« Ce qu’il nous faut, c’est un programme minimal commun, porté en avant par Ramgoolam et Bérenger » 

Interview: Rama Valayden

C’est la fin d’un cycle qui s’approche pour certains politiciens.

Or, ce sont des gens pressés, qui semblent croire que le pays ne pourra pas échapper au déluge après leur départ…


Rama Valayden, commente l’actualité mouvementée de la semaine, chargée d’événements politiques très médiatisés.  La République de Maurice est-elle secouée par de tels remous politiques ou est-ce là un sport que les Mauriciens suivent  avec joie ? Où serait-ce le signe annonciateur de la fin d’un cycle politique ? Telle est son axe de  réflexion…  


Mauritius Times : M. Valayden, il me semble que Lindsay Rivière résume parfaitement l’état d’esprit de la grande majorité des Mauriciens devant ce qui se passe présentement dans le pays : le pays est « psychologiquement épuisé » pour les innombrables controverses et contorsions politiques qui marquent désormais son quotidien. Le pensez-vous également ?

 

Rama Valayden : Non, je ne le pense pas. Il n’y a pas que les cyclones tropicaux ; nous sommes une nation résiliente qui a su faire face à différents types de cyclones tant sur le plan social que politique. Les Mauriciens ne se laissent pas abattre facilement, car ils savent que les crises telles que nous le vivons présentement forment partie de notre système et folklore politiques. Depuis 1967 à ce jour, nous avons vécu en moyenne deux crises chaque deux ans — des crises de différentes proportions. La même situation prévalait sous Anerood Jugnauth : démission de ministres, l’affaire Amsterdam, la cassure avec Harish Boodhoo, l’élection partielle à Vacoas-Phoenix, etc., et on croyait que Jugnauth allait tôt ou tard perdre sa majorité. Or, malgré le nombre de crises qui ont perturbé la machinerie gouvernementale sous le ‘prime ministership’ de Sir Anerood Jugnauth, le pays a connu de grands progrès – je dirais un « quantum leap » sur le plan économique.

Même chose durant le premier mandat de Navin Ramgoolam : émeute en 1999, incendie criminel de l’Amicale… ce qui ne l’a pas empêché de remporter la partielle de 2003 qui avait vu l’élection de Jeetah et aussi, à la même époque, le pays avait fait un bond en avant. N’oubliez pas que la croissance était largement supérieure à ce qu’elle est présentement malgré le fait que les autres pays étaient en crise à travers le monde. C’était également le cas sous le régime de Sir Seewoosagur de 1967 à 1982 : grèves sauvages, Etat d’urgence, scission au sein du PTr, création du PSM… sans pour cela bloquer le développement de Maurice à différents niveaux, la mise en place de l’éducation gratuite à un moment où le pays connaissait une crise…

* Ce qui se passe actuellement ne vous inquiète donc pas ?

Affirmer une telle chose, c’est faire preuve d’un sentiment de « fout-pas-malisme ». Je m’inquiète ; alors qu’il y a de très grands défis qui nous guettent, j’ai le sentiment que nous ne sommes pas en train d’utiliser nos capacités et nos ressources pour dépasser cette crise conjoncturelle et préparer l’île Maurice de demain.

Il y a par contre des signes encourageants : des jeunes qui manifestent autour du drapeau national, ou la tristesse qui se dessine sur le visage du jeune Mauricien quand son pays perd le match de foot contre les Seychelles, ou le sentiment de grande satisfaction qui se manifeste chez les Mauriciens suite à la performance très honorable de leurs compatriotes aux Jeux d’Afrique dans les compétitions de boxe…

Cependant, il faut se dire que le monde actuel connaît de grands changements sur le plan économique, social et, même, scientifique. Nous vivons une époque de grandes transformations… nous sommes en marche vers un grand changement à cause de mutations sur plusieurs plans et il va falloir apprendre à s’y adapter… Autant se préparer dès maintenant que de se perdre dans des futilités.

* Des futilités telles que nous sommes amenées à voir sur le plan politique, avec les récriminations de part et d’autre et les arrestations de certains hommes politiques de ces derniers jours, ce qui donne l’impression que nous vivons dans une période pré-électorale. C’est aussi votre sentiment ?

Maurice vit en campagne électorale permanente, cela depuis de nombreuses années. Ce n’est pas la presse qui exagère les choses, comme certains veulent croire. La politique à Maurice, c’est notre sport numéro 1, ce qui donne cette impression de campagne électorale permanente. Ce qui se passe actuellement est lié au sentiment de beaucoup de Mauriciens que le départ sera donné dans quelques jours et on assiste ainsi à un déballage et à une surenchère électorale – ce qui n’est pas sain pour le pays.

Nous ne vivons pas une période de « fin de règne » comme veulent nous faire croire les opposants au régime et leurs propagandistes. Par contre, nous vivons la fin d’une génération de politiciens qui a dominé de la tête aux épaules la politique mauricienne, c’est la fin d’un cycle qui s’approche pour certains politiciens.

