Baromètre politique: “Rien n’est joué pour l’instant. Tout peut arriver, surtout que l’équipe gouvernementale dispose de nombreux atouts”

Interview: Jocelyn Chan Low, Historien

* ‘La corruption de la classe politique est quelque fois une exigence de l’électorat !’


Les citoyens ordinaires ne comprennent pas vraiment la raison d’être de la guerre au Moyen-Orient. Mais la politique a ses raisons et cela fait des années que les pourparlers de paix n’arrivent pas à aboutir ou se retrouvent dans une impasse. Nous avons donc invité Jocelyn Chan Low, historien, pour faire le point sur ce sujet qui fait la Une de toute la presse depuis le déclenchement des hostilités. Il nous parle aussi des troubles à La Citadelle récemment et nous livre ses analyses sur le baromètre politique de Synthèses-l’express. Selon lui, “tout peut arriver, surtout que l’équipe gouvernementale dispose de nombreux atouts du fait d’être au pouvoir. À cela, il faut ajouter la formidable logistique dont dispose le MSM. Rien n’est joué pour l’instant…”


Mauritius Times: Le baromètre politique de Synthèses-l’express, publié fin octobre, à une année des élections, nous donne une photographie à la fois de la situation politique et des priorités des Mauriciens présentement. Ses résultats vous ont-ils surpris?

Jocelyn Chan Low: Pas du tout. Dans plusieurs entretiens ici même, j’avais évoqué cette situation complètement inédite dans l’histoire politique du pays où plus de 60% de l’électorat ne se retrouve plus ni dans les leaders ni dans les partis politiques à la fois mainstream ou extra-parlementaires de même que les raisons de cette grande inadéquation entre l’offre et la demande politique. Le sondage Synthèses démontre en fait la progression de ceux qui se distancient de la classe politique actuelle, leur nombre avoisinant maintenant les 70%.

* Même si Pravind Jugnauth fait mieux que ses adversaires politiques, en l’occurrence Navin Ramgoolam et Paul Bérenger, une majorité des sondés (36%) indiquent qu’ils auraient voté en faveur de l’alliance de l’opposition contre 24.8% qui voteraient pour l’alliance au pouvoir. Quelle analyse faites-vous de ces résultats?

C’est un fait nouveau, sans doute résultant de la concrétisation de l’alliance PTr-MMM- PMSD. Ensemble les leaders et partis qui la composent semblent avoir réussi à forger une certaine synergie dans leur électorat respectif poussant même une partie de ceux qui doutent de la classe politique actuelle à se ranger bon gré mal gré de leur côté pour un changement de gouvernement. Par contre, les alliés de Pravind Jugnauth, ne font pas le poids.

La situation ressemble à celle qui prévalait à la veille des élections générales de 1995. C’est dans ce contexte sans doute qu’il faut analyser les spéculations autour du retour d’Ivan Collendaveloo au gouvernement. Je ne serai guère étonné si PJ fait appel à certains éléments de l’opposition extra parlementaire dont les illusions se sont envolées avec les résultats du sondage.

* Il faut noter également que parmi les enjeux qui ont le plus d’importance aux yeux des sondés lorsqu’ils voteront aux prochaines législatives, la corruption figure à la sixième place – cela bien après la cherté de la vie, le trafic de drogue, la création d’emploi, ou l’augmentation de la pension de vieillesse. Il semble donc que la rhétorique anti-corruption et l’impunité dont jouissent les personnalités publiques ne mord pas…

Au fond, cela n’est guère surprenant. Il y a quelques années déjà un sondage révélait qu’une majorité de jeunes trouvait tout à fait normal de solliciter l’appui d’un piston – backing politique – pour avoir un job. L’acceptation généralisée de passe-droits est signe que la corruption est banalisée. Idem pour un grand nombre d’électeurs qui sollicitent leurs députés pour que leurs enfants obtiennent une place dans le meilleur collège, ou pour contourner des processus bureaucratiques établies, etc… La corruption de la classe politique est quelque fois une exigence de l’électorat ! Il y a toute une éducation civique à faire ou à refaire.

* Toutefois, les jeux ne sont pas faits, car au-delà de sa majorité confortable au Parlement, le Premier ministre a toujours le contrôle de l’agenda politique, il décidera de la date des prochaines législatives selon sa convenance politique. Son alliance a démontré une capacité à exploiter les ressources de l’État à des fins politiques comme jamais pratiquée auparavant, et le leadership de Jugnauth lui-même ne souffre pas de contestation au sein de son parti ou du gouvernement. Quelle analyse faites-vous donc de la force électorale de l’alliance gouvernementale?

Voyons les chiffres du sondage d’abord. Si on additionne le score de l’alliance gouvernementale et celui de l’opposition parlementaire et extra parlementaire, on n’atteint même pas 65%. Certes, il faut compter sur l’abstention mais une bonne partie de l’électorat est indécise. Ainsi tout peut arriver, surtout que l’équipe gouvernementale dispose de nombreux atouts du fait d’être au pouvoir. À cela, il faut ajouter la formidable logistique dont dispose le MSM. Rien n’est joué pour l’instant. 

* Une grande majorité des Mauriciens souhaite un renouveau de la classe politique. Au fait deux Mauriciens sur trois souhaitent l’émergence d’un leader politique. Est-ce en réalité une alternative crédible que recherchent les Mauriciens ou veulent-ils d’unnouveau leader ?

Sans doute les deux. En fait,si on analyse la totalité de la vie politique à Maurice depuis 2010, elle se résume à l’affaire Medpoint vs l’affaire coffre-fort, c’est-à-dire à une lutte à mort entre les deux grandes personnalités de la vie politique mauricienne pouvant aspirer au poste de Premier ministre. Les deux se sont entretués, à coup de surenchère, de procès, etc., avec des effets délétères sur les institutions.

Une démocratie ne fonctionne pas correctement dans un tel contexte car les normes sont bafouées. C’est le temps des excès dans l’animosité.Untel affrontement ne peut qu’entrainerl’émergence de tendances non libérales et la désaffection de l’électorat.Avec du recul, on peut affirmer que cela a dû contribuer grandementà cette grande soif d’une personnalité politique qui pourrait gérer le pays et faire la politique autrement.

* Vous conviendrez que trouver cet oiseau rare à une année des prochaines élections, structurer une nouvelle force politique, regrouper des cadres et autres activistes… ‘that’s a tallorder’… Les conditions ne sont pas réunies pour que cela puisse se concrétiser, non?

