Gare à l’abus de procédures légales !

Demande ex parte

Par Prakash Neerohoo

Tout le monde est déjà au courant de la pratique abusive de charges provisoires dans notre système de justice, lesquelles charges ont pour objet de faire arrêter et incarcérer des suspects, parmi lesquels on trouve souvent des militants des droits humains ou des opposants politiques. Heureusement, les Cours de justice ont rayé ces charges dans certains cas.

Le risque d’abus de procédures légales existe toujours si le judiciaire n’est pas vigilant. La semaine dernière, nous avons eu un exemple de la mauvaise utilisation d’une autre procédure légale, notamment la demande ex parte pour geler les avoirs d’une personne soupçonnée d’être impliquée dans quelque commerce illicite ou perçue d’être de l’autre côté du bord politique.

D’abord, qu’est-ce qu’une demande ex parte ?

En matière de lutte contre la fraude, la corruption et le blanchiment d’argent, la demande ex parte est une procédure utilisée par un organisme de régulation, une autorité fiscale ou une agence d’investigation, pour demander à un juge de lui donner l’autorisation, entre autres :

(a) d’accéder aux comptes bancaires d’une personne soupçonnée d’avoir sous-déclaré ses revenus ou de ne pas les avoir déclarés au fisc ;

(b) de geler les avoirs d’une personne soupçonnée d’avoir accumulé des fonds illicites ou de pratiquer le blanchiment d’argent, et ce, en attendant la fin d’une enquête.

En principe, une demande ex parte est déposée devant un juge par une partie (requérante) en l’absence de la partie suspecte comme une mesure d’urgence pour obtenir des informations d’une tierce partie (par exemple, une banque) sur la partie suspecte ou pour geler les avoirs de la partie suspecte. 

La partie requérante doit exercer une diligence raisonnable avant de faire une telle demande, c’est-à-dire elle doit exercer le degré de prudence et d’attention auquel on peut à bon droit s’attendre de la part d’une personne raisonnable et prudente dans une situation donnée.

Ce devoir de diligence exige que la partie requérante divulgue toutes les informations pertinentes et détaillées au juge afin de lui permettre de prendre une décision juste. En général, un juge sourcilleux, pointilleux acceptera une demande ex parte dans des circonstances exceptionnelles, et non pas pour des raisons frivoles, parce que des droits humains fondamentaux sont en jeu, tels que le droit de la personne de vivre de ses ressources financières ou le droit d’investir ses ressources comme bon lui semble.

Le 5 avril 2023, M. Danesh Ellayah, l’unique actionnaire de DNS International Ltd, une compagnie enregistrée aux Emirats arabes unis, avait fait une demande auprès d’un juge pour qu’un ordre de gel de ses avoirs, émis le 28 mars 2023 par la Cour suprême, soit annulé.

Dans un jugement qui a valeur de jurisprudence, la juge Karuna Gunesh-Balaghee de la Cour suprême a révoqué le 12 septembre 2023 l’ordre de gel des avoirs de M. Danesh Ellayah. Ce dernier avait obtenu un contrat pour fournir des équipements et matériels de sécurité au Bureau du Premier ministre.

Au moment de faire une demande ex parte pour le gel des avoirs du propriétaire-actionnaire sous l’article 27 de l’Asset Recovery Act 2011, la Financial Intelligence Unit (FIU) n’avait pas divulgué le fait que le Bureau du Premier ministre avait fait des paiements de 15 millions de dollars américains (Rs 685 millions) à la compagnie, ce qui équivaut à la non-divulgation d’informations pertinentes à l’appui de la demande ex parte.

 « I am of the considered view that the FIU had an obligation to make a full and fair disclosure while making the Ex-Parte application under section 27. I am accordingly of the view that the information regarding the different payments effected by the Security Division of the Prime Minister’s Office should have been disclosed by the FIU at the time of making the Ex-Parte application », a fait ressortir la juge dans les attendus du jugement.

Selon la juge, les fonds de la compagnie provenaient de sources légitimes. Elle a noté: «Notwithstanding the fact that no copy of any contract awarded to DNS International was produced, there is Prima Facie evidence adduced by the applicants before me which would tend to show that applicants’ respective property is from legitimate sources».

Dans ce cas, la FIU a été désavouée clairement par la juge. Il faut rappeler que depuis janvier 2016, à la suite d’un amendement apporté à l’Asset Recovery Act 2011, la FIU est l’autorité centrale (enforcement authority) chargée d’appliquer le gel des avoirs des personnes dont les fonds proviennent de crimes, dont celui du blanchiment d’argent.

Auparavant, c’était le Bureau du Directeur des Poursuites Publiques qui avait cette responsabilité sous l’article 4 de la loi. Lorsque cette responsabilité avait été transférée à la FIU, on n’en comprenait pas trop les raisons. A posteriori, on comprend mieux ce développement vu les attaques soutenues contre l’indépendance du Bureau du DPP.

Au-delà du jugement, toute cette affaire soulève des questions troublantes.

  1. Comment le contrat de fourniture d’équipements a-t-il été accordé à la compagnie – est-ce un contrat à source unique (sole-source contract) ?
  2. Comment la valeur du contrat a-t-elle été déterminée ?
  3. Quels sont les équipements fournis – équipement et logiciel d’espionnage?
  4. Ces équipements proviennent-ils de l’Etat sioniste d’Israël vu que la compagnie n’est pas un fabricant ?
  5. Qui a autorisé les paiements versés à un compte bancaire aux Emirats arabes unis ?
  6. Pourquoi la FIU a-t-elle décidé d’enquêter sur un fournisseur du bureau du PM ?
  7. Pourquoi la FIU n’a-t-elle pas divulgué toutes les informations pertinentes en Cour suprême ?

Y avait-il des relations de proximité entre le propriétaire-actionnaire et le pouvoir ?


Mauritius Times ePaper Friday 22 September 2023

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