Mars : Fête de la francophonie dans le monde

By Vina Ballgobin

Journée de la Francophonie le 20 mars – Et, nous Mauriciens, que ferons-nous ce jour-là ? Allons-nous célébrer la dégradation de la performance scolaire en français ? Allons-nous chanter les louages de la disparition programmée des modules de remédiation en français au profit de l’introduction des modules portant sur une langue vernaculaire à forte connotation ethnique et politique en milieu universitaire ? Allons-nous glorifier la réduction de notre multilinguisme et de notre multiculturalisme à une peau de chagrin ?  Allons-nous diviniser le monolinguisme ? Au fond, comme dit le proverbe, « Au royaume des aveugles, les borgnes sont rois. »

 

On entend souvent dire que c’est en Afrique que va jouer définitivement le destin de la langue française.
— Pierre Dumont

 

Chaque année, au mois de mars, les pays ayant le français en partage organisent la Fête de la francophonie pendant une semaine ou alors ils célèbrent uniquement une Journée de la Francophonie le 20 mars. Cette année, 27 pays participent à la 17ème édition de cet événement du 17 au 25 mars 2012.

La Francophonie se caractérise par des valeurs de solidarité et de dialogue des cultures. Pour l’édition 2012, la célébration officielle sera organisée à Londres, ville hôte des Jeux Olympiques. Trafalgar square deviendra le lieu de célébration de la Francophonie, en présence d’Abdou Diouf, Secrétaire général de la Francophonie.

Pendant ce temps, dans la République de Maurice, l’on va décrier à tort que Cambridge est responsable de la performance catastrophique de la  majorité des étudiants en français à la fin du cycle secondaire… L’on va condamner le papier de traduction qui oblige à apprendre l’anglais  pendant la classe de français… Somme toute, nous, les Mauriciens, nous ressemblons étrangement à ceux qui trouvent toujours un bouc émissaire pour cacher leur absence de vision et leurs propres défauts. Pour ce qui est de la performance scolaire de nos jeunes, nous cumulons les problèmes et nous jouons à la politique de l’autruche.

·        Les parents dépendent trop du monde scolaire alors qu’ils devraient enseigner la discipline de travail à leurs enfants.

·        Les pratiques scolaires sont orientées vers l’apprentissage mécanique de stratégies de réussite aux examens dès l’école primaire jusqu’à la fin du cycle secondaire. Cela donne des assises solides à la pratique des leçons particulières et au maintien de cette forme de corruption généralisée à Maurice. Entre-temps, les jeunes ne lisent pas.

·        Les bibliothèques scolaires sont mal équipées. Donc, le « reading period » ne sert pas vraiment à la lecture…

·        Pendant les leçons particulières,  la majorité des jeunes sont parquées dans des garages pour le « robot-learning ». Parfois, les enseignants lisent le texte littéraire au programme – ligne après ligne, page après page — pendant la durée de la leçon. Le jeune ne sait-il pas qu’il doit lire son texte en autonomie ou ne sait-il pas lire tout simplement ?

·        Les jeunes m’expliquent qu’ils ne se déplaceront pas pour visiter les bibliothèques car « bizin penan role meme sa pou al lire ene liv » ! Tout commentaire serait superflu.

·        Arrivés en milieu universitaire, la majorité des jeunes lisent à peine  les documents ou les ouvrages au programme. Leur degré de compréhension du français académique est limité : ils sont vite découragés et ne font pas d’efforts. La persévérance est une qualité qui se perd tout comme la discipline. (A ce propos, au début de cette année, une jeune issue de cette fameuse élite de la HSC m’a dit ceci : « Ce n’est pas important de bien écrire, d’écrire lisiblement et proprement sur un cahier. Ça ne sert à rien. » Tout commentaire serait superflu…) Peut-être que les jeunes comprennent de plus en plus les rouages d’un système corrompu. Maurice est le pays où il existe plusieurs moyens alternatifs pour réussir à accéder à un poste en battant à plate couture celui qui est compétent, honnête et intègre… Alors pourquoi faire des efforts ?

