Des lois pour définir les limites entre monde politique et monde religieux

République de Singapour

Par Vina Ballgobin

Aujourd’hui, tout le monde reconnaît que la République de Singapour, pays multilingue et multiculturel, a fait un bond gigantesque en avant après son indépendance. Le niveau en littératie, dans tous les domaines, y compris le niveau de littératie en politique et en religion est élevé. Singapour ne suit pas aveuglément les Occidentaux mais demande à ses citoyens de développer une capacité de réfléchir en autonomie. Ainsi, la République de Singapour a sa propre définition de la litteratie en contexte multilingue et multiculturel.

Et le niveau de littératie y est très élevé. En 2010, 96% de la population de 15 ans et plus sont lettrés ; 80% sont lettrés en anglais, médium d’enseignement officiel comparé à 71% en 2000; et la littératie dans au moins deux langues a augmenté de 56% en 2000 à 71% en 2010.

Cela fait longtemps que les Singapouriens ont mis de côté les séquelles de la colonisation, de la pensée unique, de la fausse conception qu’un pays est soudé seulement s’il y a une seule langue et/ou une seule culture et/ou une seule religion fédératrice. Ainsi, le gouvernement singapourien fait un recensement chaque dix ans sur les ethnies et les religions. Les derniers chiffres ont été publiés en 2010. Ce faisant, le gouvernement détruit le mythe qu’ethnies et religions se superposent complètement, et démontre la complexité des sociétés multilingues et multiculturelles.

Au Singapour, la Constitution protège la liberté religieuse, les pratiques et la promotion de sa religion. Toutefois, le pays a fait l’expérience d’un passé douloureux (détournement de la Religion de sa vraie mission et son utilisation en politique pour tromper le petit peuple, politique de copinage par religion/ethnie, ou féodalité — en échange de quelques avantages, les vassaux doivent se taire et tout mettre en œuvre pour satisfaire quelques privilégiés ; perte des valeurs, corruption, passe-droits ; émeutes raciales, chômage massif, difficultés de logement et d’accès à l’eau). Tout cela avait porté atteinte à la Nation et avait appauvri le peuple sur le plan matériel, psychologique et moral. Par conséquent le gouvernement a défini un cadre de fonctionnement rigoureux où la discipline est le maître-mot depuis l’accession à l’indépendance.

Ainsi, les Singapouriens ont réfléchi sur leur situation. Ils ont décidé de dépasser les problèmes pour se donner les moyens de développer une société alternative, éloignée des modes de fonctionnement hiérarchisés de l’époque coloniale, voire même de la stratification féodale du Moyen-âge. Ils ont œuvré sur le plan légal afin que toutes les communautés puissent dépasser l’horreur du « Divide and Rule » pour se retrouver ensemble, sans aucune peur de l’Autre du fait de sa différence physique ou culturelle.

Séparation des religions du monde politique

Les Singapouriens ont proposé et élaboré des lois pour légiférer et encadrer tout ce qui relève des liens entre religion et politique. Par exemple, le gouvernement ne tolère pas les paroles ou les actions qui pourraient affecter l’harmonie et la paix sociales, la santé publique ou la moralité. Les discriminations fondées sur l’affiliation et/ou les pratiques religieuses, toute envie de zèle missionnaire comme à l’époque coloniale, et d’autres abus sont sanctionnés. A ce jour, selon les experts étrangers, il n’existe aucun abus ou discrimination de ce genre mais ce qui prévaut, dans la République de Singapour, c’est le respect des droits humains.

Le « Religious Harmony Act » autorise le ministre de l’Intérieur à contrôler les activités de toute personne qui détient une position importante dans une hiérarchie religieuse s’il y a suffisamment de preuves que ce dernier attise la haine inter-ethnique ou ouvre des brèches pour développer les hostilités entre divers groupes religieux. De plus, le ministre de l’Intérieur peut aussi sanctionner toute personne qui tenterait de promouvoir des causes politiques à travers des activités subversives. Sous le « Undesirable Publications Act », il est possible de contrôler toute publication séditieuse. Un couple qui tentait de convertir les Musulmans à leur religion en leur distribuant des tracts a été arrêté et condamné à une peine de huit mois de prison. En 2010, un homme religieux a tenu des propos contre la religion taoïste sur internet et il a été sommé de présenter des excuses publiquement.

