Elections générales : « Je vois comme deux élections en une

Interview : Jean Claude de l’Estrac

… une lutte serrée entre le MSM et le PTr en régions rurales ; des joutes très ouvertes dans les circonscriptions urbaines »

‘La grosse incertitude étant le score que fera le MMM, et dans deux ou trois circonscriptions ce que sera le positionnement du PMSD’


Une période pré-électorale est un moment fort pour les différents partis politiques en lice. Le choix des candidats est un enjeu majeur ainsi qu’une réflexion approfondie à propos des alliances possibles et des alternatives. Bien entendu, la campagne électorale repose sur le mode de communication qui sera mis en place et les financements qui y seront injectés. En outre, depuis les premières élections législatives, l’électorat a émis plusieurs signaux pour bien faire comprendre aux hommes et aux femmes politiques que la masse n’est plus dupe des stratégies employées pour tromper le peuple. Dans ce sillage, nous vous proposons de lire les propos de Jean Claude de l’Estrac, notre invité de la semaine.


Mauritius Times : La confirmation est désormais faite : le choix du candidat MSM pour la partielle au No. 7 en la personne de Vikash Nuckchady, presque un novice en politique, indique clairement que Pravind Jugnauth ne fait que respecter la loi – c’est pour la forme -, et il ira directement aux élections générales. N’est-ce pas ?

Jean Claude de l’Estrac : Peut-être pas une confirmation mais certainement une forte indication.

Mais vous avez raison, on ne présente pas un novice dans une élection partielle. Les partis politiques présentent toujours des poids lourds dans ce type de joute. Parce qu’en plus de la démonstration d’un rapport de force, l’élection partielle est une bataille de personnes. L’expérience politique est un atout majeur. La notoriété est indispensable surtout si la campagne électorale est courte. Nous l’avons vu à maintes reprises.

Compte tenu de l’enjeu de cette partielle, je ne vois pas le MSM prendre de risques avec un néophyte à la veille des élections générales.

* Au fait, il n’avait nullement l’intention de tenir une partielle, car une défaite face au PTr en région rurale, à quelques mois des élections générales, serait désastreuse pour son parti. Qu’en pensez-vous ?

Bien entendu ! Ce serait catastrophique ! Déjà, il a suffi que le Parti Travailliste mobilise plus de partisans à l’occasion du Nomination Day pour que le pays bruisse d’annonces de victoire des Rouges. Les compte-rendus de presse, les vidéos qui circulent sur les réseaux sociaux ont marqué les esprits. Les stratèges du MSM ont commis une première grosse erreur.

* La campagne électorale, non pas pour la partielle mais pour les élections générales, a donc été lancée à partir du No. 7 ?

Elle était déjà lancée, elle s’est accélérée. Depuis plusieurs mois, le calendrier des activités gouvernementales montre bien que l’Alliance au pouvoir travaille son image électorale. Elle espère que son bilan sera perçu comme globalement positif.

* La question qui se pose maintenant, c’est le ‘timing’ des prochaines élections générales : le leader du MSM voudra sûrement surfer sur les effets positifs du ‘soft launch’ du Metro Express, de la visite du Pape et de celle du Premier ministre indien au cas où ce dernier serait disposé à faire le déplacement (sans que sa visite ne soit perçue comme un soutien au Gouvernement en place), etc. Sa marge de manœuvre est assez limitée, non ?

Le Premier ministre n’a plus de marge de manœuvre. Il faudra qu’il annonce la date des élections générales avant le 13 novembre, la date prévue pour la tenue de la partielle. A moins que, contre toute attente, il organise effectivement l’élection partielle. Je ne vois qu’une seule raison qui pourrait l’inciter à le faire : si fort des sondages réalisés par ses services de renseignements, il est confiant de remporter la joute. Très peu probable !

En ce qu’il s’agit des évènements à venir, le lancement du Metro Léger est susceptible de provoquer des wooahs. Ces trains sur nos routes donneront un air de modernité au pays et concrétisent en quelque sorte le discours du gouvernement sur la qualité de son bilan. Quand je pense que la première fois où le projet d’introduire un Light Railway System à Maurice a été évoqué, c’était dans le discours du trône du gouvernement de sir Seewoosagur Ramgoolam en… 1976 !

