“Ce régime ne pourra pas s’éterniser…

Interview : Jack Bizlall

Malheureusement quand je vois ce qui se passe dans l’opposition parlementaire et extra-parlementaire, je vois deux types : les ‘pourvoiristes’ et les ‘populistes’»

* ‘Jugnauth fils fait tout pour que la confrontation politique soit entre Ramgoolam et lui’


Autocratie : un système politique dans lequel un seul homme détient le pouvoir et il se comporte en maître absolu. Ce terme est souvent synonyme de despotisme, de dictature, de tyrannie, voire même de monarchie. Jack Bizlall, syndicaliste, homme politique et observateur de la société mauricienne et d’ailleurs, donne son point de vue sur les récents évènements qui ont marqué le pays. Il pose aussi des questions sur la capacité de la classe politique à se redynamiser pour sortir d’une impasse dangereuse poussant la démocratie aux abois.


Mauritius Times: Dans le sillage de la libération sous caution de Akil Bissessur, Me Teeluckdharry a déclaré que l’avocat a été victimisé par “le système” en raison de ses prises de position perçues comme étant anti-pouvoir. Même si l’enquête du Central CID suit son cours, cette libération est intervenue après que le Forensic Science Laboratory n’a décelé aucune empreinte de M. Bissessur sur les sachets de drogue. Cela soulève déjà plusieurs interrogations. Vos commentaires?

Jack Bizlall: Je dois insister sur trois conclusions irréfutables. Sous un régime dynastique et si autocratique et interventionniste dans les activités des institutions comme celle de la Police, si on ne fait rien, c’est très grave, d’autant plus que l’interventionnisme peut toucher aux activités du judiciaire, du DPP, de l’ICAC, etc., et de surcroît, est enclin à éliminer les opposants par la répression en les remplaçant par des exécutants grassement payés des deniers de l’Etat.

Dans le cas d’Akil Bissessur, je me demande comment la Police a pu agir, soit d’une façon amateuriste ou méprisant les conventions sociales et la décence. Cette pratique a comme objectif de faire peur. Nous sommes en période de terrorisme d’Etat, de délation et d’agressions pour faire peur et ainsi museler la population et les contestataires. C’est dramatique.

Enfin, ce régime ne pourra pas s’éterniser. Malheureusement quand je vois ce qui se passe dans l’opposition parlementaire et extra-parlementaire, je vois deux types : les « pouvoiristes » et les « populistes ». Nous subissons une dictature dangereuse de la classe moyenne, de la petite bourgeoisie pour être précis, dans les deux sens politiques du terme.

* L’instrumentalisation de certaines unités de la police – avec les interpellations et les arrestations des personnes soupçonnées d’être des opposants politiques – semble s’être multipliée depuis un certain temps. Le judiciaire ne peut intervenir que lorsqu’il est sollicité, mais rien n’a pu mettre fin à cela jusqu’ici. Est-ce dû à l’indifférence de la population?

La police en soi n’est pas un bloc monolithique d’exécutants sans raisonnement et sans compassion. Ce n’est pas vrai. Ce qu’il faut faire je crois, c’est un appel à la majorité, c’est-à-dire parler au plus grand nombre. Au nom de l’Observatoire de la Démocratie j’ai adressé une centaine de lettres aux Stations de Police à travers la République.

Par contre, il existe dans toutes les institutions des exécutants sans discernement : ils constituent la main agissante des dictateurs. Il suffit que les dictateurs maîtrisent les éléments psychiques et ritualistes de certaines couches de la classe moyenne détenant les leviers de l’autorité, pour les manipuler. Hitler fut un expert de telles manipulations.

D’autre part, la population réagit sur les réseaux sociaux, dans les conversations, dans des rencontres sociales comme les mariages, les veillées mortuaires, etc. Ça va éclater. Croyez-moi.

Faut-il cependant que l’on réagisse plus vite contre la pratique inacceptable des charges provisoires qui durent et qui permettent l’incarcération temporaire ? Feu Hervé Lassemillante a longuement abordé cette question.

Les avocats doivent aussi réagir en rejetant toute pratique de schizophrénie juridique, etc. Il faut une action pour encadrer les policiers qui agissent comme des agents politiques.

