Interview Dev Ramano

Interview: Dev Ramano

  

« Le sondage de Bérenger au profit du PTr de Ramgoolam ne paraît pas bidon ! »

* «  Les masses veulent voir une équipe unifiée. La gauche divisée, œuvrant dans un ordre dispersé, sera désormais inefficace »

 

Dev Ramano, militant de formation, condamne furieusement les jeux d’alliances; des jeux ni plus ni moins malsains et dans l’intérêt des quémandeurs. Le MMM brûle ses dernières cartouches pour monter sur le ring aux côtés de Navin Ramgoolam. Les autres partis recherchent les séductions de la nouveauté pour s’accrocher au pouvoir. Et Ramgoolam fait la pluie et le beau temps… Ces couleurs et idéologies jurent-elles? Non! Tous n’ont aucun point de friction entre eux. Tous n’ont qu’un but — arriver au poteau du pouvoir.

Mauritius Times : Nous voilà avec la nouvelle « opposition loyale », dont l’avant-dernière posture consistait à remettre à plus tard une lutte à trois et à annoncer des négociations « très avancées » en vue d’une alliance PTr-MMM. Quelle opinion faites-vous de ce changement de programme du leader du MMM ? Pourriez-vous donner une explication rationnelle à ce virage à 180 degrés ?

Dev Ramano : Je ne vois rien d’étonnant dans cette nouvelle posture osée du MMM. Nous notons une ruée dégueulasse de la part de ce dernier et du MSM, obnubilés par le pouvoir, pour être en bonne compagnie à côté de Ramgoolam dans le fauteuil du pouvoir. D’ailleurs une compétition agressive et féroce se dessine entre ces deux formations imbriquées de leurs flammes pouvoiristes. De toute manière depuis belle lurette on est habitué à ce mauvais spectacle. De quinquennat en quinquennat, si ce n’est pas à mi-mandat, se déferlent des alliances qui se fassent, qui se défassent, qui se renouent – MSM-PTtr-PMSD, MSM-MMM, PTr-MMM, PTr-PMSD actuellement et éventuellement PTr-MMM ou PTr-MSM-PMSD.

De mon point de vue, ces gymnastiques politiques ne sont pas contre nature car ces gens ou ces partis traditionnels ne divergent que dans la forme mais s’entendent bien dans le fond. Ils prônent la même politique ultralibérale qui se construit sur trois axes fondamentaux, à savoir la Privatisation, la Stabilisation et la Dérégulation. Et dans ce sillage les deux blocs capitalistes des classes dominantes, la bourgeoisie historique (l’oligarchie sucrière) et la bourgeoisie d’Etat (les Rawat, Maurel, Currimjee et consorts) se retrouvent dotés des équipes politiques dirigeantes, des partis traditionnels et de divers gouvernements (passés, actuels et à venir) musclés dans le cadre d’une politique de globalisation poussée jusqu’au bout.

Les résultats, nous les avons constatés au fil des dernières décennies : des attaques tous azimuts contre les classes défavorisées — le pouvoir d’achat, la législation des lois industrielles rétrogrades, entre autres et le gouffre qui grandit entre riches et pauvres. Jamais dans l’histoire du pays ces classes vulnérables n’ont relativement autant reculé du point de social, politique et économique que dans ces derniers trente ans tandis que les classes dominantes antagonistes ont connu un mouvement outrancièrement inverse. Et tous ces messieurs des partis « mainstream » ont leurs empreintes dans cette politique perverse qui se trame sur fond communal.

Alors ce n’est pas le saut d’une posture d’opposition complaisante via celle d’une « d’opposition loyale » à une mise en selle pour se presser d’être aux côtés de Ramgoolam qui constitue un virage de 180 degrés de la part du MMM. Ce virage drastique, le MMM l’a connu depuis déjà plusieurs décennies. Ce parti a tellement ajouté de l’eau dans son vin sans aucune modération qu’aujourd’hui il n’en reste nulle trace.

* Le MMM a sûrement changé. Mais ne croyez-vous pas que vous poussez le bouchon un peu trop loin ?

