Galère au rendez-vous

Carnet Hebdo

quiconque quitte son pays natal pour s’envoler vers des cieux plus cléments pour des meilleures conditions de vie se fait un devoir
de saisir l’opportunité. D’autres se trouvent pris dans une chute vertigineuse

Par Nita Chicooree-Mercier

Il va de soi que quiconque quitte son pays natal pour s’envoler vers des cieux plus cléments par désir de changement ou pour de meilleures conditions de vie, ou les deux, se fait un devoir de saisir l’opportunité pour mettre ses compétences à l’épreuve. Cet exercice est en soi un défi stimulant qui ouvre autant de portes que l’on souhaite franchir.

Drame sociétal – SDF à La Réunion. P – La Voix du Nord

D’autres prennent le sens inverse de l’ascension verticale et se trouvent pris dans une chute vertigineuse qui annule tout espoir de rentrer au pays natal avec les honneurs. Il se trouve que c’est bien une question d’honneur de réussir ou de s’en sortir à l’étranger pour ne pas perdre la face vis-à-vis de soi-même, de sa famille et de la société. Il existe de cas rares d’échec total chez nos compatriotes à l’étranger. À l’instar de ce musicien très doué des faubourgs de Port-Louis qui a terminé la transition migratoire en mendiant dans le métro parisien.

Mais passons à l’histoire d’un autre Mauricien, devenu SDF à La Réunion. Mauricien au regard perçant, passionné de politique internationale et de géopolitique, vêtu d’habits sales et usés comme un clochard, il fréquente aussi la bibliothèque des villes avoisinantes, changeant l’une pour l’autre au gré des querelles avec les employés envers lesquels il se montre agressif et menaçant. Mais ma première communication avec lui n’est pas facile.

« Ce n’est quand même pas malin de chercher noise à d’autres et de se faire jeter ! » lui dis-je.
« Ces femmes me prennent de haut et ignorent ma requête ! », rétorque-t-il.
« Allons, allons ! Vous vous emportez facilement, il faut avouer ! », je lui réponds.

Et c’est sans retenue que les gros mots en créole mauricien sont égrenés lorsqu’il fait le récit des prises de bec avec ceux qui l’ont offensé.

On le croise aux ronds-points ou dans les marchés, un écueil à la main.

« Je vous ai vu en ville l’autre jour. Vous aviez les yeux rouges, et vous marchiez lentement. Manque de sommeil ? », je lui demande.
« Non, c’est la faiblesse…, et, à cause de la faim… », ajoute-t-il avec pudeur.

D’habitude, les échanges se terminent par sa requête : « Tu as quelques pièces à me donner ? »

Vishal ne veut ni de la pitié des autres ni des vêtements déjà portés. C’est le seul SDF qui, visiblement, fait aussi de l’artisanat en bambou pour en vendre. Son projet de longue date : écrire un livre sur le « cirque » des leaders sur la scène internationale.

Si quelqu’un s’aventure à lui parler d’un retour à Maurice, il dit : « Hors de question, pour faire quoi ? »
« Ben, c’est quand même mieux de trouver un travail et de vivre décemment, non ? », lui répond-on évidemment.

Toutefois, la famille inexistante à Maurice, il ne s’intéresse ni aux affaires de la communauté hindoue, ni à l’hindouisme, ni à l’Inde.

Il dévoile un pan de sa vie : « J’étais tellement pauvre dans mon enfance dans une cité à Maurice que c’était une dame créole qui me donnait à manger. À La Réunion, j’ai épousé une Créole. »

Il y a quelques années, un éboulement a fait tomber un rocher de quelques tonnes sur la voiture de sa femme. Le drame. Cet évènement malheureux marquerait-il le début de sa chute ?

Les dents cassées de ce visage aux yeux brillants renvoient à un autre évènement dramatique : c’est un voisin qui a commandé une expédition punitive contre lui à travers la location des services d’un gang… pour une histoire de filles. Ah ! Voilà un conflit réglé selon les usages bien ancrés à Maurice d’aujourd’hui : colère, vengeance, passage à tabac.

« Tu sais, j’étais beau garçon auparavant. La séduction était facile pour moi. » avance-t-il.

Des vérités mêlées de bluff, les bribes çà et là, permettent de se faire une idée de la vie de notre compatriote. Il n’a pas de mots tendres pour son agresseur qui a ensuite piraté son téléphone et le harcèle continuellement par des messages débiles.

Le Mauricien suit une courbe régressive, incapable de raisonner, facilement emporté par les émotions, les nerfs à vif. Qui s’y frotte, s’y pique. Et si cela s’arrêtait là !

Quelques commentaires sur Facebook au sujet de la religion lui ont attiré la foudre d’une armée de guerriers du clavier, coléreux et haineux, qui piratent encore plus son téléphone, sa boîte de courriel et son compte sur les réseaux sociaux.

