religieux aux Protestants). Les huguenots décident de partir vers d’autres cieux. Ainsi, le 6 août 1689, Leguat arrive en Hollande où M. le Marquis du Quesne préparait deux vaisseaux en vue de se rendre à l’île Bourbon (l’île de la Réunion). Les protestants français, réfugiés en Hollande, sont invités à rejoindre l’équipage gratuitement. Mais le bruit court que le Roi de France envoie lui aussi une équipe dans les Mascareignes. Ainsi du Quesne opte pour l’envoi d’une petite frégate dans l’océan Indien et donne l’ordre de baptiser l’île Bourbon de son nom au cas où son équipage arriverait avant les Français. Au cas contraire, l’équipage devrait se rendre à l’île Rodrigues.

Voilà comment le capitaine Valleau quitte le port le 10 juillet 1690 à bord de la frégate L’Hirondelle avec dix voyageurs : Leguat a 52 ans, sept d’entre eux ont entre 20 et 30 ans, deux ont 12 et 18 ans respectivement. Le voyage dure quatre mois et demi jusqu’au Cap de Bonne-Espérance. La monotonie est brisée de temps en temps par quelques pélicans ou des poissons volants. L’Hirondelle arrive au Cap le 26 janvier 1691 et embarque de nouveau pour l’île Mauricele 5 février 1691. Commencent alors les mésaventures de François Leguat et de ses compagnons.

De l’île Rodrigues à l’île Maurice

L’île Maurice, à l’époque, est considérée comme un paradis par certains voyageurs. Pour d’autres, c’est l’enfer de l’esclavage et de la pauvreté, et aussi des catastrophes naturelles sans compter la prolifération des insectes et des rats dévastateurs. Ayant reçu des ordres secrets, le capitaine Valleau s’éloigne de cette île et se dirige vers l’île Rodrigues. Le 30 avril 1691, il y dépose des biscuits, des fusils, des outils agricoles, des scies, des haches, des clous, des marteaux et des ciseaux, et aussi des ustensiles de cuisine, des tissus et des filets de pêche. Il invite Leguat et ses compagnons à s’y établir.

Huit compagnons sur les dix débarquent à l’île Rodrigues et construisent une habitation précaire avec le tronc et les feuilles d’un latanier. Les huit compères vivent de la chasse et de la pêche. L’agriculture ne démarre pas car les crabes arrachent les plantes pendant la nuit. Ils bravent aussi deux cyclones dévastateurs. Toutefois, la vie est paisible. Pendant deux ans, aucun d’entre eux ne tombe malade. Leguat observe l’oiseau nommé le Solitaire qui ne peut ni voler ni courir très rapidement, mais dont la chair est exquise. La femelle est magnifique. Elle porte une sorte de bandeau de veuves au haut du bec. Ses plumes sont impeccablement lissées. Des plumes posées sur les cuisses sont arrondies par le bout en coquilles et y sont fort épaisses.

Au bout d’un an, les compères construisent une barque rudimentaire de 22 pieds de quille, 6 de largeur et 4 de hauteur pour se diriger vers l’île Maurice. Une gomme végétale sert à calfater et une grosse roche d’environ 150 livres remplace l’ancre. Un aviron sert à diriger l’embarcation. Ils quittent l’île Rodrigues le 19 avril 1693. Malheureusement, ils voguent jusqu’aux brisants et la barque coule. Sept d’entre eux bravent les vagues et réussissent à regagner la terre ferme.

Malgré les tentatives de dissuasion de Leguat, les jeunes gens sont motivés par leur envie de rencontrer d’autres êtres humains. Ils construisent une nouvelle embarcation plus solide et se munissent de rames, ils franchissent l’une des passes et arrivent en pleine mer. Ils consomment du lamentin boucané et des melons d’eau. Ils souffrent atrocement du mal de mer. Pendant une tempête, ils sont exténués mais bravent les fortes houles. Les passagers courageux se sentent ballotés entre la vie et la mort. Certains font des prières et trouvent l’énergie nécessaire pour se battre contre le découragement. L’embarcation tangue dangereusement au milieu des orages. Ils ne voient plus rien dans la nuit et redoublent d’efforts pour suivre la girouette. Leguat croit apercevoir le feu de Saint Elme (une boule de feu à l’extrémité du mât).