Je ne suis pas pessimiste par rapport à l’émergence d’une nouvelle personnalité, homme ou femme, qui aurait le profil idéal pour aspirer au poste de Premier ministre capable de s’entourerde personnes compétentes et intègres. L’île Maurice n’est pas si dépourvue de talents et de cadres respectables et respectés. Par contre, il y a effectivement un problème de “timing”.

Car la politique n’est pas une affaire de salon. Bien qu’ayant fait des études supérieuresà la London Schoolof Economics and Political Science, c’est sur le “coaltar” que j’ai appris les tenants et les aboutissants de la vie politique à Maurice. Unan, c’est effectivement trop court. Je crois que les dés sont jetés. Les prochaines élections seront essentiellement un affrontemententre les leaders et les partis traditionnels.

Guerre Hamas-Israël: “La question est avant tout coloniale et il ne faudrait surtout pas l’enfermer dans un carcan religieux”

* Par ailleurs, trois semaines après l’attaque sans précédent menée par le Hamas le 7 octobre dernier, l’armée israélienne a décidé «d’étendre ses opérations terrestres» dans Gaza. Le monde se pose des questions sur l’historique du conflit israélo-palestinien, l’impact de la présente guerre et son issue possible, et beaucoup se demandent si d’autres pays vont s’y impliquer. C’est sans doute un sujet vaste et complexe où s’y mêlent religion et l’Histoire, entre autres. Quelle analyse faites-vous de cette guerre inattendue?

Il est vrai qu’un grand nombre d’observateurs ont été surpris par l’attaque du Hamas le 7 octobre dernier et par la riposte israélienne, surtout qu’elles intervenaient au moment où la normalisation des relations entre l’Arabie saoudite et Israël était bien avancée. Cependant la question palestinienne restait entière et le conflit n’avait jamais cessé, et était irrésolu. Pour preuveun grand nombre de palestiniens ont été tués par les forces israéliennes depuis janvier de cette année.

* Mais c’est quoi cette question palestinienne qui refait surface dans notre conscience de temps à autre avec fracas ?

Au-delà de sa complexité, c’est essentiellement une histoire de colonialisme- et de résistance à un white settler colonialism, comme on a vu dans d’autres parties du monde- par exemple aux Etats-Unis, en Amérique latine,en Australie, en Afrique du Sud et dans d’autres pays d’Afriqueaustraleou d’Afrique du Nord.
Tout d’abord, le mythe sioniste du retour des Juifs sur leurs terres ancestrales dont le titre de propriété était tiréde la Bible. Or, les recherches historiques comme celles entreprises par Shlomo Sand, historien et ancien professeur àl’université de Tel Aviv et auteur de l’excellent ouvrage ‘Comment le peuple juif fut inventé’,ont démontré en gros qu’il n’y avait jamais eu de dispersion massive des Juifsaprès la destruction du Temple de Jérusalem par les Romains en l’an 70 AD, et que les Palestiniens sont les descendants des peuples qui habitaient cette contrée à l’époque biblique ; et ils se convertirent au christianisme au 4eme siècleet une grand partieà l’Islam dans le sillage dela conquêtearabe du 7e-8e siècle. Cette analyse historiqueest confirmée par les étudesgénétiques despopulations comme le révèle le chercheurisraélien TsviMisinai dans son ouvrage ‘Brothers do not lift swordagainst Brother’.

De ce fait, les colons juifs du 20eme siècle sont majoritairement les descendants de populationseuropéennes convertiesau judaïsme au fil des années. Quant àleur prétention à la‘terre biblique d’Israël’, elle est contestée par la majorité des chrétiens pour lesquels les promesses et lesprophéties del’Ancien Testament ont été accomplies avecla venue de Jésus Christ. C’est pour cela que le Nouveau Testament faitétat d’une nouvelle alliance avec le Dieu d’Abraham, remplaçant l’ancienne.

En outre, il faut se rappeler que si l’on se fie littéralement aux écrits bibliques, Israël devrait inclure la moitié de l’Egypte, la Jordanie, le Liban, la Syrie, l’Iraq et une partie de l’Arabie saoudite. Il faut ajouter que l’étatd’Israël d’aujourd’hui est un État séculier où 36% de lapopulation est athée, où annuellement des ‘gay pride’ réunissant plus de 300,000 personnes sont organisés alors que l’Israël de la Bible est une théocratie censée suivre à la lettre les commandements du Dieu d’Abraham.

Il faut aussi noter que le principe même de la création d’un État juif est contesté par des juifs orthodoxes. En 1947, le grand rabbin de Jérusalem avait même écrit une lettre aux Nations Unies contre la création d’Israël. Se basant sur une lecture de la Torah et du Talmud,certains rabbins orthodoxes affirment quel’exil des Juifs, ayantété imposé par Dieu, ils doivent s’y conformer. Seul le messie qu’ils attendent pourra les ramener au ‘statehood’.C’est pour cela qu’ils prônent la dissolution de l’état d’Israël, considéré comme hérétique.

* Qu’en est-il des mythes concoctés par la religion?

Mais si l’on enlève les mythes concoctés à travers l’instrumentalisation de certains écrits religieux, le sionisme ne se révèle êtrefinalement qu’une entreprise colonialecomme celles qui ont foisonné depuis le 15eme siècle, légitimée scandaleusementpar la fameuse doctrine de la découverte façonnée par le Vatican au 15eme siècle etqui visait à déshumaniser les indigènesdes coloniespour justifier l’accaparement de leurs terres, voire leur génocide au profit descolons européens.

Évidemment, les populations indigènes résistèrent à la spoliation de leurs terres avec les moyens dont elles disposaient, souvent dérisoires, face à la puissance de feu des colons européens. Et, dans ce combat, les religions autochtones ont joué un rôle primordial dès le départ. Par exemple en 1896-1897, au Zimbabwe, au début du 20eme siècle, au cours de la rébellion des Maji-Majiau Tanganyika, etc., eton connait le rôle des confréries religieuses en Afrique de l’Ouest et du Nord toutcomme le rôle de l’Islam dans la lutte anti-coloniale en Indonésie et ailleurs.

Dans beaucoup de sociétés, la distanciation entre le profane et le sacré n’existe pas. On comprend mieux alors la montée duHamas bien que l’organisationait été voulue et encouragée par les autorités israéliennes pour affaiblir le Fatah et saboter le processus d’Oslo qui devait menerà unepaix durable à travers la création d’un État palestinien à côté d’un État israélien.

