Afrique : Rétrospective et Perspectives

S’adressant à un parterre d’hommes d’affaires américains lors de l’U.S. Institutional Investor Roadshow à New York, mercredi dernier, Sir Anerood Jugnauth les a invités à utiliser Maurice en tant que « plateforme » pour leurs investissements sur le continent africain. Il nous semble que c’est la première fois que nous entendons le Premier ministre se prononcer sur le sujet de manière aussi explicite.

Il faut dire qu’il s’en est très bien tiré. Faut-il le rappeler, l’Afrique représente l’une des planches de salut de notre croissance économique tant pour les entreprises mauriciennes (pour lesquelles l’étroitesse du marché local devient une contrainte existentielle) que pour notre objectif de devenir le Singapour de l’Afrique. Nous retraçons les débuts de nos relations et tentons d’identifier quelques-unes des mesures qui s’imposent dans la conjoncture si nous voulons réussir notre pari.

HIER : En nous joignant à ce qui était alors l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA/1968), en organisant le sommet de l’Organisation commune africaine et malgache (OCAM/1973), le premier gouvernement post Indépendance affichait clairement l’option de son engagement et attachait notre destin au Continent Noir émergeant comme nous du joug colonial. Les positions « engagées » que prenait dans le même temps notre premier ambassadeur, Radha Ramphul, aux Nations Unies dans les années 70 du siècle dernier sur les questions ayant trait à la condamnation du régime d’apartheid en Afrique du Sud en avait fait un personnage remarqué sinon remarquable dans les hautes sphères de la politique internationale et nous assurait le respect d’un certain nombre de pays que l’on désignait alors comme « non-alignés ».

Jomo Kenyatta du Kenya, Julius Nyerere de la Tanzanie et d’autres leaders des pays africains comptaient parmi le cercle d’amis « intimes » de Sir Seewoosagur Ramgoolam et ils partageaient entre eux le feu sacré d’avoir mené leur pays respectif à l’indépendance. C’est dans ces rapports empreints d’histoire de luttes anticoloniales et d’expériences souvent partagées à Londres dans le berceau de la social-démocratie que constituait le « fabianisme », que l’on doit rechercher la genèse de l’attachement de notre pays à l’Afrique.

Le fait le plus remarquable dans cette démarche reste qu’elle était loin d’être empreinte d’un quelconque mercantilisme mais répondait surtout à des impératifs « politiques » de solidarité. Par la suite, la génération politique suivante a puisé, dans les luttes de libération nationale et le combat anti-apartheid, la sève idéologique qui a maintenu l’engagement de Maurice à côté des pays africains dans notre positionnement sur plusieurs questions de brûlante actualité (Mouvement des non-alignés, Océan Indien Zone de Paix, retour de Diégo Garcia).

Les accords de Cotonou, puis de Lomé, régissant les rapports politico-économiques entre les pays européens et leurs anciennes colonies pendant presqu’un demi-siècle, avant d’être eux-mêmes victimes de la poussée de libre-échangisme à la fin du dernier siècle, ont eu des retombées économiques déterminantes pour Maurice. La fin de ces accords et leur substitution par un régime axé sur le régionalisme ouvert et libre-échangiste symbolisé par la montée en puissance de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), a changé la donne de manière radicale.

La fibre « morale » à laquelle pouvait encore et malgré tout avoir recours les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) dans le cadre des « accords » s’est désintégrée pour laisser la place à un nouvel ordre économique régional et mondial structuré autour des concepts de compétitivité, d’économies d’échelle et de réduction des coûts de transactions.

Paradoxalement dans tous ces bouleversements, une note positive est venue de là où l’on s’y attendait le moins dans le contexte mondial décrit plus haut : sous l’impulsion d’un fort lobby Afro-américain, l’administration Clinton fait un premier geste d’ouverture commerciale d’envergure envers les pays Africains sous la forme de l’Africa Growth and Opportunities Act (AGOA).

Là encore, l’engagement exemplaire de Maurice à côté des pays africains fait date de par l’engagement de notre ambassadeur d’alors à Washington ainsi que le lobby du secteur privé mauricien sous l’impulsion de Maurice Vigier de la Tour. Utilisant à fond sa maîtrise des arcanes de l’administration américaine et de ses relations avec le « Caucus » noir, l’ambassadeur Chit Jesseeramsing a été sur tous les fronts. Il a joué un rôle qui dépassait largement son seul engagement envers Maurice pour se consacrer à cette bataille pour l’Afrique.

