‘En se présentant seul aux élections, le MMM jouerait gros. Au mieux, le MMM obtiendrait 5 ou 6 députés’

Interview : Steven Obeegadoo – Plateforme militante

« Alliance rime avec mésalliance et désalliance… une véritable malédiction »

‘Il se pourrait que l’établissement d’une dynastie politique soit sa seule chance de survie pour le MMM lorsque Bérenger ne sera plus en position de le diriger…”

‘Le problème pour Bérenger, puisque c’est lui qui décide de tout au MMM, c’est que ni le PTr, ni le MSM ne peuvent se permettre de le présenter comme l’acteur principal…’

Partout dans le monde, les gens s’impatientent car le renouveau politique n’est pas au rendez-vous. Parfois, l’espoir est mis sur un leader mais le désenchantement arrive relativement vite… Qu’en est-il à Maurice ? Est-ce que des partis comme la Plateforme militante pourrait faire la différence et, si oui, comment ? Nous avons proposé à Steven Obeegadoo, l’un des animateurs de la Plateforme militante de nous éclairer sur ce point en définissant les grands axes de réflexion et les propositions pour les prochaines élections générales.


Mauritius Times : On vit présentement dans le calme sur le plan politique. On a l’impression que presque toutes les formations politiques sont en mode d’attente – quoi qu’il soit probable que les choses sérieuses se discutent dans la discrétion, ce qui retarderait une décision finale du chef du gouvernement quant à la tenue d’une partielle ou des élections générales. A quoi s’attend la Plateforme militante ?

Steven Obeegadoo : Selon la loi du pays, l’Assemblée nationale « stand(s) dissolved » cinq ans, jour pour jour, suivant sa première réunion après les dernières élections générales, donc le 22 décembre 2019. Toutefois, suite à la démission de Vishnu Lutchmeenaraidoo, une élection de remplacement doit se tenir au plus tard le 17 novembre 2019, à moins que le parlement ne soit dissout avant cette date. Une fois l’Assemblée dissoute, les élections doivent être tenues dans un délai maximal de 150 jours.

 Par ailleurs, tenir une élection partielle à moins d’un an des élections générales à Maurice est un bien trop grand risque à courir pour n’importe quel gouvernement. Une défaite lui serait fatale, comme nous l’enseigne l’Histoire politique de notre pays, et le Premier ministre le sait. Donc je considère que même si le Premier ministre, pour entretenir le doute, fait émettre le « writ of election » pour une partielle au No. 7, et que les candidats soient désignés, la dissolution du parlement interviendra avant la partielle, comme en 1987. Dès lors, les élections générales devront se tenir au plus tard en mars 2020.

Toutefois, une seule fois, un gouvernement a tenté de tenir au-delà des cinq ans de son mandat. C’était en 1982, et Sir Seewoosagur Ramgoolam en paya le prix : ce fut le premier 60-0 de notre histoire. Encore une fois, le Premier ministre le sait. Je suis donc convaincu que les élections se tiendront au plus tard en décembre de cette année.

Le Gouvernement misera bien évidemment sur les dividendes découlant de son dernier budget de juin prochain ainsi que de la complétion de certains projets infrastructurels majeurs tels que le Métro Express, qui interviendront, dit-on, d’ici octobre 2019. Si l’on considère que les élections ne se tiennent pas en octobre ou en novembre à cause des examens scolaires, il me semble probable que le pays sera rappelé aux urnes vers la fin de l’année.

* Presque toutes les élections que le pays a connues, depuis l’Indépendance, ont été gagnées par des alliances car aucun parti n’a été suffisamment fort pour gagner seul ces élections. Voyez-vous les choses évoluant différemment cette fois-ci au regard du nouveau contexte politique opposant le PTr au MSM, ce qui sied parfaitement aux ambitions politiques du MMM ?

J’en doute. Le First Past The Post et les pesanteurs sociologiques du contexte social mauricien ont jusqu’ici condamné les forces politiques prétendant à une victoire électorale à s’allier les uns aux autres. Une fois le gouvernement formé, à la suite des élections, la concentration des pouvoirs entre les mains du premier ministre, donc d’un des partis alliés, aux dépens des autres partenaires rend difficile la survie d’une coalition gouvernementale.