* Toutefois, il faut reconnaitre que les “Avengers” ont été plus présents et efficaces dans de nombreux cas que les “grands partis” qui, depuis un bon bout de temps, n’opèrent qu’à coups de conférences de presse hebdomadaires, et récemment de congrès-meetings. Sans les “Avengers”, la page aurait sans doute été définitivement tourné sur ce qui allait devenir l’affaire Kistnen – quoique non-résolue jusqu’ici, non?

Le mot « Avenger » est péjoratif et ne fait pas honneur à cette profession importante dans la gestion de notre démocratie. Il faut qu’ils respectent une déontologie qui a comme seul objectif d’assumer professionnellement le concept de la justice ; c’est la deuxième considération des humains après la sécurité.

Je connais plusieurs avocats démocrates. Certains ne défendent pas les mafieux – d’autres soutiennent des gens tout à fait gratuitement. J’ai deux amis qui le font. D’autres encore interprètent la loi et ne défendent pas leurs clients uniquement pour des intérêts cupides.

Il y a la loi, le judiciaire et la justice qui sont les piliers élémentaires de la République. Je peux vous donner des noms d’avocats qui sont porteurs de la protection des victimes de toutes sortes, politiquement parlant ou humainement parlant. Ils sont peu nombreux. Mais heureusement, ils sont là. 

Ce qui m’agace avec certains Avengers, c’est qu’ils ont été des dirigeants politiques qui n’ont rien fait pour assainir la situation quand ils étaient au pouvoir. J’ai même écrit une lettre à l’un d’entre eux pour lui dire de réagir par rapport à la protection de la liberté des citoyens sous la Section 5 de la Constitution, et il m’a dit « Je suis l’avocat du gouvernement et pas ton avocat.»

* Par ailleurs, les débats sur différents thèmes de société ne doivent pas être la seule affaire de la classe politique et des groupes d’intérêts habituels, mais est-ce le vieillissement de la classe politique et aussi syndicale, autrefois très percutante, qui explique l’état actuel dans lequel se trouve le pays, M. Bizlall?

Je vais vous dire deux choses :

(a) Quand on quitte la lutte des classes, on tombe dans les conflits d’intérêts des catégories sociales, des clans, des manipulateurs, des opportunistes. C’est ce qui se passe ici et dans d’autres pays.Là où je regarde, je ne vois que des opportunistes justement sans conscience de classe, des gens ni de gauche ni de droite, donc politiquement illettrés, etplus grave encore, ils sontopportunistes.

(b) On ne maîtrise pas assez le concept de la causalité – on navigue sur les effets de la perversité de notre démocratie sans prendre conscience qu’il faut en démanteler les causes. J’affirme avec toute ma raison que notre constitution en est la cause principale.J’espère que l’on pourra en parler dans quelques semaines.

L’autre cause étant l’idéalisme philosophique et politique de nos intellectuels organiques les plus valables.Dieu veut ou la pensée veut selon leur approche,alors qu’il faut voir ce qui se passe ici comme ailleurs.Un exemple, la Guerre de Poutine contre l’Ukraine va nous ramener à la guerre froide et à la ségrégation économique.

A l’époque du PTr et du MMM, il y avait des écoles politiques.

-L’approche théorique, je l’ai obtenue en me rendant à une école politique à Amsterdam.

– L’approche sociétale, je l’ai obtenue dans les réunions des branches du MMM dans les années 70. Très souvent, les jeunes disent et font n’importe quoi.

* Que faites-vous de l’embarras dans lequel l’Entente de l’Espoir semble s’être retrouvée suite au jugement de la Cour suprême dans l’affaire opposant le DPP à Navin Ramgoolam? Et voyez-vous Paul Bérenger maintenir le cap en ce qui concerne son projet d’alliance avec le Parti Travailliste?

J’en ai assez des alliances pouvoiristes de Bérenger.Nous avons assez souffert du régime desJugnauth. Je maintiens que le vecteur est Bérenger, c’est lui qui a ouvert la voie à certaines modifications pas acceptables de notre constitution, dans le cadre d’un partage de pouvoirs.

Ramgoolam, lui, doit partir.Je viens de lui adresser une lettre encore une fois dans ce sens.

Comme son père, Jugnauth fils, lui aussi, il fait tout pour que la confrontation politique soit entre Ramgoolametlui.

Si Ramgoolam part et que l’on donne une consistance à un combat travailliste et militant, une alternance politique crédible peut se construire sous trois axes.

(1) Une nouvelle Constitution pour une Deuxième République.