Finalement, le calme revient avec la lumière du jour. C’est le 29 mai 1693. Oh miracle ! Ils voient l’île Maurice devant eux. Ils remontent la Grande Rivière Nord-Ouest et se reposent. Ensuite, ils se dirigent vers Rivière Noire. Enfin, ils voient des Hollandais mais ils sont encore plus émus de voir des vaches. Ils sont bien reçus par leurs hôtes. Après un mois, Diodati est informé de leur présence sur l’île.

De l’île Maurice à l’île de la Passe

Il se trouve qu’un des compagnons de Leguat, Jean de la Haye, a besoin d’argent. Il décide de vendre quelques effets personnels à M. Josse. Ce joaillier achète, entre autres, un morceau d’ambre gris recueilli à l’île Rodrigues. Lorsque Jean apprend par un habitant de l’île que l’ambre gris vaut très cher, il demande réparation à M. Josse qui refuse de l’écouter. Alors Jean cherche justice auprès de Diodati. Mais en vain.

Diodati, lui, sait que Leguat et ses compagnons souhaitent se rendre à Batavia par le prochain vaisseau. Il craint qu’ils ne portent plainte contre lui pour refus de rendre justice, voire pour escroquerie. Le business d’ambre gris avec son complice joaillier risque d’éclater au grand jour.

Dès lors, Diodati use de son pouvoir pour diviser le groupe des sept compagnons. Deux d’entre eux rejoignent son camp : Piette Thomas et Robert Anselin. Diodati confisque et brûle leur embarcation, il offre les voiles en cadeau à ses chasseurs. Puis, il retient les cinq prisonniers dans une hutte, il limite leurs déplacements, ils sont mal nourris. Jean Testard et Jacques de la Caze, impatients, décident de s’enfuir pour l’île Bourbon. Jean Namur, un soldat et espion de Diodati, informe son supérieur de ce qui se trame. Le 15 janvier 1694, Diodati les interroge. Les cinq compères sont jetés au cachot et leurs pieds sont mis aux stombs (deux pièces de bois assez grosses, l’une s’abaissant sur l’autre, avec un trou au milieu pour y insérer les pieds des prisonniers). Ils sont couchés sur le dos, la tête plus basse que les pieds. Les deux instigateurs, eux, doivent porter 30 livres de fer de plus aux pieds.

Quelques jours plus tard, Diodati confisque leurs effets personnels et ils sont transportés sur l’île aux Vaquois, aride et étroit, rempli de trous et de roches pointues, à deux pas des brisants. Ils vivent dans une cabane délabrée, entourée de la mer à marée haute. Ainsi, ils vivent dans la plus grande détresse pendant trois ans. Les repas sont envoyés chaque semaine, puis chaque quinzaine et ensuite, plus rarement. L’eau est insalubre. Les prisonniers demandent des filets pour la pêche et des récipients pour recueillir l’eau de la pluie. Diodati les leur refuse. Leguat et deux autres tombent gravement malades. Ils ne reçoivent aucun soin.

Le 15 mars 1694, les prisonniers voient un navire hollandais La Persévérance. Ils décident de construire un radeau avec des herbes de mer et ils y attachent deux barriques aux extrémités. Jean de la Haye et Jacques Benelle effectuent la traversée jusqu’à l’île Maurice en 12 heures. Ils rencontrent les officiers à la loge (le demeure) de Diodati et font une complainte : mauvais traitement reçu, déportation injuste et sans fondement. Les officiers se rendent sur l’île aux Vaquois. Alors, ils décident d’informer les autorités hollandaises à propos de cette barbarie et de l’état abominable des prisonniers : Diodati aurait dû les expédier à Batavia ou au Cap pour un procès en bonne et due forme. La Caze nage jusqu’à La Persévérance dans une ultime tentative de fuite mais les officiers le renvoient à sa prison.

