Dépréciation de la roupie, ça suffit ! 

By Samad Ramoly 

« La stabilité des prix n’est pas tout, mais sans la stabilité des prix tout se complique »

— Otmar Emminger, ancien président de la Deutsche Bundesbank  

Chaque année, dans le sillage de la présentation du budget, nous assistons à une partie de lutte entre les représentants des employés, des employeurs et du gouvernement pour s’entendre sur un montant pour la révision des salaires. National Pay Council (NPC), avec un Président indépendant qui aspirait à régler le différend avec la proposition d’un barème, après avoir évalué les points de vue de toutes les parties. Néanmoins, le mécanisme, aussi bien intentionné soit-il, a été incapable de répondre aux attentes. Il est très peu probable que le National Tripartite Forum ne puisse modifier grand chose. Pourquoi ce cycle à l’infini? D’une part, les syndicalistes affirment que la révision des salaires doit uniquement être concernée par la réparation de la perte du pouvoir d’achat. Du point de vue des employeurs et du gouvernement aussi, la capacité des employeurs à payer l’augmentation et l’accroissement de la productivité doivent aussi être considérés. Officiellement, les trois paramètres — la compensation de l’érosion du pouvoir d’achat, la capacité à payer et la productivité — constituaient la base du mandat du NPC. 

En termes pratiques, les paramètres, tous pertinents faut-il le souligner, ne peuvent être conciliés parce qu’ils reposent sur des hypothèses non seulement insuffisantes, mais trompeuses, parmi lesquelles le taux d’inflation calculé par le Central Statistics Office est le plus crucial. Le taux mesure les variations moyennes des prix d’un panier de biens et services qui, lui-même, est une représentation moyenne de la structure des dépenses du ménage moyen. Mais existe-t-il un ménage type de surcroît avec une disparité criante qui caractérise le système salarial national ? 

Le poids des dépenses alimentaires et de l’électricité, par exemple, dans les dépenses mensuelles des ménages différents varie en fonction de leurs niveaux de revenu. Plus le revenu est bas, plus la charge est lourde, surtout quand il y a une envolée du prix de l’alimentation et du carburant sur le plan mondial. Les consommateurs mauriciens sont encore plus vulnérables car ils vivent dans un pays qui n’a pas réussi à s’engager dans un programme raisonnable de sécurité alimentaire et énergétique et doit presque entièrement dépendre sur des importations de plus en plus coûteuses – dans une large mesure, la conséquence inévitable de la dépréciation endémique de la roupie. 

Econoclasme

Dans une interview, Cader Sayed-Hossen, Président de la Commission pour la démocratisation de l’économie, révèle comment, lors d’une réunion avec des représentants de la Bank of Mauritius (BoM), un magnat des affaires prônait la dépréciation de la roupie pour pallier la baisse des recettes du sucre, allant même jusqu’à suggérer un barème. Ironiquement, en scrutant le comportement de la roupie au cours des années, nous constatons que ce barème a déjà intégré le système, certes, avec une vigueur retrouvée épisodique.

Si leur lobby avait été aussi puissant, les employés n’auraient pas à se contenter d’un barème, celui validé par le gouvernement pour l’ajustement salarial, qui dans la plupart des cas, atténue à peine l’impact négatif de l’inflation sur leur revenu. Il en est ainsi parce que les employés ont tendance à être compensés au strict minimum car le revenu ciblé comme base d’ajustement est extrêmement conservateur, pour ne pas dire irréaliste.

Lorsque les bénéficiaires de devises les plus nombrilistes fulminent sur la valeur internationale de la roupie, ils prétendent qu’une roupie « faible » est « bonne » pour l’économie mauricienne. Cette posture aussi cynique que paternaliste, sur les effets bénéfiques d’une roupie dépréciée, est fondée en partie sur l’espoir que la hausse des exportations de la production manufacturière augmentera l’emploi et stimulera l’expansion économique. Or, nous constatons à Maurice une évolution en dents de scie dans la création d’emplois et la croissance économique malgré la dépréciation persistante.

Bien que la relation intime entre le taux d’inflation et le taux de change dans une économie très ouverte comme Maurice ne saurait être contestée, la prétendue relation entre la dépréciation de la monnaie et la compétitivité réelle tire sa justification dans une vision étriquée plutôt que dans une compréhension intuitive de la situation. Comme la dépréciation s’infiltre dans le système, elle stimule un cercle vicieux. Tôt ou tard, l’illusion d’un soulagement finit par se révéler qu’une auto flagellation.

