Une approche holistique est nécessaire

Combat contre les crimes financiers

Si des actions draconiennes ne sont pas prises pour éradiquer les crimes financiers, le pays risque d’être placé à nouveau sur la liste grise ou noire de l’OCDE

Par Prakash Neerohoo

Les arrestations de suspects pour des crimes financiers, sous des charges provisoires logées par la Financial Crimes Commission (FCC) en vertu de la loi contre le blanchiment d’argent, se succèdent à un rythme soutenu. La FCC a sans doute atteint sa vitesse de croisière dans la mesure où elle ne lésine pas sur les moyens d’enquêter sur des crimes financiers potentiels, d’arrêter des criminels à col blanc suspects et de saisir des biens (véhicules de luxe, motocyclettes de marque, bateaux de plaisance, etc.) dont l’acquisition est soupçonnée d’être financée par des gains illicites.

Certes les suspects bénéficient de la présomption d’innocence en attendant des poursuites formelles et le public risque d’attendre longtemps avant que le judiciaire ne se prononce sur ces affaires. En attendant, le public est impatient et voudrait que les coupables soient derrière les barreaux après un procès en bonne et due forme, mais rapide.

Force est de constater que la FCC, en tant qu’agence centrale de lutte contre les crimes financiers (la fraude, la corruption et le blanchiment d’argent) est bien motivée. Mais elle ne peut pas tout faire seule. Vu la complexité des réseaux de corruption et de blanchiment d’argent, soutenus dans certains cas par la complicité des brebis galeuses dans certaines institutions dévergondées, il est absolument nécessaire que les autorités adoptent une approche holistique dans ce combat multiforme. Les différentes organisations de l’État chargées d’assurer l’assainissement des mœurs financières ne peuvent plus travailler en vase clos, chacune veillant sur sa chasse-gardée.

Collaboration institutionnelle

En sus de la FCC, d’autres institutions sont concernées par le combat contre les crimes financiers, notamment la Banque de Maurice, la Financial Intelligence Unit (FIU), la Mauritius Revenue Authority (MRA), la police et le Bureau du Directeur des Poursuites Publiques (DPP). Il faut une collaboration étroite entre ces institutions, fondée sur une approche globale (whole-of-government approach) qui veut qu’elles partagent des informations aux fins d’administration des lois appropriées (la loi fiscale ou la loi contre le blanchiment d’argent). Leurs actions devraient être coordonnées à toutes fins utiles et aider les unes et les autres à mieux accomplir leur mission sans aucun chevauchement des rôles.

Il ne s’agit pas pour une institution d’empiéter sur la plate-bande de l’autre, mais d’être complémentaire à l’action de l’autre dans le respect de la séparation des pouvoirs. Sous ce rapport, le récent amendement à la loi de la FCC [The Financial Crimes Commission (Amendment) Bill (No. XVI of 2025)],permettant à la police et la FCC de faire des enquêtes conjointes sur des crimes financiers, est un pas positif. Les deux agents de l’État peuvent ainsi partager leurs connaissances et compétences en vue d’optimiser l’efficacité de leurs actions communes.

Il incombe maintenant à d’autres institutions de se montrer à la hauteur de leurs responsabilités. La FIU joue déjà son rôle en obtenant des informations sur les avoirs de suspects auprès des banques, ce qui a permis de révéler les comptes bancaires d’officiers de police où la monnaie de récompense a atterri avant d’être éventuellement déboursée aux informateurs de la police. Le DPP va jouer son rôle d’ultime autorité en matière de poursuite, ce qui accorde aux suspects la garantie d’un procès équitable. Deux autres institutions sont appelées à jouer un rôle plus important dans la détection des fraudes et autres malversations financières, notamment la MRA et la Banque centrale.

Une MRA pro-active

Premièrement, la MRA devrait être plus proactive dans les contrôles fiscaux des citoyens qui s’engagent potentiellement dans l’évitement fiscal (tax avoidance) en se prévalant des lacunes dans la loi ou qui s’adonnent carrément à l’évasion fiscale (tax evasion) en s’abstenant de déclarer des revenus reçus légalement ou illégalement. Au chapitre de l’évitement fiscal, il y a toujours un risque que certaines sources de revenu soient sous-déclarées au fisc. Par exemple, il est possible que toutes les institutions ou entreprises de l’État n’appliquent pas la déduction à la source (PAYE) aux honoraires payés aux mandarins de l’État pour le cumul de plusieurs postes de conseiller ou de directeur sur des conseils d’administration ainsi qu’aux frais légaux payés à certains avocats privés. Dans ces situations, la conformité fiscale est un acte individuel volontaire, et la MRA devrait se montrer plus audacieuse en ciblant les contribuables susceptibles de violer la loi fiscale.

Ainsi, la MRA aurait intérêt à établir si le montant d’impôt payé par un avoué privé sur les Rs 85 millions d’honoraires reçus de plusieurs organisations publiques en dix ans est juste. Elle serait aussi bien inspirée d’évaluer le montant d’impôt dû sur les Rs 100 millions payées à l’administrateur de la compagnie Air Mauritius lorsqu’elle fut mise sous administration judiciaire. Par ailleurs, un contrôle fiscal de toutes les sociétés privées qui ont reçu des fonds de la Mauritius Investment Corporation (MIC) est nécessaire afin d’évaluer leurs obligations fiscales sous la loi de l’impôt sur les sociétés. La privatisation du profit et la socialisation des pertes est une pratique inacceptable quand l’État manque d’argent pour financer les dépenses publiques.

