Deux Tests de Leadership pour les Dirigeants

Pandémie du coronavirus

L’histoire jugera quel système de gouvernement aura été le plus efficace pour endiguer la pandémie, et quels leaders se seront montrés à la hauteur en intervenant à temps avec des plans de communication fiable, des plans d’aide financière aux plus vulnérables de la société

By Aditya Narayan

La pandémie du coronavirus a plongé le monde dans une crise inattendue, semblable à la crise financière de 2008, avec des conséquences économiques et sociales à court et à long termes. Au-delà de son aspect purement sanitaire, cette crise provoque une nouvelle réflexion sur la capacité de l’économie libérale à faire face à un choc exogène. Plus fondamentalement, elle remet en question certains principes de l’économie de marché à travers le questionnement de vieilles certitudes, des valeurs conventionnelles et de la vision d’un monde globalisé.

En effet, cette crise pose deux tests de leadership à travers le monde peu importe le système politique en place dans les pays concernés : primo le leadership politique et, secundo, le leadership économique.

Leadership politique

D’abord, la crise a mis en exergue la problématique du leadership politique face à l’adversité. Dans les moments d’incertitude générale, tout le monde se tourne vers les leaders nationaux et l’Etat pour chercher du réconfort et de l’aide. Angoissés et désemparés, les peuples veulent des leaders pleins d’empathie et de compassion, quitte à ce qu’ils soient autoritaires ou moins démocratiques, car en temps de crise, on se rabat sur la vielle maxime qui veut que l’on limite les dégâts à tout prix. Il semble que la Chine et le Singapour aient mieux maîtrisé l’épidémie sur leur sol grâce à leur système autoritaire qui permet le contrôle social. En revanche, dans les pays où la démocratie libérale requiert la recherche du consensus préalable en faveur des mesures d’urgence et d’exception (le confinement et la fermeture des services non-essentiels), la réaction des autorités a été un peu lente et laborieuse.

L’histoire jugera quel système de gouvernement aura été le plus efficace pour endiguer la pandémie et sauver des vies humaines, et quels leaders se seront montrés à la hauteur en intervenant à temps avec des plans de communication fiable, des plans d’aide financière aux plus vulnérables de la société et des plans pour remédier à l’épidémie.

Un premier enseignement à tirer de la crise est que tous les experts, de quelque bord politique qu’ils soient, ont appelé à une intervention rapide et massive de l’Etat pour venir au secours des employés subitement privés de leur gagne-pain et des entreprises menacées de faillite. En temps normal, lorsque tout va bien, les milieux d’affaires ont tendance à se plaindre de l’Etat-régulateur omniprésent (Big Government) qui prélève trop de taxes et étouffe l’initiative privée par une réglementation démesurée. En temps de crise, ils sont les premiers à réclamer le soutien du gouvernement afin de ne pas tomber dans le gouffre. C’est dire que la main invisible du marché (selon Adam Smith) ne peut pas régler tous les problèmes dans la société.

Il y a certain services essentiels (les soins de santé, l’éducation et la sécurité publique) que seul le gouvernement peut dispenser efficacement. Aux Etats-Unis, ces jours-ci, on découvre les insuffisances cruelles d’un système de santé privé, financé par les polices d’assurance médicale souscrites par des individus, qui n’arrive pas à fournir les tests de dépistage du virus en demande. Par contre, au Canada, le système de santé publique financé par les impôts arrive à égaliser l’offre à la demande. Le même secteur privé qui critique à longueur d’année l’Etat-Providence, qu’il accuse de promouvoir l’assistanat et le moindre effort, se rue aux portillons du gouvernement central pour demander des plans de sauvetage financier aux frais des contribuables (corporate welfare).

Leadership économique

Dans certains pays affectés par la pandémie, le gouvernement central n’a pas hésité à utiliser la politique monétaire (baisse du taux d’intérêt directeur pour rendre le crédit moins cher) et la politique fiscale afin de maintenir la consommation. Il a mis en œuvre des plans d’aide divers, quitte à augmenter considérablement le déficit budgétaire et alourdir la dette nationale. Il s’agit de maintenir la demande sur le marché pour que le pays ne bascule pas dans une récession aux effets désastreux même si certains pans entiers de l’économie (le tourisme, l’hôtellerie, la restauration, les lignes aériennes) ne sortiront pas de l’auberge de sitôt.

L’éventail des plans d’aide est vaste. Aux employés, le gouvernement ouvre les vannes de l’assurance-emploi (pour ceux qui ont droit à l’allocation-chômage) ou offre une subvention directe des salaires (wage subsidy). Aux entreprises, le gouvernement offre des lignes de crédit sans intérêt, des fonds non-remboursables dans certains cas, des prises de participation de l’Etat dans de grandes entreprises et le report du paiement des impôts à une date ultérieure (tax deferrals).