* En attendant, le MSM parait s’être engagé à brasser large en termes d’alliés potentiels en prévision des prochaines législatives : les dissidents du MMM, que ce soit ceux du Mouvement Patriotique d’Alan Ganoo, ou ceux des dissidents au sein de la dissidence de La Plateforme pour un nouveau MMM avec Françoise Labelle et Steven Obeegadoo, et probablement le PMSD de Xavier Duval. C’est l’Alliance Lepep2.0 + MMM Sans Paul qui se met en place, parait-il ?

Essayons de voir clair dans ce qui se passe.

D’abord, oui, le MSM cherche à brasser large en recherchant le soutien des individus bien ancrés dans des circonscriptions plutôt que des partis. Par exemple, je ne le vois pas prendre le risque de mécontenter et de fragiliser le ML de Collendavelloo en faisant de la place au PMSD. D’ailleurs la place de numéro deux que lorgne Xavier Duval est prise. Collendavelloo ne s’effacera pas.

De son côté, Ramgoolam hésite encore à sacrifier un certain nombre de ses bons candidats au bénéfice d’un PMSD qui lui rapporte relativement peu de dividendes. Mais certains au parti Travailliste font valoir que l’apport du PMSD dans deux ou trois circonscriptions, est gage de victoire. Mais là aussi, si le nombre d’investitures est négociable, je ne vois pas Ramgoolam céder le poste de numéro deux à Duval. Il fait un autre calcul.

Pour le MMM, c’est définitif, il va seul aux élections ; ses ambitions sont modestes mais une bonne performance pourrait le mettre en bonne position au lendemain du scrutin. Jugnauth et Ramgoolam vont devoir bien réfléchir : en cas de négociations post-élections, le MMM n’ira pas là où se trouverait le PMSD.

* En d’autres mots, vous pensez donc que le MMM aura le beau rôle en tant que ‘kingmaker’ après les élections générales ? Cela va chambouler bien des choses dans les accords pré-électoraux de l’alliance qui souhaite former le prochain gouvernement, puisque Bérenger ne va pas se contenter des miettes ?

C’est sûr, au lendemain des élections, si le MMM se trouve en position d’arbitre, le rapport de force change naturellement. Bérenger pourrait bien se trouver en position de force. 

* Quoique le MMM d’aujourd’hui s’est affaibli par rapport à ce qu’il représentait dans les années 70-80, les circonstances, comme vous le dites, lui sont nettement favorables aujourd’hui comme jamais auparavant. Une lutte à trois en 2019/20 se présente donc sous de meilleurs auspices qu’en 1976. Mais si Paul Bérenger ne parvient pas à ramener la coupe à la maison dans de telles conditions, quelle conclusion allez-vous tirer ? His political days are numbered ?

Non, pas s’il se retrouve en position d’arbitre, ce qui est tout à fait envisageable. En 1976, c’était une erreur politique de la part du MMM de repousser l’offre des Travaillistes, mais Anerood Jugnauth ne pouvait gober sir Seewoosagur. Lui qui a appartenu à l’école des frères Bissoondoyal avait une vraie détestation de Sir Seewoosagur. Plus tard, pour sauver son pouvoir en 1983, il n’hésitera pas, cependant, à en faire un allié.

* Ce qui surprend, par ailleurs, c’est l’intention que la presse prête à Paul Bérenger d’embrigader presque toute la famille dans l’équipe du MMM. Ainsi, la fille, le gendre, et la belle-sœur vont, parait-il, prêter main forte au leader lors des prochaines législatives. A côté, il y a le PMSD des Duval, le MSM des Jugnauth, le PTr des Ramgoolam… Que devient notre politique avec toutes ses dynasties ?

