Pêcheurs de banc : Une question d’insécurité et de précarité

Plus de 30 jours de grève de la faim : des rencontres et des discussions entre les autorités et le Comité de Soutien des pêcheurs de banc ont lieu. La situation nous oblige à découvrir plusieurs aspects cachés du dur métier des marins-pêcheurs à Maurice et ailleurs dans le monde, méconnu du grand public, alors que l’Organisation Internationale du Travail (OIT) se bat pour faire respecter le travail décent dans ce secteur. Deux mots caractérisent leur situation professionnelle : insécurité et précarité.

La vie du marin-pêcheur de banc : Lorsqu’un marin-pêcheur s’enregistre pour embarquer sur un chalutier, il est parfaitement conscient des exigences du métier et des sacrifices à consentir. Le marin-pêcheur sait qu’il sera loin de sa famille pour environ deux mois. Il vivra sur un grand bateau, sans confort et subira les caprices de la mer, des marées et des houles. Il vaut mieux jouir d’une bonne santé physique car il n’y a aucun médecin à bord pendant la durée du séjour. Comme le marin-pêcheur est payé par tonnage, il doit travailler pour gagner de l’argent. S’il est malade à bord et ne travaille pas pendant quelques jours, il y aura un effet négatif sur son salaire. Un marin-pêcheur raconte sa vie.

« Un pêcheur de banc prend deux jours et demi pour aller hors lagon. Là-bas, on n’a pas pied dans l’eau comme dans le lagon. On a besoin d’une pirogue. On descend la pirogue du chalutier et ensuite on se met à pêcher à la ligne. On a un talkie-walkie pour communiquer avec le bateau.

Nous nous réveillons tôt le matin. On nous donne un catorah avec notre repas et nous descendons avec la pirogue. Nous nous mettons à pêcher. A midi, nous déposons notre prise à bord. Sur le bateau, on nous donne un pain et du thé. Ensuite, nous repartons sur la pirogue. Nous travaillons tant qu’il y a des poissons. Il n’y a pas d’heure pour s’arrêter. C’est une question de tonnage. De retour sur le bateau, nous avons le dîner. Habituellement, nous avons du riz et du curry ; il y a de la viande et des légumes. Normalement, il y a 54 pêcheurs sur un bateau, un cuisinier et deux aide-cuisiniers. Nous avons un peu d’eau pour nous laver sur le pont. Il n’y a pas de cabine pour se laver à l’abri des courants d’air. »

Les conditions climatiques : La pêche et la quantité de poissons pêchés dépendent des conditions climatiques. Si le temps est clément et la mer est bonne, alors la pêche est satisfaisante. Par contre, si la mer est démontée, le marin-pêcheur doit attendre que ça passe, ou alors il doit mettre sa vie en danger et braver les houles pour exercer son métier.

Les risques du métier augmentent durant la période hivernale de mai à août. Le temps est mauvais et la grosse houle est dangereuse. Plusieurs marins-pêcheurs s’empressent de nous raconter les dangers de la mer.

« En hiver, la brise souffle et la mer va gonfler. Quand il y a un grain qui tombe, la mer devient mauvaise. Nous disons qu’elle se met en colère. La houle ronfle. Les vagues soulèvent alors la pirogue et la rejettent deux mètres plus loin, à l’endroit ou à l’envers. Pourtant, c’est une pirogue à moteur ! Si la pirogue chavire, alors vous êtes sûr de vous retrouver face-à-face avec un requin. Avec ce métier, vous savez quand vous partez et où vous vous rendez, mais vous ne savez rien à propos de votre retour. Tout est incertain. Tout dépend de la nature et de la mer. »

La pêche est interrompue lorsque les conditions météorologiques sont défavorables. C’est l’insécurité grandissante. Les marins-pêcheurs deviennent plus discrets sur ce point. L’un d’entre eux se lance pour expliquer cette situation.

« Je dépose un papier de déclaration avant de monter sur le bateau. Ce papier permet à ma famille de contacter le bureau du port si elle a besoin d’un peu d’argent. Si on ne descend pas en mer pour pêcher, alors le salaire diminue. Sur le bateau, je dois payer pour les hameçons et la ligne. Si je perds mon couteau ou mon catorah en mer à cause de la houle, je dois en acheter un autre à bord. Je paie pour les bottes, le pantalon en plastique et les gants. Tout est déduit de mon salaire. A trois, nous devons atteindre le chiffre d’au moins neuf tonnes. En été, le salaire moyen est d’environ Rs7,000 par mois. Avec les primes, et surtout en été, on touche entre Rs10,000 et Rs15,000.