C’est ainsi que – sauf pour les périodes 2000-2005 (formule de partage à l’israélienne) et 2005-2010 (le partenaire minoritaire se résignant à une position de subordonné)- , aucun gouvernement de coalition n’aura duré un mandat. C’est là sans doute une des contradictions fondamentales du système politique mauricien ! Il faut s’allier pour gagner mais, une fois au gouvernement, le système ne se prête pas à un partage des pouvoirs qui sied à une coalition.

Moyennant que le seuil des suffrages permettant d’obtenir un député n’excède pas les 5%, la proportionnelle peut encourager les partis à contester les élections indépendamment de toute alliance et, par la suite, constituer une majorité du gouvernement reflétant leurs forces relatives en termes de votes obtenus. Mais sans doute y aurait-il un risque d’instabilité là aussi, d’où le système mixte proposé par Sachs et d’autres.

Aux prochaines élections, ni le PTr, ni le MSM et encore moins le MMM ne peut prétendre remporter seul une majorité de sièges des députés. Mais le MMM pourrait être tenté de tenter sa chance en solo, espérant ainsi devenir un partenaire obligé pour constituer une majorité, comme dans le cas du PMSD avec une poignée de députés en 1976.

* La tentation de faire cavalier seul sera effectivement très forte au sein du MMM ; c’est ce que souhaite, parait-il, la majorité des militants. Pour l’avoir côtoyé et vu de près l’évolution de ses stratégies politiques au fil des années, croyez-vous que Paul Bérenger soit capable de prendre ce pari – un pari risqué au vu des résultats de la partielle au No. 18 ?

Il y a, aujourd’hui au MMM, deux tendances. Celle, essentiellement urbaine, espérant profiter du combat sans merci opposant le MSM et le PTr pour devenir le joker, arithmétiquement parlant, après les élections. Et l’autre, rurale mais pas seulement, considérant cette voie comme suicidaire. L’électorat résiduel du MMM, comme ses activistes, est complètement divisé, d’où le dilemme du leader qui sait que, qu’elle que soit la voie qu’il choisira, une partie de son électorat de 2014 ne le suivra pas.

* Mais il faut aussi admettre que Paul Bérenger se trouve confronté à des choix cornéliens : se présenter comme candidat au poste de PM dans une lutte à trois constitue un pari très risqué ; céder aux exigences du MSM visant à l’exclure du conseil des ministres serait suicidaire pour le MMM. Qu’en pensez-vous ?

Le problème pour Bérenger, puisque c’est lui qui décide de tout au MMM, c’est que ni le PTr, ni le MSM ne peuvent se permettre de le présenter comme l’acteur principal d’une coalition sous peine de perdre une part de leur électorat. C’est triste de constater que Bérenger n’a jamais été aussi discrédité qu’aujourd’hui.

* N’a-t-il vraiment rien à perdre, comme le pensent certains observateurs politiques, si les négociations avec le MSM ne se concrétisent pas ?

J’ignore si négociations il y en a et j’en doute, vu les propos que tient ces jours-ci le leader du MSM à l’encontre du parti mauve. Mais, en se présentant seul aux élections, le MMM jouerait gros. Au mieux, le MMM obtiendrait 5 ou 6 députés mais il risquerait aussi de se retrouver sans un seul élu !

* Que des négociations avec le MSM se concrétisent ou non, que le MMM puisse remporter les prochaines générales « seul contre tous » ou en alliance avec un autre parti, il faudra bien penser à l’après-Paul Bérenger. Vous aviez sans doute bien réfléchi à la question lorsque vous étiez au MMM, n’est-ce pas, puisque la dynastie n’était alors pas à l’ordre du jour ?

Le MMM, et je le regrette profondément, n’est plus que l’ombre du grand parti de gauche qu’il fut et auquel j’ai appartenu durant de longues années. Notre exclusion du parti a fait s’évanouir tout espoir de réinventer et de relancer le MMM.

En 2019, ce parti au passé glorieux ne pense que par Bérenger et n’agit que pour Bérenger. En cela, il est désormais un parti traditionnel comme les autres.

L’après-Bérenger, je préfère ne pas y songer tant les perspectives sont sombres. Il faut bien comprendre que presque tous ceux qui sont restés au MMM sont des Bérengistes de la tête aux pieds sans aucune identité indépendante de leur leader et sans capacité de réflexion critique. Dans ces circonstances, il se pourrait bien que l’établissement d’une dynastie politique soit sa seule chance de survie lorsque Bérenger ne sera plus en position de le diriger.