Ce processus de paix a été rendu encore plus difficile par les implantations illégales de colonies juives sur les terres palestiniennes occupées. Aujourd’hui, ces colons représentent plus d’un million et pèsent de tout leur poids sur le processus électoral en Israël. Mais lesine qua nonà la création d’un état palestinien viable est le démantèlement de cescolonies illégales aux yeux du droit international.

* Quelle autre option pourrait être envisagée dans ces circonstancesaussi problématiques ?

L’autre option seraitd’englober à la fois israéliens et palestiniens dans un seul État démocratique où tous jouiront des mêmes droits. Or, Israël pratique ouvertement un régime d’apartheid vis-à-vis des arabes palestiniens, qui sont relégués au rang de citoyens de deuxième catégorie. Il ne faut pas oublier que la forte démographie de la population palestiniennela rendrait majoritaire dans quelques décennies. En ce moment, les Palestiniens sont parqués dans des territoires qui ressemblent étrangement aux bantoustans de l’époque de l’Afrique du Sud de l’apartheid.

Évidemment cette situation est celle d’une guerre latente permanente et des faucons israéliens voudraient y mettre un terme à travers un programme d’épuration ethnique àgrande échelle, et ce, parl’instigation d’une crise humanitaire sans précédent d’abord à Gaza, ce qui pousserait les Gazaouis à s’enfuir vers le Sinaï en Égypte et forcerait les états arabes à s’occuper des réfugiés.

WikiLeaks vient de publier des documents attestant d’un tel plan. Mais, aujourd’hui, malgré le soutien inconditionnel des États-Unis et de ses alliés, la mise en œuvre d’un tel scénario comporte d’énormes risques d’élargissement du conflit avec des effets dévastateurs non seulement au niveau régional mais aussi au niveau mondial.

* Selon ‘La Croix’, la cause palestinienne bénéficie d’une aura indéniable parmi les populations musulmanes à travers le monde, et notamment auprèsdes jeunes. ‘Ce soutien repose sur l’identification avec un peuple victime d’injustice, mais aussi sur une solidarité religieuse.’ La cause des Palestiniens n’aurait-elle pas été mieux servie toutefois par la désobéissance civile que par la violence, qui ne peut que déshonorer cette cause?

Qu’elle bénéficie d’un soutien massif chez les arabes et les musulmans, cela n’a rien d’étonnant. Les populations ont tendance à se rallier derrière la cause de leurs coreligionnaires ou celles des peuples qui leur sont proches culturellement ou ethniquement.

Ainsi, quand l’Italie avait envahi l’Ethiopie en 1935, il y eut une énorme vague de soutien dans l’espace panafricain à cette nation africaine. Des milliers d’africains, d’afro-caribéens et d’afro-américains se déclarèrent volontaires pour aller se battre aux côtés de leur frères éthiopiens. Dans un de leurs ouvrages, les frères Leblond font même mention d’un certain écho à l’île Maurice.

Cependant le soutien à la cause palestinienne dépasse largement le cadre du monde arabo-musulman. La cause palestinienne a toujours été soutenue par lesleaders et les personnalitésafricaines et pan africaines deMalcolm Xà Julius Malema de l’Afrique du Sud(qui promet d’armer le Hamas s’il remporte les prochaines élections présidentielles en Afrique du Sud) en passant par Muhammad Ali, Thomas Sankara et Nelson Mandela.

De même, en Europe, le soutien à la fois de la population et du gouvernement irlandais à la Palestine est massif et indéfectible. En Amérique latine, la cause palestinienne rencontre un soutien massif. Et le Chili, la Bolivie et la Colombie ont rappelé leur ambassadeur en Israël dans le sillage du génocide qui se déroule sous nos yeux.Ce sont des peuples ayant subi les affres du colonialisme. La question est avant tout coloniale et il ne faudrait surtoutpas l’enfermer dans un carcan religieux.

Quant à la non-violence, les Palestiniens de Gaza l’ont tenté en 2018 à travers la marche pacifique du retour. Mais ils ont rencontré des soldats israéliens quitiraient à bout portant avec des balles réelles.

* Cette guerre sera “longue et difficile”, a prévenu le Premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou, et il doit être difficile à ce stade de se faire une idée de ce que seront les conséquences sur la région, sur l’équilibre géopolitique au-delà du Moyen-Orient et éventuellement sur l’économie mondiale. Votre opinion?

Tout d’abord, ilestà noter que bien avant le 7 octobre, certains développements majeurs s’opéraient dans cette région du monde-par exemple le retour delaSyrie au sein de monde arabe, l’entréede la Chine dans la région à travers une intense activité diplomatique menant, à la surprise générale, à la réconciliation entre l’Arabie saoudite et l’Iran, tous deux prochains membres des Brics. Ajoutons à cela, la prochaine entrée de l’Iran au sein des puissances nucléaires-cequi amènera à coup sûr l’Arabie saoudite à développer son programme nucléaire. Mais elle aura àrassurer ses voisins-ce qui explique sansdoute l’accélération du processus de normalisation avec Israël.

Cela étant dit, les derniers événements ont tout bouleversé. Si le conflit s’élargit, il y aura des conséquences incalculables sur la région. Si le massacre des civils à Gaza se poursuit, la pression de la rue arabe va s’amplifier et contraindre les dirigeants à durcir le ton au risque d’être balayés. L’instabilité politique dans une région – qui fournit encore un pourcentage très élevé de l’énergie qui fait tourner le monde – aura évidemment des répercussions énormes sur l’économie mondiale. Et si l’Iran ferme le détroit d’Ormuz, le commerce international sera affecté d’une manière dramatique. La situation est effectivement très grave.

Avec du recul, la réaction des États-Unis et de ses alliés occidentaux face à ce génocide aura un impact considérable sur l’éloignement des populations du Sud global déjà en cours de l’occident. Certains affirment que les masques sont tombés et que l’application des grandes valeurs dites occidentales sont à géométrie variable, que le ‘US and Them’ divide n’a pas changé depuis l’époque coloniale bien que nous sommes maintenant dans un monde où l’occident est relativement en pleine régression par rapport au sud global, que ce soit sur le plan démographique, économique ou financier. Et les événements en cours risquent de mettre un terme à toute prétention occidentale auleadership moral du monde.

* Une grande majorité des Mauriciens souhaite un renouveau de la classe politique. Au fait deux Mauriciens sur trois souhaitent l’émergence d’un leader politique. Est-ce en réalité une alternative crédible que recherchent les Mauriciens ou veulent-ils d’unnouveau leader ?