Cependant, la précarité économique induite par la perte d’emploi touche aussi les travailleurs indépendants et les opérateurs dans le secteur informel qui n’ont pas de revenu stable comme les employés. La précarité économique a remis sur le tapis la question du revenu de base universel (universal basic income), lequel est essentiel à la subsistance de toute famille risquant de tomber en-dessous du seuil de pauvreté.

En 2008, les gouvernements dans beaucoup de pays, y compris Maurice, avaient accordé une aide financière (stimulus package) à certaines entreprises en difficulté sans se soucier de se faire rembourser quand la reprise économique aura commencé. C’était la méthode qui consiste à privatiser les profits (les entreprises gardent leurs bénéfices en temps de vaches grasses) et socialiser les pertes (les contribuables assument les pertes d’entreprise en temps de vaches maigres) dans la plus pure tradition du “corporate welfare”.

Cette fois-ci, échaudé par l’expérience amère de 2008, le gouvernement – dans certains pays – ne veut plus débourser des fonds sans condition. Aux Etats-Unis, cette semaine, les démocrates ont croisé le fer avec les républicains sur les conditions à imposer en lien avec le plan de sauvetage des entreprises. Il n’était pas question pour les premiers d’accorder une autre baisse d’impôts ou une aide financière sans ficelle qui permettrait aux sociétés de racheter leurs actions sur le marché boursier (share buybacks) au lieu de l’investir dans l’entreprise. Faut-il aussi rappeler qu’en 2008 bien des canards boiteux liés aux politiciens furent sauvés aux frais des contribuables selon une illustration parfaite du capitalisme de copinage (crony capitalism).

Démondialisation

La crise a fait voler en éclats les certitudes liées aux bienfaits de la mondialisation, qui implique le libre mouvement des produits, des services et des hommes à travers les frontières. L’interdépendance économique des nations est bâtie sur la “théorie des avantages comparés” selon laquelle les pays se spécialisent dans la production de produits et services qui leur coûtent le moins par rapport aux fournisseurs concurrents.

A ce jeu, la Chine a démontré qu’elle est imbattable avec une main-d’œuvre abondante, disciplinée et bon marché à telle enseigne qu’elle est devenue l’atelier/l’usine et l’entrepôt du monde. Les exportations bon marché de la Chine ont anéanti des industries entières de production et de transformation dans beaucoup de pays au point de les rendre dépendants des fournisseurs chinois. Il a fallu d’un fichu virus pour que toutes les chaînes de valeur internationales (supply chains) en biens de consommation et bien intermédiaires soient rompues dans certains pays, causant des pénuries d’articles courants.

Bien des pays se rendent compte aujourd’hui qu’ils ne peuvent plus être tributaires des fournisseurs chinois pour leur approvisionnement stratégique. Il y va de leur survie économique tout simplement. De nombreuses sociétés occidentales ont délocalisé leurs usines en Chine pour prendre avantage des coûts de production bas. Aujourd’hui, des voix s’élèvent pour réclamer le relocalisation de ces usines dans leurs pays d’origine non seulement pour assurer la production sur le sol national, mais aussi pour assurer l’emploi à la population locale non-qualifiée. La crise n’entraînera pas une dynamique de démondialisation pour autant dans l’avenir prévisible.

Self-reliance

Conceptuellement, le débat est focalisé sur la capacité d’un pays d’assurer un minimum de sécurité alimentaire et de sécurité énergétique à sa population en tout temps sans être pris au dépourvu par une rupture des chaînes d’approvisionnement internationales causée par des facteurs exogènes (une épidémie, par exemple). Auparavant, bien des pays pouvaient compter sur leurs propres forces (self-reliance) pour assurer l’auto-suffisance alimentaire à leur peuple. Paradoxalement, c’est la Chine, aujourd’hui fournisseur du monde, qui s’était fait le champion de cette politique durant la guerre froide entre l’Est et l’Ouest.

La libéralisation du commerce international a favorisé l’adoption du modèle de développement fondé sur l’exportation (export-led development), en ligne avec la spécialisation internationale du travail, dans les pays en mal de devises étrangères. Cela s’est fait au détriment de l’industrie locale de substitution d’importations. On croyait qu’il suffisait d’exporter des produits et des services pour se payer les importations alimentant la société de consommation. Or, comme le cas de Maurice le prouve, le modèle d’exportation dépend de la compétitivité des prix et il y a beaucoup de fournisseurs concurrents plus dynamiques sur le marché international. Les exportations ne seront jamais suffisantes pour couvrir la note d’importations. Il est temps de donner une nouvelle impulsion à l’industrie locale de substitution d’importations.


* Published in print edition on 27 March 2020

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