Or, ce sont des gens pressés, qui semblent croire à tort, à mon avis, que le pays ne pourra pas échapper au déluge après leur départ. Bérenger sait qu’il dispose d’un autre mandat, cinq ans et pas plus — et ce sera terminé pour lui. Il y a sans doute plusieurs membres du MMM qui connaîtront le même sort. Même chose pour plusieurs Travaillistes, mais aussi pour beaucoup au sein du MSM. En passant, nous savons que même si Anerood Jugnauth devait revenir dans l’arène politique, ce sera de courte durée… il le sait également, j’en suis certain… Donc le temps de passer le relais approche.

En attendant, ce qui m’inquiète, c’est l’atmosphère très soufrée présentement, et il suffit qu’un fou craque une petite allumette pour causer beaucoup de dégâts. Je ne crois pas que cette parade de politiciens qui se présenteront au Central CID ou devant nos instances de justice soit en train de créer une bonne image pour la police… et pour la République de Maurice. Il ne faut pas oublier que toutes ces affaires contiennent une dimension de « public interest ». Or, si on se met à faire parader tous les membres de l’opposition, cela ressemblera bientôt à l’exemple zimbabwéen…

Il faut se ressaisir, et cela s’applique évidemment à tous ceux concernés par la chose au niveau de ministère de l’Intérieur car dans une démocratie on ne poursuit pas à chaque instant. On ne peut pas utiliser « all the might of the law » contre ces personnes-là, car on finira par mettre tous les opposants à dos. Les institutions doivent fonctionner comme il se doit, et personne ne peut se placer au-dessus de la loi, mais il faut bien trouver un équilibre.

* Décelez-vous un « fou », comme vous le dites, à l’œuvre à l’Hôtel du gouvernement ?

Le fou peut surgir de n’importe où, de l’opposition ou de l’Hôtel du gouvernement, ou même des rangs d’un parti extrémiste qui décide de passer à l’action. Il ne faut pas donner l’occasion à un tel fou de tout détruire. Par ailleurs, je considère qu’il y a un problème d’excès de zèle de la part des certains fonctionnaires au niveau de la police, du PMO probablement, de la NIU qui est censé être au service du pays… Pouvez-vous imaginer que le PMO concentre en son sein 75% du pouvoir du Cabinet ? Comment peut-on fonctionner avec un Cabinet Office aux structures dépassées et des gens qui sont en passe de devenir des mandarins ?

* Quelle opinion faites-vous de l’arrestation de MM Soodhun et Joomaye, tous deux inculpés provisoirement d’entente délictueuse en vue de « déstabiliser » le gouvernement ? Voyez-vous ces deux personnes possédant l’étoffe pour déstabiliser un gouvernement ?

Ce serait accorder beaucoup trop d’importance, notamment à Soodhun. On sait qu’il brasse de l’air à une vitesse infernale : donc cela me dépasse qu’on lui donne autant d’importance. Ce faisant, on est en train de projeter l’image d’une certaine démocratie mauricienne qui date de l’avant-guerre. Les gens comme Soodhun disent n’importe quoi et n’importe quand… Les chefs d’Etat doivent savoir se dépasser et ne pas jouer au niveau de l’école maternelle.

* Donc les tracasseries auxquelles doivent faire face MM Soodhun et Joomaye présentement sont, selon-vous, mal inspirées et découleraient d’un sentiment de panique ?

Il ne faut pas perdre du temps avec ces gens-là… Le Dr Ramgoolam n’aurait pas dû prendre en considération de telles stupidités parce que les gens ne vont pas juger le Premier ministre ou son gouvernement sur ce qui a été dit par les Soodhun et autres, ni sur la base des arrestations ou des inculpations. Les Mauriciens vont juger le Premier ministre et son gouvernement sur la base des actions concrètes entreprises à différents niveaux et dans différents secteurs. Par exemple, la gestion du problème de l’eau et des problèmes liés à l’environnement, l’autosuffisance alimentaire, la préservation de l’emploi et du pouvoir d’achat, la congestion routière, la réforme de l’éducation, pour ne citer que ceux-là, interpellent tous les Mauriciens, et c’est sur ces questions-là que le gouvernement va être jugé…

En ce qui concerne la question de panique, je pense qu’on assiste à une véritable bataille d’ego entre les protagonistes, cela au niveau du poulailler. Entre une guerre d’arguments et une guerre d’ego, c’est vraisemblablement cette dernière qui l’emporte. Que voulez-vous, l’être humain est comme ça… Il ne s’agit pas de gens qui font tout pour dépasser l’emprisonnement de leur ego ; au contraire ils se chamaillent pour démontrer qu’ils ont un ego plus grand que les autres. Mais là, il s’agit de petites choses ; on n’est pas en train de discuter de développement du pays, du rôle de Maurice dans l’Afrique, dans l’océan Indien… Or le Dr Ramgoolam a cette capacité de réunir les gens non seulement au niveau national mais aussi au niveau régional en vue de réaliser de grands projets…

* Mais là, présentement, il se trouve en face de véritables « political beasts » qui ne vont pas lui faire de cadeau… manifestement… Ça, ce ne sont pas de « petites choses », n’est-ce pas ?

