Au fil des rencontres…
Carnet Hebdo
Par Nita Chicooree-Mercier
La salle d’arrivée de l’aéroport de Plaisance est bondée de monde ce jour-là, peut-être en raison du retard accumulé par la compagnie nationale. Raison technique ou souci de rentabilité, seule explication fournie par Air Mauritius, c’est qu’il y a un… retard de trois heures. Chacun prend son mal en patience à la Réunion par passivité ou par un accord tacite qu’il serait indécent de se plaindre des désagréments de voler dans les airs en ce temps où des soucis majeurs préoccupent ceux qui ne cherchent qu’à sortir la tête de l’eau. Quelques passagers qui n’ont pas rempli au préalable leur fiche de débarquement s’activent autour de l’espace exigu, preuve que la majorité s’est bien mise à tout faire par voie informatique.
Ces Français qui font les poubelles pour se nourrir. P – ladepeche.fr
La barrière linguistique est une véritable nuisance dans certaines circonstances. Le Mauricien moyen est plutôt à l’aise pour passer d’une langue à une autre, et voire, encore une autre. C’est à haute voix que deux compères mauriciens remplissent leur fiche, un pressant l’autre à terminer au plus vite.
– Qu’est-ce que je mets ici? demande l’un d’eux.
– Mets ton adresse, Vacoas.
– Et ici? (Durée de séjour, apparemment)
– Avoye fer f…, répond l’autre en langage fleuri.
Sur ce, ils se hâtent vers les files d’attente devant les guichets de la police des frontières. Penchés sur leur fiche, deux ressortissants indiens en tenue longue peinent à comprendre ces petites exigences de formalité.
– Aap Hindi bolte hein? (Vous parlez hindi?)
Je me tourne vers eux, voyant leur appel à l’aide. Leur regard s’illumine immédiatement, c’est dire combien la langue du cœur permet une communication spontanée et naturelle. Sans crier gare, voilà que l’un des deux glisse sa fiche vers moi.
Si le personnel au comptoir des compagnies aériennes à la Réunion s’en sort assez bien en anglais approximatif face aux passagers allemands et russes, les serveurs des cafés peinent à sortir un mot en langue étrangère. Les deux Indiens éprouvent quelques difficultés à se connecter au réseau Wifi à Gillot, se tournant vers les uns les autres.
Et, au café, où chacun a droit à un repas gratuit en raison du retard de l’avion, les deux compagnons peinent à se faire comprendre au moyen de quelques mots anglais. Le seul mot que les serveurs comprennent, c’est halal, et ils essaient d’expliquer que les repas sont non-halal. Faut-il intervenir et demander autre chose pour eux ? Car il faut souvent se mêler de ce qui ne vous regarde pas. J’ai hésité…
Comme en Inde, les deux compères essaient de négocier un gros paquet de biscuits. La réponse du serveur est: Niet. À l’avenir, Air Mauritius ferait bien de prévoir et de prévenir ce genre de désagrément.
Donc, voilà la part ‘sociale’ dans la salle d’arrivée de l’aéroport au nom ronflant de SSR International Airport.
En ignorant la longue file qui attend devant les guichets de la police, je file droit vers le guichet Premium, sous le regard interloqué des braves gens, où il n’y a qu’une personne, et toute la formalité prend à peine une minute. Et comme les bonnes choses n’arrivent jamais seules, le tapis roulant vous présente votre bagage juste au moment où vous y arrivez. Sans doute la bénédiction tacite des deux ressortissants indiens.
* * *
Continuons dans le ‘social’. A la caisse du supermarché à La Croisette, autant laisser votre tour à ce monsieur d’un certain âge, avec un journal à la main.
– Je ne suis pas pressée, j’ai du temps, je rassure.
La publicité en première page est un signe de disette journalistique. Lui, il peste contre la classe politique qu’il qualifie de m… Le langage raffiné est une denrée rare de nos jours. Et il renchérit:
– Tous incompétents et pourris, et que de gaspillage d’argent public.
Le quotidien préféré qu’il emporte sous les bras lui garantit une bonne dose d’amertume anti-gouvernementale pour la journée.
Quant au gaspillage des deniers publics, une anecdote dans l’avion vient à l’esprit. Au dernier moment, avant le décollage de l’appareil long courrier provenant de Paris, le commandant de bord vient chercher ma voisine en lui demandant si elle était bien Madame Untel. Elle acquiesce en précisant :
‘Mon garde de corps est juste derrière.’
