“Il n’y a pas de place à l’île Maurice pour les ‘Benallas’…

… celui qui est réputé pour être à l’origine du plus grand scandale du quinquennat Macron”

Interview: Me. Antoine Domingue

* ‘Il est possible que la hiérarchie de la force policière turns a blind eye dans certains cas…
En général, ils ne vont pas encourager activement de telles pratiques de torture’

* ‘A Maurice, certains policiers qui sont en civil se comportent comme des agents politiques’


Vidéos chocs en circulation avec de quoi surprendre le public : il est question de brutalité policière. Il est difficile de rester indifférent face à la violence physique et psychologique des victimes. Plusieurs questions surgissent face à ce drame humain.  Me. Antoine Domingue nous en parle…


Mauritius Times : Il y a toujours eu des soupçons de pratiques abusives utilisées pour extraire des ‘confessions’ des suspects. Mais les vidéos en circulation depuis samedi dernier, contenant des preuves accablantes de brutalité à l’encontre de trois individus en détention policière, a provoqué l’indignation dans le pays. Quoiqu’il ne faut pas généraliser et blâmer toute la force policière, c’est très grave, non?

Me Antoine Domingue : En effet, de tels crimes méritent un châtiment exemplaire. Ce sont des images et des sons qui sont difficilement supportables et qui révèlent des pratiques sadiques, barbares et inhumaines – ce que la Constitution proscrit comme étant ‘‘Crual and unusual punishment’’. C’est une perversion de la règle de droit.

Quand vous regardez ces images, vous voyez bien que ce sont des tortionnaires qui ont eu plaisir à s’acharner sur et à torturer les suspects, avec des armes prohibés, tels que Tasers, procurés illégalement. Je ne suis pas loin de penser qu’ils mériteraient qu’on leur inflige le même traitement… si cela était permis… !

* Avez-vous le sentiment que la hiérarchie de la force policière est consciente de la gravité de ces pratiques et qu’il existe une réelle volonté d’y mettre fin?

Il est possible que la hiérarchie turns a blind eye dans certains cas quoique j’estime, qu’en général, ils ne vont pas encourager activement de telles pratiques de torture qui sont totalement illégales. De toute façon, s’ils ne découragent pas de telles pratiques, ils se rendent complices de cela.

Ce qu’il faut, c’est de mettre en place des mécanismes pour permettre à certaines personnes autorisées d’avoir accès à tous les lieux de détention et d’enquête à n’importe quel moment afin de faire des inspections inopinées.

C’est pour cela qu’on a demandé à ce que le Police and Criminal Evidence Bill soit revu et mis à l’agenda du Parlement. Ce serait l’une des façons d’exercer un contrôle externe et efficace afin de s’assurer que la règle de droit s’applique et que l’État de droit soit respecté par les forces de l’ordre.

Il faut bien comprendre que ce n’est pas la première fois qu’on se retrouve devant ce genre de situation, il y avait une photo qui avait été prise au CID de Curepipe par Me. Anoup Goodary, avocat. Ce dernier, au lieu d’être félicité, fut conspué même par certains membres bien-pensants de la profession et par la police pour atteinte supposée à l’ICTA Act ! La personne en charge du CID de Curepipe ne fut que transférée, sans plus. 

Cette fois-ci, nous touchons le fond de l’abîme dans cette descente aux enfers, avec des vidéos de certains fonctionnaires de police qui se sont couverts d’ignominie. Le Commissaire de Police s’est dit choqué par ces images qui sont, comme je vous l’ai dit, difficilement supportables, et il faut donc requérir un châtiment exemplaire à l’encontre de ces criminels.

Tous ceux qui, peu ou prou, se sont rendus coupables de tels crimes n’ont plus leur place au sein de la force policière. Etant donné que c’est le Commissaire de Police qui est le ResponsibleOfficerducôté obscur de cette Force supposément disciplinée, il est tenu de par les règlements en vigueur d’initier les procédures disciplinaires à commencer par un Interdiction Order. C’est à lui d’initier, après consultation avec le Solicitor General, les procédures disciplinaires with a view to dismissalfrom the Forcede tout officier de police qui se serait rendu passible de sanctions disciplinaires.

