Mauritius Turf Club : La Fin d’un Cycle

Ce qui se passe depuis quelque temps déjà au sein de notre vénérable Turf Club a de quoi causer les pires cauchemars chez tous les turfistes et autres amateurs de courses de chevaux aussi bien que chez les Mauriciens en général.

Depuis un certain temps déjà, des « scandales » sont dénoncés régulièrement dans la presse et des accusations à peine voilées, constamment dirigées contre les responsables – et non des moindres – du Club. La légèreté avec laquelle les dirigeants ont réagi à ce phénomène qui ne cessait pourtant de prendre de l’ampleur pourrait servir de cas d’école pour les étudiants en communication d’entreprise.

Même si l’on doit toujours relativiser en se disant que dans ce domaine (les courses hippiques et les paris) les « scandales » sont légion quel que soit le pays ou l’organisateur concerné, il est clair que sur le plan local nous en sommes arrivés à un point critique où une action d’envergure s’impose. Il faut savoir que si l’on en est arrivé là – le Premier ministre, dénonçant une nette détérioration de la situation au Turf Club qui a fait que « la confiance du public dans l’intégrité de l’industrie des courses a été sévèrement ébranlée » — tout ceci est le résultat d’un processus qui a démarré il y a bien longtemps.

Les problèmes sont en réalité de nature structurelle plutôt que conjoncturelle. D’aucuns pourraient situer le début de cette pente dramatique à la disparition du grand Jean Halbwachs, qui avait sans doute ses défauts, mais qui, de l’avis de tous, avait su mener le Club d’une main de fer en imposant la discipline appropriée à toutes les parties impliquées dans une entreprise de cette nature.

Quoi qu’il en soit, tout en admettant que les membres de l’équipe dirigeante actuelle ne peuvent en aucun cas se désister de leur part de responsabilité par rapport à la situation de crise dans laquelle se trouve le Club, il serait futile de conclure, comme semble le suggérer certains commentateurs, qu’un simple changement d’équipe suffirait à changer la donne. Le Chef du gouvernement a d’ailleurs pris la mesure de l’événement en ne nommant rien de moins qu’une commission d’enquête avec des attributions très larges.

On ne peut ne pas être à la fois fasciné et choqué par le fait que l’île Maurice, ayant été conquise par les Anglais en 1810, l’encre de l’accord entre eux et les Français avait à peine eu le temps de sécher que les Anglais s’empressaient de mettre sur pied le Mauritius Turf Club en 1812. Loin de relever d’une quelconque facétie, ceci s’inscrivait dans une démarche plutôt classique des « occupants » qui s’efforçaient de recréer dans la mesure du possible les conditions de la « métropole» dans les colonies afin de se sentir moins nostalgiques.

Cette genèse a lourdement pesé sur toute l’évolution du club qui, malgré une réelle avancée vers plus de professionnalisme, a jalousement préservé une structure organisationnelle relevant plus d’un « gentlemen’s » club plutôt que celle d’une entreprise qui aurait pour mission de promouvoir le bon déroulement de l’industrie des courses y compris l’organisation des paris.

C’est ainsi que toute la problématique de l’avenir de l’industrie des courses ainsi que du rôle du Turf Club tourne autour de la résolution de cette contradiction fondamentale entre la nature plutôt « country club » de sa gestion et les responsabilités qui lui ont été dévolues au fil du temps.

Pour l’avoir maintes fois entendu, l’on peut prévoir que les dirigeants passés ou présents protesteront contre une telle affirmation en soulignant le nombre d’heures qu’ils consacrent aux affaires du Club. A cela, il faut faire remarquer que les meilleures volontés du monde n’arriveront jamais à se substituer à une structure appropriée pour accomplir une mission complexe.

On peut aussi arguer que, historiquement, la mission du Club n’a pas réellement changé, car elle est demeurée comme à l’origine — l’organisation des courses et des paris hippiques à Maurice. Encore faut-il reconnaître qu’au-delà d’un certain seuil, une évolution aussi gigantesque dans la taille d’un phénomène quel qu’il soit en change radicalement la forme si ce n’est la nature. C’est ainsi que le maintien de la structure mise en place ne correspond plus selon toute évidence à la masse financière mise en jeu chaque semaine de courses.

Dans une certaine mesure, donc, le MTC pourrait affirmer qu’il est aujourd’hui la victime de son succès. Ceci ne serait cependant que partiellement vrai étant donné que le vrai challenge et le test du succès de toute organisation est justement celui de pouvoir se remettre en question et de s’adapter à un environnement changeant et incertain.

Dans le cas qui nous concerne, cet exercice s’avère d’autant plus ardu que cet environnement est complexe et différencié. Il est composé d’un grand nombre de « parties prenantes » (stakeholders) poursuivant chacune des objectifs et des stratégies différentes. On peut donc sans se tromper avancer que le talon d’Achille du Club pendant de longues années a justement été son incapacité à apporter une réponse stratégique et globale à toutes ces demandes divergentes et, de plus en plus, insistantes.

Dans la sphère de la stratégie, il est entendu que lorsque l’on ne sait pas où l’on va, quelqu’un d’autre s’empressera de nous y conduire.

Dans le monde hippique, les volontaires n’ont certes pas manqué. C’est ainsi que n’importe quel « turfiste » digne de ce nom pourrait nommer sans sourciller ceux qui ont été les vrais « patrons » de l’industrie à différentes étapes durant ces dernières décennies. Pris dans la tourmente des divisions internes, d’une part, et l’impérieuse recherche d’une viabilité financière qui semblait leur échapper pendant un certain nombre d’années, d’autre part, les dirigeants semblent avoir succombé à la tentation d’avoir le nez sur le guidon et de parer au plus pressé. Ce faisant, ils ne se sont pas soucié outre mesure des exigences d’un environnement qui leur devenait de plus en plus hostile. Or, à force d’ignorer les critiques, les dirigeants actuels ont finalement été perçus non comme des acteurs impuissants à contrôler des facteurs externes malfaisants mais comme les complices tout au moins passifs d’une détérioration accélérée de l’environnement opérationnel du Club.

La mise sur pied d’une commission d’enquête par le gouvernement pour revoir tout le fonctionnement et les structures de l’industrie des courses et des paris à Maurice constitue un événement extrêmement grave pour le Mauritius Turf Club. On ne peut cependant passer sous silence le fait que c’est une gifle également sonore pour toutes les instances régulatrices mêlées, de loin ou de près, à ces pratiques.

Il nous reste à souhaiter que cette Commission soit nommée au plus vite et qu’elle puisse, en toute sérénité, tirer les leçons du passé mais surtout définir une vision stratégique de l’avenir de l’industrie à Maurice ainsi que proposer la structure la plus à même de permettre le déploiement de cette stratégie.


* Published in print edition on 1 August 2014

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