Sur un ton neutre et sans manifester une révérence quelconque, elle est invitée à prendre place dans la Classe Affaires.
– Tire le bagage, elle demande en français morisien à son garde-corps.
Ce dernier, vêtu de costume avec cravate, ne passe pas inaperçu. On se souvient des éloges dont la dame fut l’objet lors de sa nomination dans une presse qui, d’ordinaire, est avare des compliments, mais dont quelques personnalités triées sur un volet sélectif bénéficient des louanges.
Garde du corps, personnel, voyages, voiture aux frais du public… C’est un héritage colonial, un mimétisme des anciennes puissances coloniales qui prend une allure grotesque dans le contexte local. On sait que l’État est un pourvoyeur majeur d’emplois dans les petites îles. Il y a urgence d’y mettre des limites.
* * *
Grâce aux manigances des Etats-Unis, les peuples du monde entier paient le prix d’une guerre qu’ils n’ont pas voulue. Il y a des signes qui ne trompent pas. Les food banks ou banques alimentaires sont prises d’assaut en Angleterre, et en France, même les salariés se servent dans les grosses poubelles des supermarchés qui regorgent de produits ayant dépassé la date d’expiration. Les rues de Paris sont désertées par les automobilistes en raison de l’augmentation du prix de l’essence.
On ne s’étonne pas du nombre décroissant de véhicules circulant dans le nord de Maurice. En revanche, la possibilité du surplus des supermarchés mis à la disposition du public relève du rêve. Les intempéries n’ont rien arrangé ces temps-ci. Les végétariens sont les plus pénalisés par ces pénuries. Et mettre un price cap sur les légumes en période de fêtes semble un véritable casse-tête.
Deux secteurs qui ne connaissent pas d’inflation sont la drogue et la construction. Le premier est la scène d’un théâtre où les acteurs rivalisent en imagination, innovation et ambition. Le deuxième voit des vastes superficies agricoles, héritées de l’époque coloniale, transformées en résidences de standing à Beau Plan, Mont Choisy, Grand Baie et dans d’autres coins de l’île.
Les Mauriciens, désireux d’acquérir un appartement dès que les grands panneaux publicitaires annoncent les couleurs, reçoivent une réponse négative au téléphone, sous prétexte que tout est déjà vendu. Mais quand? Les autorités feraient bien d’informer le public si ces résidences sont la “chasse gardée” des Européens et des Sud-Africains, et si un apartheid silencieux se renforce dans l’île.
Une connaissance à la Réunion faisait sa thèse en économie sur une poignée de familles, datant de l’époque coloniale, et qui détiennent les richesses à Maurice, Réunion et Madagascar. Avec des enseignes tels que Bricolage et Espace Maison, il faudrait ajouter les békés, descendants de l’oligarchie sucrière des Antilles Françaises. Trois cents ans d’avance et d’expérience en entreprises, une économie de rente au bout du chemin. Sacré retard pour les autres !
* * *
Les dépenses se réduisent au minimum raisonnable dans les foyers. Il n’est pas exagéré d’affirmer que dans la population des pays modernes, 7% de la société continue de profiter d’un train de vie très aisé quelles que soient les circonstances, 20% vivent plutôt bien, et 80% luttent pour joindre les deux bouts en temps normal, et serrent davantage la ceinture en période de crise économique.
Les classes populaires ont déserté les plages, comme en période post-Covid en 2021. Nettement moins de voitures sur les côtes, même le week-end et, par conséquent, l’ambiance festive fait profil bas. La plage de Mont Choisy a été aménagée avant l’ouverture en 2021. Coin boisé, marches en bois, douche moderne, bancs en bois, parking, etc.
Les Mauriciens de la région, Européens, Sud-Africains et touristes en profitent au quotidien jusqu’à fort tard le soir. La quatrième plage de l’Afrique est un des joyaux naturels dont dispose le pays. Elle attend les meilleurs jours avec une fréquentation inclusive des classes populaires qui espèrent bien se tremper dans le lagon, assister au coucher du soleil et au concert des moineaux dans les filaos à la tombée de la nuit.
Mauritius Times ePaper Friday 23 April 2023
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