« Nous avons déjà battu le MMM et le MSM en 2005 et nous sommes confiants en notre force sur le terrain »

Interview: Cader Sayed-Hossen

 « Le BLS réconforte les minorités. Mais il arrivera un jour, sooner than later, où les Law Lords ou la UN Human Rights Commission condamnera cette disposition constitutionnelle et nous obligera à l’amender »

  


La classe politique, avec les positionnements des leaders des principales formations à propos des alliances, rend la situation locale de plus en plus difficile à cerner. Les différentes prises de position sur la réforme électorale et le BLS sont aussi complexes. La situation économique internationale est préoccupante et nous renvoie aux nombreux défis sur le plan politique, économique et social à relever dans un proche avenir. Cette semaine, nous avons invité Cader Sayed-Hossen, ministre du Commerce et de l’Industrie, à nous donner son appréciation de la situation…


Mauritius Times: Le projet d’alliance MMM-MSM semble être en bonne voie : après la prudence prônée, il y a quelques mois lors de la dernière Assemblée des délégués du MMM, on est passé au mode « confiance », et les militants vont passer au vote, par bulletin secret, le 3 mars prochain le principe d’un « remake 2000 ». Comment vit-on cela au sein du PTr, M. Sayed-Hossen ? Avec appréhension ?

Cader Sayed-Hossen : Le projet d’alliance MMM-MSM, depuis août 2011, a été on et puis off, re-on et re-off – et ce, plusieurs fois. Cette fois-ci encore, le MMM se dit confiant de l’aboutissement de ce projet. Et le MSM, dont la survie politique (je parle plus particulièrement de la survie de Pravind Jugnauth) dépend absolument d’une alliance avec le MMM, se dit aussi confiant que l’Assemblée des délégués du MMM daignera bien accepter cette alliance lors du vote secret prévu le 3 mars prochain.

Evidemment, cela fait la une de l’actualité politique et est suivi par le Parti travailliste. Mais, avec appréhension, non, bien loin de là. Le Parti travailliste, sous la direction du Premier ministre, le Dr Navin Ramgoolam, pilote le pays à travers une période de grandes difficultés économiques internationales depuis 7 ans maintenant, avec sagesse et efficacité. Notre priorité est et reste la gestion du pays, le maintien de la croissance économique et la protection des plus vulnérables d’entre nous par le biais d’une politique économique et sociale saine et progressiste.

Par ailleurs, retirons aussi les leçons du passé: nous sommes à plus de trois ans des prochaines élections générales. Et nous avons vu déjà dans les quelques années précédentes combien de fois le MMM et le MSM se sont amourachés et puis détestés, pour ensuite se retrouver et se séparer, etc. Bref, cela a été des épisodes successives de « je t’aime moi non plus ». Par ailleurs, nous avons déjà battu le MMM et le MSM rassemblés en 2005 et nous sommes confiants non seulement en la justesse de notre gestion économique et sociale, mais aussi en notre force sur le terrain.

* Sir Anerood Jugnauth, Premier ministre pour une période de trois ans et Paul Bérenger pour deux ans, ne constitue donc pas, à votre avis, une formule gagnante. Le « bonhomme » serait, selon Cassam Uteem, en pleine forme…

Puisque Cassam Uteem travaille désespérément à reconstruire l’alliance MMM-MSM, que pourrait-il dire d’autre que ce qu’il a dit ? En oubliant gaiment toute la politique ouvertement et bassement antimusulmane qu’a prônée et activement menée le MSM dans les années 1980, en oubliant le clanisme honteux, les insultes envers les minorités et le noubanisme étroit qui ont caractérisé la politique du MSM à cette période.

Le peuple de notre pays est suffisamment intelligent et patriote pour ne pas sombrer dans le genre de nostalgisme béat que le MMM et le MSM veulent lui faire avaler. Et ce peuple se souvient encore de cette triste période de 2000 à 2005, où, en dépit de circonstances économiques internationales très favorables, l’alliance MMM-MSM a mené le pays au bord du gouffre par sa gestion économique et par son incapacité à motiver la nation. Finalement, le peuple se souvient très bien de ce qu’a été ce fameux « 2000 »: une période de chute de la croissance économique, des pertes d’emplois, une misère grandissante. D’après vous, c’est ce genre de scénario catastrophe que nos compatriotes souhaitent remake aujourd’hui ?

* C’est l’échec des négociations Navin Ramgoolam-Paul Bérenger sur la réforme électorale qui pourrait effectivement relancer les discussions MMM-MSM en vue d’un « remake 2000 ». Les Best Losers, du moins ceux qui prônaient son maintien, auront eu en fin de compte le dernier mot : non à l’abolition du BLS, non à un « remake 95 », c’est-à-dire une nouvelle alliance PTr-MMM… C’est ça ?

