« Quatre Bornes annonce le mood électoral du pays tout entier »

Interview : Jean Claude de l’Estrac

Le MMM n’est pas mort mais il devra réviser ses ambitions. Au jour d’aujourd’hui, il n’est plus qu’un parti d’appoint’

Les premiers résultats de l’élection partielle donnaient une légère avance à Arvin Boolell. Ensuite, le score de tous les autres candidats ainsi que le taux d’abstention record ont conforté cette avance, sans grande surprise pour les analystes politiques. Est-ce que Arvin Boolell tiendra sa promesse d’un renouvellement du PTr ? Quelle rôle ont joué les jeunes du PTr durant ces élections partielles ? Les couleurs de la prochaine alliance électorale sont-elles dessinées ? Jean Claude de l’Estrac, journaliste et observateur politique, nous en parle. 

Mauritius Times : Les urnes ont parlé, la clarification politique a été faite dans une grande mesure. Quel constat faites-vous à partir de cette clarification ? Remontée du PTr ? Recul du MMM et du PMSD ? Quoi d’autre ?

Tout cela à la fois, c’est une évidence !

La remontée du parti Travailliste, déjà perceptible avant cette élection partielle, du fait notamment de l’impopularité du Gouvernement, va s’amplifier désormais. Si le parti honore ce que ses dirigeants annoncent – faire son autocritique, renouveler son équipe, rajeunir ses cadres, revisiter son programme, promouvoir des nouveaux talents -, il pourra certes espérer une reconquête.

Recul continu du MMM, oui et c’est un drame politique. Les dirigeants du parti ne peuvent plus éviter de répondre à la question de découvrir la cause de cette dégringolade sans précédent dans notre histoire politique. Le MMM, c’est un parti qui a frôlé les 50% de suffrages au plan national. Sa situation est cornélienne ; pour retrouver des couleurs, il doit reconquérir ses électeurs et retrouver ses valeurs sans compromis politicien. Mais, dans le même temps, s’il continue à dire qu’il se présentera seul aux prochaines élections, il n’est pas crédible.

Recul du PMSD, non ! Je n’ai jamais pensé, personnellement, que le PMSD pesait davantage. Ce qui a créé cette illusion, c’est la bonne image ministérielle de son leader, Xavier Duval. Voilà ce qu’il pèse à Quatre Bornes, sûrement moins encore ailleurs.

La question, maintenant, c’est de savoir ce que cela implique pour l’Alliance gouvernementale. Cela va être extrêmement difficile, c’est sûr. Mais on voit bien que Pravind Jugnauth ne baissera pas les bras, il est convaincu que les bons résultats économiques attendus au cours des prochains mois redorera son blason.

Peut-être se remémore-t-il les conditions des élections législatives de l987 ? Souvenez-vous : le gouvernement de sir Anerood était devenu extrêmement impopulaire suite à l’affaire Amsterdam et des députés du MSM arrêtés pour trafic de drogue. Il gagnera quand même les élections, fort des bons résultats économiques. On verra si les mêmes causes produisent les mêmes effets.

* Qu’en est-il des autres, c’est-à-dire la performance des Roshi Bhadain, Tania Diolle, Jack Bizlall, Dhanesh Maraye ? Est-ce conjoncturelle ou pensez-vous que ce serait prématuré de ‘write off’ dès à présent cette nouvelle génération de jeunes politiciens (à l’exception du vieux routier Jack Bizlall) disposés à ‘challenge’ la vieille garde dans les partis dominants sur l’échiquier ?

Le grand perdant dans cette catégorie, c’est Bhadain. Il n’a qu’à s’en prendre à lui-même. Sa fougue arrogante, son inexpérience politique, sa stratégie maladroite ont nui à sa campagne. Puisqu’il est vrai que nous apprenons davantage de nos échecs que de nos succès, le politicien intelligent qu’il est peut, certes, rebondir.

Je suis extrêmement content pour Jack Bizlall. Mais je vois ce bon résultat comme une récompense de fin de carrière, je ne pense pas qu’il est une promesse d’avenir.

En revanche, c’est le cas pour Diolle.