Ces officiers de police sont aussi passibles de sanctions pénales pour possession et emploi des Tasers, torture de prisonniers et de coups et blessures aggravés ainsi que de poursuites au civil en dommages et intérêts pour faute lourde. Leur responsabilité délictuelle personnelle et celle de l’État et du Commissaire de Police seront aussi engagées au civil par les victimes et les parents des victimes puisque le Commissaire de Police bears sole and ultimate command responsibility for the Force.

Cette responsabilité du Commissaire de Police Nobin, je l’ai déjà engagée devant la Cour suprême dans le cas de la secrétaire de l’ancienne Présidente de la République et l’affaire sera appelée devant la cour le jeudi 2 juin 2022 pour la mise en état de l’affaire.

J’ai eu l’occasion d’en parler dans une émission de Radio Plus et j’avais dit que le Commissaire de Police en tant que Responsible Officer de la force policière se doit d’exercer son pouvoir disciplinaire sur ses subordonnés, faute de quoi il serait lui-même passible de procédures disciplinaires. L’on voit aujourd’hui que ce n’est pas un point de vue purement académique, comme on a pu le penser, à tort.

* Il semble que le Commissaire de Police ne serait pas dans une position d’exercer quelque pouvoir ou contrôle sur le CID/CCID, dont le chef serait nommé par le PMO. Est-ce normal?

Je ne suis pas au courant de cela, mais ce dont je suis au courant, c’est ce que la loi prévoit.

La section 71 (2) de la Constitution prévoit que ‘‘The Police Force shall be under the command of the Commissioner of Police’’, et la section 72 (4) dispose:‘‘Nothing in this section shall be construed as precluding the assignment to a Minister of responsibility under section 62 for the organisation, maintenance and administration of the Police Force, but the Commissioner of Police shall be responsible for determining the use and controlling the operations of the force and, except as provided in subsection (3), the Commissioner shall not, in the exercise of his responsibilities and powers with respect to the use and operational control of the force, be subject to the direction or control of any person or authority.”

C’est cela qui engage constitutionnellement la ‘command responsibility’ du Commissaire de Police. La doctrine de la responsabilité du commandement postule que, lorsqu’un général ne parvient pas à prévenir, réprimer ou punir efficacement les crimes de guerre de ses subordonnés, le général peut être puni pour les crimes de guerre perpétrés sous son commandement.

C’est le Commissaire de Police qui est responsable du contrôle des opérations de la Force. Peu importe les arrangements administratifs qui pourraient avoir cours au sein du CID ou CCID, le Commissaire de Police est bel et bien responsable des agissements de tous les policiers qui sont sous ses ordres, qu’ils soient en uniforme ou pas.

Dans l’affaire dont je vous ai parlé, j’ai engagé devant la Cour suprême la responsabilité du Commissaire de Police Nobin, du ministre de l’Intérieur, des chefs inspecteurs du CCID. J’ai invoqué la section 17 de la Constitution suite auxviolations des droits fondamentaux de la secrétaire de l’ancienne présidente de la république qui fut arrêtée par des officiers du CCID et détenue en plein Covid sans pouvoir avoir accès à ses deux avocats le premier jour de son arrestation et de sa détention.

Dans le passé, il y a eu un cas où le Parquet, représenté par Me. Rashid Hossen a refusé de poursuivre un accusé aux assises après qu’il avait été déféré par le magistrat de district au motif qu’il était évident que l’accusé avait été torturé et que des aveux avaient été extorqués par la violence et la torture.

Dans ce cas, Me. Hossen discontinua les poursuites aux assises, et l’accusé fut relaxé. Par la suite, le DPP avait ordonné une enquête judiciaire devant la Cour de Port-Louis à l’encontre des policiers qui furent mis en cause.

Quelle suite fut donnée à cette honteuse affaire ? Nul ne le sait puisque les conclusions des enquêtes judiciaires demeurent secrètes et dorment au fond d’un tiroir dans le bureau du Directeur des Poursuites Publiques.

N’oublions pas que la force policière est une ‘disciplined force‘ et que celui qui en est le Responsible Officer est tenu de faire maintenir la discipline au sein de cette force, faute de quoi il serait lui-même passible de sanctions disciplinaires.

