Améliorer la capacité fiscale du pays

Paradigme économique

Une réforme fiscale profonde est plus que jamais nécessaire afin de donner au Gouvernement les moyens de financer l’Etat-Providence et d’effectuer une redistribution des richesses sans encourager l’assistanat

By Aditya Narayan

La pandémie du coronavirus a causé d’importants dommages collatéraux avec une contraction du Produit Intérieur Brut (PIB) estimée à 6,8% en 2020, selon le FMI. Dans la perspective d’une récession inévitable, la question est de savoir si le pays a la capacité financière de relancer l’économie une fois le confinement terminé. Il va de soi que tout le paradigme économique est à revoir de fond en comble si l’on veut que cette crise soit une opportunité de réforme fondamentale pour une meilleure société.

Dans un premier temps, comme d’autres pays, Maurice a déployé les moyens conventionnels pour mitiger l’impact économique de la pandémie.

  • Sur le plan monétaire, le taux d’intérêt directeur de la Banque centrale a été réduit à 1,85% pour rendre le crédit moins cher.
  • Sur le plan fiscal, le Gouvernement a augmenté le déficit du budget courant pour accorder des subventions et des aides aux employés et aux entreprises. La proposition d’achat d’obligations de l’Etat par la Banque centrale en vue d’injecter de l’argent dans l’économie (quantitative easing) n’est pas une solution convenable dans le contexte local. Le Gouvernement a eu donc recours à un emprunt auprès du FMI pour avoir plus de ressources financières.

Ratio revenus fiscaux/PIB

Il est évident que la marge de manoeuvre du Gouvernement est limitée. Contrairement aux pays à haut revenu, Maurice est entrée en crise dans une position de faiblesse. Avec un ratio dette/PIB de 70% et une faible capacité fiscale, le pays ne peut pas mobiliser les ressources financières nécessaires à la relance économique sans s’endetter davantage. Vu les limites de la politique monétaire (on ne peut pas baisser le taux d’intérêt directeur à 0.25% comme aux Etats-Unis et au Canada), le gouvernement devrait songer sérieusement à accroître sa capacité fiscale avec une réforme profonde de la fiscalité.

On mesure la capacité fiscale d’un pays par le ratio revenus fiscaux/PIB. En général, les revenus fiscaux comprennent l’impôt sur le revenu des particuliers, l’impôt sur les sociétés, la Taxe sur la Valeur Ajoutée (TVA), les cotisations à la Sécurité sociale, la taxe immobilière, la taxe sur la masse salariale (payroll tax) et d’autres taxes sur les produits et services. Selon les statistiques de l’OCDE, les revenus fiscaux en proportion du PIB varient de 16% à 46% pour tous les pays. La moyenne du ratio était de 34,26% en 2018 pour les pays membres de l’OCDE. Les pays scandinaves, avec un Etat-Providence généreux, ont un ratio en moyenne de 40%.

En revanche, Maurice avait un ratio de 19,8% en 2017, selon l’OCDE. Depuis, le ratio ne s’est pas amélioré parce que les impôts et autres taxes n’ont pas augmenté à Maurice. Le constat est révélateur : le ratio de Maurice est la moitié de celui des pays scandinaves (40%) et largement en dessous de la moyenne des pays de l’OCDE (34,26%).

Comment en est-on arrivé là? L’explication se trouve dans la fiscalité légère adoptée par les gouvernements successifs depuis 2005. L’impôt sur le revenu des particuliers et celui sur les sociétés furent réduits de 30% à 15% lors d’un changement radical qui a remplacé l’impôt progressif par l’impôt proportionnel.

La logique à l’époque était fondée sur l’hypothèse qu’une baisse d’impôts substantielle attire les investissements, encourage l’initiative privée, récompense l’effort personnel et donne un coup de pouce à la croissance. Cette hypothèse ne s’est pas vérifiée à Maurice et ailleurs.

Les économistes de tous bords débattent toujours du taux d’impôt optimal qui puisse assurer la croissance tout en gardant les caisses de l’Etat en équilibre. En tout cas, les pays riches s’en sortent bien avec un ratio revenus fiscaux/PIB beaucoup plus fort que celui de Maurice.

