Semaines décisives?

Tit-bits

A la lecture des différentes annonces de Bérenger, en particulier sa sollicitation d’un rendez-vous avec le PM pour régler les questions de la reforme électorale et des « stratégies » de mise en œuvre, les observateurs dans la presse nous assurent qu’on s’achemine vers une semaine décisive.

Pour les uns, c’est le signe annonciateur d’un renouveau de notre système électoral avec une dose de proportionnelle permettant d’intégrer le « Best Loser system », ou, plus profondément, c’est l’annonce d’une nouvelle République avec une redéfinition concomitante des rôles respectifs du Président de la République et du Premier ministre. Certains autres s’alarment et condamnent avec virulence cette même démarche, qualifiée allègrement de “bananière”.

Soyons assez lucides et honnêtes pour reconnaître, d’une part, que les leaders des grands partis politiques ont obligatoirement des préoccupations plus larges que leur intérêt personnel immédiat, car il s’agit là de changements majeurs qui seraient dans la pratique, irréversibles. D’autre part, nul ne peut prétendre savoir ce qui leur trotte par la tête ni ce dont ils ont discuté lors des longues heures de koz-koze, en direct, ou par personnes interposées. Encore moins sur l’agenda personnel et politique de celui qui a la charge du pays et qui, seul, a la latitude d’apporter au Parlement des projets d’amendements constitutionnels ou de fixer les prochaines échéances électorales, rapprochées ou non. On est tous forcément réduits à une lecture personnelle et éminemment subjective du cours récent des événements.

Tentons de raison garder dans ce tumulte, qu’alimente en grande partie le flot des déclarations successives, souvent contradictoires, de celui que certains commentateurs de presse, des habitués des meetings radiophoniques et d’une frange active sur les réseaux sociaux, reprochent amèrement de s’installer dans les chaussures d’un adjoint, de porte-parole, de porte-flingue et de futur Premier ministre de Navin Ramgoolam. Ce dernier, fidèle à son tempérament, mesure le poids de la parole économe et porteuse, en ne se privant pas de balancer quelques boutades ou des remarques cryptiques qui excitent la presse et la galaxie des commentateurs. A coups de conférences de presse, de réunions ordinaires ou extraordinaires du BP mauve, d’assemblées de délégués, de communiqués de presse, de coups de gueule, d’émois manifestes, indéniablement, c’est Bérenger qui monopolise les ondes.

Ses proches en arrivent même à se lamenter, Bérenger ne pouvant s’empêcher d’être aux premières loges communicantes, surtout quand il pourrait s’agir d’une réforme « historique » qu’il n’a pu lui-même mener à bon port dans le passé. Il s’est résolument mis en première ligne, sa crédibilité personnelle en jeu. C’est d’autant plus indispensable d’être sur la brèche, qu’au sein de son propre parti se manifeste une certaine fébrilité face à ses ambitions, sa direction et sa convergence avec le leader du Parti travailliste. Une aile Jugnauthiste, ultra-minoritaire semble-t-il au BP du parti mauve, n’hésite plus à avancer ses pions, avec des relais visibles dans la presse, certains encore obsédés par leur ATP (anti-travaillisme primaire). Fronde passagère ou véritable tentative de dissidence, avec une « mise à la retraite » forcée du leader historique, comme le réclame Ivan Collendavelloo depuis dimanche dernier ?

Bérenger en a mesuré les risques et « maté » tant de dissidences et de départs du MMM dans le passé que, si cette perspective ne l’émeut pas outre mesure, il doit quand même faire preuve d’une stratégie communicante cohérente et se dépêcher pour éviter que la contestation interne ne se structure et ne secoue un parti vieillissant. Le temps ne joue pas en faveur de Bérenger, contrairement à Navin Ramgoolam qui maîtrise l’art de faire du temps un allié. Il compte sans doute sur la loyauté du noyau dur de sa base militante, mais celle-ci s’est plutôt effritée depuis quelque temps, par tant de retournements en deux ans.

Depuis 2010, il y a eu la campagne féroce contre le MSM autour des conditions de vente de MedPoint, volte-face et « blanchiment » du MSM, Remake avec les Jugnauths, « années-lumière » entre le MMM et le MSM, colmatage de ces mêmes « années » et enfin, rapprochement avec Navin Ramgoolam sur fond de Réforme Electorale.

Il y a de quoi se perdre ! M. Bérenger espère-t-il que l’immense majorité de nos concitoyens, au moment décisif, s’attacheront moins aux circonvolutions de son cheminement qu’au résultat final ? C’est à dire, quelles seront les plateformes, les forces politiques et leurs alliances éventuelles, entre lesquelles il serait appelé à faire son choix, sachant que les deux protagonistes principaux, sinon dominants, du paysage politique sont connus d’avance.

Dans cet écheveau et ce déferlement de commentaires qui s’y greffent, peut-on tenter au moins de retenir quelques repères fiables, dont plusieurs ont été évoqués ici même par plusieurs observateurs?

a) La contestation légale et constitutionnelle de «Resistans ek Alternativ» tant à la Cour Supreme/Privy Council qu’au Comité des droits de l’homme des Nations-Unies, concerne l’obligation faite aux éventuels candidats aux élections générales de décliner leur appartenance communautaire. Sa résolution exige une modification constitutionnelle, nécessitant une majorité de trois-quarts à l’Assemblée nationale, qui, en dernier recours, peut se limiter à remplacer le terme d’obligation « shall » par le facultatif « may ». Sujet à d’éventuels recours à la Cour suprême.

