Un débat marqué par de fausses conceptions
|Réforme des retraites
‘Si l’on veut une politique sociale généreuse, il faut bien trouver les moyens de la financer. Soit on augmente les taxes, soit on s’endette davantage’
Par Prakash Neerohoo
La proposition budgétaire du gouvernement de relever l’âge d’éligibilité à la pension de vieillesse de 60 à 65 ans a provoqué un débat intense à tous les niveaux : politique, syndical, presse et société civile. Dans ce débat, les passions se déchainent et très peu de gens gardent le sens de la rationalité pour évaluer les enjeux.
En effet, le débat est marqué par un manque de clarté conceptuelle où les populistes de droite comme de gauche créent une confusion pour brouiller les pistes. Il est essentiel de dissiper les fausses conceptions afin de trouver un terrain d’entente entre les visions conflictuelles.
Examinons ces fausses conceptions.
1. Pension de vieillesse versus pension de retraite
Le terme officiel « Basic Retirement Pension » (BRP) utilisé pour qualifier la pension de vieillesse est un terme impropre (misnomer). Ce n’est pas une pension de retraite au sens technique. C’est une prestation sociale accordée dans le cadre de l’Etat-Providence aux personnes du 3ème âge. Le terme exact en anglais est « Old Age Pension » (OAP), une pension conçue dans les pays sociaux-démocrates comme une aide sociale aux nécessiteux ou un supplément de revenu pour les personnes économiquement faibles. Au Canada, par exemple, la pension de vieillesse est appelée « Old Age Security » (OAS).
En revanche, la pension de retraite est une pension contributive qui est payée aux retraités à partir d’un fonds alimenté par des contributions faites par des employés et leur employeur. C’était le cas avec le Fonds National de Pension (NPF) qui a été remplacé en 2020 par la Contribution Sociale Généralisée (CSG). Ouvrons une parenthèse ici pour souligner que la CSG n’est pas un plan de pension comme tel, mais une taxe sur les salaires (3% à 6%) qui est versée dans le compte de revenu consolidé de l’Etat (Consolidated Fund) pour payer des prestations sociales, y compris la pension de retraite aux employés du secteur privé.
Il faudra faire de la CSG un vrai plan de pension, comme l’a promis le gouvernement, en affectant les contributions recueillies uniquement au paiement de la pension de retraite à partir de 65 ans ou avant (après 25 ou 30 ans de service).
2. Pension contributive versus pension non-contributive
La pension de vieillesse est une pension non-contributive techniquement par rapport à la pension de retraite contributive. La contribution de l’employé à un plan de pension lui donne automatiquement droit à une pension au départ à la retraite, peu importe l’âge (60 ou 65 ans). La pension de retraite relève d’un rapport de production entre employeur et employé. Par contre, la pension de vieillesse relève de la politique sociale de l’Etat. Certains arguent que nos ainés ont contribué pour avoir droit à la pension de vieillesse en payant des taxes (impôt sur le revenu et TVA) au cours de leur vie active. Soit. Mais cela n’enlève rien à la nature sociale de la pension de vieillesse, qui est financée par tous les contribuables sans distinction. Le fait que des personnes qui n’ont jamais travaillé activement touchent la pension de vieillesse démontre ce caractère social. Si la pension de vieillesse était une pension de retraite, tous les employés auraient cessé de travailler à partir de 60 ans. Or, des centaines de milliers d’employés travaillent entre 60 et 65 ans tout en touchant la pension de vieillesse comme un supplément de revenu.
3. Droit acquis versus soutenabilité financière
La pension de vieillesse à partir de 60 ans est un devenu un droit acquis depuis son introduction parce qu’aucun gouvernement n’y a touché. En effet, l’électoralisme des partis politiques fondé sur le clientélisme a fait de la pension de vieillesse un enjeu politique majeur à coups de promesses de majoration à chaque scrutin.
La controverse sur le report de l’âge d’éligibilité de 60 à 65 ans est d’autant plus vive que cette proposition ne figurait dans aucun manifeste électoral. Maurice a une culture des droits acquis alimentée par la surenchère électoraliste qui veut que tous les partis promettent monts et merveilles au peuple sans se soucier des moyens de financement. Cette aberration économique est symbolisée par le 14e mois de salaire sans productivité accrue.
La soutenabilité financière de l’Etat-Providence demeure un problème fondamental avec le déficit budgétaire (9% du PIB) et la dette nationale (90% du PIB en juin 2025). Si l’on veut une politique sociale généreuse, il faut bien trouver les moyens de la financer. Soit on augmente les taxes, soit on s’endette davantage. La première option provoque toujours le courroux des contribuables. Personne ne veut payer plus d’impôts. C’est là où une fiscalité directe progressive, fondée sur une assiette fiscale large, est nécessaire. Le gouvernement a fait des pas significatifs dans ce sens dans le budget (avec notamment des taux d’imposition marginaux de 20-35% sur les hauts revenus). Il peut faire mieux, comme nous l’avons suggéré dans plusieurs articles auparavant. L’option de l’endettement n’est plus viable parce que le service de la dette publique coûte déjà beaucoup trop à la trésorerie (Rs 21,8 milliards en 2024-25).