Allez demander aux gens de la rue ou quiconque opère au Marché central ce qu’ils en pensent de la prise de position du Président de la République, et ils vous diront que le Président est en train de confondre la présidence et la famille.

De mon point de vue, le seul challenger du leader du PTr c’est Paul Bérenger et Ramgoolam peut facilement trouver un accord avec lui, autour d’une tasse de thé, sur un plan bien plus vaste et ambitieux pour le pays… c’est-à-dire sur un programme minimum pour les trois ans à venir pour faire face aux grands défis qui nous guettent — la préservation de l’environnement, la création d’emplois, l’unité nationale, la réforme électorale, le financement des partis politiques, la réforme de notre Constitution… Dans l’actuel état de choses à Maurice, je me demande s’il ne faut pas penser en termes d’amnistie pour certaines actions qui ont été commises à certains niveaux et recommencer sur de nouvelles bases et avec une nouvelle Constitution. On ne va pas amnistier seulement les politiciens mais aussi toute l’île Maurice…

* Prendre un nouveau départ sur la base d’une nouvelle alliance ? PTr-MMM, c’est ça ?

Honnêtement, même si le MMM remporte les élections demain, je ne le crois pas capable de diriger le pays tout seul. Ce qu’il nous faut, c’est un programme minimal commun qui soit soutenu par le peuple et porté en avant par ces deux dirigeants – Ramgoolam et Bérenger – deux hommes qui ont dépassé la soixantaine et qui souhaitent sans doute se faire une place honorable dans l’Histoire du pays pour avoir accompli quelque-chose de grand dans le cadre d’une alliance politique qui va promouvoir l’unité nationale et faire avancer le pays vers le progrès.

* Et que faites-vous du PMSD, de Beebeejaun et des autres… ?

Ce sera une alliance des intelligences du pays autour de ces deux partis… les autres vont suivre. Une alliance des intelligences pour revoir le fonctionnement de nos collectivités locales, notre service civil, les relations entre employeurs et employés…

* Il semblerait que Bérenger n’a pas tout à fait fermé la porte aux Travaillistes puisqu’il se garde de « commit himself » auprès du MSM. Soit il attend de voir comment l’affaire MedPoint se terminera, soit…

Ce qui est important, à mon avis : il faut que Bérenger se décide à jouer le rôle de Chef d’Etat et non de Chef de parti comme il l’a fait durant toutes ces années. Par ailleurs, Ramgoolam doit également reprendre le flambeau du rassembleur – cela au-delà de Maurice pour ‘encompass’ la région. Il faut bien que nos dirigeants commencent à réfléchir sur leur rôle et la place qu’ils souhaitent prendre dans l’Histoire du pays…

* Les Travaillistes n’ont plus peur de Ramgoolam, affirme Bérenger, et il ajoute que « anything can happen » au sein de ce parti. Clairement, il prône la révolte… ?

C’est possible que certains petits malins vont vouloir profiter du rapport de forces plus étroit afin de tirer certains avantages personnels, mais de là, à parler en termes de frayeur… je ne franchirai pas ce cap. Ramgoolam écoute, mais comme tous les leaders dans toutes les démocraties, il dispose d’une certaine marge de manœuvre pour dompter ceux ou celles qu’il doit bousculer dans l’intérêt du travail bien fait.

Révolte au sein du PTr ? Non. C’est le rajeunissement du parti à partir de 1976 qui a permis une certaine révolte au sein du Parti travailliste – les Boodhoo, Gungoosingh et autres… entre 1976 et 1982. Certains disent qu’un rajeunissement plus radical aurait permis au Parti travailliste de remporter les élections…

* Donc Ramgoolam n’a pas intérêt à rajeunir son parti ?

Non, il a une équipe relativement jeune et Ramgoolam lui-même fait preuve d’un esprit plus jeune que son entourage dans son approche vis-à-vis de certains dossiers. Ramgoolam a aussi démontré qu’il n’est pas têtu, par exemple par rapport à la place accordée à la langue créole – il a fait comprendre qu’il a changé son opinion, donc « he is open to new ideas »… cela est, à mon avis, un atout considérable. Si j’avais un conseil à donner au Premier ministre, je lui demanderais d’aller à l’écoute du peuple, comme il l’avait fait dans le passé lorsqu’il avait été acculé par le Premier ministre d’alors, Anerood Jugnauth. A ce moment-là, il avait fait le tour du pays pour se mettre à l’écoute des petites gens, des syndicalistes, des travailleurs et des laboureurs et en recevant chez lui de petits groupes de personnes — femmes, agents, jeunes et autres pour les écouter et continuer à faire avancer l’agenda du parti et du pays. Ce n’est pas la révolution permanente, c’est plutôt un moyen de se mettre à l’écoute pour apporter les changements nécessaires. Il est peut-être temps des’y mettre.


* Published in print edition on 30 September 2011

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