Malaise mauricien

Le capital humain est le facteur déterminant dans la quête d’une hausse de la compétitivité. Hélas ! La lubie pour la dépréciation a sérieusement entamé le moral des citoyens. Que ce soit subtilement, lorsque le glissement est lent, ou sévèrement, lorsque le glissement est rapide. La productivité ne peut être créée par magie en récompensant seulement les citoyens les plus influents. La véritable richesse est générée lorsque le système est imprégné d’incitations primordiales au dynamisme de la grande majorité.

Pendant des décennies, les exportateurs ont eu la chance de bénéficier de l’accès préférentiel aux marchés et d’une roupie faible. Pour certains d’entre eux, maintenant que l’ère de l’accès préférentiel s’estompe, il ne reste que le lobby de la dépréciation pour s’y accrocher. Les mauvaises habitudes ont la vie dure. Lorsque les décideurs cèdent à leurs caprices, ils perdent aussi leur pouvoir dans l’élaboration des stratégies d’adaptation au capitalisme mondialisé d’où le retard grandissant dans la logistique nationale, tels que les réseaux routiers, les installations portuaires et aéroportuaires, l’approvisionnement en eau et ainsi de suite – rouillant ainsi dangereusement les courroies de transmission du système.

La BoM ne peut pas faire face à la complexité d’une économie seule. Il n’est pas étonnant alors qu’elle soit coincée dans un rôle de pompier face à un incendie de forêt. Le pays est à la croisée des chemins. Le moment est venu de se débarrasser de l’aberration de la dépréciation de la roupie, un cancer qui ronge le système. Conjointement avec la corruption, les cartels et la prime de risque élevée en raison de la prévisibilité faible, elle fausse les prix du marché et aigrit les relations industrielles. Contrairement aux idées reçues, elle n’est pas toujours propice à la consolidation des fondamentaux économiques, tels que les balances commerciales. Pire encore, elle les déstabilise, avec l’impact du prix du carburant, par exemple.

Sans doute, la Federal Reserve, la Bank of England ou la Banque centrale européenne peuvent fournir les principes directeurs à la BoM. Mais quand il s’agit de réduire au minimum le risque de volatilité de la roupie, Maurice doit adapter ses politiques à ses propres spécificités. Singapour et Hong Kong, deux des étoiles de la mondialisation avec des profils similaires à Maurice, devraient plutôt nous servir d’inspiration.

Nos gouvernements successifs ont acquis une réputation de prêter attention à toutes sortes de lobbies, peu importe leur fondement, aussi longtemps qu’ils sont assez bruyants. En adoptant une telle attitude, les gouvernements gaspillent beaucoup d’énergie et de temps à gérer les distorsions qui en résultent, le mécontentement et leur effet domino au lieu de se concentrer sur les solutions aux problèmes urgents. Dans ces circonstances, les politiques ont tendance à avoir un effet boomerang.

Désintoxication

Les décideurs ne devraient pas perdre leurs marques face aux jérémiades émanant de certains bénéficiaires de devises. Il ne s’agit pas de dénigrer le profit, mais d’exposer la supercherie. Les décideurs ne doivent pas perdre de vue – premièrement, la profitabilité réelle qui, pour certains, n’ont rien à envier aux détaillants de produits de luxe en termes de pourcentage ; puis, le fait que les fabricants importent des ouvriers étrangers remplis d’entrain pour surmonter la démotivation des ouvriers locaux ; et enfin, plus centralement, la part élevée des intrants importés dans le processus de fabrication.

Dans un article de journal, Serge Seeneyen, directeur général de Soniawear, dit que «lorsque la roupie s’apprécie, il appartient aux entreprises de prendre des initiatives pour atténuer son impact, réduire leurs coûts de fonctionnement et devenir plus efficaces. Nous allons traverser des moments difficiles, mais je reste optimiste. J’espère qu’à l’avenir, je vais rattraper les pertes d’aujourd’hui ». Rien d’autre qu’une expression typique de l’esprit d’entreprise.

Le signal que Maurice est prête pour la mondialisation viendra le moment où, à savoir, de telles déclarations positives remplacent les unes complaisantes et quand les syndicalistes sont prêts à lâcher des primes qui ne sont pas liées à la performance. C’est-à-dire quand conformément au ressenti de la majorité des entreprises et des citoyens, indépendamment de ce que le lissage statistique peut claironner, leurs efforts sont récompensés de manière équitable.

Une telle transformation ne peut être présidée ou sous-traitée. Elle peut seulement se produire à travers un leadership éclairé capable de créer la synergie nécessaire à une expansion économique non-inflationniste, inclusive et durable.


* Published in print edition on 1 April 2011

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