Non, au contraire. En tant que parti social-démocrate ou réformiste à l’époque, il a connu au fil des temps, une évolution sociale libérale. Face à l’offensive de la droite, il s’est adapté à une politique capitaliste de contre réforme libérale. Son passage aux commandes du pouvoir à deux reprises ne laisse aucun doute là-dessus. Ses gesticulations politiques historiques se résument ainsi. D’une politique réformiste il a sauté dans un réformisme sans réformes. D’un réformisme sans réformes il a plongé dans un réformisme de contre réformes dans le cadre du capitalisme libéral. Il a connu un changement historique de fond en comble, c’est-à-dire une intégration jusqu’au bout des ongles dans le capitalisme globalisé. C’est cela le triste échec du MMM. Il a prétendu changer la vie, la vie l’a changé ; il clamait placer le pouvoir entre les mains des citoyens, le pouvoir l’a magnétisé et aspiré. Il clamait vouloir changer les règles du jeu pour acculer la puissance de l’argent, aujourd’hui il ne respire que par l’odeur des sous des nantis. Il prônait le changement social en rôtissant le cochon à petit feu, le cochon l’a bouffé. C’est énorme tout ça dans un pan étroit de notre histoire, 40 ans seulement !

* Paul Bérenger dit vouloir aller au gouvernement en vue de « permettre à une autre île Maurice unie, propre, démocratique… » d’émerger. Et Navin Ramgoolam lui affirme qu’il ne faut pas sanctionner ceux qui auraient commis des erreurs dans le passé. Qu’est-ce que ces discours politiques suscitent chez vous ?

Jusqu’à maintenant nous n’avons eu droit qu’à des calculs d’épiciers basés sur une arithmétique communale en ce qui concerne la répartition des tickets. D’ailleurs le chef du MMM démontre que sa préoccupation première est de patauger, comme à l’accoutumée, dans une boue bassement communale quand il invoque le fait que s’il ne contracte pas une alliance avec le Parti travailliste, ce dernier aurait « ramassé le MSM » et que le pays aurait été projeté dans une bipolarisation communale avec d’une part Ramgoolam aux leviers du pouvoir à la tête de l’ethnie majoritaire et d’autre part les minorités à la solde de Bérenger. Voilà le concept ghettoïsé qui transcende la pratique politique du leader de l’opposition.

Quant au programme rien n’a jusqu’ici transparu, sauf la rhétorique habituelle du leader du MMM — de l’émergence « d’une autre île Maurice propre, démocratique »… Ça paraît ronflant. Mais personne n’est dupe. Car tout devient clair quand il se presse d’annoncer que « rien ne sépare le MMM du PTr » en ce qu’il s’agit de programme gouvernemental. Ce constat, on l’a déjà fait. Le MMM n’a pas de programme alternatif. Il a simplement une faim accrue de sauter dans le « bandwagon » conduit par l’actuel Premier ministre pour s’immiscer dans les coulisses du pouvoir afin de pratiquer la même politique inacceptable des tenants actuels du pouvoir.

Eh bien, si n’importe qui a l’ombre d’un doute de ce qui vient d’être évoqué, posez la question suivante à la direction du MMM : Quelle parade avancera-t-elle en ce qui concerne les nouvelles législations industrielles (Employment Rights Act/ Employment Relations Act) qui de fait confisquent plusieurs droits acquis des masses laborieuses ; le cancer de la perte du pouvoir d’achat, l’institution de la politique de « séparation à bon marché » des employés (autre rhétorique pour le licenciement sauvage), la PGA qui a rétréci le tissu démocratique, la politique énergétique marquée par les affres des IPP, la privatisation, la dérégulation, la spéculation foncière, la politique IRS où le pays est gavé de béton avec une visière écologique d’une semblant île Maurice durable, entre autres ? Programmatique le MMM ressemble au PTr comme deux gouttes d’eau. Jean Claude de l’Estrac, partisan de la même philosophie politique, logiquement ne fait que retentir la sirène pour que ceux qui se ressemblent s’assemblent.

* Toutefois le fils de Gaëtan Duval, celui- là même qui avait vu en Paul Bérenger son « héritier politique », trouve aujourd’hui que le PMSD (et le PTr) n’ont rien à faire avec le MMM. « Depuis quand partageons-nous la même idéologie avec le MMM ? » s’est-il demandé. Votre réaction ?