(2) Une nouvelle approche éducative visant l’éducation d’assertion.Nos politiciens ne sont pas des gens de conviction, porteurs d’idées nouvelles ; un programme politique doit se construire sur ce qui est souhaitable, acceptable et réalisable. Celui qui vient avec ses convictions doit confirmer si ses propositions sont exactes. Il doit avoir un grand savoir et surtoutmaitriser plusieurs méthodologies. Il n’est pas dit que tout sera vrai mais l’absence d’hésitations et la pratique confirmeront le reste.

(3) Mettre l’économie au centre du social.Nous avons un fond commun de civilisation avancé, et nous n’avons pas de parti politique d’extrême-droite.Il faut agir sur la classe moyenne et ses nombreuses déviations.

* Avec ce dernier développement juridique et l’impact qui en découlera sur le champ politique et avant qu’un appel de Navin Ramgoolam contre le jugement de la Cour suprême ne soit entendu par le ‘Privy Council’, tout parait possible dès à présent: lutte à trois ou même à quatre lors des prochaines législatives et tout aussi bien avec le résultat qu’une telle lutte devrait produire, cela en raison probablementd’un taux d’abstention sensiblement plus élevé. Qu’en pensez-vous?

Je crois que l’on n’a pas compris que l’argent de Ramgoolam provient de donateurs nuisibles à notre société.Une épée de Damoclès plane autant sur Ramgoolam que sur les autres dirigeants politiques.

Où sont allées les « donations » provenant des Mauriciens, d’étrangers et de certains États…en particulier les Etats-Unis et l’Inde ?

Certainement pas dans les caisses du MMM, du PTr et du MSM, sans oublier le PMSD.

En ce qu’il s’agit du Privy Council, il doit y avoir une menace insidieuse quelque part.La décision du DPP ne m’étonne pas.Prenez deux éléments en considération :

(1) Seul le DPP a le pouvoir de renvoyer l’affaire des millions de Ramgoolam en Cour Intermédiaire. Or, le DPP a été l’objet d’une vile attaque par la Dynastie Jugnauth.

D’autre part, Duval a démissionné à cause d’une attaque anti-Républicaine contre ce pouvoir.Il sait plus que quiconque la nature du Régime au pouvoir.

(2) Cette histoire étant nuisible pour tout le monde, pourquoi faut-il prolonger sa durée jusqu’au Privy Council ?Qu’allons-nous découvrir comme la saleté que l’on découvre jour après jour sous les tapis de la politique ?

Il est trop tôt pour anticiper les choses.Nous sommes en 2022 et les élections sont pour 2024.Je constate que des regroupements seront proposés,même dans le milieu des pseudos révolutionnaires.

* L’heure de la transition et de la relève a-t-elle sonné, selon vous? Pour le Parti Travailliste et le MMM?

Sans doute dans le cas du MMM, mais pas dans le cas du PTr. Le pouvoirse construit en dynasties à Maurice. Le PTr maintient Ramgoolam comme seul capitaine à bord. Le MMM propose la relève par la fille et le gendre.

Les autres organisations politiques sont des accessoires constituant les alliances hétéroclites. Présentement, il y aurait de quoi rireavec eux.

On assistera sans doute à des révolutions de palais au niveau du pouvoir à quelques mois des élections. Beaucoup d’argent circule dans l’achat des gens, dit-on.

Notre pays finalement ne se stabilisera pas sauf si on arrive à mobiliser les masses sur une nouvelle constitution construite par le bas. C’est là un défi.

Dans quelques semaines, j’aurai l’occasion de vous informer de ce qui sera fait dans ce cadre. Nous n’avons pas encore trouvé un consensus sur les six textes qui seront publiés. Nous œuvrons pour que ces textes soient acceptables et réalisables.


Mauritius Times ePaper Friday 9 September 2022

An Appeal

Dear Reader

65 years ago Mauritius Times was founded with a resolve to fight for justice and fairness and the advancement of the public good. It has never deviated from this principle no matter how daunting the challenges and how costly the price it has had to pay at different times of our history.

With print journalism struggling to keep afloat due to falling advertising revenues and the wide availability of free sources of information, it is crucially important for the Mauritius Times to survive and prosper. We can only continue doing it with the support of our readers.

The best way you can support our efforts is to take a subscription or by making a recurring donation through a Standing Order to our non-profit Foundation.
Thank you.

Add a Comment

Your email address will not be published. Required fields are marked *