Sans doute les deux. En fait,si on analyse la totalité de la vie politique à Maurice depuis 2010, elle se résume à l’affaire Medpoint vs l’affaire coffre-fort, c’est-à-dire à une lutte à mort entre les deux grandes personnalités de la vie politique mauricienne pouvant aspirer au poste de Premier ministre. Les deux se sont entretués, à coup de surenchère, de procès, etc., avec des effets délétères sur les institutions.

Une démocratie ne fonctionne pas correctement dans un tel contexte car les normes sont bafouées. C’est le temps des excès dans l’animosité.Untel affrontement ne peut qu’entrainerl’émergence de tendances non libérales et la désaffection de l’électorat.Avec du recul, on peut affirmer que cela a dû contribuer grandementà cette grande soif d’une personnalité politique qui pourrait gérer le pays et faire la politique autrement.

* Vous conviendrez que trouver cet oiseau rare à une année des prochaines élections, structurer une nouvelle force politique, regrouper des cadres et autres activistes… ‘that’s a tallorder’… Les conditions ne sont pas réunies pour que cela puisse se concrétiser, non?

Je ne suis pas pessimiste par rapport à l’émergence d’une nouvelle personnalité, homme ou femme, qui aurait le profil idéal pour aspirer au poste de Premier ministre capable de s’entourerde personnes compétentes et intègres. L’île Maurice n’est pas si dépourvue de talents et de cadres respectables et respectés. Par contre, il y a effectivement un problème de “timing”.

Car la politique n’est pas une affaire de salon. Bien qu’ayant fait des études supérieuresà la London Schoolof Economics and Political Science, c’est sur le “coaltar” que j’ai appris les tenants et les aboutissants de la vie politique à Maurice. Unan, c’est effectivement trop court. Je crois que les dés sont jetés. Les prochaines élections seront essentiellement un affrontemententre les leaders et les partis traditionnels.

Guerre Hamas-Israël: “La question est avant tout coloniale et il ne faudrait surtout pas l’enfermer dans un carcan religieux”

* Par ailleurs, trois semaines après l’attaque sans précédent menée par le Hamas le 7 octobre dernier, l’armée israélienne a décidé «d’étendre ses opérations terrestres» dans Gaza. Le monde se pose des questions sur l’historique du conflit israélo-palestinien, l’impact de la présente guerre et son issue possible, et beaucoup se demandent si d’autres pays vont s’y impliquer. C’est sans doute un sujet vaste et complexe où s’y mêlent religion et l’Histoire, entre autres. Quelle analyse faites-vous de cette guerre inattendue?

Il est vrai qu’un grand nombre d’observateurs ont été surpris par l’attaque du Hamas le 7 octobre dernier et par la riposte israélienne, surtout qu’elles intervenaient au moment où la normalisation des relations entre l’Arabie saoudite et Israël était bien avancée. Cependant la question palestinienne restait entière et le conflit n’avait jamais cessé, et était irrésolu. Pour preuveun grand nombre de palestiniens ont été tués par les forces israéliennes depuis janvier de cette année.

* Mais c’est quoi cette question palestinienne qui refait surface dans notre conscience de temps à autre avec fracas ?

Au-delà de sa complexité, c’est essentiellement une histoire de colonialisme- et de résistance à un white settler colonialism, comme on a vu dans d’autres parties du monde- par exemple aux Etats-Unis, en Amérique latine,en Australie, en Afrique du Sud et dans d’autres pays d’Afriqueaustraleou d’Afrique du Nord.
Tout d’abord, le mythe sioniste du retour des Juifs sur leurs terres ancestrales dont le titre de propriété était tiréde la Bible. Or, les recherches historiques comme celles entreprises par Shlomo Sand, historien et ancien professeur àl’université de Tel Aviv et auteur de l’excellent ouvrage ‘Comment le peuple juif fut inventé’,ont démontré en gros qu’il n’y avait jamais eu de dispersion massive des Juifsaprès la destruction du Temple de Jérusalem par les Romains en l’an 70 AD, et que les Palestiniens sont les descendants des peuples qui habitaient cette contrée à l’époque biblique ; et ils se convertirent au christianisme au 4eme siècleet une grand partieà l’Islam dans le sillage dela conquêtearabe du 7e-8e siècle. Cette analyse historiqueest confirmée par les étudesgénétiques despopulations comme le révèle le chercheurisraélien TsviMisinai dans son ouvrage ‘Brothers do not lift swordagainst Brother’.

De ce fait, les colons juifs du 20eme siècle sont majoritairement les descendants de populationseuropéennes convertiesau judaïsme au fil des années. Quant àleur prétention à la‘terre biblique d’Israël’, elle est contestée par la majorité des chrétiens pour lesquels les promesses et lesprophéties del’Ancien Testament ont été accomplies avecla venue de Jésus Christ. C’est pour cela que le Nouveau Testament faitétat d’une nouvelle alliance avec le Dieu d’Abraham, remplaçant l’ancienne.

En outre, il faut se rappeler que si l’on se fie littéralement aux écrits bibliques, Israël devrait inclure la moitié de l’Egypte, la Jordanie, le Liban, la Syrie, l’Iraq et une partie de l’Arabie saoudite. Il faut ajouter que l’étatd’Israël d’aujourd’hui est un État séculier où 36% de lapopulation est athée, où annuellement des ‘gay pride’ réunissant plus de 300,000 personnes sont organisés alors que l’Israël de la Bible est une théocratie censée suivre à la lettre les commandements du Dieu d’Abraham.

Il faut aussi noter que le principe même de la création d’un État juif est contesté par des juifs orthodoxes. En 1947, le grand rabbin de Jérusalem avait même écrit une lettre aux Nations Unies contre la création d’Israël. Se basant sur une lecture de la Torah et du Talmud,certains rabbins orthodoxes affirment quel’exil des Juifs, ayantété imposé par Dieu, ils doivent s’y conformer. Seul le messie qu’ils attendent pourra les ramener au ‘statehood’.C’est pour cela qu’ils prônent la dissolution de l’état d’Israël, considéré comme hérétique.

* Qu’en est-il des mythes concoctés par la religion?

Mais si l’on enlève les mythes concoctés à travers l’instrumentalisation de certains écrits religieux, le sionisme ne se révèle êtrefinalement qu’une entreprise colonialecomme celles qui ont foisonné depuis le 15eme siècle, légitimée scandaleusementpar la fameuse doctrine de la découverte façonnée par le Vatican au 15eme siècle etqui visait à déshumaniser les indigènesdes coloniespour justifier l’accaparement de leurs terres, voire leur génocide au profit descolons européens.

