Au pied du mur de l’incompétence, la débrouillardise…

By Nita Chicooree-Mercier

Au vu du tollé suscité par les nouvelles factures émises par le CEB, c’est à se demander si l’organisme paraétatique ne se paie pas la tête des consommateurs.

Les nouveaux compteurs collent d’avance une centaine d’unités de consommation avant toute consommation réelle. Vers qui le public doit-il se tourner pour réclamer des comptes hormis l’anonymat du personnel du hotline qui se relaie sans cesse ?

Si le consommateur, lui, endosse le prix d’un budget déficitaire, dû à une gestion discutable ou à la corruption, un débat s’impose avant qu’un lobby quelconque ne tire les ficelles dans les coulisses des affaires pour appeler à la privatisation.

En 2003, dans le sillage de la privatisation des parts de Mauritius Telecom, faite à la hâte, des lobbys s’agitaient pour que la CWA quitte le giron public. Celui qui était sur le siège pilote du gouvernement est encensé sur les ondes privées et érigé comme un monument de la politique mauricienne. On laissera le soin au directeur fraîchement nommé des musées d’en juger du bien-fondé et d’y accorder un classement approprié dans le patrimoine local.

Le moment était jugé propice dans le milieu des affaires qui avaient accès aux couloirs du pouvoir suite au changement intervenu à l’Hôtel du gouvernement. D’ailleurs, c’était un des rares moments où le nom de ce pays avait été mentionné sans provoquer une crise d’urticaire dans les médias locaux formatés à s’aligner sur la ligne éditoriale des gros titres internationaux.

Faut-il attendre une réponse crédible de l’association des consommateurs et du ministère concerné ?

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CWA et responsabilité

Par ce temps pluvieux, la CWA nage sous les eaux. Sur la route principale du lotissement résidentiel de la Pointe aux Canonniers, une énième fuite à un endroit délimité par un ruban de la CWA attend qu’on décide de son sort.

Appels en vain sur le hotline surchauffé où la parole d’un opérateur, toujours anonyme mais qui insiste sur votre identité, renvoie aux calendes grecques toute velléité de réparation.

Entretemps la fuite s’est métamorphosée en inondation. Les gens du quartier s’assemblent autour de cette catastrophe écologique comme on contemple un lieu de crime.

C’est ce type de dysfonctionnement qui fait miroiter l’image d’autres petits pays ultra-performants et efficaces comme Singapour, la Corée du Sud ou Israël. Question de cerveau, de vision et de volonté, sans doute. L’intelligence et la raison à la place de la médiocrité et de l’émotion égoïste agrémentée de susceptibilité paranoïaque. Résultat: une inefficacité insupportable.

Encore heureux qu’ici on ne soit pas amené à se battre pour l’eau comme l’Egypte et le Soudan qui déclarent la guerre de l’eau à l’Ethiopie…

Ce pays a pris l’habitude de marcher sur la tête depuis des décennies. Ici, on prend un plaisir malsain à mal faire les choses. C’est devenu une spécialité mauricienne. On s’interroge sur l’infection qui s’est propagée dans cet organisme pour qu’il y ait un tel laisser-aller depuis des années.

Ou alors, selon les dires des uns et des autres, l’inondation est une réponse aux réclamations faites par les abonnés du quartier tant les égos susceptibles pullulent dans les instances de décision, prêts à lancer représailles et sabotages envers quiconque qui oserait faire remonter une information.

Le nouveau responsable des Utilités Publiques a un grand chantier face aux tuyaux pourris et aux égos surdimensionnés. On dit qu’il aura le taureau à prendre par les cornes et, l’âne par les oreilles (avec toutes nos excuses pour l’âne mélancolique que les récits historiques malveillants ont classé au bas de l’échelle, alors que cet animal est futé.)

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Supermarchés et avidité

Alors que le CEB emboîte le pas des supermarchés – qui ne verrait dans le public que des pigeons bons à être plumés –, ces derniers continuent l’opération de charme à inviter dans ses grandes surfaces ce public qui lui a tant manqué… Chat échaudé craint l’eau froide, le client-roi-mendiant-pigeon s’avance à pas félins, survole chaque produit et calcule son intérêt avant toute chose, la provenance, les produits utilisés, l’empreinte carbone et le prix. Un regard critique, espérons-le, qui scrute la qualité des produits de conservation, et l’élevage bovin et autres issus de la déforestation, et déplacement des peuples autochtones comme en Amazonie.

Au supermarché de Grand-Baie, une dame d’un certain âge cherche quelque chose et hésite :

— Pouvez-vous m’aider à lire l’étiquette du vinaigre, s’il vous plaît? Je n’ai pas mes lunettes.

Elle cherche le vinaigre local tout simple sans produit alcoolisé pour nettoyer la cuvette des wc.

— Je préfère ça au produit d’entretien qui abîme la surface, ajoute-t-elle, je suis Mauricienne. Le souci de ne pas passer pour une étrangère.

— Oui, c’est mieux. Et même les autres produits d’entretien pour le sol… un prix costaud pour l’eau censée être parfumée à l’eucalyptus, à la lavande, etc…

— Et aucun de ces parfums à l’odorat. J’essaie de trouver autre chose.

— Vous avez bien raison. On peut parfumer avec l’essence naturelle des plantes qu’on cultive chez soi.

— Hélas, je vis en appartement maintenant.

Alors dans des pots sur le balcon.

Les rayons restent vides, les clients les poches vidées ces derniers temps, l’avidité des gros profits contrainte à être mise en veille en attendant des jours meilleurs. Les cafés de ces grands espaces ne perdent pas complètement la face. Tout doucement, les tables trouvent preneurs, la conversation animée des jeunes autour d’une table, d’autres grignotent en regardant passer les gens, certains le regard vague tourné vers le vide et tantôt vers leurs propres pensées en sirotant une boisson servie dans un verre en plastique. Mais la grande affluence se fait attendre.