Le 9 février 1695, lors d’un cyclone, la hutte des prisonniers est emportée par des vents violents. Ils se cachent dans des trous naturels remplis d’eau et légèrement protégés des vents. Ils sont transis de froid, malades, et affamés. Tantôt, ils sont empoisonnés par certains poissons, tantôt ils souffrent de dysenterie et d’autres maladies… Diodati reste sans pitié.

La vie suit son cours. Les prisonniers fabriquent des chapeaux en feuilles de lataniers pour se protéger du soleil. Lors du ravitaillement, les soldats les troquent contre de la viande ou de l’eau. Les prisonniers apprennent à pêcher pendant la marée basse et repèrent les cachettes des poissons. De temps en temps, ils passent sur les deux autres îles : l’île aux Fouquets et l’île de la Passe. Ils capturent des oiseaux et se nourrissent de leurs œufs. Une fois seulement, ils capturent une tortue de mer avec 150 œufs. De leur prison, ils observent le fort incendié. Ils tremblent attention que Diodati ne les accuse à tort de nouveau. Mais les coupables, deux esclaves femmes sont pendues et deux esclaves hommes sont battus sur les ordres du monstrueux Diodati.

De l’île de la Passe à Amsterdam

Le 10 janvier 1696, Testard construit seul un radeau et s’enfuit contre la volonté de ses amis. Plus personne ne le reverra. La Caze construit aussi un radeau, il se cache dans les bois à l’île Maurice. Après une semaine, il frappe à la porte d’un habitant qui le livre aux soldats. Le 6 septembre 1696, grâce à l’information circulée par les officiers de la Persévérance, les prisonniers sont embarqués sur le vaisseau le Suraag. Ils débarquent à Batavia mais le temps passe sans aucun procès pour les libérer du joug de Diodati. Ils se rendent alors en Hollande huit ans après leur départ initial. Ils ne sont plus que trois : Leguat, La Caze et Benelle. Leguat s’installe en Grande Bretagne jusqu’à sa mort en 1735.

Pour conclure

D’abord, ces trois îles racontent l’histoire de huit Français injustement emprisonnés par une figure d’autorité qui adopte une politique partisane pour justifier ses propres pratiques illégales. La corruption n’est pas le propre d’un groupe ethnique en particulier…

Puis, ces trois îles clament haut et fort la résilience des prisonniers. Tout être humain, même un Blanc d’origine européenne, peut être victime d’atrocités. Se battre pour sauvegarder sa dignité et retrouver la liberté, ce n’est pas le propre d’un groupe ethnique en particulier…

Enfin, les officiers de la Persévérance aident les prisonniers après leur départ de l’île Maurice. Cela s’appelle « humanité » ou la capacité de lutter contre toute forme d’injustice même si l’on n’est pas directement concerné. Voilà une valeur fondamentale que plusieurs membres de l’élite politique et académique de la République de Maurice contemporaine, de tous les groupes ethniques, font semblant d’avoir oublié…


* Published in print edition on 15 September 2020

An Appeal

Dear Reader

65 years ago Mauritius Times was founded with a resolve to fight for justice and fairness and the advancement of the public good. It has never deviated from this principle no matter how daunting the challenges and how costly the price it has had to pay at different times of our history.

With print journalism struggling to keep afloat due to falling advertising revenues and the wide availability of free sources of information, it is crucially important for the Mauritius Times to survive and prosper. We can only continue doing it with the support of our readers.

The best way you can support our efforts is to take a subscription or by making a recurring donation through a Standing Order to our non-profit Foundation.
Thank you.

Add a Comment

Your email address will not be published. Required fields are marked *