Entre Rêves et Réalités

Une cacophonie de rêves discordants se heurte dans un vacarme assourdissant sur la belle avenue de Paris, ce qui fait la une des actualités depuis bientôt trois semaines. Avec des solutions dans la poche : il n’y a qu’à et il faut qu’on…

By Nita Chicooree-Mercier

L’absence de véritables intermédiaires entre les élus et le grand public en temps de mécontentement est susceptible d’ouvrir la voie à toutes les dérives. Selon les pays, cet espace de non-communication est vite occupé par des groupes qui aspirent à gouverner et ils font miroiter devant le public d’autres modèles de développement et de gouvernance.

Plus d’un public crédule à travers le monde s’est fait piéger par des prophètes d’une vaine utopie qui, aussitôt élus, dévoilent leur incompétence d’architectes de châteaux de sable. Ici, on fait miroiter une répartition démesurée des richesses avec l’argent des autres, et là, on prétend combattre la corruption et les inégalités par une théocratie ressortie des tiroirs poussiéreux d’un autre temps et présentée avec un masque humain affublé d’un discours moralisateur et bienveillant.

Pris au piège, le public assiste, désabusé, à un changement de costume dissimulant mal l’incapacité à répondre à ses besoins. Et, pire encore, dans certaines contrées – où, depuis des siècles, le public est sommé de se taire – à la place d’une vie meilleure et plus de liberté, avec en prime le retour d’un ordre moral et une autorité bienveillante, le public a assisté au bal sanguinaire des faux prophètes qui ont mis une chape de plomb sur tous les aspects de leur vie sociale, privée et économique.

Et, en étouffant toute contestation dans le sang, ces prophètes de malheur se sont toujours bien arrangés pour se tailler une espérance de vie très longue… jusqu’à ce qu’on les démasque. Or, le rôle de tout public éclairé est de démasquer les charlatans et les marchands d’utopie salvatrice.

La chasse aux coupables s’enclenche d’une manière mécanique au moindre grognement. Tantôt un modèle économique sous stricte surveillance des gouvernants et profitant à une poignée d’affairistes proches du pouvoir, tantôt le modèle ultralibéral qui libère les énergies créatrices et rapporte gros aux plus innovants et dynamiques d’une société qu’on accuse de tous les maux. Toutefois, c’est aussi celui qui fait profiter le reste de la société par la création d’emplois et un meilleur niveau de vie. Ou alors, il y a l’autre extrême des modèles stagnants et autoritaires, peu favorables à l’entreprise libre, et qui poussent le peuple à fuir vers d’autres pays.

Tantôt une vision simpliste pointe du doigt les super riches qu’on somme de remplir davantage les coffres de l’Etat, et il y a aussi d’autres responsables dans les grandes démocraties : l’ampleur des dépenses publiques et la cohorte des commis de l’Etat à tous les niveaux, dernier bastion d’un socialisme qui n’est pas au goût de tout le monde… Et parmi les plus aguerris des chasseurs de tête, la Finance Internationale figure en haut de la liste des coupables à abattre, et réveille le vieux démon raciste en Europe et auquel fait écho d’une voix haineuse et meurtrière ces milliers d’immigrés qui, sur ce plan, se retrouvent bien sur la même longueur d’onde avec les mécontents d’Europe.

Comme si pour certains, une autre identité ethno-religieuse, de préférence de leur propre clan, de ceux censés régner sur le sort de la finance mondiale changerait la donne. Une convergence des extrêmes lance du même bord un regard de mitraillette vers les acteurs de la mondialisation, tenue pour responsable des difficultés économiques que les gouvernants cherchent à résoudre tant bien que mal.

Une cacophonie de rêves discordants se heurte dans un vacarme assourdissant sur la belle avenue de Paris, ce qui fait la une des actualités depuis bientôt trois semaines. Avec des solutions dans la poche : il n’y a qu’à et il faut qu’on…

Chiffres à l’appui, certains réclament le rétablissement de l’Impôt sur la Fortune, l’ISF, une taxe symbolique que seule la France a appliquée en Europe, et qui a fait fuir les plus fortunés, artistes et industriels, qui estiment qu’ils ont le droit de conserver les fruits de leur talent et leur capacité de travail et d’innovation.

Taxez davantage les multinationales, crie-t-on à gorge déployée. Les milliards pourraient servir à une hausse des bas salaires, une baisse des taxes sur les produits de grande consommation, le financement des pensions ; les aides sociales pour le logement, les chômeurs, les étudiants, les handicapés et les plus vulnérables qui comptent sur l’aide de l’Etat.

