Quelques défis qui nous guettent…

Peut-être que le plus grand défi qui nous attend est justement celui-là : tourner la page et ouvrir un autre chapitre politique de l’histoire de notre pays

By Dr Avinaash Munohur

Les célébrations commémorant l’indépendance de notre pays sont souvent le moment d’une réflexion sur le cheminement parcouru depuis 1968, et sur les défis auxquels nous faisons déjà face et ceux auxquels nous ferons face – dans un avenir proche ou lointain.

La République de Maurice, malgré son jeune âge, a su se hisser parmi les pays dont le développement postcolonial a défié un bon nombre de prédictions pessimistes en relevant les défis sociaux, économiques et institutionnels qui se présentaient à nous. Nous avons, en quelque sorte, bien navigué avec notre barque dans les eaux troubles de la globalisation avec, en fin de parcours, des victoires économiques et des accumulations sociales importantes.

Mais chaque époque comporte son lot de défis et de problématiques. Les succès passés, bien que importants, ne garantissent en rien des succès à venir si nous ne prenons pas la mesure des enjeux qui nous guettent.


« La police, l’école, l’hôpital, la prison, l’aménagement du territoire ou encore l’aménagement des routes sont autant de dispositifs dont l’objectif premier est de produire de la sécurité. Or, il n’est pas difficile de constater aujourd’hui que bon nombre de ces institutions ne fonctionnent plus. Ou bien, il faudrait plutôt dire qu’elles ne fonctionnent qu’en l’état d’une crise permanente… »


Ces défis sont multiples et concernent tout un ensemble d’industries, d’institutions et de politiques publiques.

Pour se limiter à seulement un exemple, l’industrie touristique, qui avait su jouer la carte du tourisme de luxe – à forte valeur ajoutée – se trouve aujourd’hui dans une impasse structurelle. Les Seychelles et les Maldives réussissent bien mieux que nous la conversion de leur industrie touristique dans le tourisme vert, et attirent un nombre croissant de touristes. Il faut avouer que la localisation de Maurice, qui est seulement accessible via des vols long-courriers – les plus polluants – ne nous aide pas. Mais ceci n’aurait pas dû nous empêcher d’initier une conversion sérieuse de notre industrie phare vers l’écotourisme.

De ce point de vue, l’achat par Air Mauritius de l’Airbus A350 Néo dont la consommation de fuel – grandement réduite – est un argument clé, mais nous devons aller encore plus loin en développant, par exemple, un label vert pour nos hôtels. Nous devons encourager ces derniers à effectuer les investissements nécessaires afin de s’inscrire pleinement dans le développement durable. Ils doivent, par exemple, pouvoir entamer la conversion énergétique avec des investissements massifs dans les énergies renouvelables, le traitement des eaux usées, ou encore le recyclage ; devenir des acteurs importants de la protection des côtes et des lagons ; ou encore devenir les moteurs du développement économique et social des régions dans lesquelles ils se situent.

Défis sécuritaires

Les défis sécuritaires qui nous guettent sont également immenses.

Nous avons trop souvent tendance à réduire la notion de sécurité à n’inclure que la criminalité, la délinquance ou le trafic de drogue. Le concept de sécurité apparaît à partir du XVIIème siècle dans la pensée politique en Europe, et va s’étendre au monde entier à travers la mise en place du système de la mondialisation coloniale.

La sécurité est intimement liée à la notion même de population, qui fait également son apparition vers le XVIIème siècle, et qui s’inscrit dans un nouvel art de gouverner : celui où le gouvernement ne signifie plus uniquement la protection de l’intégrité d’un territoire, mais devient également une action de gestion permanente et constante d’une population afin d’en réguler et d’en régler la vie sociale et biologique.

Les institutions associées à l’État moderne, dont font partie celles du Welfare State, s’inscrivent précisément dans ce cadre opératif de la sécurité. La police, l’école, l’hôpital, la prison, l’aménagement du territoire ou encore l’aménagement des routes sont autant de dispositifs dont l’objectif premier est de produire de la sécurité.

Or, il n’est pas difficile de constater aujourd’hui que bon nombre de ces institutions ne fonctionnent plus. Ou bien, il faudrait plutôt dire qu’elles ne fonctionnent qu’en l’état d’une crise permanente. Le nombre de cas de négligences dans les hôpitaux publics, le nombre des accidents de la route, le chômage important des jeunes diplômés à la sortie de l’école, l’explosion de la consommation de drogue synthétique, la multiplication des explosions de violences (crimes divers, meurtres, féminicides, suicides, agressions, etc.) sont des signes, voire même des symptômes, que quelque chose ne va plus. La crise s’étend à tout le système du welfare et aux institutions de l’État, les rendant incapables d’une action efficace, sans que nous puissions y apporter une réponse adéquate.

La conséquence de ce glissement : une augmentation exponentielle de l’insécurité. Les situations d’exclusions, de précarités et de criminalités découlent directement de la perte d’efficacité des institutions dont l’objectif est la production de la justice sociale et de l’inclusion. Le contrat social qui avait fait de Maurice un miracle aux dires de Joseph Stiglitz — Prix Nobel d’économie – est lui-même en crise et ne répond plus aux défis du présent. La modernisation de ces institutions devient urgente, et ce, sans qu’il y ait de recul important au niveau des acquis sociaux des classes subalternes mauriciennes.

Mais la modernisation des institutions de l’État et la réinvention de notre modèle social n’aura pas lieu sans fondamentalement deux choses : le basculement de notre économie vers un modèle du développement durable et une lutte acharnée, et sans pitié, contre la corruption qui gangrène aujourd’hui notre pays.

Cette dernière représente, selon nous, le plus grand défi actuel de notre pays. En effet, sans la mise en place de politiques efficaces pour éradiquer la corruption – comme a su le faire Lee Kuan Yew à Singapour – nous ne pourrons régler aucun des problèmes sociaux, économiques et sécuritaires qui deviennent aujourd’hui la nouvelle norme sociétale. C’est en assainissant l’État et en imposant un contrôle strict sur les dépenses et les investissements publics que nous pourrons inverser la tendance qui produit le glissement actuel.

Mais cette conversion vers une autre société – celle du développement durable et de la sécurité retrouvée – requiert un courage politique que nos gouvernants semblent ne pas encore avoir trouvé. Ou bien savent-ils parfaitement bien que leur pouvoir — acquis et consolidé dans des conditions historico-économiques précises – sera mis à mal par ces modernisations, qui ouvriront la porte à une autre génération de politiciens et de gouvernants à Maurice. En effet, tout changement de monde implique un changement de personnel politique, et les quelques familles qui nous gouvernent depuis 52 ans le savent parfaitement bien.

Or, peut-être que le plus grand défi qui nous attend est justement celui-là : tourner la page et ouvrir un autre chapitre politique de l’histoire de notre pays. Si nous réussissons ce tournant, alors tout un monde d’autres possibilités s’ouvrira à nous. Mais les élections de novembre 2019 ont bien démontré une chose, c’est qu’une grande partie de l’électorat mauricien n’est pas encore totalement prêt pour ce changement – qui devient pourtant de plus en plus urgent et vital pour l’avenir de notre pays.


Dr Avinaash Munohur
Research Fellow au Laboratoire du Changement Social et Politique (LCSP), Université de Paris Sorbonne Cité


* Published in print edition on 12 March 2020

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