Bérenger cible le PMSD du fils de Gaëtan Duval. Les dirigeants de ce parti de leur côté s’agitent. Les deux directions s’adonnent à une partie de « musical chair » grotesque. La raison est évidente. Leurs agissements sont dépourvus de tout souci programmatique ou idéologique. Dans leur agenda, le sort des classes démunies n’est d’ailleurs que le cadet de leurs soucis. Leur problème commun, c’est qu’en termes de clientélisme électoral, elles pèchent dans le même bassin ethnique, bien sûr avec des bases sociales quantitativement différentes. Ayant des intérêts électoraux politico-éthniques communs, elles sont mutuellement exclusives, malgré le passage du PMSD d’Allet/Guimbeau dans le ventre du MMM à un certain moment. Cela paraît contradictoire, mais ceci s’explique par leur parcours historique différent. Entre-temps nous assistons au énième épisode du « soap opera » de Paul Raymond/Xavier Luc.

* Lorsque Ramgoolam annonce la réintroduction de la peine de mort, il ne pouvait ne pas savoir que cela allait offusquer son allié, le PMSD. A quel jeu joue-t-il, selon vous ? Souhaite-t-il faire le vide autour de lui pour pouvoir mieux négocier ?

Avant d’aborder le sujet sur Ramgoolam, soulignons quelques faits saillants. C’est un fait que Gaëtan Duval était un fervent abolitionniste de la peine capital tandis que d’autres au Parti travailliste à l’époque, à l’instar de Harold Walter, en étaient des fervents partisans. On peut noter que l’actuel PMSD fait bloc en ce qui concerne sa prise de position contre la peine de mort. De là c’est un peu le monde à l’envers, avec la position contrastée du MMM, impatient de sauter dans le strapontin du pouvoir dès que le PMSD serait supposément éjecté – ce qui consiste à dire que le MMM n’a pas une position collective arrêtée sur cette issue, préférant supposément le choix à la libre conscience de ses dirigeants et parlementaires. Cette rhétorique peut donner l’impression d’un semblant démocratique. Mais c’est carrément réactionnaire.

Mais le plus grave c’est que nous avons un homme dangereux à la tête du pays. D’un coup de tête il démontre un instinct de tueur car il veut institutionnaliser un Etat qui se donne les moyens de tuer de sang froid. Ramgoolam est politiquement dangereux, car il se permet en tant que Premier ministre de changer sa position de principe sur de bases futiles que sont ses jeux pervers d’alliances. Lui, son parti, son gouvernement sont en panne d’idées, paralysés en termes de créativité. Il cherche la solution facile pour un problème compliqué qu’est le « law and order » qui touche les profondeurs de notre société. De surcroît, le plus aberrant, en démagogue Ramgoolam excite les émotions, exploite la douleur des proches des victimes de crimes et attise la colère et la haine de ces derniers dans le cadre d’une stratégie machiavélique pour la conquête d’une majorité de trois quarts aux prochaines échéances électorales. C’est immonde et dangereux.

* Comment réagissez-vous devant la prise de position de Bernard Sik Yuen concernant la peine de mort ?

C’est réconfortant qu’un tel signal fort provienne du sommet du judiciaire. Quand le Chef juge prend position contre la peine de mort il reconnaît que la justice n’est pas infaillible. Il se peut que des innocents soient envoyés à l’échafaud à cause d’une appréciation erronée des faits et des preuves. D’ailleurs il y a des données de par le monde qui indiquent que la peine capitale n’exerce nullement un effet dissuasif contre le crime. D’après certaines statistiques, il a été noté que le taux de criminalité aux Etats-Unis n’a nullement régressé avec l’existence d’un système actif institutionnalisant la peine capitale.

La peine de mort demeure une pratique étatique barbare, rétrograde et inhumaine. Ce type de violence de l’Etat constitue une violation du droit à la vie, et va à l’encontre de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme qui proclame entre autres « each person’s right to protection from deprivation of life ; no one should be subjected to cruel and degrading punishment ». De surcroît, la section 7 de notre Constitution stipule: « No person shall be subjected to torture or to inhuman or degrading punishment or other such treatment ».

