Une réforme tempérée par une couche de solidarité
|Pension de vieillesse
L’option idéale serait le ciblage de la pension universelle en fonction du revenu
By Prakash Neerohoo
La réforme de la pension de vieillesse continue à faire des vagues. Vendredi dernier au Parlement, le Premier ministre a proposé un soutien financier (income support) de Rs 10 000 aux personnes à faible revenu qui atteignent l’âge de 60 ans à partir du 1er septembre 2025. Toutefois, les syndicats regroupés autour d’une plateforme commune en faveur de la pension universelle à partir de 60 ans ne baissent pas les bras. Le compromis du gouvernement a été fait dans un souci de solidarité sociale, tout en tenant compte de l’état désastreux des finances publiques. Entre le statu quo et une réforme radicale, le gouvernement a choisi une cote mal taillée qui n’est pas acceptée par tous, y compris les syndicats.
Tout le monde se focalise sur la pension universelle et néglige un enjeu plus fondamental, celui de la sécurité du revenu (income security) du troisième âge. Il ne faut pas limiter la réforme des retraites, laquelle a plusieurs piliers, à la réforme de la pension universelle (une prestation sociale). Dans une analyse précédente (voir l’édition du 20 juin sous le titre “Réforme des retraites : un débat marqué par de fausses conceptions”, nous avions traité de tous les aspects de la pension universelle.
Dans sa vision réformiste, le gouvernement avait plusieurs options en matière de pension universelle, notamment :
- maintenir le statu quo ;
- relever l’âge d’éligibilité à la pension universelle de 60 à 65 ans ;
- un ciblage social de la pension de vieillesse en fonction du revenu du bénéficiaire ;
- récupérer la pension de vieillesse par l’impôt sur le revenu au-delà de l’exemption fiscale personnelle de Rs 500 000 ;
- faire une réforme globale des retraites en identifiant plusieurs piliers de la sécurité du revenu, y compris la pension universelle.
Examinons ces différentes options pour comprendre leurs implications économiques.
- Maintien du statu quo
Le maintien du statu quo (pension universelle à partir de 60 ans) prôné par les syndicats est une mesure populiste qui ne tient pas compte des besoins de financement de l’Etat-Providence à long terme. Tous les gens avertis savent que la pension universelle est une bombe à retardement qui nous éclatera à la figure tôt ou tard avec le vieillissement de la population qui accroit inexorablement le ratio de dépendance du troisième âge par rapport à la population active (20% actuellement). Sans une capacité fiscale progressive et productive, le pays ne pourra pas soutenir financièrement la pension universelle qui engloutit déjà Rs 55,7 milliards par année, soit 7,8% du PIB et 24,5% des dépenses courantes de l’Etat.
Il faudrait être vraiment frappé de myopie économique pour ne pas voir l’incidence budgétaire de la pension universelle. Les syndicats en général font preuve de manque d’imagination en refusant de proposer une alternative viable au statu quo. Ce comportement a une forte dose de corporatisme dans la mesure où les salariés de 60 à 65 ans touchent la pension universelle. La gauche (syndicale et politique), en particulier, fait preuve de dogmatisme en excluant toute réforme de la pension universelle. Elle confond les intérêts des pauvres et des riches et, ce faisant, montre une absence de réflexion stratégique.
L’option du statu quo n’est évidemment pas dans les cartes du gouvernement.
- Relèvement de l’âge d’éligibilité
Le gouvernement n’a pas remis en question l’essentiel de sa réforme, qui consiste à relever l’âge d’éligibilité à la pension universelle de 60 à 65 ans, graduellement, sur une période de cinq ans. Cette mesure permettrait d’économiser Rs 16,1 milliards par an à la fin de la période de cinq ans (sur les Rs 55,7 milliards budgétisées pour 265425 bénéficiaires de tous âges). Toutefois, il a accepté d’apporter un soutien financier aux personnes économiquement vulnérables qui auront 60 ans à partir du 1er septembre 2025, celles qui ont un revenu mensuel de moins de Rs 10000 (ou moins de Rs 20000 par couple).