Remontés à chaud par le discours des Che Guevara des temps modernes, certains rêvent de Venezuela du temps de Hugo Chavez, tandis que l’autre extrême aspire à rétablir les frontières d’autrefois et à reconquérir la souveraineté politico-économique du pays et ils profitent de la révolte des Jaunes pour s’adonner à une folie destructrice des biens et patrimoine de leur capitale d’une violence inouïe, choquante et inadmissible.

Les cours de civisme dispensés par l’Education nationale partent en fumée. Peu glorieux pour l’image de France. Le 14 juillet dernier, c’étaient les casseurs de banlieue qui piétinaient le drapeau du pays d’accueil de toute leur haine maladive, image choquante et troublante qui a marqué les esprits.

Ceux de l’extrême-droite ont le jeune Président Macron dans le collimateur depuis un moment, et en plus de lui avoir adressé des menaces de mort, ils s’impatientent de le déloger de l’Elysée en brandissant le tricolore, et emboîter le pas d’une extrême-droite qui gagne du terrain en Europe et à laquelle l’Espagne vient de se joindre à petits pas. Déterminés à lui donner du fil à retordre, ils sont bien partis pour le faire voir rouge pour longtemps.

Dans l’ensemble, c’est le pouvoir de vivre correctement qui est réclamé, un niveau de vie plombé par un rétrécissement de la retraite, une taxe pénalisante des carburants, et la taxe d’habitation réduite et bientôt supprimée compensant les pertes, ce n’est pas tenu en compte dans le calcul des revendications.

Agriculteurs, éleveurs, lycéens et tout un beau monde ont été invités à porter leur voix dans les rues. Les revendications sont légion. Où trouver l’argent ? Certes, sur la toile bien cirée de l’internet, la vente des multinationales explose sans payer les frais de passage chez les autres. Phénomène révoltant pour beaucoup. Autre épouvantail, la désindustrialisation – résultat de l’économie mondialisée.

Mais la mondialisation sollicite des rajustements intelligents des uns et des autres. Combien seront-ils à acheter local plus cher mais moins souvent ? Produits agricoles du terroir et de meilleure qualité mais à un prix plus élevé ? Chaussures de marque tant prisées par les classes populaires de fabrication locale au lieu de profiter de l’exploitation du travail des enfants en Asie ? Chemises et polos de marque que la classe moyenne paierait plus cher, autres tee-shirts fabriqués ailleurs dont raffolent les ados, vêtements pour tous importés par containers pleins à craquer en provenance de Thaïlande ou de Chine, meubles d’ailleurs, entre autres ?

Une logique de compétitivité implacable laisse peu de marge de manœuvre aux entreprises si elles espèrent survivre. D’autre part, le découragement des entreprises locales qui jettent l’éponge face à la concurrence des prix et diminuent les opportunités de création d’emploi. La mondialisation a sorti bien des pays de la misère mais engendre des dommages collatéraux aussi. Bizarrement, l’argument de la transition énergétique a été mis en avant en France, par exemple, sans que l’industrie automobile française ait investi massivement dans la fabrication des véhicules électriques.

L’exemple chinois d’un développement industriel fortement subventionné par l’état n’est pas préconisé non plus. La politique commerciale du président Trump à trouver un accord favorable avec le Canada et le Mexique pour redynamiser le secteur agricole et les produits laitiers de son pays est appréciée par ses mandants, ce qui est logique, mais décrié ailleurs. A long terme, une dépendance moindre sur le pétrole apporterait des avantages sur le plan économique et écologique dans bien des pays.

Autre épouvantail qui pose problème est le taux d’intérêt imposé par les banques. Le logement est un véritable casse-tête des ménages et on ne prête pas facilement à ceux qui ne possèdent rien et touchent un salaire insuffisant. Le hic, c’est que le Gouvernement n’y est pour rien. C’est un véritable scandale dans les petits pays comme Maurice même pour la classe moyenne compte tenu des taux élevés pratiqués par les banques et le prix des terrains. Changer l’autonomie des banques ?

Conserver un modèle français généreux qui a apporté la paix sociale et a assuré une des meilleures qualités de vie au monde est un rêve et un véritable défi. Sur le plan international, tout le monde se plaint de la vie chère, et on a tendance à oublier que la Terre nourricière est à bout de souffle et qu’une démographie galopante n’est point souhaitable. Diminuer la consommation de viande pour les uns et les autres éviterait bien du carnage et protégerait l’environnement tout en économisant de l’espace.

Les industriels de l’agro-alimentaire prévoient d’autres modes innovants et concentrés de s’alimenter, et les grandes surfaces seront amenées à disparaître à l’avenir. Autant dire que s’adapter à de nouvelles réalités invite à revoir les rêves dans un autre contexte.


* Published in print edition on 7 December 2018

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