Ce n’est pas si désespérant que cela ! Ne faisons pas d’amalgame. Ni dans le cas de Ramgoolam, ni dans celui de Duval ou celui de Bérenger, peut-on parler de dynastie. On parle de dynastie surtout quand il s’agit de pouvoir, de transmission du pouvoir. C’est le cas pour Pravind Jugnauth, encore que pas tout à fait ; il a élu leader de son parti, il est devenu Premier ministre parce que le parti dont il est devenu le leader, commande une majorité au Parlement. Il est un peu abusif de parler de dynastie sans faire cette nuance.

Pour les autres, ce sont des familles engagées traditionnellement en politique ; il n’y rien de répréhensible à cela. Personne ne va hériter du pouvoir, tous devront se battre et recevoir l’onction des électeurs.

* Mais on aurait cru que c’est uniquement par le biais d’une alliance gagnante que Paul Bérenger allait pouvoir assurer la transition au sein du MMM, cela au bénéfice de sa fille Joanna, faute d’un successeur valable venant des rangs du MMM. Voyez-vous l’option ‘seul contre tous’ faciliter au contraire cette transition ?

Je ne sais pas vraiment pas si le débat au MMM est d’assurer une transition du père à la fille. Cela m’étonnerait beaucoup que Paul Bérenger, personnellement, participe à cette opération.

En revanche, il y a une telle dévotion à sa personne chez un certain nombre de militants que je les vois bien vouloir transmettre à la fille, le culte qu’ils vouent au père, surtout, comme vous dites, en l’absence d’un successeur naturel.

Joanna fait son baptême de feu bientôt dans un MMM qui retrouve un peu de couleur dans son combat en solitaire, nous verrons tous comment elle s’en sort.

* Au fait, la relève ne semble pas se trouver dans les grands partis en raison de la dominance des leaders actuels sur leurs partis respectifs. Les Boolell, Obeegadoo, Jeeha, etc., n’ont pu émerger jusqu’ici et certains sont partis. Tout comme d’autres jeunes en dehors des partis traditionnels, qui ont des idées et paraissent être des progressistes, mais qui ne parviennent pas à marquer. Quelle opinion en faites-vous ?

La course politique est un marathon. Or, nos politiciens en herbe sont des sprinteurs. Ils démarrent en trombe la veille de leur première course, ils perdent, ils disparaissent, ils reviennent la saison prochaine. Ils n’iront pas loin ainsi.

Pour les autres, c’est ainsi, rien ne pousse à l’ombre des boababs

* Il n’y a pas de séisme politique en vue, mais pensez-vous que les prochaines législatives verront la fin d’un cycle politique ? Si tel serait effectivement le cas, voyez-vous le renouveau se faire à l’intérieur des partis traditionnels ou des nouvelles formations en gestation présentement ou dans un proche avenir ?

Oui, nous nous acheminons vers une fin de cycle, un peu comme en 1976. Avec un double résultat : un certain renouveau du personnel politique à l’intérieur des partis traditionnels et un début d’émergence de deux ou trois nouvelles formations.

Mais ce n’est pas seulement une question d’hommes, c’est aussi les grands enjeux de notre temps : la mondialisation essoufflée, la planète déréglée, la démocratie bafouée… Je n’entends rien de tout cela dans les discours politiques sinon quelques platitudes.

* En attendant, ce qui intéresse l’observateur politique, c’est la lutte très serrée qui s’annonce aux prochaines élections générales. Navin Ramgoolam semble bénéficier du soutien d’une importante partie de la communauté musulmane. Pravind Jugnauth, on l’a vu dernièrement, est en train de faire une ouverture vers la population générale, et celui qui saura convaincre l’électorat rural va remporter ces élections. Comment voyez-vous évoluer les choses d’ici là ?

Je vois comme deux élections en une : une lutte serrée en effet entre le MSM et le Parti Travailliste dans une dizaine de circonscriptions rurales ; des joutes très ouvertes dans les circonscriptions urbaines, la grosse incertitude étant le score que fera le MMM, et dans deux ou trois circonscriptions ce que sera le positionnement du PMSD.

En tout cas, de belles joutes en perspective !


* Published in print edition on 23 August 2019

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