Le tableau 1 indique le nombre de bénéficiaires qui atteindront l’âge de 60 ans dans les cinq années à partir de septembre 2025. Ils auront le soutien financier de Rs 10000 jusqu’au moment où ils se qualifient pour la pension universelle durant la période de transition de 5 ans. Cette nouvelle mesure bénéficiera à 37562 personnes sur cinq ans, représentant un sur deux ayant atteint l’âge de 60 ans, et elle coûtera Rs 8,7 milliards à l’Etat sur cinq ans. Certains syndicats réclament que le seuil de Rs 10000 soit augmenté à Rs 17000, soit le même niveau que le salaire minimal, afin d’accroitre le nombre de bénéficiaires du soutien financier.
Au lieu de choisir la ligne dure, le gouvernement a mis de l’eau dans son vin afin d’apaiser la colère populaire. Cela est intervenu sans doute après que certains députés de la majorité se sont fait l’écho des doléances de leurs mandants.
L’option du report de l’âge d’éligibilité de 60 à 65 ans met le pays au diapason des normes internationales.
- Introduction d’un ciblage social
Le ciblage social de la pension de vieillesse en fonction du revenu afin de la réserver aux individus économiquement faibles est une pratique normale dans les pays sociaux-démocrates avancés (par exemple, le Canada). C’est le seul moyen d’assurer la soutenabilité financière de la pension universelle tout en permettant l’équité sociale à travers les groupes d’âge. A Maurice, on peut cibler la pension universelle à ceux dont le revenu global annuel (salaire, pension de retraite au travail, etc.) ne dépasse pas Rs 600 000. Or, le gouvernement refuse d’envisager le ciblage de la pension universelle en fonction du revenu comme un principe sacrosaint. En accordant la pension universelle à tout le monde (aux pauvres ainsi qu’aux riches), il se montre trop généreux et pourfend le principe redistributif de la politique de sécurité sociale, qui fut conçue à l’origine comme une aide aux personnes économiquement faibles.
En ces temps de déficits budgétaires massifs où les ressources financières sont rares, il serait souhaitable que le principe du ciblage s’applique à toutes les prestations sociales afin qu’elles soient accordées en fonction du revenu du bénéficiaire. Au nom de quelle morale peut-on justifier le paiement de la pension de vieillesse à un millionnaire ou un milliardaire qui a d’autres sources de revenu conséquentes (pension de retraite au travail, revenu professionnel, revenu d’entreprise, revenu de location, dividendes, gains de capital sur la vente de biens mobiliers ou immobiliers, intérêts bancaires, etc.) ?
Certains voient, à juste titre, le déni de la pension universelle au groupe d’âge 60-64 ans comme une injustice de classe envers les travailleurs manuels qui s’échinent au travail dans les champs, les transports en commun et les usines jusqu’à 60 ans pour un salaire minimal. Le ciblage aurait permis d’aider ces personnes-là après l’âge de 60 ans.
La pension universelle est un revenu marginal pour les riches qui n’en ont pas besoin. Parmi ces derniers, on trouve certains ex-députés qui reçoivent une pension parlementaire (deux tiers de leurs salaires), la pension de vieillesse et de gros émoluments (Rs 500000 à Rs 1 million par mois) comme professionnels en pratique privée ou à titre de directeurs d’institutions ou d’entreprises publiques. On va arguer que la pension parlementaire est un droit légal. Mais est-il acceptable qu’un ancien député touche une pension de retraite tout en recevant un salaire parce qu’il occupe aussi un poste ? Il y a une antinomie entre le statut de pensionné et le statut de salarié.
- Récupération fiscale de la pension universelle
Si le ciblage de la pension universelle est difficile à gérer, la fiscalité directe peut permettre de la récupérer auprès des contribuables nantis à condition qu’elle soit conçue pour optimiser la récupération.