Évidemment, les populations indigènes résistèrent à la spoliation de leurs terres avec les moyens dont elles disposaient, souvent dérisoires, face à la puissance de feu des colons européens. Et, dans ce combat, les religions autochtones ont joué un rôle primordial dès le départ. Par exemple en 1896-1897, au Zimbabwe, au début du 20eme siècle, au cours de la rébellion des Maji-Majiau Tanganyika, etc., eton connait le rôle des confréries religieuses en Afrique de l’Ouest et du Nord toutcomme le rôle de l’Islam dans la lutte anti-coloniale en Indonésie et ailleurs.

Dans beaucoup de sociétés, la distanciation entre le profane et le sacré n’existe pas. On comprend mieux alors la montée duHamas bien que l’organisationait été voulue et encouragée par les autorités israéliennes pour affaiblir le Fatah et saboter le processus d’Oslo qui devait menerà unepaix durable à travers la création d’un État palestinien à côté d’un État israélien.

Ce processus de paix a été rendu encore plus difficile par les implantations illégales de colonies juives sur les terres palestiniennes occupées. Aujourd’hui, ces colons représentent plus d’un million et pèsent de tout leur poids sur le processus électoral en Israël. Mais lesine qua nonà la création d’un état palestinien viable est le démantèlement de cescolonies illégales aux yeux du droit international.

* Quelle autre option pourrait être envisagée dans ces circonstancesaussi problématiques ?

L’autre option seraitd’englober à la fois israéliens et palestiniens dans un seul État démocratique où tous jouiront des mêmes droits. Or, Israël pratique ouvertement un régime d’apartheid vis-à-vis des arabes palestiniens, qui sont relégués au rang de citoyens de deuxième catégorie. Il ne faut pas oublier que la forte démographie de la population palestiniennela rendrait majoritaire dans quelques décennies. En ce moment, les Palestiniens sont parqués dans des territoires qui ressemblent étrangement aux bantoustans de l’époque de l’Afrique du Sud de l’apartheid.

Évidemment cette situation est celle d’une guerre latente permanente et des faucons israéliens voudraient y mettre un terme à travers un programme d’épuration ethnique àgrande échelle, et ce, parl’instigation d’une crise humanitaire sans précédent d’abord à Gaza, ce qui pousserait les Gazaouis à s’enfuir vers le Sinaï en Égypte et forcerait les états arabes à s’occuper des réfugiés.

WikiLeaks vient de publier des documents attestant d’un tel plan. Mais, aujourd’hui, malgré le soutien inconditionnel des États-Unis et de ses alliés, la mise en œuvre d’un tel scénario comporte d’énormes risques d’élargissement du conflit avec des effets dévastateurs non seulement au niveau régional mais aussi au niveau mondial.

* Selon ‘La Croix’, la cause palestinienne bénéficie d’une aura indéniable parmi les populations musulmanes à travers le monde, et notamment auprèsdes jeunes. ‘Ce soutien repose sur l’identification avec un peuple victime d’injustice, mais aussi sur une solidarité religieuse.’ La cause des Palestiniens n’aurait-elle pas été mieux servie toutefois par la désobéissance civile que par la violence, qui ne peut que déshonorer cette cause?

Qu’elle bénéficie d’un soutien massif chez les arabes et les musulmans, cela n’a rien d’étonnant. Les populations ont tendance à se rallier derrière la cause de leurs coreligionnaires ou celles des peuples qui leur sont proches culturellement ou ethniquement.

Ainsi, quand l’Italie avait envahi l’Ethiopie en 1935, il y eut une énorme vague de soutien dans l’espace panafricain à cette nation africaine. Des milliers d’africains, d’afro-caribéens et d’afro-américains se déclarèrent volontaires pour aller se battre aux côtés de leur frères éthiopiens. Dans un de leurs ouvrages, les frères Leblond font même mention d’un certain écho à l’île Maurice.

Cependant le soutien à la cause palestinienne dépasse largement le cadre du monde arabo-musulman. La cause palestinienne a toujours été soutenue par lesleaders et les personnalitésafricaines et pan africaines deMalcolm Xà Julius Malema de l’Afrique du Sud(qui promet d’armer le Hamas s’il remporte les prochaines élections présidentielles en Afrique du Sud) en passant par Muhammad Ali, Thomas Sankara et Nelson Mandela.

De même, en Europe, le soutien à la fois de la population et du gouvernement irlandais à la Palestine est massif et indéfectible. En Amérique latine, la cause palestinienne rencontre un soutien massif. Et le Chili, la Bolivie et la Colombie ont rappelé leur ambassadeur en Israël dans le sillage du génocide qui se déroule sous nos yeux.Ce sont des peuples ayant subi les affres du colonialisme. La question est avant tout coloniale et il ne faudrait surtoutpas l’enfermer dans un carcan religieux.

Quant à la non-violence, les Palestiniens de Gaza l’ont tenté en 2018 à travers la marche pacifique du retour. Mais ils ont rencontré des soldats israéliens quitiraient à bout portant avec des balles réelles.

* Cette guerre sera “longue et difficile”, a prévenu le Premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou, et il doit être difficile à ce stade de se faire une idée de ce que seront les conséquences sur la région, sur l’équilibre géopolitique au-delà du Moyen-Orient et éventuellement sur l’économie mondiale. Votre opinion?

Tout d’abord, ilestà noter que bien avant le 7 octobre, certains développements majeurs s’opéraient dans cette région du monde-par exemple le retour delaSyrie au sein de monde arabe, l’entréede la Chine dans la région à travers une intense activité diplomatique menant, à la surprise générale, à la réconciliation entre l’Arabie saoudite et l’Iran, tous deux prochains membres des Brics. Ajoutons à cela, la prochaine entrée de l’Iran au sein des puissances nucléaires-cequi amènera à coup sûr l’Arabie saoudite à développer son programme nucléaire. Mais elle aura àrassurer ses voisins-ce qui explique sansdoute l’accélération du processus de normalisation avec Israël.

Cela étant dit, les derniers événements ont tout bouleversé. Si le conflit s’élargit, il y aura des conséquences incalculables sur la région. Si le massacre des civils à Gaza se poursuit, la pression de la rue arabe va s’amplifier et contraindre les dirigeants à durcir le ton au risque d’être balayés. L’instabilité politique dans une région – qui fournit encore un pourcentage très élevé de l’énergie qui fait tourner le monde – aura évidemment des répercussions énormes sur l’économie mondiale. Et si l’Iran ferme le détroit d’Ormuz, le commerce international sera affecté d’une manière dramatique. La situation est effectivement très grave.