Non, on ne peut pas donner une licence à l’Etat pour tuer de sang froid. Selon la gravité des délits il y a des normes qui permettent la confiscation de la liberté d’un individu. Mais cette confiscation de liberté doit s’arrêter aux confins de sa peau extérieure. En dessous vers l’intérieur de son corps c’est sa juridiction exclusive. Aucun autre individu, sans son consentement n’a le droit d’y pénétrer. Et surtout l’Etat, bats les pattes ! La peine capitale non seulement ne doit pas rester en veilleuse, mais doit être éradiquée complètement de nos textes de lois.

* Democracy Watch Mauritius affirmait récemment qu’en réclamant la peine de mort, le PM reconnaît publiquement que le pouvoir en place a échoué dans sa lutte contre la criminalité et que l’insécurité atteint, désormais, un seuil critique. Le pensez-vous également ?

Il y a plein de sens dans ce qu’avance Democracy Watch. Ayant fait l’économie d’une analyse précise des causes sociales de la violence, le pouvoir en place se trouve dans l’incapacité d’extraire un constat approprié de l’état des lieux et s’adonne à des solutions faciles pour des problèmes visiblement compliqués. Marqué par un manque de créativité alarmante, le pouvoir se prête à des remèdes mathématiques, quantitatifs pour endiguer le taux de criminalité. Du tabac, de l’alcool, des coups et blessures, du vol, en passant par les contraventions routières, aux viols, trafic de drogue et meurtres, la solution simpliste a été « sine qua non » l’augmentation classique des peines. Et aujourd’hui le remède magique, c’est la peine de mort !

Eh bien, non Monsieur Ramgoolam ! Les causes des violences inouïes, vous devez les chercher dans les profondeurs des crises sociales provoquées par les destructions et les maux causés par votre stratégie politico-économique. Ses secousses vous ne les ressentez pas du haut de votre piédestal au fond de Clarisse House. La promiscuité des logements, par exemple, est la prémisse des violences conjugales, des viols, des attouchements, des meurtres, des drames familiaux. Le chômage, les licenciements, et la culture de l’argent facile entraînée entre autres par la politique de la spéculation foncière poussent aux vols, aux trafics, à la corruption. Faut-il vous faire un dessin complet ! C’est tout ce panorama qu’il faut changer ! Encore faut-il qu’on ait la volonté politique nécessaire.

* Revenons à la chose politique : que faites-vous de ce sondage réalisé par l’institut français Louis Harris – « sondage-bidon financé par le PTr, selon Paul Bérenger » – qui donnerait Ramgoolam comme grand vainqueur, quel que soit le cas de figure pour les prochaines élections générales, et du « timing » de son annonce ?

Il ne faut pas être savant pour comprendre qu’un sondage commandité par soi est potentiellement vicié par des considérations subjectives dans l’intérêt de soi. Mais pour moi ceci et autant le sondage de Louis Harris restent secondaires dans le contexte actuel. Car le principal, c’est que la plus grosse boule sondeuse demeure Bérenger lui-même. De par ses postures politiques présentes il ne fait que fortifier la position de vainqueur de Ramgoolam et confirme le poids que ce dernier veut se projeter de lui-même et de son parti sur le terrain. En tout cas le sondage de Raymond Paul au profit du PTr de Navin ne paraît pas bidon !

* Le leader du MSM, qui lui dit vouloir plus que « coze cozé » avec Ramgoolam, se dit toutefois prêt à toute éventualité mais ajoute que son parti est proche de l’Hôtel du gouvernement – « nou kot gate-là », dit-il. Comment qualifiez-vous cela ?

Ah bon ! Ils sont « akot gate » et ils ne sont nullement inquiétés. Pour moins que ça les syndicalistes et les militants syndicaux/politiques auraient été accueillis par la SSU et poursuivis pour rassemblement illégal devant le Parlement. D’ailleurs neuf d’entre eux passent en Cour le 30 mars prochain pour crime similaire. Salim Mutty, Eddy Sadien et leurs amis ont été frappés par ce même frasque arbitraire de l’Etat le jour de l’indépendance. Voila une démocratie et une justice à deux vitesses ! Bon cessons cette boutade !