Pour emprunter une formule chère aux économistes, les évidences empiriques (empirical evidence) ne soutiennent pas la théorie qu’une fiscalité légère apporte nécessairement une croissance plus élevée. La corrélation inverse entre taux d’impôt et taux de croissance n’est pas établie de façon irréfutable. S’il y a une chose que les faits empiriques prouvent, c’est que la fiscalité légère a exacerbé les inégalités de revenu et de richesse dans la société, a amputé considérablement la capacité fiscale de l’Etat et a diminué les moyens du Gouvernement de financer ses programmes sociaux sans l’endettement national.

Réforme fiscale

Que faire ? Une réforme fiscale profonde est plus que jamais nécessaire afin de donner au Gouvernement les moyens de financer l’Etat-Providence, dont l’importance en temps de crise est indéniable, et d’effectuer une redistribution des richesses sans encourager l’assistanat dans la société ni pénaliser l’effort et la productivité des entrepreneurs.

Les axes de cette réforme sont les suivants :

  1. L’impôt sur le revenu des particuliers

Il faudrait rétablir l’impôt progressif avec un taux de base de 15% et des taux d’imposition marginale de 22% et de 30%. Ce barème existe dans des pays à haut revenu. Par exemple, un revenu annuel de Rs 1 million serait imposable à 15% sur la tranche de Rs 200,000-Rs 500,000 (avec une exemption personnelle de Rs 200,000 pour les dépenses personnelles), à 22% sur la tranche Rs 500,000-Rs700,000, et à 30% sur la tranche Rs 700,000-Rs 1 million. Un contribuable ayant un revenu de Rs 1 million paierait un taux d’imposition en moyenne de 18% (voir calcul dans le tableau ci-après).

Income Rs Tax rate % Tax Rs
up to 200,000 0
200,000 to 500,000 15 45,000
500,000 to 700,000 22 44,000
700 000 to1,000,000 30 90,000
1,000,000 179,000
Average rate 18%

2. L’impôt sur les sociétés

Le taux d’imposition sur les sociétés devrait rester à 15%. Toutefois, le taux d’imposition de 3% accordé aux sociétés d’exportation devrait être étendu aux nouvelles sociétés locales (start-ups) qui investissent dans la production alimentaire et les énergies renouvelables dans le cadre de la substitution d’importations.

3. La TVA

La TVA étant une taxe régressive sur la consommation qui pénalise les pauvres, il faudrait introduire un crédit de taxe (un remboursement de la taxe payée) à l’intention des ménages ayant un revenu mensuel de Rs 10,000 au maximum. Ce crédit existe dans les pays qui ont la TVA. Le paiment du crédit requiert au préalable l’inscription au fisc des contribuables, qui seraient appelés à remplir une déclaration annuelle de revenu simplifiée.

4. La taxe immobilière

Il faudrait introduire une taxe immobilière nationale qui prélèverait des fonds pour les collectivités locales en vue de financer leurs services. Cela économiserait au Gouvernement central quelque Rs 300 millions qu’il verse aux municipalités chaque année.

5. La taxe sur les plus-values

Il faudrait réintroduire la taxe sur les plus-values (capital gains tax) qui fut abolie en 2011. L’absence d’une telle taxe favorise la spéculation foncière et l’enrichissement de propriétaires de biens fonciers. Cette taxe serait imposée sur 50% ou 75% des gains en capital réalisés sur la vente d’une propriété foncière. Cette formule marche très bien dans les pays développés. Ainsi, si une propriété avec un coût d’achat de Rs 500,000 se revend à Rs 1 million, 50% ou 75% des gains de Rs 500,000 seraient imposés au taux d’imposition marginale sur le revenu qui serait applicable.

6. La taxe sur les dividendes

Il faudrait introduire une taxe sur les dividendes en conformité avec le principe de la fiscalité moderne qui veut que toutes les sources de revenu soient imposables (source principle of taxation). Cette taxe serait imposée aux taux d’imposition marginale sur le revenu. Il est temps que les actionnaires fassent leur contritution au fisc comme les contribuables salariés.

Faute de place, nous avons esquissé uniquement les grandes lignes d’une réforme fiscale. Nous y reviendrons en détail dans l’avenir.


* Published in print edition on 21 April 2020

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