* Jack Bizlall disait lundi soir que l’abstention a faussé les résultats de cette élection. Au-delà des facteurs qu’on attribue généralement pour le faible taux de participation dans l’exercice électoral, il semble que le nombre d’indécis a augmenté par rapport à 2014, et ce n’est pas une bonne nouvelle particulièrement pour le MMM et le PMSD. Qu’en pensez-vous ?

Je me garderai de trop extrapoler sur les causes de l’abstention. Cette partielle est apparue à beaucoup d’électeurs comme étant sans enjeu. L’absence d’un candidat des partis au pouvoir est la principale cause de cette relative démobilisation, il ne faut pas aller chercher plus loin.

Cela dit, je suis depuis longtemps partisan du vote obligatoire. Je ne vois pas pourquoi les citoyens n’auraient que des droits et pas l’obligation morale de participer à la vie démocratique de la nation. Il y a aujourd’hui plus d’une vingtaine de pays qui ont introduit les lois qui rendent le vote obligatoire. Ces pays l’ont fait devant le constat d’une abstention grandissante. Mais on peut arguer que ce n’est véritablement pas le cas chez nous, nos forts taux d’abstention sont conjoncturels et explicables.

* Arvin Boolell, vainqueur de l’élection partielle au No 18, suivi de la candidate Nita Juddoo du MMM, c’était prévisible. Il incombera maintenant aux leaders de ces deux partis de bien gérer les résultats de cette élection. Tâche pas nécessairement facile à la fois pour Navin Ramgoolam et Paul Bérenger – chacun pour différentes raisons. Qu’en pensez-vous?

Ce qui n’était pas prévisible, c’est l’écart entre les deux partis. Les Travaillistes eux-mêmes n’en espéraient pas tant. Jusqu’au dernier moment, ils anticipaient un résultat serré.

Je l’ai dit, je ne crois pas que Boolell arrive pour bousculer Ramgoolam, ce n’est pas son tempérament. Et Ramgoolam ne se laissera pas faire. Il y a néanmoins quelques impondérables : si les deux affaires judiciaires, qui restent des épées de Damoclès sur la tête de l’ancien Premier ministre, deviennent trop incommodantes politiquement, des tensions vont se manifester en interne.

* Qu’en est-il de Paul Bérenger ? Personne n’a jusqu’ici réclamé son départ — la question ne se pose même pas en raison de l’absence d’un dirigeant issu des rangs du MMM pouvant remplir le vide que laisserait l’exit de Bérenger. Mais à bien voir, est-ce une grande défaite pour Paul Bérenger?

Bérenger doit être un homme bien seul ces jours-ci. La succession de défaites électorales, la migration continue de ceux qu’on nommait les militants, les ruptures, les scissions, et aujourd’hui l’absence de perspectives mobilisatrices condamnent le MMM et son leader à une nouvelle traversée du désert. C’est triste un chêne qui tombe…

* Cela aurait été certes dramatique si le MMM devait arriver en troisième position derrière soit Roshi Bhadain ou Dhanesh Maraye du PMSD quoi que cela aurait réconforté le MSM. Voyez-vous là le signe du déclin définitif du MMM en tant que grand parti ?

Rien n’est jamais définitif en politique. Combien de fois des vainqueurs ont annoncé qu’ils ont envoyé leurs adversaires dans les poubelles de l’Histoire ? Et combien de fois se sont-ils retrouvés dans la même poubelle la fois d’après ? Le MMM n’est pas mort mais il devra réviser ses ambitions. Au jour d’aujourd’hui, il n’est plus qu’un parti d’appoint. Toutefois, dans notre système électoral, un parti d’appoint est un faiseur de roi, ce qui lui donne un rôle qui pourrait aller bien au-delà de sa force électorale.

* On entend déjà des voix sortant des rangs du MMM – surtout les ‘diehards’ – réitérant leur opposition contre tout rapprochement avec le MSM de Pravind Jugnauth. Bérenger se laissera-t-il faire, selon vous, ou voudra-t-il assurer la pérennité de son parti par le biais d’une autre alliance… avec le MSM ?

Gros dilemme ! Je pense que Bérenger aura à cœur de sauver ce qui reste du MMM. Cela passe forcément par une alliance électorale. Au vu de ce qui s’est passé aux dernières élections générales, on peut penser que l’électorat du MMM peut plus facilement digérer une alliance avec le MSM qu’avec le Labour.