Avec du recul, la réaction des États-Unis et de ses alliés occidentaux face à ce génocide aura un impact considérable sur l’éloignement des populations du Sud global déjà en cours de l’occident. Certains affirment que les masques sont tombés et que l’application des grandes valeurs dites occidentales sont à géométrie variable, que le ‘US and Them’ divide n’a pas changé depuis l’époque coloniale bien que nous sommes maintenant dans un monde où l’occident est relativement en pleine régression par rapport au sud global, que ce soit sur le plan démographique, économique ou financier. Et les événements en cours risquent de mettre un terme à toute prétention occidentale auleadership moral du monde.

Troubles à La Citadelle: “Opposition et gouvernement ont tout intérêt à préserver l’harmonie sociale”

* Une des conséquences de cette guerre vécue ici-même, ce sont les troubles, le soir du 21 octobre dernier à La Citadelle, lors du ‘Konser Gran Solider’.Quoique inattendu, on a toutefois constaté une montée de l’intolérance ces dernières années vis-à-vis des LGBT ; il y a eu auparavant l’escadron de la mort dont les actes avaient marqué le Mauriciens… Faut-il craindre pour l’avenir, selon vous?

Les choses peuvent été interprétées différemment. Au contraire, la société mauricienne dans son ensemble semble avoir intégré le groupe LGBTdans le schéma de ‘consensus négatif’ opératoire dans les divers groupes de population,c’est-à-dire vous êtes différent d’un point de vue de communauté, de religion, de culture, de style de vie, etc., et on ne s’en mêle pas mais vous avez le droit d’exister.

Certes, comme dans beaucoup d’autres pays, en Afrique, dans les pays d’Europe de l’Est où l’on retrouve une grande population de chrétiens orthodoxes ou des pays où les chrétiens évangéliques sont nombreux, comme en Corée du Sud ou même aux États-Unis, où encore en Israël où il y a une forte population de juifs orthodoxes, les gays pride sont soit interdits ou doivent faire face à une certaine hostilité de la part de contre-manifestants.

En fait, ailleurs, avec l’absorption de la question du genre dans les couleurs du drapeau LGBT et sa transformation en LGBTQA+ et la cacophonie que l’idéologie du genre est en train d’opérer dans des sociétés dites avancées comme le Canada ou les États-Unis, avec l’introduction d’une foule de nouveaux pronoms au niveau du langage, du problème de la présence des transgenres avec des attributs masculins dans les toilettes des filles dans les collèges, de la participation des transgenres dans des compétitions sportives féminines ou des concours de beauté, ou encore le traitement desperturbateurs endocriniens pour faciliter le changement de sexe chez des enfants sans l’aval ou même la connaissance de leurs parents – est en train de créer des divisions énormes dans ces sociétés.

Quant aux événements récents à la Citadelle, il est difficile de se faire une idée de ce qui s’est réellement passé car il y plusieurs thèses qui s’affrontent, le tout enrobé de théories de complot. Mais la Citadelle fait partie de notre patrimoine historique et culturel, comme un symbole de la résistance farouche des maîtres à l’abolition de l’esclavage et de leur hostilité aux autorités britanniques qui œuvraient pour la libération des esclaves. La peur d’une révolte future des colons que le débat sur le sujet avait mis en exergue fit que le fort fut conçu contre de potentiels ennemis venant à la fois de l’extérieur comme de l’intérieur. C’’est un patrimoine à préserver mais le ‘maintenance’ est coûteux d’où la nécessité d’organiser des activités pour récolter des fonds pour l’entretien.

Cependant, il faut s’assurer que de telles activités n’enfreignent pas les lois en vigueur, notamment la pollution sonore. Et c‘est pour cela que, depuis 2007, suite à diverses complaintes des habitants de l’endroit, aucun concert n’a eu lieu à la Citadelle car à partir de 21 heures la police intervenait pour couper le “sound systems”. Cette fois-ci,si l’on croit un article de l’express du 23 septembre 2023, toutes les précautions avaient été prises pour éviter des problèmes. Par exemple, selon l’organisateur, le concert devait se terminer à 21 heurs au plus tard.

D’ailleurs, le journal titrait que le concert se ferait… en journée. Mais entretemps, il y a eu les événements qu’on connait en Palestine. Les organisateurs ont cru bien faire en faisant interpréter une chanson sur la paix écrite par un chanteur israélien. Malheureusement c’était mal choisir car une simple recherche sur google nous apprend que ce dernier est très controversé et avait failli été exclu d’un festival de reggae en Espagne pour avoir refusé de signer un document reconnaissant la nécessité de créer un État palestinien. Et Mark Levine, éminent professeur d’Histoire de l’University of Californa Irvine, très actif dans le mouvement des juifs pour la paix, nous révèle dans un article publié sur le site Al Jazeera, que Matisyahu l’auteur de la chanson ‘has defended the murder of international activists by IDF forces in the infamous 2010 Gaza freedom flotilla.’C’est sans doute de làque vient la polémique autour l’auteur de la chanson. Et, pour ce qui s’est passé réellement, il faudra attendre les conclusions de l’enquête policière.

Cependant la lecture des réactions, suite aux événements, révèle beaucoup de prescriptions sur comment promouvoir l’unité nationale et le respect des lois mais peu de commentaires sur comment gérer au quotidien une situation difficile dans une société pluriethnique et pluriculturelle. Car dans le contexte insulaire mauricien, une étincelle – par exemple une phrase dans un chant entonné par des élèves du RCC – peut se transformer rapidement en un ‘social epidemic’ avec parfois des conséquences graves d’où la nécessité de flexibilité et de concessions de part et d’autre pour éviter tout dérapage.

* Ces troubles sont survenus à une année ou plus des prochaines élections, cela durant une période où les gouvernements en place ont souvent à faire face à des pressions venant de divers secteurs et intérêts, tant internes qu’externes. L’actuel gouvernement et les forces vives sauront-ils gérer cela et préserver l’harmonie sociale dans le pays?

Les réactions de part et d’autre révèlentque le consensus négatif fonctionne. Les Mauriciens savent qu’ils sont tous dans un même bateau et ‘no one willdeliberatelytry to rock the boat’. Bien sûr, il faudrait arriver à créer les conditionspour dépasser ce consensus négatif et aller vers un dialogue interculturelfructueux. Comme je l’ai dit ailleurs, ‘l’inter culturalité ne se décrète pas. Il faut créer les conditions pour que le dialogue interculturel se fasse.’Entretemps, je crois qu’à la fois opposition et gouvernement ont tout intérêt àpréserver l’harmonie sociale.