Ce qui fut, malheureusement, le cas à l’encontre du Commissaire de Police Raj Dayal qui fut démis de ses fonctions suite aux procédures disciplinaires prises à son encontre par le Secretary for Home Affairs (‘SHA’) devant un tribunal constitutionnel présidé par l’ancien Chef Juge RajsoomerLallah QC et comprenant les juges K.P. Matadeen QC et P. Lam Shang Leen. Mais le rapport – je le déplore -ne fut, hélas, jamais publié. J’ai l’espoir tenance qu’un jour viendra où il le sera…

* Le Bar Council de même que l’Entente de l’Espoir ont réclamé la mise sur pied d’une commission d’enquête afin de faire la lumière sur ce cas mis à jour depuis samedi dernier et les précédents cas. Qu’en pensez-vous?

Je pense que c’est absolument nécessaire. Le conseil des ministres devrait se saisir de la question, et préparer avec le concours du Solicitor General les attributions d’une telle commission d’enquête.

Je note qu’un avocat du privé (Me. Neelkant Dulloo) a évoqué la responsabilité du Président de la République, celui qui est supposé être, au premier chef, le garant de la Constitution. On attend de lui qu’il se manifeste, ne serait-ceque par un communiqué de la présidence, afin de nous faire entendre qu’il s’en soucie et que cela le préoccupe.

D’autre part, il y a cette Independent Police Complaints Commissionqui a été instituée, à grands frais, pour s’occuper de ce genre de cas. De plus,je note que le leader du MMM a soutenu qu’il est inadmissible que la police enquête sur la police. Faut-il donc que cette commission indépendante, investie de tous les pouvoirs nécessaires, joue efficacement son rôle et le fasse savoir.

L’un de ses responsables vient de communiquer dans la presse écrite (dans Le Défi), cela est un premier pas et devrait rassurer, dans une certaine mesure.

Mais, dans ces trop nombreux cas de barbarie avérés, faut-il encore que cette institution, qui a la chance et le privilège d’avoir Mme Beesoondoyal, former judge, en son sein, sache mieux communiquer et sache se faire mieux entendre et mieux respecter.Il y va de sa crédibilité et, à terme, de sa survie.

Il n’y a pas de place à l’île Maurice pour les « Benallas », celui qui est réputé pour être à l’origine du plus grand scandale du quinquennat du président Macron. Il occupait alors le poste de chargé de mission à l’Elysée en tant qu’adjoint au chef de cabinet, soi-disant en charge de lasécurité.Le 1er mai 2018, dans une vidéo, on le voitintervenir violemment aux côtés des CRS et agresser deux manifestants. Il a été désavoué et il a payé le prix fort pour l’avoir fait. Il faut qu’il en soit ainsi, ici aussi.

A Maurice, certains policiers qui sonten civil se comportent comme des agents politiques et se mettent ouvertement au service soit des membres de l’opposition ou du pouvoir en place, pensant ainsi faire avancer leur carrière aux dépens de leurs collègues. Ceux qui le font, on les connait.S’ils souhaitent le faire, qu’ils le fassent au grand jour et qu’ils aient le courage de rendre leur uniforme.

* En ce qui concerne les allégations des suspects de brutalité policière, je suppose qu’en tant qu’avocat, il vous arriveparfois à devoir faire le tri entre ce qui est fauxou vrai. Qu’en est-il des magistrats et des juges? Sont-ils généralement plus aptes à croire que de telles allégations sont plus probablement fausses que vraies?

Cela dépendde la manière dont l’affaire a été plaidée et les preuves qui ont été administrées devant laCour. On ne peut pas généraliser. Je viens de parler du ProsecutingCounsel, Maitre Rashid Hossen, qui – en son temps – fut à la hauteur de ses responsabilités et de son serment d’avocat dans une affaire d’assises.

Je tiens à préciser, pour la bonne compréhension de vos lecteurs, que les « informal admissions » soi-disant faites verbalement à la police et consignées dans les pocket note books des officiers de police ou dans les diary books ainsi que les aveux consignés par écrit par des recording officers, comme on les appelle, dont certains sont des faussaires patentés, sur des statement pads et ils sont des ‘persons in authority’ et donc assujettis aux « Judges’ Rules » – devraient être soigneusement évaluées en droit et dans les faits par laCour, par les Prosecuting Counsels, par les avocats et par les Police Prosecutors. Certains de ces prétendus aveux sont inadmissibles car ils ne sont pas volontaires.