AUJOURD’HUI : Tel est le tableau plutôt sombre et incertain qui se présente à Maurice et à ses partenaires régionaux africains (essentiellement l’Afrique subsaharienne) au début du 21ème siècle. La crise économique en Europe, suite à la Grande Crise Financière qui a frappé l’économie mondiale à partir de 2008, n’a pas aidé dans la mise en place des mesures de transition qui auraient pu tant soit peu assouplir l’ouverture sur un monde plutôt hostile.

Ces mesures sont d’ailleurs essentiellement dictées par les mêmes contraintes imposées par l’OMC – l’offre de l’Europe consiste à « inciter » ses anciens « partenaires » à se regrouper dans des ensembles régionaux qui pourraient servir de marchepied au régime mondial de libre-échange. Le salut viendra donc d’ailleurs et se manifestera sous la forme du réveil de la Chine.

L’ouverture de l’économie chinoise sur l’économie mondiale, tant souhaitée par les architectes du nouvel ordre économique mondial libéral, aura des conséquences tout à fait inattendues lorsque cette dernière passe en quelques décades d’un statut de pays « sous-développé » à celui de moteur de l’économie mondiale. Malgré quelques appréhensions ressenties ici et là, personne ne conteste ces développements car chacun semble y trouver son bonheur.

En première ligne des principaux bénéficiaires sont les puissantes multinationales américaines et européennes pour lesquelles le vaste marché chinois représente une aubaine quasi illimitée. Pour l’Afrique dans son ensemble mais aussi pour l’Afrique subsaharienne, la croissance accélérée de l’économie chinoise provoquera une forte demande pour les matières premières exportées par ces pays et occasionnera une flambée des cours de celles-ci sur les marches mondiaux.

L’Afrique subsaharienne, dans son ensemble, enregistrera en conséquence une croissance économique soutenue dans la fourchette des 5 à 6% en moyenne pendant plus d’une décade. Nonobstant les soubresauts récents de l’économie chinoise qui vont sans doute avoir quelques conséquences, on peut néanmoins conclure que, dans un sens, la boucle est bouclée. La mondialisation étant passée par-là, la situation des pays africains s’est dans une mesure non négligeable affranchi du schéma colonial de dépendance outrancière sur les anciennes métropoles.

DEMAIN : C’est dans le contexte de tout ce que nous avons décrit plus haut que se pose aujourd’hui la problématique du nouveau positionnement de Maurice dans la région afin de traduire dans la réalité les ambitions sans cesse affichées sans pouvoir jusqu’ici formuler une stratégie cohérente axée sur de nouvelles institutions et des instruments juridiques et économiques appropriés.

Pour être tout à fait honnête, il faut reconnaître qu’il ne pouvait en être autrement. Nos déclarations d’intention que nous n’avions de cesse de répéter à satiété ne pouvaient demeurer que lettres mortes tant les conditions objectives pour leurs réalisations faisaient défaut jusqu’à un passé récent. Or, c’est justement sur ce plan que les nouvelles donnes viennent tout remettre en cause.

Si l’évolution éminemment favorable de la géographie de l’économie mondiale est une condition nécessaire pour la réalisation de notre ambition de faire de Maurice une plaque tournante économique et commerciale entre l’Asie et l’Afrique, elle est cependant loin d’être suffisante. Un tel positionnement ne se construit pas dans un vide institutionnel et juridique. Un nombre important d’éléments constitutifs de ce nouvel environnement à créer se trouvent déjà dans les accords de coopération régionale tels que la SADC et le COMESA. Il s’agit donc de les codifier en y ajoutant bien sûr les atouts locaux fondés sur notre expérience historique — stabilité institutionnelle et politique, judiciaire indépendant, respect du droit des affaires, centre d’arbitrage international, création de « special purpose vehicles » pour l’investissement en Afrique avec les incitations assorties.

Les moyens pour la réalisation de ce chantier existent bel et bien ; il nous faut une stratégie claire et cohérente et la volonté politique. Le gros avantage étant que c’est là un sujet qui pourrait facilement faire l’objet d’un consensus national tant les bénéfices qui peuvent en découler sont évidents.

  • Published in print edition on 2 October 2015

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