Quatre règles gouvernent la vie publique afin que la liberté de la religion soit employée pour consolider la cohésion nationale et n’entrave pas le processus continu du « nation-building ». (1) Les groupes religieux et ethniques doivent être tolérants, et des règlements qui s’appliquent uniquement à un groupe religieux ne sont — en aucun cas — transformés en lois. (2) La religion doit être séparée de la politique, le gouvernement doit rester laïc. (3) Les politiques publiques sont fondées sur des considérations séculaires, rationnelles et se dirigent toujours vers l’intérêt public. (4) Les espaces publics (établissements scolaires, professionnels) sont tenus d’accueillir les membres de n’importe quelle communauté.

En légiférant pour empêcher des dérives sur le plan religieux et politique, le gouvernement et les citoyens de la République singapourienne maintiennent un excellent niveau de cohésion nationale. Par conséquent, par leur capacité à développer une route alternative à ce qui est connu depuis des siècles, et en réussissant brillamment dans leur mission de « think out of the box », ils ont fait preuve d’un niveau élevé de littératie politique, sociale, communautaire et personnelle. Ils ne représentent, en aucun cas, l’icône de l’ignorance. Pour cette raison, ils sont en faveur de la tolérance entre les croyances religieuses et les valeurs du savoir-vivre ensemble et la relégation des affaires religieuses et ethniques dans la sphère de la vie privée.

Quelques exemples du multiculturalisme singapourien

Sur une île, l’espace manque pour satisfaire toutes les demandes de construction d’édifices religieux. Certains lieux de culte sont construits à proximité l’un de l’autre, par exemple, le Loyang Tua Pek Kong Temple où l’on y retrouve trois religions : Taoïsme, Hindouisme et Islam. Quel bel exemple de mise en pratique des valeurs prônées par chaque grande religion de cette planète !

Dans le système scolaire, les autorités ne cachent absolument rien des séquelles d’un douloureux passé colonial. L’Etat garde vivant dans la mémoire collective des événements avant et après l’indépendance en 1965 où des incidents avaient opposé des groupes selon des divisions religieuses et/ou ethniques. Il s’agit de comprendre l’Histoire pour ne plus jamais reproduire les mêmes erreurs.

Les établissements scolaires sont ouverts aux jeunes de toutes les confessions religieuses afin de consolider les bases interculturelles. L’on y célèbre les fêtes des uns et des autres. Plus important, des débats sur les religions ont lieu dans un cadre serein pour favoriser la compréhension interculturelle. Etre lettré en religion, cela présuppose que les jeunes aient des connaissances profondes sur les religions pour tenir des discussions à travers des débats d’idées.

Plusieurs débats sont aussi menés auprès de la société civile pour expliquer les raisons pour lesquelles la religion, affaire privée, ne doit jamais influencer les politiques publiques.

Le gouvernement singapourien encourage les recherches dans ce domaine et il n’y a pas de censure des résultats ou des publications. Lily Kong (Singapour : L’Etat et les religions, in Religioscope, 5 novembre 2007) affirme que “Singapour est (un Etat) séculier dans la mesure où aucune religion n’est identifiée comme religion officielle de l’Etat. En outre, un principe clé de la politique séculière de l’Etat est que la religion et la politique doivent être maintenues strictement séparées. Les groupes religieux ne devraient pas s’aventurer en politique et les partis politiques ne devraient pas utiliser les sentiments religieux pour recueillir un soutien populaire. Si des membres de partis politiques participent au processus politique démocratique, ils doivent le faire en tant qu’individus ou membres de partis politiques, pas en tant que dirigeants de groupes religieux.

Il est connu que dans le monde entier, les médias ont besoin de financements. Or, leurs financeurs ont souvent des attentes politiques et exercent des pressions. Par conséquent, au Singapour, les médias sont contrôlés pour préserver un équilibre et respecter des codes de conduite.