Non, absolument pas. Paul Bérenger a toujours été on the look-out pour une formule gagnante pour lui, et son parti. Avec, souvent, un pied de chaque côté de la ligne. En politique, comme ailleurs, cela s’appelle l’opportunisme. C’est cela qui a toujours caractérisé le comportement politique et électoral du MMM. Tout le reste n’est que prétexte.

Par ailleurs, Paul Bérenger n’a jamais entamé des négociations sérieuses avec le Dr Navin Ramgoolam sur la question de la réforme électorale. Il a torpillé le projet de réforme et l’a tué dans l’œuf en adoptant une position de l’absurde: introduire une dose de proportionnelle et maintenir le BLS – deux mesures irréconciliables. Comme je vous l’ai dit, Bérenger a toujours eu cette position: un pied de chaque côté de la ligne — Neither here nor there — pour ensuite crier sur tous les toits que la faute est à l’autre.

* Quelle opinion avez-vous des réactions enregistrées à Maurice de part et d’autre quant à l’abolition du Best Loser System et son remplacement par la Party List, comme suggéré par Rama Sithanen ? Des réactions qui méritent de la compréhension et de la sympathie, selon vous ?

Compréhension et sympathie, dites-vous ? Cela dépend pour qui.

Premièrement, corrigeons un lapsus de langage. Le rapport Sithanen ne parle pas d’abolition du Best Loser System (du BLS), mais de son intégration dans une formule qui en maintiendrait totalement la substance – c’est-à-dire l’assurance d’une représentation adéquate de toutes les composantes de la nation dans le corps législatif – tout en enlevant de notre Constitution toute référence à l’ethnicité ou l’appartenance religieuse, linguistique, culturelle et autres subdivisions qui constituent physiquement ou symboliquement des obstacles à l’édification de la nation mauricienne.

L’avantage du BLS tel qu’il est actuellement est que la garantie de la représentation adéquate est inscrite dans la Constitution. Certes, c’est une situation qui réconforte les minorités. Mais il arrivera un jour, sooner than later, où les Law Lords ou la UN Human Rights Commission condamnera cette disposition constitutionnelle et nous obligera à l’amender. Alors, il serait à mon avis judicieux de remplacer la garantie constitutionnelle par un contrat social, un pacte de représentation de toutes les composantes de la nation dans le corpus législatif – et par extension dans l’exécutif.

D’ailleurs, nous avons une base historique solide sur laquelle nous pouvons nous pencher avec réconfort: les deux grands partis nationaux, le Parti travailliste et le MMM ont toujours et sans exception présenté une équipe nationale représentative autant aux élections générales qu’au Conseil des Ministres. Et il est clair que tout parti qui présenterait une équipe communale ou sectaire se verrait automatiquement rejeté par le reste de l’électorat et serait voué à l’échec.

Alors, au vu de ce qui précède, quel sentiment avoir ? Tout d’abord qu’il serait dans l’intérêt national de remettre sur le tapis le rapport Sithanen et qu’il puisse s’engager sur la question un véritable débat national, mais il s’agit d’un débat informé, c’est-à-dire où chacun participe en connaissance de cause.

Ensuite, mon autre sentiment serait la tristesse, surtout du fait que beaucoup de personnes ont pris une position émotionnelle – ce qui peut se comprendre – mais surtout une position non-informée sur la question. Pour ceux-là, oui, peut-être de la sympathie pour leur attachement à une garantie constitutionnelle, mais de la tristesse quand même du fait que ceux-là n’ont pas cherché à connaître et comprendre l’alternative offerte. Et cette alternative est en fait nettement meilleure de tous les points de vue. De toute façon, jamais aucune loi ni aucune mesure constitutionnelle n’est gravée dans le roc. Si toutefois l’alternative proposée par Rama Sithanen ne fonctionne pas comme prévu, on pourra toujours faire marche arrière. L’Histoire ne s’arrête pas là.

* On pourrait suspecter la démarche de Navin Ramgoolam visant à abolir le Best Loser System (en marge de la mise en place d’un nouveau système électoral à Maurice) d’être animée par une ambition personnelle de laisser le « legacy » d’un Premier ministre « rassembleur » qui aurait réussi à dé-communaliser le système électoral mauricien. Qu’en pensez-vous ?