* Par ailleurs, il n’y a que les deux grands partis du pays, le PTr et le MMM qui peuvent affronter les élections générales seuls, ou diriger chacun une grande alliance comprenant les autres petits partis. L’Alliance Lepep, avec le MSM à sa tête, s’est concrétisée dans un contexte politique exceptionnel. Quelles sont les options possibles pour le MSM, selon vous ?

Il est difficile de saisir la stratégie du MSM. L’Histoire nous enseigne qu’aucun gouvernement n’a été capable de gagner une élection générale uniquement sur son bilan. L’Alliance Lepep n’est plus. Le PMSD est parti ; le ML n’a pas de réel soutien au-delà d’une ou de deux circonscriptions ; et SAJ ne sera pas candidat. Il me semble que le MSM n’a d’autre choix qu’une alliance.

* Et la Plateforme militante et son rapprochement avec le Mouvement Patriotique ? Où en est-on concrètement ?

Le MP, comme la Plateforme militante, est issue du MMM. Nous sommes « militants » au sens de citoyens engagés ayant une idéologie de transformation sociale en partage, voulant permettre à notre pays de tirer le meilleur de l’avenir en créant une société équitable et écologique. Nous cherchons à redonner espoir à cet électorat orphelin du MMM mais aussi aux déçus de la politique de tout âge.

Il était donc logique que nous regroupions nos forces pour être plus efficaces sur le terrain. Après des congrès très réussis à la Tour Koenig et à Mahebourg, nous serons cet après midi (vendredi 26 avril) à Carreau Lalo, au No.4, avant de rendre hommage, ensemble, aux grandes figures de l’histoire de la lutte des travailleurs mauriciens, le 1erMai. Notre regroupement est en soi un acte foi en l’avenir.

* Selon certaines rumeurs les dissidents MMM y compris ceux de votre plateforme seraient en mode “koze-kozé” avec le PTr. Sachant qu’en 2014, l’électorat MMM avait massivement rejeté l’alliance avec les rouges, pensez-vous que votre base électorale majoritairement mauve vous suivra en cas d’alliance ou d’entente électorale avec le PTr?

Il n’y a aucune alliance, ni avec le PTr, ni avec le MSM, en gestation. L’idéal serait que les partis représentés au Parlement, s’accordent sur une réforme électorale permettant d’éliminer l’obligation ancrée dans le système politique de s’allier pour gagner. Dans le contexte mauricien, alliance rime avec mésalliance et désalliance… une véritable malédiction à laquelle l’on ne semble pas pouvoir échapper. Aux parlementaires d’assumer leur responsabilité devant l’histoire !

* Mais le jeu d’alliances étant ce qu’il est, et tout étant possible en politique à Maurice, comme le disait SSB, un retour de ses dissidents au bercail du MMM, cela est-il dans le domaine du possible? Quelles seraient éventuellement les conditions de cette démarche?

 Bérenger ne connaît pas le sens du terme conciliation et encore moins celui de réconciliation. Ce qui a pour conséquence d’exclure tout espoir de reconstruire le MMM historique, comme le souhaitent la base du MMM et tant de mauriciens.

A travers le regroupement avec le Mouvement Patriotique, c’est l’unité dans l’action des militants que nous recherchons avec pour objectifs la justice économique, la justice sociale et la justice écologique. Je m’explique. Nehru (que je relis en ce moment) écrivait, en son temps, que « the boundaries of democracy have to be widened so as to include economic equality ».

Je considère, qu’en notre temps, face aux incertitudes climatiques créées par les riches et les puissants de ce monde et dont la petite Ile Maurice est déjà victime, la justice écologique est une revendication démocratique incontournable. Mais encore faut-il savoir l’articuler dans notre programme politique pour que les plus pauvres (avec ou sans gilets jaunes…) ne portent pas le fardeau de la transition énergétique, par exemple.

De manière générale, il nous faut aller au-delà de la politicaille et confronter les dangers qui nous guettent : les inégalités sociales grandissantes et la précarité de l’emploi, le changement climatique et les pluies torrentielles qui sont devenues une partie de notre quotidien, la démocratie tenue en otage par le pouvoir corrosif de l’argent, l’espérance et la qualité de la vie menacée par l’obésité et les maladies chroniques tributaires de la malbouffe et l’usage des drogues, l’emprise de la violence dans la vie quotidienne…

* C’est très bien, mais on peut supposer qu’il est autant difficile pour un groupe de dissidents comme la Plateforme militante de se faire une place sur l’échiquier politique suivant une rupture avec un grand parti comme le MMM que de cohabiter avec d’autres formations politiques telles que le MP, le PMSD, etc., dans une grande alliance en opposition avec le MMM ou le PTr pour diverses raisons, non ?