Le tableau 2, fondé sur l’hypothèse d’une pension en moyenne de Rs 15000 par mois, montre que la récupération fiscale est marginale sous le nouveau régime de l’impôt sur le revenu introduit dans le budget 2025-26. Une personne est exemptée de l’impôt sur un revenu annuel jusqu’à Rs 500000 (y compris la pension de vieillesse). Dans la tranche de revenu de Rs 500000 et Rs 1 million, le contribuable paiera 10% d’impôt sur la pension universelle, soit Rs 1500. Dans la tranche de revenu de Rs 1 million à Rs 12 millions, il paiera 20% d’impôt sur la pension, soit Rs 3000. Sur le revenu supérieur à Rs 12 millions, il paiera 35% d’impôt sur la pension, soit Rs 5250.
Pour maximiser la récupération fiscale de la pension universelle, le gouvernement peut introduire des taux d’impôt spécifiques (voir tableau 3) sur cette pension comme suit :
– 10% pour la tranche de revenu de Rs 500 0000 à Rs 1 million ;
– 50% pour la tranche de revenu de Rs 1 à Rs 2 millions ;
– 100% pour la tranche de revenu dépassant Rs 2 millions.
- Réforme globale des retraites
Le gouvernement a annoncé une réforme globale des retraites avec la mise sur pied d’une commission d’experts chargée d’étudier les trois piliers du système de retraite :
(1) la pension de retraite au travail dans un régime à prestations déterminées ou un régime à cotisations déterminées,
(2) la pension nationale de retraite comme un Fonds National de Pension (FNP), devant absorber la Contribution Sociale Généralisée (CSG), et
(3) la pension de vieillesse.
Le gouvernement n’a pas l’intention de modifier la pension contributive qui est payée aux députés qui prennent leur retraite après deux mandats (10 ans au maximum). Cela donne l’impression qu’il veut traiter les parlementaires comme une classe à part.
Les deux premiers piliers dépendent des contributions plus ou moins égales des employés et employeurs à un fonds qui est investi dans des placements rentables (dépôt bancaire, actions d’entreprise, obligations).
Le troisième pilier est financé par l’Etat. Un système de retraite à trois piliers existe dans beaucoup de pays. Certains pays avancés comme le Canada ont un quatrième pilier connu comme le Régime Enregistré d’Épargne Retraite (Registered Retirement Savings Plan – RRSP). Le RRSP est un plan de retraite individuel permettant à un particulier d’épargner et de faire fructifier, à l’abri de l’impôt, des sommes qu’il pourra retirer à sa retraite et qui seront alors imposables. L’individu peut contribuer jusqu’à 18% de son revenu annuel à ce plan.
Etant donné que les contributions à ce plan bénéficient d’un crédit d’impôt de 15% (remboursable à la soumission de la déclaration de revenu), le quatrième pilier est populaire dans un système d’impôt progressif qui motive les gens à épargner pour payer moins de taxe durant leur vie active. Une fiscalité directe insuffisamment progressive et composée de trois taux d’imposition marginaux, comme celle de Maurice (10%, 20% et 35% pour trois ans), n’est pas propice à un quatrième pilier.
Avec quatre piliers de pension, le Canada pratique le ciblage de la pension de vieillesse de façon rigoureuse sans devoir porter un fardeau financier lourd pour le budget national. En effet, la pension de vieillesse y est une source de revenu marginale pour la majorité des personnes.
Conclusion
De toutes les options susmentionnées, le gouvernement a choisi l’option 2 (report de l’âge d’éligibilité à la pension universelle), tempérée par le soutien financier de Rs 10 000 aux personnes à bas revenu. Mais cette option ne satisfait pas les personnes issues de la classe moyenne du groupe d’âge 60-64 ans qui seront privées de la pension universelle avant d’atteindre 65 ans. L’option idéale serait le ciblage de la pension universelle en fonction du revenu.
Il semblerait que le gouvernement ait choisi une voie facile en tenant compte des exigences administratives.
Mauritius Times ePaper Friday 11 July 2025
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