Si désormais les Mauriciens ont retrouvé leurs esprits – pris dans la tourmente de la consommation de tout et de rien sans discernement – dans le souci de paraître, c’est déjà un mal covidé pour un bien de l’esprit et du porte-monnaie.

Un sursaut provoqué par une bactérie invisible et mortelle. Le Mauricien entend montrer qu’il n’est pas né de la dernière pluie, il fouille dans ses connaissances enfouies, il sort toute une panoplie de produits bénéfiques pour la santé, à déboucher les artères, à ménager le foie, à diminuer le taux de sucre que le confinement a exacerbé par le désir psychologique d’adoucir la bouche face à une menace existentielle mortifère.

Ainsi, la viennoiserie française a visiblement été écartée de la table car croissants et pains au chocolat, etc., sont avant tout 100% beurre et bouchent pendant deux jours l’estomac des organismes fins et les parois délicats d’un héritage millénaire, malmenés par whisky, rhum et produits alcoolisés importés. Toute alimentation ne s’adapte pas à toutes les cultures, traditions et organismes.

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Petits commerces et débrouillardise

Les temps sont durs ici comme dans le reste du monde. Au lieu de déverser un flot de jérémiades sur les ondes privées où tout est sujet à polémique, ce qui fait bien monter l’adrénaline des uns et gonfler l’audimat des radios ainsi que leur compte bancaire, des hommes et des femmes ont mis en veille les magasins qui ne marchent pas et se sont orientés vers d’autres activités.

« La débrouillardise mauricienne retrouve son énergie à la mesure de ses talents. Et tant mieux. Dans d’autres contrées, les gens ont été formatés à se tourner vers l’Etat pour tout et rien, un état nourricier père-mère qui est censé owe them a living. Se plaindre est devenu un mode de vie, et les médias en font leur chou gras tant ils se complaisent dans le mimétisme d’un modèle importé et caressent dans le sens du poil tout plaignant appelant le standard… »


Dans l’alimentation, certains ont trouvé un créneau où déployer leur créativité, ils ont investi dans l’équipement pour fabriquer et livrer des produits divers. D’autres se sont faits polyvalents à plus d’un titre en accumulant plusieurs activités. Ils s’improvisent marchands de légumes et d’autres articles dans tous les coins de rue.

A rappeler le véritable pétrin d’une famille lorsque les deux adultes sont employés dans le secteur touristique, aujourd’hui en berne.

La débrouillardise mauricienne retrouve son énergie à la mesure de ses talents. Et tant mieux. Dans d’autres contrées, les gens ont été formatés à se tourner vers l’Etat pour tout et rien, un état nourricier père-mère qui est censé owe them a living. Se plaindre est devenu un mode de vie, et les médias en font leur chou gras tant ils se complaisent dans le mimétisme d’un modèle importé et caressent dans le sens du poil tout plaignant appelant le standard. (Ceci étant, le chou gras farci est un plat hongrois délicieux qui donne envie de voler vers d’autres cieux.)

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Tourisme et compromissions

Bonne nouvelle pour le secteur touristique si la classe moyenne aisée, touchant entre cent et deux cents mille roupies par mois, prend du bon temps dans les hôtels à travers l’île, du nord au sud et de l’ouest à l’est. La détente personnelle, le plaisir familial allant de pair avec l’injection revigorante dans l’économie, le client-pigeon des commerces y trouve son compte à défaut de voler vers d’autres destinations car la pandémie repousse et enferme tout le monde.

Déconfinement et reconfinement, c’est le scénario alarmant aux Etats-Unis, en Inde et en Grande-Bretagne. Le peuple latin indiscipliné est sommé à un port de masque obligatoire par la force des choses en France, en Italie et en Espagne.

Le dragon en furie en Chine donne peu de ses nouvelles tant il est pris dans un bras de fer et d’acier avec les Etats-Unis, le Royaume Uni, le Canada, l’Australie, l’Inde, etc., sur le rejet de son dernier né en haute technologie de téléphonie mobile. A force de tirer à droite à gauche, il risque bien de se tirer une balle dans le pied comme sur les hauteurs de Galwan. Aucun intérêt pour ce grand pays de se diriger vers l’implosion. Ici, on espère retrouver les touristes chinois et indiens, et ce ne sera pas avant un an, hélas. La Chine risque de mieux s’en sortir que l’Inde. Pour l’Europe, la question est suivie de quelques points de suspension…

Et ici, on prend son mal du tourisme avec patience. C’est poussé au pied du mur qu’on se débat avec toute son énergie. En témoigne ainsi la série des lois proposées pour sortir Maurice de ce bourbier où il est pointé du doigt pour blanchiment d’argent et autres délits que le pays a fait semblant d’ignorer. Comme les gouvernants sur la scène internationale, le peuple se débat comme un diable pour trouver les moyens de faire bouillir la marmite.

Hormis les guest houses, les campements et les hôtels, les foyers à plus de 50 à 100, 200 mille roupies de revenus et plus sont priés de ne pas hésiter à employer ça et là les plus démunis comme femmes de ménage, jardiniers, etc., histoire de faire circuler l’argent dans la société et, pour leur propre plaisir, de prendre un bon livre à lire le week-end au lieu de s’atteler à des corvées. Ou de changer les vieux meubles et d’en commander d’autres fabriqués localement. Et tant d’autres moyens pour éviter l’asphyxie des comptes bancaires bien remplis, de déboucher les artères engraissées par l’entassement financier, et enfin, d’assurer la bonne santé économique pour la paix sociale.


* Published in print edition on 17 July 2020

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