D’autres ne sont pas crédibles. “They do not carry any weight”.

A titre d’exemple, aux assises, dans l’affaire Regina v Louis Eddy Cader, feu Sir Gaëtan Duval QC décida, après m’avoir consulté, de ne pas objecter à l’admissibilité du soi-disant aveu qui était la seule pièce du dossier sur lequel reposait l’accusationHe merely questioned its weight before the jury by scientific evidence which showed that the alleged time of death in the alleged confession did not tally with the actual time of death, as revealed by the scientific evidence.”

Suite à la brillante plaidoirie de Sir Gaëtan Duval QC et à un‘summing up’ approprié du juge Ahmed, qui présidait aux assises, le jury n’eut aucun mal, dans l’heure, à se mettre d’accord sur un verdict unanime d’acquittement. Cela entraina les pleurs et les gémissements de l’avocate de la poursuite… qui fut par la suite nommée juge. Elle aurait dû pleurer de joie que justice ait été rendue et qu’un innocent ait été acquitté.

Dans notre pays qui se targue d’être un état de droit dans une société démocratique et multiculturelle, on se réjouit rarement qu’un accusé ait été acquitté par ses pairs. Nous avons tous, tant que nous sommes, encore d’énormes progrès à faire dans l’éducation de nos concitoyens, et cela passe par l’éducation de nosélèves dès le cycle pré-primaire.

On devrait apprendre les rudiments du droit aux enfants.

* Un membre de l’opposition, M. EshanJuman, a fait appel au DPP pour qu’il nomme une enquête judiciaire sur ces cas de brutalité policière. Pensez-vous que le DPP puisse également, dans ce cas, intervenir après que de tels faits aient eu lieu?

J’’ai déjà effleuré cette question auparavant. Une enquête judiciaire peut être souhaitable sur une base purement ad hoc quand le DPP souhaite être plus amplement informésur les circonstances d’une affaire, afin de prendre la décision qui convient, c’est-à-dire de poursuivre ou ne pas poursuivre, dans une affaire donnée.Mais pas quand les faits sont avérés et ont été filmés dans de multiples cas par les tortionnaires eux-mêmes.

Cette initiative de ce député du Parti Travailliste, pour aussi louable qu’elle soit, ne peut faire justice à la situation actuelle, à laquelle nous sommes tous confrontés, et qui englobe un grand nombre de cas qui ne sont sans doute que le sommet de l’iceberg. Il nous faut à tout prix une commission d’enquête. Il y va des droits de l’homme et de l’administration de la justice. Il y va de la démocratie et de la réputation de l’île Maurice.

Aux grands maux les grands moyens ! Une telle décision ne peut pas être du ressort du DPP qui n’est qu’un officiel de l’exécutif et pas un élu du peuple. Cela est du ressort du Conseil des ministres, dans son ensemble, qui comprend un nombre appréciable d’avocats, d’un psychiatre, et nondes moindres, et incluantl’Attorney General, qui fut en son temps un membre éminent du Parquet. Ils devraient tous savoir à quoi s’en tenir, quand ils auront des comptes à rendre à leurs mandants.

* Vous disiez auparavant que le CP doit réagir et prendre des actions afin de restaurer la confiance dans la police. Il y a effectivement un déficit de confiance aussi dans d’autres institutions dites indépendantes. On ne sait toujours pas où en sont les enquêtes dans l’affaire St Louis et celle par rapport au meurtre de l’ancien activiste politique SoopramanienKistnen… Est-ce inquiétant pour notre démocratie?

Oui,et c’estla raison pour laquelle il faut y mettre bon ordre, une fois pour toutes, et il faut que le président de la république – avoué de carrière avec une longue et riche expérience derrière lui – et qui se retrouve donc lié par deux serments : celuid’un avoué auprès de la Cour suprême de l’île Maurice et celui de président de la république puisse, avec le concours des membres de l’exécutif, assumer pleinement ses responsabilités de chef d’état.


 

Mauritius Times ePaper Friday 10 June 2022

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