Bien entendu, cela implique que près de cinquante ans après l’indépendance, le système de « Best Losers » resterait en vigueur dans notre texte constitutif et dans notre fonctionnement démocratique, étant entendu que ceux ne désirant pas s’identifier ainsi, ne sauraient prétendre à un siège « correctif » communautaire. Et qu’on ne pourra éviter ses incohérences et ses absurdités : aucune cour de justice ne pourra juger du mode de vie « population générale » ou si Jean-Paul Ahyan est bien de la communauté sino-mauricienne. L’atout, c’est que cette disposition « minimaliste » pourrait bénéficier d’une majorité constitutionnelle et être traduite en pratique pour les prochaines consultations.

b) La proposition d’enlever toute référence communautaire de notre Constitution en intégrant les Best Losers dans une dose de proportionnelle (RP) est l’approche proposée par le ‘White Paper’ du PM, après synthèse de moult rapports d’experts. En corollaire, il y aurait une meilleure représentation féminine. Cette Réforme-là ambitionnait surtout de prévenir les incartades électorales des 60-0 et autres 57-3. Or voilà qu’on apprend que le Comité des spécialistes qui se penche sur le ‘Draft Bill’ envisage très sérieusement des 60-0 et leur traitement dans la Réforme ! De quoi en perdre son latin !

« Est-ce qu’on nous a menés en bateau depuis 2003 ? », peut se demander le citoyen lambda ? Pourquoi, en effet, au nom d’une « avancée démocratique historique », se taper une emprise élargie des chefs de parti, 14 députes RP n’ayant ni mandat ni attaches avec une circonscription précise, 6 députés choisis par les chefs de partis ou d’alliances après les élections, pourquoi d’énormes dépenses additionnelles (salaires et fringe benefits des nouveaux députés RP, réaménagement coûteux de l’Assemblée nationale,…), pourquoi conserver en l’état les grandes disparités entre circonscriptions, bref, pourquoi tout un chamboulement du « First Past The Post », si c ‘est pour aboutir demain aux mêmes risques de 60-0 ?

On comprend tout à fait que cette approche ait les faveurs des dirigeants politiques. La population, elle, s’interroge et mérite quelques explications. En tout état de cause, une réforme aussi majeure de notre Parlement devrait répondre à une obligation légale (majorité de trois-quarts à l’Assemblée) et à un impératif moral (sanction populaire par l’électorat). Si la première semble compromise, il incomberait au Leader of the House de déterminer en sa sagesse si le ‘Draft Bill’ doit être circulé simplement, ou circulé et mis au vote avec une division incertaine des voix, ou circulé pour faire partie du programme électoral de son parti ou de toute alliance qu’il dirigerait pour obtenir cette sanction populaire et une majorité des trois-quarts aux prochaines échéances.

Il est probable que M. Bérenger sait depuis assez longtemps que, sauf accord avec celui qui détient la clef de cette Réforme institutionnelle, celle-ci risque de rester au plan des vœux pieux. Ses analyses post-municipales de fin 2012 lui auront convaincu, s’il ne l’était pas déjà, que l’alliance MMM-MSM ne mènerait pas au Graal. Si cette occasion est ratée, ce serait un véritable casse-tête pour la survie du parti mauve, ce qui expliquerait son empressement de voir l’alchimie d’alcôve déboucher sur du concret.

Certains, dans la presse, ont relevé que Bérenger souhaite depuis longtemps un alignement avec le Parti Travailliste dans l’intérêt du pays. Faut-il en conclure que c’est une « perversion de la démocratie » ? Encore un peu d’ATP ?…

c) La proposition de IIe République va bien au-delà d’un simple ré-équilibrage des pouvoirs entre le PM et le Président de la République. Purement cosmétique en 2003, avec cette hypothèse, il ne peut s’agir ici que d’une ère nouvelle de gouvernance politique, proposant de faire évoluer le système Westminstérien vers un régime Républicain semi-présidentiel « à la française », style Ve République. Cela implique une véritable légitimité d’un tel Président, pour baliser et contrôler les grandes lignes de l’action gouvernementale, dont serait responsable son principal collaborateur, le Premier ministre. Élections présidentielles simultanées ? A un tour ou à deux tours ? Une élection présidentielle à deux tours serait-elle envisageable s’il y a interdiction formelle de campagne entre les deux tours? Est-ce qu’on en profiterait pour un dépoussiérage plus large ? Que d’incertitudes à ce stade !

Dans une de ces formulations ébouriffantes dont il a le secret, M. Bérenger annonce que, dans sa formule de « IIe République », le PM retiendrait tous ses pouvoirs actuels tandis que le Président aurait des pouvoirs élargis. Question « partage de pouvoirs », on reste perplexes !

Toujours est-il que, dans tous les cas de figure de la Ve République en France, et, dans un contexte d’alliance politique à Maurice, c’est celui qui contrôle la majorité parlementaire qui contrôle le jeu politique et le bon fonctionnement des institutions de la République. Deux capitaines à bord d’un même paquebot, c’est la recette pour les récifs ! Même en cas d’alchimie actuelle, les germes d’une instabilité permanente ne peuvent s’ériger dans la Constitution pour d’autres générations.

On ignore si, comme le sous-entend M. Bérenger, ces questions ont également fait l’objet d’un consensus entre les deux leaders, alors que cela soulève bien des questions d’ordre constitutionnel et pratique. Si le fignolage de la Réforme Proportionnelle met un bon mois, on peut imaginer que ce changement-ci serait plus long à peaufiner. En toute logique, il ne devrait voir le jour qu’après une sanction de l’électorat.

Entre-temps, quand la rédaction du ‘Draft Bill’ sera terminée, le Parlement pourra être rappelé dans les jours à venir. Attendons pour en savoir un peu plus sur l’agenda politique et la gouvernance du pays. La précipitation n’est certes pas de mise quand il s’agit d’enjeux aussi importants.

 


* Published in print edition on 30 May 2014

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