4. Universalité versus ciblage
La pension de vieillesse universelle est sans doute démocratique et plus facile à administrer vu qu’elle est basée sur un seul critère, l’âge. L’universalité n’admet aucune discrimination. Elle ne donne pas à l’Etat la discrétion de refuser la pension de vieillesse à quiconque. Certains craignent qu’un gouvernement arbitraire puisse nier la pension de vieillesse à des opposants connus si elle était discrétionnaire. Or, l’universalité coûte cher. Déjà la pension de vieillesse coûte Rs 55, 7 milliards (voir le tableau 1).
Avec le vieillissement de la population, le fardeau financier sera plus fort dans les années à venir. Le tableau 2 indique l’évolution du poids croissant de la pension universelle dans les dépenses courantes de l’Etat de 2010 à 2024-25.
Des pays plus riches ne pratiquent pas l’universalité. Au Canada, par exemple, la pension de vieillesse (à partir de 65 ans) est récupérée par l’Etat à travers l’impôt lorsqu’elle s’ajoute à d’autre sources de revenu (pension de retraite, dividendes, etc.) qui poussent le revenu global au-delà d’un seuil ($90,997 en 2025). Elle est carrément supprimée au-delà d’un plafond de revenu annuel par personne ($148,451). Voilà le genre de ciblage économique qui permet à la pension de vieillesse d’être soutenable sans qu’il ne nécessite une bureaucratie pléthorique pour l’administrer. Le ciblage se fait sur la base de la déclaration de revenu annuelle déposée auprès du fisc.
A Maurice, on peut cibler la pension de vieillesse aux nécessiteux en la réservant à ceux qui ont un revenu annuel inférieur à Rs 600 000 (y compris la pension universelle). Avec le montant d’exemption fiscale personnelle de Rs 500 000, ces contribuables ne paieront pas d’impôt sur le solde de Rs 100 000 grâce aux déductions permises (personne à charge, etc.).
Si l’on garde la pension de vieillesse universelle tout en l’assujettissant à l’impôt, l’Etat ne va récupérer que 35% au maximum du montant (selon le taux d’imposition marginal supérieur de 35%) auprès des contribuables riches.
5. Rigueur économique versus impératif social
Les déficits budgétaires annuels du gouvernement imposent une rigueur économique fondée sur la maitrise des dépenses courantes (éducation, santé, salaires et prestations sociales). Cela entraine nécessairement une dose d’austérité pour tous tout en épargnant les ménages à faible revenu. Conjuguer la rigueur économique à l’impératif social est toujours un équilibre délicat. L’Etat social ne peut pas sacrifier les gens économiquement faibles. Toutefois, il a le devoir de donner l’exemple d’austérité au plus haut niveau. Il doit réduire le train de vie dans le secteur public en général (fonction publique, entreprises d’Etat, corps paraétatiques) en :
– limitant les émoluments à un niveau décent (maximum de Rs 200 000 par mois),
– abolissant les privilèges hors-taxe sur les voitures,
– réduisant les dépenses sur les berlines neuves pour les ministres et les mandarins de l’Etat,
– supprimant les exonérations fiscales accordées aux privilégiés de l’Etat (président, vice-président en exercice et en retraite) sur leurs émoluments et pensions,
– fixant l’âge d’éligibilité à la pension parlementaire (contributive) à 65 ans au lieu de l’éligibilité après deux mandats (10 ans), et
– abandonnant les projets de prestige comme de nouvelles autoroutes dans un pays qui a déjà un vaste réseau routier.
6. Populisme versus réalisme économique
Les populistes de droite comme de gauche insistent sur la pension de vieillesse universelle sans se soucier des moyens de financement. Aucun pays ne peut se permettre une politique sociale généreuse sans une croissance économique décente et une fiscalité productive. La redistribution des richesses ne se fait pas par magie. Les populistes de droite ont toujours fait des promesses faramineuses (pension universelle de Rs 20,000, 14e mois de salaire) sans se soucier des sources de financement. Leurs outils préférés dans le passé, lorsqu’ils étaient au pouvoir, étaient la dépréciation de la roupie qui renchérissait les prix de vente sujets aux taxes indirectes, la TVA et les taxes d’accise sur les commodités, la CSG et l’impression des billets par la Banque centrale.
Le fonds de la CSG a été dilapidé par le précèdent gouvernement puisque tout l’argent récolté (Rs 47,6 milliards en 5 ans de 2020-21 à 2024-25) a été dépensé sur diverses prestations sociales (allocation familiale, allocation pour enfant, supplément de salaire, etc.).
La MIC (Mauritius Investment Corporation) a fourni Rs 56 milliards à des sociétés privées sans aucune garantie de remboursement ni aucun retour raisonnable sur ses investissements dans le capital d’entreprise. C’est le scandale financier du siècle avec des soupçons de corruption. Le gouvernement tarde trop à récupérer cette manne financière donnée au secteur privé.
7. Changement versus statu quo
A entendre les différentes forces qui luttent pour la pension de vieillesse universelle, on croirait que le peuple qui a voté 60-0 pour le changement éprouve des regrets du lendemain du consommateur compulsif. Il a fait sereinement un choix démocratique et c’est au gouvernement d’utiliser son capital de sympathie pour faire des réformes en profondeur. Le statu quo n’est plus de mise. Les comités ministériels institués pour étudier les options de ciblage de la pension de vieillesse ainsi que les possibilités d’aide aux personnes à mobilité réduite sont des pas dans la bonne direction.
Mauritius Times ePaper Friday 20 June 2025
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