Nul ne peut prévoir les conséquences politiques, économiques et sociales d’un conflit interethnique. Les apprentis sorciers sont souvent dévorés par le monstre qu’ils invoquent… Il est vrai qu’une campagne électorale est marquée par de la surenchère en ce qu’il s’agit de l’ethnic politics – que ce soit venant des partis qui tentent de séduire des ‘vote banks’ ou du candidat qui travaille en solo, quelque fois contre son colistier — pour gratter des votes dans des groupes ou sous-groupes spécifiques.Mais les Mauriciens, qui d’ailleurs n’ont plus de confiance aveugle dans la classe politique,savent par expérience que tout ceci ‘isjust a politicalgame.’

Cependant, il est important d’être très vigilants. C’est un fait que les problèmes au Moyen-Orient ont tendance à susciter des tensions dans certains pays, notamment en Europe, par exemple, en France,où une communauté importante de juifs côtoiedes arabo musulmans etdéjà certains ne voient pas d’un bon œil l’imposition d’un ‘style de vie’ à la française contraire à une partie de leur racine culturelle d’origine et cela dans un contextedémonté d’une extrême-droite raciste et xénophobe.

Tout cela impacte définitivement sur le discours des médias mais faisons attention de ne pas laisser ces discours imprégner notre ‘worldview’ et affecter notre façon de voir notre voisin qui n’a rien à voir avec ce qui se passe ailleurs. De même, il faut faire attention à ce que la montée de discours haineux et suprématistes dans certains pays de peuplement n’atteignent pas, par mimétisme, notre république insulaire mettant à mal notre vivre ensemble.

Abolition de l’esclavage et l’engagisme: “Il y a aussi une identité commune à construire”

* On a célébré le 189e anniversaire de l’arrivée des immigrants indiens, cette semaine. Quelles réflexions cet anniversaire vous inspire-t-il ?

Il y a un constat à faire par rapport à la perception populaire du 2 novembre ainsi que du 1er février. Malgré tous les efforts très louables des autorités et des institutions concernées, ces deux commémorations ne sont toujours pas perçues dans leur dimension nationale.

En tant qu’historien, j’avais été associé indirectement à lapremière commémoration à la fois du 1er février et du 2 novembre en tant que jour férié. Je dois avouer que, déjà à l’époque,j’avais des appréhensions quant aux conséquences de dédier deuxjours fériésséparés à l’esclavage et l’engagisme.

D’ailleurs, le MMM avait toujours luttépour une commémoration commune de la fin de l’esclavage et de l’engagisme. C’est ce qui était inscrit au programme électoral de l’alliance MSM-MMM de 2000. On parlait alors de trouver un moyen original de le faire et c’est ainsi que j’avais proposé publiquement dans 5-Plus Dimanchede commémorerlafindel’esclavage et de l’engagisme alternativement le 1erfévrier et le 2 novembre pour qu’au moins l’idée d’une ‘commonalilty of experience’ soit ancrée dans la population.

Enfait le timbre-poste émis pour le 1er février 2001fait état dela commémoration de l’abolition de l’esclavage et del’engagisme. J’étais alors membre du “StampsAdvisoryCommittee”… Il est vrai qu’on sortait à peine de février 99et des groupes de pression ne voulaient pas qu’on leur ‘vole’ le 1erfévrier, si important selon eux pour l’identité créole. Cependant il y a aussiune identité commune à construire. Mais tout cela, c’est de l’Histoire.

 

Troubles à La Citadelle: “Opposition et gouvernement ont tout intérêt à préserver l’harmonie sociale”

* Une des conséquences de cette guerre vécue ici-même, ce sont les troubles, le soir du 21 octobre dernier à La Citadelle, lors du ‘Konser Gran Solider’.Quoique inattendu, on a toutefois constaté une montée de l’intolérance ces dernières années vis-à-vis des LGBT ; il y a eu auparavant l’escadron de la mort dont les actes avaient marqué le Mauriciens… Faut-il craindre pour l’avenir, selon vous?

Les choses peuvent été interprétées différemment. Au contraire, la société mauricienne dans son ensemble semble avoir intégré le groupe LGBTdans le schéma de ‘consensus négatif’ opératoire dans les divers groupes de population,c’est-à-dire vous êtes différent d’un point de vue de communauté, de religion, de culture, de style de vie, etc., et on ne s’en mêle pas mais vous avez le droit d’exister.

Certes, comme dans beaucoup d’autres pays, en Afrique, dans les pays d’Europe de l’Est où l’on retrouve une grande population de chrétiens orthodoxes ou des pays où les chrétiens évangéliques sont nombreux, comme en Corée du Sud ou même aux États-Unis, où encore en Israël où il y a une forte population de juifs orthodoxes, les gays pride sont soit interdits ou doivent faire face à une certaine hostilité de la part de contre-manifestants.

En fait, ailleurs, avec l’absorption de la question du genre dans les couleurs du drapeau LGBT et sa transformation en LGBTQA+ et la cacophonie que l’idéologie du genre est en train d’opérer dans des sociétés dites avancées comme le Canada ou les États-Unis, avec l’introduction d’une foule de nouveaux pronoms au niveau du langage, du problème de la présence des transgenres avec des attributs masculins dans les toilettes des filles dans les collèges, de la participation des transgenres dans des compétitions sportives féminines ou des concours de beauté, ou encore le traitement desperturbateurs endocriniens pour faciliter le changement de sexe chez des enfants sans l’aval ou même la connaissance de leurs parents – est en train de créer des divisions énormes dans ces sociétés.

Quant aux événements récents à la Citadelle, il est difficile de se faire une idée de ce qui s’est réellement passé car il y plusieurs thèses qui s’affrontent, le tout enrobé de théories de complot. Mais la Citadelle fait partie de notre patrimoine historique et culturel, comme un symbole de la résistance farouche des maîtres à l’abolition de l’esclavage et de leur hostilité aux autorités britanniques qui œuvraient pour la libération des esclaves. La peur d’une révolte future des colons que le débat sur le sujet avait mis en exergue fit que le fort fut conçu contre de potentiels ennemis venant à la fois de l’extérieur comme de l’intérieur. C’’est un patrimoine à préserver mais le ‘maintenance’ est coûteux d’où la nécessité d’organiser des activités pour récolter des fonds pour l’entretien.