Le mot « suspecter » est mal choisi. Dites plutôt « respecter ». On ne suspecte pas de quoi que ce soit un Premier ministre qui souhaite mener une politique de rassembleur et dé-communaliser le système électoral. On le respecte. De toutes les façons, le legacy de rassembleur et de véritable leader national du Dr Navin Ramgoolam est déjà inscrit dans notre Histoire. Et le rôle de rassembleur, défini comme celui qui pose les fondations de l’édification de la nation véritable, est tout aussi important que celui de gestionnaire des richesses du pays. Chercher à atteindre cet objectif n’est pas pour le Premier ministre une ambition, mais une vocation, une mission.

* Un tel « legacy » ne garantit pas toujours la victoire électorale. La recherche d’un tel « legacy » devra attendre son heure, n’est-ce pas ?

Mais qui parle de recherche de victoire électorale au travers d’une telle démarche ? Certes, la victoire électorale est un objectif pour tout politique et tout parti. Mais dire que le Premier ministre souhaite cette réforme pour assurer sa victoire électorale, c’est méconnaître le Dr Navin Ramgoolam et mal lire l’Histoire. L’alliance dirigée par le Premier ministre est allée contre le MMM-MSM aux élections de 2000 et de 2005, ne l’oubliez pas. Fondamentalement, l’objectif de la réforme électorale proposée est de renforcer et d’améliorer notre système de démocratie parlementaire en assurant une représentation juste et adéquate de toutes les composantes de la nation et des partis politiques d’une envergure nationale dans le corpus législatif et – par extension – dans l’exécutif. C’est une démarche non seulement louable de tous les points de vue, mais surtout nécessaire afin de renforcer nos assises démocratiques.

* Par ailleurs, si vous posez la question au Mauricien lambda ou même à l’investisseur ou l’entrepreneur quant aux questions qui les préoccupent présentement, il est fort probable que ce soit le problème de manque d’eau, les perspectives d’avenir en ce qui concerne l’emploi ou même la sécurité de l’emploi, la cherté de la vie, l’accès à la terre, à un logement, etc. Ne partagez-vous aussi plus ou moins ces mêmes préoccupations que celle relative à la réforme électorale?

Certainement, oui. Mais, tout autant que moi, vous savez aussi que la politique est multidimensionnelle et doit se préoccuper à la fois de beaucoup de choses, toutes pas forcément directement liées, mais toutes nécessaires. Toutes les préoccupations que vous avez mentionnées font évidemment partie de nos préoccupations prioritaires. Mais le propre du politique, surtout du gouvernement, est d’avoir beaucoup de priorités, toutes aussi prioritaires les unes que les autres.

* En ce qui concerne le problème de manque d’eau, le réservoir de Mare aux Vacoas connaît un assèchement graduel qui intrigue hydrologues, les autorités et la population en général. Il y a des soupçons de détournement des cours d’eau illégaux, et la police de l’environnement a mené une enquête dans cette affaire, apprend-on. Il faut maintenant rendre public les conclusions de cette enquête, n’est-ce pas ?

Effectivement, la police de l’environnement a effectué une enquête sur les soupçons de détournement illégal de l’eau. Cette enquête a conclu qu’il n’y avait rien d’anormal. D’ailleurs, la presse en a fait état.

* The other bad news, aussi, concerne la situation précaire dans laquelle se trouve Air Mauritius présentement. La crise économique, le prix du carburant, le problème de l’euro figurent parmi les causes principales ayant contribué à l’état actuel de la compagnie nationale d’aviation. Etes-vous satisfait de ces explications ?

Ces explications tiennent certes la route. La crise économique, le prix du carburant et le problème de l’euro sont des réalités qui nous affectent et qui expliquent en grande partie les difficultés d’Air Mauritius. Mais je dirai aussi que ce sont là des problèmes qui affectent beaucoup d’entreprises, petites ou grandes, à Maurice ou ailleurs. Dans l’état, bon ou mauvais, d’une entreprise, il y a toujours une composante de la qualité, et donc de responsabilité du management.

* Une des solutions proposées, sinon la principale, pour « sauver » Air Mauritius, c’est le recours à un partenaire stratégique. Passons sur les causes ‘non-identifiées’ ayant aussi probablement contribué à l’état actuel de la compagnie, mais on est en droit de se poser la question : comment est-ce qu’un partenariat stratégique entre Air Mauritius et Qatar Airlines ou Air France… ou même Air Seychelles for that matter, parviendra-t-il à surmonter les problèmes déjà identifiés, en l’occurrence le prix du carburant, le problème de l’euro ou la crise économique ?