Revenons à la langue française. Cette langue paie le prix de sa popularité à l’oral. Les jeunes estiment que c’est une langue facile puisque celle-ci existe dans leur environnement quotidien et dans les medias. Comme ils ne lisent pas, ils n’ont aucune référence ou aucun point d’appui en milieu scolaire quand ils écrivent en français. La plupart d’entre eux écrivent en reproduisant exactement leur expression orale, qui se situe au mieux, en un « français mauricien, langue vernaculaire orale » et, au pire, en un « créole francisé ». Dans ce cas, les devoirs sont truffés de phrases, représentant une traduction littérale du créole.  Parfois, c’est un charabia illisible.

L’absence de lecture engendre des faiblesses telles que la pauvreté du vocabulaire,  une connaissance insuffisante de la grammaire française et de la conjugaison des verbes (sauf pour le verbe avoir et les verbes du premier groupe au présent). L’expression orale et écrite de la majorité des jeunes étudiants de la langue française au niveau tertiaire reflète les manquements cumulés au fil des années…

La tragédie, pour nous,  c’est que les étudiants indiens et chinois — étudiant le français comme quatrième ou cinquième langue — s’expriment aujourd’hui mieux à l’oral que les étudiants mauriciens. Sur le plan de l’écrit, notamment de la traduction (activité qui demande une excellente maîtrise des deux langues),  je pense pouvoir avancer sans me tromper qu’il n’y a aucune comparaison possible entre les étudiants de ces deux pays et Maurice. L’élite chez les Indiens et les Chinois est multilingue et multiculturelle et la performance académique de ces jeunes, fort louable.

Il y a quelques années, je pensais que nous pourrions développer l’industrie de la traduction à Maurice. Aujourd’hui, nous avons déjà  perdu ce marché face aux colosses de l’Inde et de la Chine. C’est trop tard… Voilà le résultat auquel mène la guerre des langues. Nous nous sommes appauvris sur le plan culturel, éducatif, social et économique. Nous avons perdu un marché qui génère des profits importants… Malheureusement, nous ne sommes pas au bout de nos peines. Certains continueront à s’acharner pour mener à bon port le génocide du français et du bhojpouri à tous les niveaux du système éducatif.

Entretemps, cette année, la Chine se place sous le signe du dialogue et de la diversité. C’est « l’Année de la langue française en Chine ». Le pays célèbrera la richesse de la francophonie. Plusieurs villes chinoises incluant Pékin proposent des activités sous forme de films, concerts, conférences, expositions, lectures, et concours étudiants. La programmation s’articule autour de trois thématiques principales : le cinéma, la musique et la littérature. Initiées par les ambassades des pays membres ou observateurs de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF), et relayées par des associations et des institutions chinoises, ces manifestations seront des occasions de rencontres, d’échanges et de regards croisés. Et quand les Chinois organisent un événement, avec la planification et la discipline requises, nous savons de quoi ils sont capables : l’excellence !

La Chine a déjà son site-web « Forum Chine et Francophonie ». Ce pays multiplie ses partenaires et le réseau des Alliances françaises, de la Délégation Wallonie-Bruxelles, les Ambassades du Canada, de Suisse et les Bureaux du Québec en Chine participent tous à la 17ème édition de la Fête de la Francophonie en Chine. Neuf villes chinoises  accueilleront quatre groupes francophones pour une série de concerts afin de fêter la chanson française. Tant mieux pour les jeunes Chinois. Ils ont un marché linguistique extraordinaire qui s’ouvre à eux et les étudiants de la Faculté des Lettres trouveront facilement un emploi à la fin de leurs études.

Et, nous Mauriciens, que ferons-nous ce jour-là ? Allons-nous célébrer la dégradation de la performance scolaire en français ? Allons-nous chanter les louages de la disparition programmée des modules de remédiation en français au profit de l’introduction des modules portant sur une langue vernaculaire à forte connotation ethnique et politique en milieu universitaire ? Allons-nous glorifier la réduction de notre multilinguisme et de notre multiculturalisme à une peau de chagrin ?  Allons-nous diviniser le monolinguisme ? Au fond, comme dit le proverbe, « Au royaume des aveugles, les borgnes sont rois. »


* Published in print edition on 16 March 2012

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