Cependant, il faut s’assurer que de telles activités n’enfreignent pas les lois en vigueur, notamment la pollution sonore. Et c‘est pour cela que, depuis 2007, suite à diverses complaintes des habitants de l’endroit, aucun concert n’a eu lieu à la Citadelle car à partir de 21 heures la police intervenait pour couper le “sound systems”. Cette fois-ci,si l’on croit un article de l’express du 23 septembre 2023, toutes les précautions avaient été prises pour éviter des problèmes. Par exemple, selon l’organisateur, le concert devait se terminer à 21 heurs au plus tard.

D’ailleurs, le journal titrait que le concert se ferait… en journée. Mais entretemps, il y a eu les événements qu’on connait en Palestine. Les organisateurs ont cru bien faire en faisant interpréter une chanson sur la paix écrite par un chanteur israélien. Malheureusement c’était mal choisir car une simple recherche sur google nous apprend que ce dernier est très controversé et avait failli été exclu d’un festival de reggae en Espagne pour avoir refusé de signer un document reconnaissant la nécessité de créer un État palestinien. Et Mark Levine, éminent professeur d’Histoire de l’University of Californa Irvine, très actif dans le mouvement des juifs pour la paix, nous révèle dans un article publié sur le site Al Jazeera, que Matisyahu l’auteur de la chanson ‘has defended the murder of international activists by IDF forces in the infamous 2010 Gaza freedom flotilla.’C’est sans doute de làque vient la polémique autour l’auteur de la chanson. Et, pour ce qui s’est passé réellement, il faudra attendre les conclusions de l’enquête policière.

Cependant la lecture des réactions, suite aux événements, révèle beaucoup de prescriptions sur comment promouvoir l’unité nationale et le respect des lois mais peu de commentaires sur comment gérer au quotidien une situation difficile dans une société pluriethnique et pluriculturelle. Car dans le contexte insulaire mauricien, une étincelle – par exemple une phrase dans un chant entonné par des élèves du RCC – peut se transformer rapidement en un ‘social epidemic’ avec parfois des conséquences graves d’où la nécessité de flexibilité et de concessions de part et d’autre pour éviter tout dérapage.

* Ces troubles sont survenus à une année ou plus des prochaines élections, cela durant une période où les gouvernements en place ont souvent à faire face à des pressions venant de divers secteurs et intérêts, tant internes qu’externes. L’actuel gouvernement et les forces vives sauront-ils gérer cela et préserver l’harmonie sociale dans le pays?

Les réactions de part et d’autre révèlentque le consensus négatif fonctionne. Les Mauriciens savent qu’ils sont tous dans un même bateau et ‘no one willdeliberatelytry to rock the boat’. Bien sûr, il faudrait arriver à créer les conditionspour dépasser ce consensus négatif et aller vers un dialogue interculturelfructueux. Comme je l’ai dit ailleurs, ‘l’inter culturalité ne se décrète pas. Il faut créer les conditions pour que le dialogue interculturel se fasse.’Entretemps, je crois qu’à la fois opposition et gouvernement ont tout intérêt àpréserver l’harmonie sociale.

Nul ne peut prévoir les conséquences politiques, économiques et sociales d’un conflit interethnique. Les apprentis sorciers sont souvent dévorés par le monstre qu’ils invoquent… Il est vrai qu’une campagne électorale est marquée par de la surenchère en ce qu’il s’agit de l’ethnic politics – que ce soit venant des partis qui tentent de séduire des ‘vote banks’ ou du candidat qui travaille en solo, quelque fois contre son colistier — pour gratter des votes dans des groupes ou sous-groupes spécifiques.Mais les Mauriciens, qui d’ailleurs n’ont plus de confiance aveugle dans la classe politique,savent par expérience que tout ceci ‘isjust a politicalgame.’

Cependant, il est important d’être très vigilants. C’est un fait que les problèmes au Moyen-Orient ont tendance à susciter des tensions dans certains pays, notamment en Europe, par exemple, en France,où une communauté importante de juifs côtoiedes arabo musulmans etdéjà certains ne voient pas d’un bon œil l’imposition d’un ‘style de vie’ à la française contraire à une partie de leur racine culturelle d’origine et cela dans un contextedémonté d’une extrême-droite raciste et xénophobe.

Tout cela impacte définitivement sur le discours des médias mais faisons attention de ne pas laisser ces discours imprégner notre ‘worldview’ et affecter notre façon de voir notre voisin qui n’a rien à voir avec ce qui se passe ailleurs. De même, il faut faire attention à ce que la montée de discours haineux et suprématistes dans certains pays de peuplement n’atteignent pas, par mimétisme, notre république insulaire mettant à mal notre vivre ensemble.

 

Abolition de l’esclavage et l’engagisme: “Il y a aussi une identité commune à construire”

* On a célébré le 189e anniversaire de l’arrivée des immigrants indiens, cette semaine. Quelles réflexions cet anniversaire vous inspire-t-il ?

Il y a un constat à faire par rapport à la perception populaire du 2 novembre ainsi que du 1er février. Malgré tous les efforts très louables des autorités et des institutions concernées, ces deux commémorations ne sont toujours pas perçues dans leur dimension nationale.

En tant qu’historien, j’avais été associé indirectement à lapremière commémoration à la fois du 1er février et du 2 novembre en tant que jour férié. Je dois avouer que, déjà à l’époque,j’avais des appréhensions quant aux conséquences de dédier deuxjours fériésséparés à l’esclavage et l’engagisme.

D’ailleurs, le MMM avait toujours luttépour une commémoration commune de la fin de l’esclavage et de l’engagisme. C’est ce qui était inscrit au programme électoral de l’alliance MSM-MMM de 2000. On parlait alors de trouver un moyen original de le faire et c’est ainsi que j’avais proposé publiquement dans 5-Plus Dimanchede commémorerlafindel’esclavage et de l’engagisme alternativement le 1erfévrier et le 2 novembre pour qu’au moins l’idée d’une ‘commonalilty of experience’ soit ancrée dans la population.

Enfait le timbre-poste émis pour le 1er février 2001fait état dela commémoration de l’abolition de l’esclavage et del’engagisme. J’étais alors membre du “StampsAdvisoryCommittee”… Il est vrai qu’on sortait à peine de février 99et des groupes de pression ne voulaient pas qu’on leur ‘vole’ le 1erfévrier, si important selon eux pour l’identité créole. Cependant il y a aussiune identité commune à construire. Mais tout cela, c’est de l’Histoire.


Mauritius Times ePaper Friday 3 November 2023

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