Au chapitre de l’évasion fiscale, il faudrait savoir si la monnaie de récompense payée aux informateurs de la police (Rs 250 millions en trois ans) dans des cas de saisie de drogues a été déclarée au fisc. La monnaie de récompense n’est pas un don qui est susceptible d’être exempté de l’impôt, mais un paiement pour services rendus qui tombe dans la catégorie de revenus taxables. Si l’argent destiné aux informateurs a été détourné dans des comptes bancaires des tierces parties, il y aura un double crime de blanchiment d’argent et d’évasion fiscale.

Il est temps que la MRA s’intéresse aux signes extérieurs de richesse de certains, comme révélés dans des cas où la FCC a saisi des biens ostentatoires, pour établir si des biens personnels ont été acquis par des moyens légitimes ou illégitimes. Au cours des dix dernières années, la MRA a traqué de petits contribuables (par exemple, des travailleurs indépendants) en laissant au large les gros barons de trafics illicites (drogue, restauration, service de nettoyage, etc.) dont l’opulence saute aux yeux avec leurs berlines neuves sur la route et leurs propriétés immobilières de luxe.

Pour illustrer cette approche inéquitable, je citerai le cas particulier d’un coiffeur qui opère un petit atelier dans la capitale. Pendant six mois, la MRA l’a suivi en lui imposant l’obligation d’émettre des reçus à ses clients pour les coupes de cheveux et de tenir un livre de recettes. Une telle obligation parait à priori excessive dans une économie où les paiements en espèces sont courants. Toutefois, pour qu’elle soit la norme, il faut qu’elle s’applique à tous les prestataires de services. Il est aussi essentiel que la MRA publie des informations sur le nombre de contrôles fiscaux effectués auprès des particuliers et des sociétés (sans révéler les noms) et les montants de taxes récupérées. Cela permettra de jauger son niveau d’efficience.

La Banque centrale

Deuxièmement, la Banque centrale devrait surveiller de plus près les flux d’argent en devises étrangères sortant du pays. Nous savons que beaucoup de mauriciens ont acquis des propriétés immobilières dans des pays étrangers. Est-ce que les transferts de fonds effectués par des banques commerciales ont été autorisés par un certificat de décharge (tax clearance certificate) décerné par la MRA ? Quel contrôle la Banque centrale exerce-t-elle sur ces sorties de capital ?

Il est allégué qu’une partie de la monnaie de récompense destinée aux informateurs de la police a été transférée sur des comptes bancaires à l’étranger au gré de voyages entrepris par de tierces parties dans des pays du Golfe.

Il incombe à la Banque centrale de savoir quelle banque commerciale a autorisé ces virements bancaires ou a converti les sommes d’argent en devises étrangères cachées dans des sacs de voyage. Dans le même souffle, la Banque centrale devrait prendre des sanctions contre les banques commerciales qui ont permis des dépôts et des retraits en espèces sur des comptes bancaires privés dépassant les montants règlementaires (Rs 500 000 pour un dépôt ou un retrait) sous la section 5 de la Financial Intelligence and Anti-Money Laundering Act (FIAMLA) de 2002.

La Banque centrale ne peut plus se cacher derrière la confidentialité des transactions bancaires pour refuser de mener des enquêtes sur des cas de fraude ou de blanchiment d’argent. Il est grand temps qu’elle fasse la lumière, grâce à un audit judiciaire, sur les déboursements totalisant Rs 26 milliards effectués par la MIC au profit des sociétés privées par voie de prêts ou de prises de participation au capital d’entreprise. Invoquer un contrat privé entre la MIC et ces sociétés pour ne pas révéler les dessous des transactions bancaires louches est un prétexte fallacieux dans la mesure où c’est l’argent public qui est en jeu.

Sous ce rapport, l’information à l’effet que la MIC voudrait faire un arrangement à l’amiable avec la société Pulse Analytics, une agence de sondage, pour recouvrer les Rs 45 millions qu’elle avait investies dans la société en 2024 est troublante. Un tel arrangement court-circuiterait l’enquête de la police sur une affaire qui porterait des soupçons de corruption. L’arrêt de toute poursuite contre ceux suspects de complicité pour commettre un crime serait un mauvais précédent. Il sonnerait le glas pour des enquêtes dans d’autres cas où les déboursements de fonds par la MIC furent exagérés (par exemple, la surévaluation des actions d’entreprise achetées ou des terres acquises par la MIC).

Dans un autre ordre d’idées, la Banque centrale n’a pas fait montre d’empressement pour élucider l’écheveau de la faillite de la Silver Bank, une banque qui avait accordé des prêts toxiques de Rs 7,6 milliards à des sociétés fictives aux dépens de certaines organisations de l’État qui y avaient fait des dépôts en centaines de millions de roupies. C’est la FCC qui a pris le relais de cette enquête avec l’arrestation d’un suspect qui était impliqué dans le comité qui devait approuver les prêts. S’il appartient à la Banque centrale d’émettre une licence bancaire, il lui incombe de s’assurer que la banque concernée opère dans les conditions réglementaires (ratios de capital et de liquidité) et suit une politique de crédit saine. Elle devrait jouer son rôle de régulateur du monde bancaire indépendamment de toute influence politique ou des pressions du secteur privé. Il y va de la crédibilité financière du pays.

Le déferlement actuel d’arrestations de suspects pour crimes financiers attirera l’attention du Groupe d’Action Financière de l’OCDE qui surveille la conformité des pays au régime AML/CFT (Anti-Money Laundering and Combatting the Financing of Terrorism). Si des actions draconiennes ne sont pas prises pour éradiquer les crimes financiers, le pays risque d’être placé à nouveau sur la liste grise ou noire de l’OCDE avec des conséquences pour la réputation du centre financier mauricien.


Mauritius Times ePaper Friday 15 August 2025

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