En face, c’est aussi évident que l’électorat travailliste est plus à l’aise avec le PMSD. Et nous voilà condamnés à retrouver une vieille configuration. C’est mon pronostic pour 2019 !

* Même si 45% de l’électorat ont choisi de réserver leur jugement sur les partis en lice dans cette partielle, une majorité des votants ont choisi de soutenir Arvin Boolell. Le PTr a pu ainsi démontrer qu’il peut effectivement gagner – seul contre tous – dans une circonscription relativement difficile. Est-ce la confirmation que le vent a définitivement tourné ?

Une hirondelle ne fait pas le printemps ! Mais le vent se lève, le ciel se dégage. Quatre-Bornes est une circonscription mi-urbaine mi-rurale, un modèle réduit de la configuration électorale nationale. Elle annonce le mood électoral du pays tout entier. Il est vrai que l’absence du MSM fausse quelque peu la perspective. Maintenant la suite dépend d’un grand nombre de variables. Rien n’est définitif !

* Les langues se délient et certains Travaillistes trouvent qu’à la place d’Arvin Boolell, une candidature de Navin Ramgoolam n’aurait pas donné le même résultat. Et, on a aussi vu une prédominance des jeunes parlementaires et quelques nouveaux venus autour de Boolell lors de l’annonce des résultats. Qu’est-ce qui se met en place, selon vous ?

Oui, c’était remarquable. Peut-être une reconnaissance que la reconquête du pouvoir par le PTr passe par le renouveau !

* Arvin Boolell fait montre d’une bonne prestance, il tient le bon discours et il va sans doute prendre de l’épaisseur à partir de cette victoire. Mais pour assurer la pérennité de son parti, Navin Ramgoolam et lui auront à trouver un terrain d’entente… Qu’en pensez-vous ?

L’entente et les mésententes Ramgoolam-Boolell, c’est une vieille histoire au parti Travailliste. J’ai entendu Ramgoolam dire que c’est une famille, oui mais une famille bien querelleuse. Nous verrons si l’histoire se répète, ce qui est souvent le cas. Sinon, la nouveauté, ce sera une forme de passation.

* Pravind Jugnauth a répété sa détermination de maintenir le cap jusqu’à la fin du mandat de son gouvernement. Renverser la vapeur paraît difficilement réalisable, car les mesures populistes de ces dernières semaines – le salaire minimal, la Negative Income Tax, etc., – n’ont rien donné. Comment se présente l’avenir pour ce parti et son jeune leader ?

Nous n’avons pas encore mesuré l’impact électoral de ces mesures populaires.

Mais je crois aussi qu’il sera difficile pour l’Alliance gouvernementale de retourner la situation en sa faveur, la raison principale étant la propension de l’électorat à plutôt voter contre.

C’est le handicap des gouvernements sortants, en particulier si leur gouvernance a produit des casseroles. Sur ce plan-là, ce Gouvernement a été un grand producteur…

Sa seule planche de salut, c’est l’économie. S’il réussit à créer un feel-good factor, il peut espérer remonter la pente, elle sera bien raide !

* D’autant plus qu’il sera un gouvernement affaibli n’est-ce pas ? Vous avez récemment critiqué le fait qu’il n’a pas su résister au lobby des commerçants locataires en prolongeant de trois ans encore un moratoire qui dure depuis 10 ans…

C’est un nouveau scandale ! La Port Louis Development Initiative (pldi), dans un document minutieux, a démontré combien cette décision est rétrograde et va à l’encontre de l’intérêt général. Au fait, le Gouvernement se tire une balle dans les pattes.

Le nouveau Landlord and Tenant Act est une occasion fabuleuse de régénérer la capitale, de créer de l’activité, et des emplois. Sans doute, il peut aussi créer quelques difficultés financières pour un petit nombre de locataires, mais il est facile de les identifier et d’apporter des solutions à leurs problèmes.

Cette décision a été prise sans analyse de la réalité de la situation et sans considération pour l’intérêt général. Il n’est peut-être pas trop tard. La PLDI a proposé des formules susceptibles de satisfaire les uns et les autres.

Le Gouvernement qui table sur la croissance économique pour se refaire une santé a tout intérêt à les étudier.

 

*  Published in print edition on 22 December 2017

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