La monnaie de récompense : est-ce un autre aspect de la corruption ?

Combat contre la drogue

By Prakash Neerohoo

L’affaire de la monnaie de récompense (“reward money”) au sein de la force policière défraye la chronique dans les médias. Les révélations quotidiennes des aspects complexes de cette affaire, au gré des rebondissements de l’enquête de la Financial Crimes Commission (FCC), ont mis au grand jour un scandale financier aux dimensions insoupçonnées. L’argent public versé sur un compte pour rémunérer des informateurs civils, qui donnent des tuyaux à la police sur les drogues en circulation, aurait été détourné à des fins personnelles.

Drug Trafficking Financing. P – Eric G Johnson Law

Cette affaire a sidéré tout le monde par l’ampleur des fonds servant à payer les récompenses. Le Premier ministre a révélé au Parlement qu’une somme de Rs 250 millions a été déboursée au titre de la monnaie de récompense au cours des trois dernières années, y compris Rs 50 millions pour les deux mois précédant les dernières élections générales du 10 novembre 2024.

Il incombe maintenant à la FCC de faire une enquête exhaustive sur cette affaire afin d’établir le bien-fondé des accusations de corruption qui seraient formulées devant une instance judiciaire contre les suspects arrêtés jusqu’ici. Il appartiendra au Directeur des Poursuites Publiques (DPP), dans une étape ultime, de faire des poursuites sur la base des dossiers bien ficelés, avec preuves à l’appui. Mais d’ores et déjà des questions troublantes se posent sur cette affaire.

Questions pertinentes

La FCC a plusieurs pistes à explorer en vue d’élucider cette affaire, dont les dimensions dépassent le simple cadre administratif d’un fonds de récompense. Elle devrait pouvoir établir des réponses probantes aux questions suivantes:

1. Qui a établi le fonds de récompense dans les comptes de la police, et sous quelle autorité ? Pour toute dépense publique, il faut une autorisation préalable en vertu de la loi des finances ou d’un règlement spécifique.

2. Qui approuve les dotations annuelles à ce fonds ? Est-ce le ministre de l’Intérieur, responsable de la police, ou le commissaire de police ?

3. Quels sont les critères pour le paiement des récompenses aux informateurs ? Est-ce la fiabilité des informations qui mènent à des saisies de drogue importantes? Ou est-ce la fidélité des taupes plantées dans le réseau du trafic de drogue?

4. La police garde-t-elle un registre détaillé sur les décaissements à partir du fonds de récompense dans un ordre chronologique?

5. La police garde-t-elle un registre des informateurs avec leurs noms et adresses pour savoir qui est récompensé pour sa collaboration?

6. Est-ce qu’il y a des critères objectifs pour décider du montant de la récompense ? Le montant varie-t-il en fonction de la quantité de drogue saisie?

7. Qui, au sein de la police, approuve le montant de la récompense et le décaissement ? Est-ce le commissaire de police ou ses adjoints à qui il délègue ses pouvoirs ?

8. Quelle discrétion le commissaire de police laisse-t-il à ses adjoints et autres subalternes pour décider du montant de récompense à payer à un informateur?

9. La police a-t-elle autorisé des officiers responsables à verser les récompenses dans leurs comptes bancaires personnels avant de les débourser aux informateurs?

10. Pourquoi des banques ont-elles accepté des versements en espèces ou par chèque dans des comptes bancaires personnels sans se soucier de l’origine des fonds dans les cas où le versement ou le retrait bancaire est supérieur au montant autorisé sous la loi contre le blanchiment d’argent?

En vertu de la section 5 de la Financial Intelligence and Anti-Money Laundering Act (FIAMLA) de 2002, toute personne qui accepte ou fait un paiement en espèces (cash) de plus de Rs 500 000 est coupable d’une infraction.

Aspects troublants

Selon les informations publiées à ce jour, il est évident qu’il n’y a pas de contrôle interne, fondé sur des procédures comptables et des autorisations administratives établies, sur le fonds de récompense, qu’il s’agisse de dotations ou de décaissements.

En général, l’efficacité des contrôles internes sur les budgets dans les départements gouvernementaux est douteuse, comme le prouve chaque année le rapport du Bureau National de l’Audit, révélant immanquablement des gaspillages de fonds, des fraudes et autres malversations financières dans le secteur public.