Ces gens de la trempe de Pravind Jugnauth et consorts sont « kot gate » sans programme ni projet, sans une vision qui pourrait faire émerger une île Maurice où il fait bon vivre. Aussitôt que le lion de Clarisse House rugit avec son nouveau dada, le programme de peine de mort, les caciques du MSM se trouvent déjà « kot gate » masqués en bourreaux « to join Ramgoolam’s bandwagon » même avec un ticket de troisième classe. Ils ont soif du pouvoir et se bataillent dur et sont en compétition avec le MMM pour une place aux côtés de Ramgoolam. Le sort des gens démunis n’est pas dans leur agenda, mais plutôt relégué aux orties.

* Jack Bizlall du Mouvement Premier Mai nous disait récemment que « seule la rue peut faire tomber Ramgoolam… seule l’opinion publique, autrement informée et conscientisée, peut le secouer ». Mais faut-il, selon vous, que la rue s’y intéresse vraiment. Cette rue n’est pas obligée de réfléchir ; le pain et le cirque semblent lui suffire…

Je suis certain que Jack Bizlall ne parle pas dans le vide et ni à la légère. Il arrive à cette conclusion après une analyse et un constat juste de ce qui prévaut autour de nous aux niveaux économique, politique et social.

Le monde connaît une crise profonde et multiforme et Maurice n’est pas en reste comme l’affirment certains. Cette crise est économique, sociale, écologique et politique. Les militants de gauche et syndicaux, à l’instar de Bizlall, Subron et Seegobin, Chuttoo, Jugdharry, Minerve ne sont pas des catastrophistes mais ont l’ingéniosité de prendre la mesure de cette crise et de sa globalité. Ils comprennent que la situation n’est pas sans issue pour le capitalisme au niveau mondial, car ce dernier peut retomber sur ses quatre pattes comme un vilain chat. Mais il demeure que ce système est une impasse et constitue un tombeau ambulant pour la majorité de la population de la planète et aussi celle de Maurice.

Les tenants du système de par le monde et aussi localement tentent de trouver des parades mal cousues pour sortir de cette crise prolongée. Mais la solution proposée du système à sa propre crise constitue et constituera un prix très lourd à payer en termes de conditions de vie, de travail (la tendance à la surexploitation de la force de travail, la pression pour la baisse continuelle du pouvoir d’achat, le travail le dimanche, l’augmentation des horaires du travail, la précarité, les attaques contre les acquis sociaux, le Welfare State, etc), de liberté, de démocratie. En gros ce sont les plus démunis, les travailleurs en général qui payent et payeront les frais de la crise. Les masses ne gagneront rien si elles ne forcent pas la main des tenants du pouvoir. Les classes dominantes ne se laisseront pas entraîner dans une logique de réforme, d’assainissement de la situation dans l’intérêt de tous et de partage de richesses qui implique taxation de profits et de limitation de privilèges.

Si cette crise multiforme continue sur sa trajectoire sans une résistance, sans une opposition massive venant d’en bas, les pouvoiristes, Ramgoolam et consorts, les contracteurs d’alliances nous entraîneront vers l’abîme dans les années qui viennent. La rue ne pourra se contenter du pain, du cirque et du spectacle, comme vous le dites, pour longtemps. Le ressaisissement, la mobilisation de la rue n’est pas seulement un impératif mais est aujourd’hui plus qu’une nécessité. C’est la seule issue pour bouger dans le sens de l’Histoire, du progrès. D’où la pertinence de la déclaration de Bizlall ! La rue doit pouvoir se réinventer. Tout est une question de rapport de forces.

* Au bout du compte, ce sont les discussions concernant les tractations d’alliances, les débats sur la peine de mort, etc., qui feront l’actualité. Le peuple semble y prendre plaisir devant cette politique-spectacle, et on aura réussi à détourner l’attention des questions majeures qui auraient dû interpeller les Mauriciens, n’est-ce pas ?