Parfois, la famille a besoin d’argent. Je demande une avance au Capitaine et on envoie l’argent à la famille. Ainsi, quand je regagne la terre ferme, et après les déductions et les avances à la famille, c’est moi qui dois de l’argent à la compagnie. Je dois chercher n’importe quel autre emploi à terre rapidement. Normalement, j’attends près du marché de Port-Louis. Je suis triste car je ne peux même pas payer un petit crédit. Je manque cruellement d’argent. »

Cycle infernal de la pauvreté : Les marins-pêcheurs éprouvent souvent des difficultés financières. Parfois les choses sont si difficiles que certains ont peur de faire une dépression tandis que d’autres pensent au suicide pour sortir de ce cycle infernal, quand le loyer de la maison n’a pas été payé pendant plus d’un mois, par exemple… Quelques-uns se réfugient dans la prière tandis que d’autres se jettent sur une bouteille d’alcool…

« Quand je descends du bateau, je me sens tenaillé par la souffrance. Parfois, on est blessé. L’hameçon nous blesse la main. Nous devons étriper le poisson. Il faut aussi rejeter les poissons qui ne correspondent pas à la norme en mer, ceux qui font moins de 30 centimètres par exemple. Nous n’avons pas le droit de retenir ces poissons dans le glacier pour notre usage personnel. C’est interdit. Les conditions de travail sont très dures.

Quand je pense à ma vie sans avenir, je ressens une insécurité et une grande souffrance m’envahit. Je pense à mon épouse car elle rencontre des problèmes financiers et aussi des problèmes avec les enfants car elle doit les élever seule en mon absence. Je pense au fait que je n’arrive pas à élever mes enfants correctement et j’ai peur des fléaux sociaux comme la drogue. Je suis triste. J’ai un ami dont l’épouse a menacé de quitter le toit familial.

Je pense que beaucoup de Mauriciens ne comprennent pas ma vie. Quand on a une famille, une maison, une voiture, on n’a pas de souci d’argent. Peut-on comprendre que je me pose des questions pour savoir comment sortir de mon endettement ? Pourquoi je dois toujours prendre un crédit à la boutique ? Pourquoi devant moi, il n’y a rien ? Je ne vois pas le bout du tunnel. Avec la somme que je vais obtenir du Solidarity Fund, je vais payer les crédits, et il ne me restera plus rien…»

Vers le travail décent dans ce secteur à Maurice ?

En mai 2013, l’Organisation Internationale du Travail s’est penchée sur les moyens d’améliorer les conditions de travail dans le secteur de la pêche. Parmi les thèmes abordés figuraient la santé et la sécurité au travail, les conditions de travail à bord des petits bateaux de pêche, le travail forcé et le trafic d’êtres humains, les conditions de travail des pêcheurs migrants, la pêche illégale, la sécurité alimentaire, et les moyens de renforcer le dialogue social entre les représentants des propriétaires des navires et les pêcheurs.

La Convention no 188 de l’OIT a été adoptée pour garantir aux pêcheurs les conditions de travail décentes à bord des navires de pêche en ce qui concerne les conditions minimales requises pour le travail à bord; les conditions de service; le logement et l’alimentation; la protection de la santé et de la sécurité au travail; les soins médicaux et la sécurité sociale. Sont concernés des sujets comme le respect d’un âge minimum pour travailler, l’octroi de périodes de repos suffisantes en mer, et l’existence d’un accord d’engagement écrit entre le pêcheur et l’armateur couvrant le travail à bord. La convention institue notamment un mécanisme pour garantir le respect et l’application de ces dispositions par les Etats. En outre, les gros navires de pêche et ceux qui effectuent de longs périples internationaux peuvent faire l’objet d’inspections du travail dans les ports étrangers. [Source ILO, Communiqué de presse, 15 mai 2013]

A Maurice, le Ministry of Fisheries commence à diffuser des informations sur son site mais il est impossible de se faire une idée claire et nette de la situation concernant les conditions de travail des marins-pêcheurs de la ZEE de la République de Maurice par rapport à cette convention. Est-ce que le ministère du Travail de Maurice, à la demande de la société civile, pourrait commanditer un rapport à l’ILO ? En Thaïlande récemment, le rapport de l’ILO a révélé des atrocités inimaginables au 21e siècle et permet de tendre vers le travail décent.

Reconversion professionnelle : Le Comité de Soutien se penche sur plusieurs possibilités d’emploi sachant que la mer est porteuse de plusieurs emplois dans un proche avenir mais qu’il faut aussi se donner les moyens de planifier et d’encadrer toute forme de gestion des ressources marines. Dans l’état actuel du site du Ministry of Fisheries, il est impossible de savoir si la mer est surexploitée par rapport au stock de ressources disponibles. Est-ce que le ministère pourrait, à la requête de la société civile, établir des liens avec le Canada pour mieux élaborer les recherches et diffuser les informations requises en toute transparence ? La société civile serait alors mieux armée pour proposer des projets alternatifs pour la reconversion des marins-pêcheurs.

N’oublions pas que, selon Greenpeace, il faudrait arrêter la pêche sur environ 40% de la surface mondiale des océans. Dans l’ensemble, le poids maximal moyen des poissons pris en compte devrait diminuer de 14% à 24% entre 2001 et 2050. L’océan Indien serait le plus touché (24%), suivi de l’Atlantique (20%) et du Pacifique (14%). Les émissions de gaz à effet de serre, les activités humaines, comme la surpêche et la pollution, affecteraient les écosystèmes marins.


 

* Published in print edition on 20 June 2014

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