L’Indien du Domaine

By U.C.

Rencontré lors d’un bref séjour à la Réunion, Gilbert Canabady est un homme hors du commun. Son parcours également. Et je suis particulièrement heureux de pouvoir lui rendre un modeste hommage, en évoquant cette émouvante histoire dont rend compte son livre, tiré à compte d’auteur l’année dernière et déjà épuisé, intitulé L’Indien du Domaine Mon Caprice (Azalées Edition) d’où seront tirés un documentaire intitulé La mémoire des Canabady, projeté sur les écrans d’Antenne Réunion, et un film de fiction intitulé Un autre monde, racontant les périples et les tribulations des engagés indiens à la Réunion, notre île sœur.

L’histoire de ces malheureux engagés, arrachés de leur terre natale par la misère, les fausses promesses des agents recruteurs, les déboires de la vie, les circonstances tragiques, l’envie d’ailleurs sous contrat pour d’horizons lointains a déjà fait l’objet de nombreux essais et livres et d’un roman particulièrement attachant (Un Océan de Pavots , Amitav Ghosh). Les engagés qui survivent au transfert dans la cale des négriers vont découvrir la dure réalité de l’univers des substituts des esclaves affranchis dans la culture de la canne, au service du Maître et de ses majordomes, colombs ou commandeurs et d’une administration faite par et pour les colons.

C’est à Mon Caprice, un des vastes Domaines du Maître des lieux, que va atterrir l’arrière grand-père de Gilbert Canabady. Le livre est un récit romance de quelques-uns de ces « gueux » arrivant à la Réunion, des brimades et tribulations subies, de leur quotidien, des soucis de leur vie matérielle, de leur perte d’identité culturelle et cultuelle et de leurs racines, de la jalousie des uns et des ambitions des autres, de leurs après-combats en se brisant l’échine pour survivre, fonder une famille et conserver un minimum de dignité.

Ce n’est ni un pamphlet ni un brûlot, mais bien un récit romance à trame historique et dont la simplicité du verbe éclaire d’une lumière crue cette période insuffisamment connue des réalités de l’engagisme. A la Réunion, colonie de la France Républicaine, on vend encore les hommes et les femmes jusqu’en 1922, comme en témoignent des documents d’époque qui rendent ce livre encore plus émouvant.

Dans l’adversité de ces forces brutales d’exploitation, beaucoup meurent, d’autres se suicident, plus nombreux encore sont ceux qui sont obligés de continuer à se briser l’échine au nom de l’arbitraire et de renoncer au rapatriement promis. L’arrière grand-père Canabady, comme beaucoup d’autres, va fonder une famille, les grands-parents de Gilbert, qui seront tenus de continuer à subsister comme engagés du Domaine. Son père, libéré de cette contrainte, continue d’y gagner une modeste et dure vie. Jusque-là, c’est une saga familiale émouvante et un autre regard éclairant sur les réalités historiques de nos îles.

Né au Domaine, Gilbert, qui comme beaucoup d’autres, ne peut pas se permettre de poursuivre des études secondaires, va s’élancer dans la vie comme chauffeur de camion, offrant ses services à qui le veut bien. C’est sa passion et son goût de liberté. Bientôt, avec l’aide de ses frères, il en aura cinq, puis vingt. Il aime être au volant de ces vieilles mécaniques. Et quand vient l’heure des contrats pour désenclaver les hauts de la Réunion, il est pratiquement seul à accepter de défier les ravins, les sentiers escarpés, les ponts branlants, à prendre les risques les plus fous pour transporter les milliers de tonnes de matériaux les plus divers.

C’est ainsi qu’il bâtit sa fortune et il aurait pu se contenter de continuer sur cette voie. Pourtant une chose le hante, l’obsède. Les nouveaux maîtres du Domaine songeraient à se retirer en France métro. Sans hésiter Gilbert leur fait une offre généreuse, la vente est conclue immédiatement, la même offre est faite à ceux qui auraient acquis de petites parcelles du Domaine au fil des ans, et voilà que Gilbert Canabady, au nom de la mémoire de ses aïeux, au nom des siens, devient le propriétaire de ce Domaine où son arrière grand-père avait été débarqué, contraint de se briser l’échine dans la canne. L’histoire prend alors une tournure et une dimension uniques dans les annales de la diaspora indienne. Et à juste titre, la République indienne lui accordera, aux côtés de notre Président de la République, la médaille d’or de la diaspora lors du dernier congrès en Inde.

L’homme est serein, en paix avec le monde qui l’entoure, avec le sentiment d’avoir bouclé la boucle, d’avoir découvert lors de ses périples en Inde son Indianité et ses racines dans les cultures et les traditions ancestrales du Tamil Nadu, Indianité qu’il s’affaire de partager avec la communauté des « malbars » de la Réunion. Le banian sous lequel priait son aïeul épuisé par de durs labeurs, est devenu un temple sacralisé par le brahmane pour toute la communauté, une immense statue de Ganesh y veille, le regard porté vers l’Orient…

C’est une chance et un privilège de pouvoir donner ici un bref aperçu de cette épopée familiale hors du commun et de recommander la plus large diffusion du livre et du documentaire sous nos cieux.

U.C.

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‘La mémoire des Canabady’

La mémoire des Canabady, c’est un film de 52 minutes écrit et réalisé par Louis Wallecan qui retrace l’histoire des Engagés Indiens de 1850 à nos jours, à travers le regard qu’un homme, le Réunionnais Gilbert Canabady, porte sur son histoire familiale.

Il conte le destin douloureux, de plus de 100,000 hommes et femmes originaires d’Inde, venus remplacer les noirs affranchis après l’abolition de l’esclavage en 1848 à la Réunion.

Deux histoires sont traitées en parallèle, se complètent et s’entrecroisent : la saga familiale des Canabady et le destin d’une communauté. Nous remontons progressivement le fil du temps, entre l’Inde et la Réunion, sur plus d’un siècle et demi, partageant le destin tragique de Saminadin Canabady (arrière grand-père de Gilbert) et de ses compagnons de galère.

Michèle Marimoutou, Sully Govindin Santa, et Dominique Cier sont les intervenants historiens. Ils posent leur regard sur cette histoire collective de l’engagisme. Gilbert Canabady raconte l’histoire de sa famille sur quatre générations. Ce conteur a la particularité d’être un homme blessé, qui a fait fortune et a racheté “Le Domaine de Mon Caprice”, lieu sur lequel ses ancêtres avaient été esclaves…


Film disponible ici:

http://mezzovoce.wmaker.tv/La-memoire-des-Canabady_v92.html


* Published in print edition on 23 February 2013

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