Selon Lily Kong et al., « (la) volonté affichée est de ne pas influencer les téléspectateurs en faveur d’une religion en particulier, mais aussi de se montrer prudent par rapport à tout ce qui pourrait causer des tensions ou ressembler à un dénigrement. L’infraction à ces règles peut se traduire par des amendes pour les médias responsables. La gestion des émissions religieuses est partie intégrante de la façon dont l’Etat permet aux identités religieuses de s’exprimer, mais leur pose également des limites. (…)»

La religion est mise au service de la consolidation de l’unité nationale et au développement des valeurs fondamentales, dans tous les domaines. Pour Lily Kong et al., « (les) groupes religieux sont également encouragés à contribuer au développement de la société, même sur le plan économique (…) cela peut inclure les services fournis par les religions aux personnes âgées ou défavorisées (déchargeant ainsi l’Etat), mais aussi la discipline et l’éthique du travail que la foi inspirerait aux croyants ou les atouts de sites religieux pour le développement du tourisme.»

Au Singapour, la littératie donne naissance à la compétence individuelle. Là-bas, chaque personne nommée à un poste dispose des compétences professionnelles nécessaires. Les doléances sont canalisées et tout problème doit être résolu en moins d’une heure et de manière durable. Les étudiants mauriciens, vivant en milieu universitaire singapourien, pourraient facilement témoigner de ce qui s’y passe. Pour autant, Singapour ne prétend pas être parfait et reste humble. Les hommes et femmes politiques singapouriens anticipent les situations, réfléchissent aux enjeux et aux conséquences sur une période de 50 ans. Pour rester dans le monde de l’Excellence, ce pays a rapidement développé la culture de l’évaluation : des experts étrangers sont sollicités pour évaluer, en toute indépendance, les politiques locales.

Depuis l’indépendance de Singapour, la République aspire à devenir un « pays modèle ». Les citoyens ont agi de concert avec le gouvernement pour renforcer la réputation du peuple singapourien comme étant capable de trouver des moyens alternatifs pour diriger un pays. Oui, les contrôles demeurent encore importants sur le plan légal aujourd’hui mais comment faire autrement devant toutes sortes de forces du Mal qui existaient avant l’indépendance, qui existent encore aujourd’hui, et qui sont près à jaillir de leur tanière à la première occasion ?

Aujourd’hui, l’exemple singapourien démontre que l’Homme est perfectible et nul n’est tenu de vivre comme un colonisé de l’esprit pour l’éternité. Le gouvernement du Singapour a adopté comme devise : Intégrité – Service – Excellence. Sur le plan international, Singapour projette l’image d’une Nation forte et lettrée, qui est prête à aider les autres pays à travers une forte composante d’action sociale, par exemple lors du tsunami de 2004, ou des sollicitations mauriciennes…

Il se trouve que les Singapouriens ont une définition très complexe de la littératie (« L’alphabétisme est défini comme l’aptitude à lire et à comprendre un texte, un article par exemple, dans une langue spécifiée. »), contrairement aux Mauriciens (« Aptitude à lire et écrire des phrases simples »). Peut-être le Premier ministre devrait-il commencer par demander l’aide singapourienne pour développer un niveau élevé de littératie au sein de la population en général. A quoi cela sert-il de mettre la charrue avant les bœufs ?

Différentes formes de littératie prônées par les Singapouriens

Littératie scolaire : L’apprentissage et l’enseignement des processus d’interprétation et de communication nécessaires à l’adaptation sociale. Il s’agit donc des littératies dans les neuf compétences essentielles, dont la lecture, l’écriture, le calcul et l’informatique.

Littératie communautaire : La littératie communautaire vise l’appréciation, la compréhension et l’usage des pratiques de littératie d’une communauté. (…) Cet appel à la culture orale, écrite ou tactile se fait dans un contexte social, culturel et politique particulier sur lequel repose la construction de la vision du monde de l’individu dans sa communauté. Ceci peut augmenter le sentiment d’appartenance à cette communauté.

Littératie personnelle : La littératie personnelle se traduit par le fait que l’individu passe de l’acte de lire un texte imprimé à l’acte de lire un texte dans le sens large du mot, soit de « lire le monde » et de « se lire », visant à augmenter le bagage de connaissances personnelles de la personne apprenante, à renforcer son sentiment d’appartenance à sa communauté et à valoriser sa culture d’origine et son propre bagage culturel.

Littératie critique : Un cheminement personnel qui commence par une sensibilisation au fait que les diverses littératies sont rattachées au pouvoir et à la prise en charge (empowerment).

 


* Published in print edition on 19 April 2013

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