Soyons clairs et réalistes. Les problèmes que représentent le prix du carburant, la situation de l’euro ou la crise économique sont des problèmes exogènes à Air Mauritius et aucun management d’Air Mauritius, avec ou sans partenaire stratégique, ne pourra y changer quoi que ce soit. Mais ce que peut introduire un partenaire stratégique d’envergure, si toutefois cela est prévu, c’est une injection de capitaux nécessaires, un know-how plus approprié, un network plus vaste, un thinking out of the box, une gestion beaucoup plus rigoureuse des ressources de l’entreprise et un recentrage des priorités commerciales.

* The good news, toutefois, concerne le niveau des profits, à coups de milliards, engrangé par les principales banques et quelques grosses boîtes économiques. D’une part, des « dirty rich profits », comme pourrait le qualifier le Gouverneur de la Banque de Maurice qui dit son optimisme par rapport aux perspectives économiques en 2012, alors que d’autre part le JEC dit craindre une détérioration de la situation économique et une croissance à la baisse. Qu’est-ce qui vous paraît plus probable ?

Les termes de l’équation de notre croissance économique sont simples et directs. Nous sommes un pays avec un marché interne de 1,3 millions de personnes en plus des touristes qui séjournent chez nous, donc très petit. De ce fait, notre économie est essentiellement tournée à l’exportation, avec comme principales sources de revenus les exportations de sucre et autres produits dérivés, de produits industriels, dont principalement le textile, le thon et le tourisme. Et nos exportations ont été depuis toujours orientées vers l’Europe de l’Ouest – dont nous dépendons encore beaucoup autant pour le sucre que pour le secteur manufacturier et le tourisme.

Or l’Europe de l’Ouest se trouve depuis quelque temps dans une situation économique difficile et les dernières prévisions du Fonds Monétaire International font état pour tous les pays de l’Europe de l’Ouest de perspectives de croissance très faibles, pour ne pas dire marginales, et même de récession possible pour certains d’entre eux. Or, si nos clients directs se retrouvent en prise avec des difficultés et qu’il y a dans ces pays une contraction de la consommation et donc de la demande, comment pouvons-nous être optimistes en ce qui concerne les perspectives de croissance pour notre économie en 2012 ?

Ajoutez à cela les incertitudes géopolitiques, les incertitudes qui pèsent sur l’euro – qui représente une partie massive de nos revenus en devises étrangères – et la tendance au renchérissement du pétrole et vous avez les ingrédients pour une année qui s’annonce très difficile. Ceci dit, je suis confiant en la résilience de notre économie, en la combativité de nos entrepreneurs et de nos concitoyens et en la prudence de la politique prônée par le Premier ministre. L’optimisme est toujours une attitude positive, mais un optimisme éclairé doublé de prudence, non un optimisme inconscient et faussement triomphateur.

* Après le Stimulus Package, l’autre Additional Stimulus Package, nous revoilà avec un National Resilience Fund de Rs 7,3 milliards et un Rainy Day Fund – au nom de la préservation de l’emploi. Ça coûte cher, l’emploi à Maurice ?

Cela sert à quoi d’accumuler des richesses si ce n’est pas pour assurer à la population les moyens de vivre plus ou moins correctement dans la mesure de nos moyens ? La préservation et l’amélioration des moyens et du niveau de vie de la population est probablement le premier devoir de tout gouvernement. Alors que cela coûte cher, comme vous dites, qu’importe, pourvu que ce soit sustainable et que cela débouche sur des résultats à moyen et long termes.

* Par ailleurs, le JEC vient nous dire que « le plus gros obstacle à surmonter en 2012 tourne autour de la relance de l’investissement privé » alors que la Capital Gains Tax et la taxe sur les dividendes, deux taxes qui, disait-on, freinaient l’investissement privé, ont été enlevées. Votre opinion ?

La relance de l’investissement privé n’est peut-être pas le plus gros obstacle, mais certainement le plus grand défi. Le gouvernement a résolument ouvert la voie en annonçant des investissements massifs dans les travaux d’infrastructures majeurs et dans les plans de soutien à la croissance. Il est essentiel que le secteur privé suive. Quand les difficultés se profilent à l’horizon, comme maintenant, nous avons malheureusement tendance à devenir plus conservateurs et plus prudents. C’est peut-être compréhensible en ce qui concerne les dépenses des ménages, mais dans l’économie nationale, toute politique de réduction de l’investissement et de renvoi de projets peut mener à la catastrophe – comme cela a été le cas pour la Grèce récemment. Il nous faut rejeter toute tentation de morosité et investir pour créer des emplois, produire, vendre, exporter et préparer en même temps l’avenir.


* Published in print edition on 24 February 2012

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