La difficulté pour une nouvelle organisation politique comme la nôtre est très réelle. D’abord parce que les médias traditionnels sont, en grande partie, acquis aux partis traditionnels. Ensuite, parce que la publicité s’achète et que la politique est devenue plus que jamais auparavant une affaire de gros sous. La Plateforme militante n’a d’autre source de financement que ses membres. Mais nous sommes animés d’un optimisme de la volonté.

 * Qu’on veuille faire la politique différemment ou devenir « la boîte à idées pour révolutionner la politique et renouveler la démocratie mauricienne », comme vous le disiez dans une précédente interview au Mauritius Times, il faut bien que l’électorat suive… Or cet électorat n’a cesse de soutenir les partis ‘mainstream’ et les ‘grands’ leaders d’une élection à l’autre. Ça doit être très frustrant, n’est-ce pas ?

C’est la rencontre de conditions objectives d’un contexte socio-économique particulier et de conditions subjectives fondées sur une renouvellement de l’offre politique qui permet l’émergence d’une force politique différente, comme en 1969 pour le MMM.

Les conditions objectives ne dépendent pas de nous mais nous misons sur une action volontariste sur le terrain et sur un éventail d’idées nouvelles pour réinventer la démocratie mauricienne.

C’est toujours le Pandit Nehru qui disait : “Life is like a game of cards. The hand you are dealt is determinism; the way you play it is free will.”

* Et quelles sont ces idées que vous proposez?

Nous constatons une crise profonde du modèle de représentation politique comme en témoignent les taux d’abstention sans cesse croissants aux élections (25% en 2014 et 45% en 2018) et la désaffection généralisée par rapport à la politique et aux politiciens.

La Plateforme militante propose donc, par exemple, la révocabilité des députés, et la limitation des mandats du Premier ministre et du Président, ce dernier ne pouvant retourner à la politique active et partisane. Qui plus est, nous préconisons l’instauration d’un parlement à mandat fixe, avec une Commission électorale renforcée décidant de la date des élections. Nous avons élaboré des propositions précises pour le contrôle démocratique de l’exercice du mandat de députés avec réduction de salaires, obligation de présence à l’Assemblée nationale et d’accessibilité.

La Plateforme militante recherche la mise en place d’une démocratie participative reposant sur les technologies nouvelles de l’information et de la communication. Autrement dit, l’E-democracy ou la cyberdémocratie qui consacrerait le remplacement de l’impunité des élus et du gouvernement cinq ans durant par le droit de regard citoyen ainsi que le recours au référendum à l’initiative du public.

D’importance capitale est l’offensive que nous prônons contre le “money politics” en réduisant les sources de dépenses des candidats (ex: interdiction du transport des électeurs et de la rémunération d’agents) ainsi que le montant des dépenses autorisées elles-mêmes. Nous demandons l’interdiction du financement par les entreprises et la limitation drastique des dons individuels accompagnée d’un nouveau mécanisme de financement de la démocratie. Il est impératif de rétablir le principe fondateur de la démocratie: Une personne, une voix.

Autre idée novatrice: la parité entre femmes et hommes au parlement comme au gouvernement et au sein des conseils d’administration du secteur privé d’ici 2030.

Je vous expose quelques unes d’une nouvelle approche qui vise à réintroduire le citoyen dans la politique d’où il est absent entre deux élections. Le système politique hérité du colonialisme date de très longtemps alors que le monde du 21ème siècle exige le renouvellement du “logiciel de la représentation”.

Le citoyen instruit pourrait désormais, par le biais de la technologie, s’investir dans la gestion de la société. Des expériences récentes à travers le monde nous permettent d’entrevoir de quoi sera fait la démocratie de demain. Faire vivre et revivre la démocratie, face au spectacle affligeant qu’offrent les guéguerres politiciennes, exige de penser autrement et voir loin. Et joindre l’acte à la parole afin que demain soit différent.

Pour reprendre les paroles d’Arundhati Roy: “Another world is not only possible, she is on her way. On a quiet day, I can hear her breathing!”


* Published in print edition on 26 April 2019

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