L’enquête de la FCC a révélé des aspects troublants de l’affaire. Certains officiers de police, responsables du paiement des récompenses, auraient versé des sommes d’argent substantielles (des dizaines de millions de roupies) dans leur(s) compte(s) bancaire(s) personnel(s) et l’argent aurait été détourné à des fins personnelles, comme l’achat de véhicules, dans certains cas.

Il ne serait pas difficile pour la FCC de prouver un détournement de fonds si elle faisait un audit des actifs et passifs (net worth audit) des officiers concernés pour établir si leurs revenus légitimes justifiaient la richesse acquise. La Financial Intelligence Unit (FIU), sous la FIAMLA, est habilitée à demander des renseignements sur les comptes bancaires des individus soupçonnés de quelque trafic illicite grâce à une demande ex parte approuvée par un juge.

En sus d’avoir accès aux comptes bancaires personnels sous un ordre judiciaire, la FCC pourrait solliciter l’aide de la Mauritius Revenue Authority (MRA) pour faire un contrôle fiscal des suspects. En effet, sous le régime de l’échange d’informations entre les agences gouvernementales pour les besoins de l’administration d’une loi quelconque (par exemple, la loi fiscale ou la loi contre le blanchiment d’argent), la FCC et la MRA peuvent échanger des informations sur des cas de non-conformité à la loi.

Le rôle des banques

Dans le même souffle, la FCC devrait solliciter la collaboration de la Banque centrale pour veiller à ce que les banques commerciales appliquent rigoureusement la loi concernant le montant du dépôt bancaire autorisé en espèces ainsi que le montant du retrait d’argent autorisé par jour. Les banques ont une obligation sous la loi de vérifier les sources de fonds pour savoir si elles sont légitimes avant d’accepter un dépôt excédant Rs 500,000.

De même, elles ne peuvent pas permettre des retraits d’argent en millions de roupies sans se poser aucune question sur leur usage potentiel. Il parait que certains officiers aient déposé des sommes dans leur(s) compte(s) bancaire(s) et effectué des retraits de fonds dépassant les montants règlementaires. Le citoyen ordinaire qui dépose quelques milliers de roupies dans son compte bancaire ou fait un retrait substantiel fait face à toutes sortes de tracasseries administratives.

Par ailleurs, le rôle des banques dans le financement de l’importation de la drogue est un autre problème à régler. Comment les importateurs reçoivent-ils des devises étrangères pour payer les importations de drogue ? La police fait des saisies de drogues valant des millions de roupies. Si une quantité de drogue saisie vaut Rs 2 millions sur le marché, on peut calculer le coût d’importation (prix d’achat) en excluant la marge de profit de la valeur marchande. Avec une marge de profit de 100%, le coût d’importation est de Rs 1 million sur une valeur marchande de Rs 2 millions. Au taux de change de Rs 50 par dollar, l’importateur devra trouver $20 000 pour se procurer de la drogue. Qui lui fournit ces devises ?

Excès de zèle

Un autre aspect troublant de l’affaire est l’hypothèse que la monnaie de récompense aurait pu servir à des fins autres que la récompense stricte des informateurs. Est-ce que certains officiers ont été récompensés pour leur loyauté envers des hommes politiques du pouvoir ? Sous ce rapport, la découverte de dépôts et de retraits importants sur le compte bancaire de certains officiers (révélée dans un rapport de la FIU) est pertinente.

Confidentialité des informations

Certains officiers ont refusé de répondre aux questions de la FCC sur les récompenses payées aux informateurs en arguant que la révélation de leurs noms et des sommes payées violerait la loi sur les secrets d’État (Official Secrets Act) et mettrait en danger la sécurité nationale. La confidentialité des informations personnelles est sans doute un principe immuable lorsqu’il s’agit de protéger la vie privée des gens. Par exemple, les dossiers médicaux et les déclarations fiscales des citoyens sont gardés secrets et sont respectivement réservés à l’usage exclusif des hôpitaux et de l’autorité fiscale.

Toutefois, lorsque l’utilisation de l’argent public est en jeu, comme dans le cas des récompenses aux informateurs, la confidentialité ne saurait être invoquée pour refuser la transparence et la reddition de compte de la part de ceux qui furent investis de la mission de bien gérer les fonds publics.

Un fonctionnaire a le devoir de rendre compte de l’usage de tout fonds dont il a la responsabilité. Si la FCC peut demander une exemption à la loi sur la confidentialité des transactions bancaires pour avoir accès à des comptes personnels, alors la confidentialité ne s’applique pas à des paiements de récompenses aux bénéficiaires choisis par la police.


Mauritius Times ePaper Friday 25 July 2025

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