Ne vous fiez pas à l’apparence. Une colère latente gronde dans l’île Maurice profonde. Bien sûr l’idéologie officielle véhiculée, qui proclamait le capitalisme comme immuable, la force de l’argent comme incontournable, qui insufflait l’idée que le culte du leader et la pratique dynastique à la tête des partis traditionnels comme naturelle, la culture de contact (contact culture) et de « rode so boute », et de « saken so bann » comme chose normale, a fait son chemin. Cela a permis au système de fonctionner dans le cadre d’une démocratie subtilement confisquée et d’une paralysie partielle de la conscience des gens, ce qui entrave l’émergence des nouvelles forces de progrès.

Dans ce sillage une poignée de nantis ont fait main basse ou consolidé leurs assises sur la richesse, l’économie, la politique, les institutions civiles. Mais tous ceux-là ne sont-ils pas pointé du doigt aujourd’hui ? Tout cet édifice commence à se fissurer. Les gens encaissent les coups mais ils ne sont pas sadiques. Malgré le fait qu’ils se ruent vers les partis traditionnels pour des raisons matérielles évidentes, ils commencent à réaliser que chaque cinq ans ils n’ont cinq minutes dans l’isoloir que pour changer de transfuges, des faiseurs de fausses promesses… Le presse-étoupe du « tempo » ne tiendra pas longtemps.

* Construire, rassembler et unifier autour d’une politique alternative crédible pour contrer ce que Rezistans ek Alternativ considère être une offre publique d’achat des partis traditionnels sur la démocratie… pensez-vous que ce soit vraiment réalisable ? Les années passent et les partis traditionnels consolident leurs assises dans le pays. Faut-il revoir les structures et le projet politique des partis de gauche sans pour autant tomber dans la politique-spectacle ?

Oui, c’est réalisable mais tout dépend comment on s’y prend. Le problème de la gauche, c’est qu’elle a l’analyse juste, dégage un constat précis de la réalité, anticipe avec pertinence les intempéries économiques/sociales/politiques et a la capacité d’avancer des propositions stratégiques alternatives aux cacophonies actuelles. Qualitativement elle est en avance sur les conservateurs. Mais elle patine quantitativement. Bien sûr il y a des facteurs en dehors de sa volonté qui ont pesé et entraînent ce blocage. L’idéologie ultralibérale qui présentait le capitalisme comme immuable, comme la fin de l’histoire, qui avançait que l’idéologie est morte, alors que les idéologues du système se servaient d’idéologie pour tuer l’idéologie, a été certes un frein au développement de la gauche.

Mais les conditions de construction sont tout autres aujourd’hui surtout avec les secousses de l’édifice ultra libéral dans le sillage de la crise qui se prolonge. Dans ce contexte la gauche doit pouvoir surmonter ses faiblesses et carences, revoir ou inventer une nouvelle stratégie organisationnelle. La division, le sectarisme sont des tares à éradiquer définitivement. Il faut pouvoir surmonter les clivages personnels et construire ensemble. Personne n’est propriétaire du paysage politique mauricien ou de la lutte des classes. Personne ne nous a forcé d’être militants engagés. Les militants de la gauche ont l’ambition de construire un autre monde, une alternative crédible sans exiger ni bottes ni médailles.

Il faut pouvoir rassembler, unifier et travailler ensemble. Si la proposition d’unité et d’unifier n’est qu’un souhait sans engagement ferme dans la pratique, la gauche patinera encore pendant des années. Les masses veulent voir une équipe unifiée. La gauche divisée, œuvrant dans un ordre dispersé, sera désormais inefficace. Une telle posture sera anti-pédagogique dans les yeux des masses. Les gens veulent voir une organisation qui a la capacité d’allier, avec dextérité, la quantité et la qualité.

Il faut que la gauche puisse rallier large, ce qui implique fusion, rassemblement au-delà des confins des organisations existantes, attirer les militants hors organisations, jeunes, travailleurs, intellectuels partisans du progrès. Un projet de ralliement qui inspire confiance, qui insuffle avec doigté et pédagogie l’idée qu’une autre façon de faire la politique est possible. Un projet qui crée un déclic pour que beaucoup de gens fassent le saut d’une position de sympathisant à distance à celle d’engagement actif. Parler d’unité sans concrètement la forger et sans se donner les moyens d’en faire une réalité, c’est une perte de temps, c’est rater le coche.

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