« Bande de m……, » maugrée-t-il entre deux bouffées de cigarette.

Il continue sur sa lancée : « Tu sais, les mêmes éléments que comporte la nature se trouvent en nous. La pierre est aussi vivante que nous, même si nous sommes différents. Nous faisons partie d’un tout. Chacun approche le Divin à sa façon. En quoi les statues les dérangent-elles ? Nous sommes dans un univers en perpétuelle transformation. C’est un jeu…? »

« Vous êtes bien hindou, finalement… », je lâche sur un ton de plaisanterie.

Cheveux hirsutes, visage ébouriffé, le regard perçant, à défaut de tonneau, ce Diogène en apparence ou plutôt cet anti-Diogène émerge des sous-bois du quartier, le soleil du matin inondant un visage optimiste, loin de la philosophie des Cyniques au 4ème siècle avant notre ère en Grèce.

Bah ! Avec environ Rs 20 000 d’aide aux démunis offerte par l’État français, il revient tout juste d’un voyage à Madagascar, où il a attrapé le paludisme et le diabète en prime, les malheurs s’enchaînant toujours en série, … mais il a toujours des projets en tête… Les quelques 20 euros par jour versés par les passants assurent ses besoins alimentaires quotidiens. L’an dernier, il s’est rendu en France.

Il a surtout besoin d’encouragement. S’il est sujet au cycle de 7 ans (de vie difficile), avec un peu de patience, ce sera bientôt la fin de la galère.

          * * *

Musique en beauté

En ces temps où les trompettes des va-t-en-guerre résonnent sur la scène d’un monde polarisé en camps adverses se regardant en chiens de faïence, prêts à s’entre-déchirer, le septième art accomplit fidèlement sa mission de nous élever jusqu’aux étoiles, au-dessus du bruit et de la fureur. Cette mission est doublement réussie lorsqu’une cinéaste porte à l’écran la vie et le chef-d’œuvre d’un grand maître de musique classique, le « Boléro » de Maurice Ravel.

La cinéaste Anne Fontaine entraîne le spectateur dans l’univers d’un génie en retraçant la genèse d’une œuvre dans un film tourné en partie dans la maison de Ravel à Montfort-l’Amaury, à Paris. La commanditaire de l’œuvre musicale est Ida Rubeinstein, riche et exaltée ex-danseuse des ballets russes, qui exige une musique de caractère espagnol pour son nouveau ballet. Ainsi, le spectateur est plongé dans le parcours intime de l’auteur-compositeur et assiste au processus invisible de la création d’une œuvre accouchée dans la douleur.

En effet, Ravel donne l’impression d’être hanté par la difficulté de mettre en musique l’œuvre dont il tire l’inspiration des différentes sources : le bruit des machines à l’ère industrielle, le jazz et la guerre de 14. Et, une fois l’œuvre terminée, il en est tétanisé tant par l’intensité et le caractère érotique et sensuel de ce qu’il voulait être : une allégorie à la vie qui se termine dans la transe et le chaos. Le rythme infernal des machines, le fracas de la guerre et le jazz fusionnent pour créer le tempo infernal et obsédant de « Boléro », que l’ex-danseuse russe met en scène dans un ballet lancinant et hypnotique.

Ravel assiste à la première de « Boléro » le 22 novembre 1928 à Paris, une œuvre qui connaît un succès immédiat et planétaire. Interprété par le beau Raphaël Personnaz dans le rôle du dandy parisien qui, outre son ami Cipa, évolue dans un univers féminin composé d’une mère bienveillante, de sa gouvernante, et de sa muse et compagne de cœur.

Marié à la musique, Ravel reste une personnalité mystérieuse. Des scènes sont proposées où figurent Ravel et sa mère, ou Ravel et sa gouvernante et d’autres personnes de son entourage ; ils se regardent comme des tableaux, ce sont des arrêts sur l’image. Nous y décelons la technique de filmer du cinéaste hongkongais, Wong Kar Wai. Son influence est visible dans le rythme langoureux et dans la manière de filmer la nuque et les mains des femmes.

Ainsi, le cinéaste asiatique a laissé des traces sur ses contemporains en Europe. Et c’est tant mieux pour le bonheur des cinéphiles. Le septième art au service de la grande musique classique est transcendant et exaltant.

Dans un de ses moments de tergiversations et de doute, le compositeur avoue à peu près en ces termes: « Ce n’est pas moi qui décide, c’est la musique dans ma tête. »

Les génies seraient-ils les Instruments des dieux? Une fois leur mission pour laquelle ils sont envoyés sur terre est accomplie, les dieux les reprennent trop tôt, non sans leur avoir infligé une maladie foudroyante, presque jaloux de leur talent et de leur réussite…


Mauritius Times ePaper Friday 22 March 2024

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