Quelle thérapeutique pour sauver la compagnie ?

Diagnostic d’Air Mauritius

MK opère dans un environnement concurrentiel où la maîtrise des coûts, l’offre et les prix sont des facteurs cruciaux. Aucune dose d’amateurisme n’est de mise.

Par Aditya Narayan

Avant l’avènement de la pandémie, Air Mauritius (MK) allait lentement mais certainement vers un crash financier. Les signes annonciateurs d’un désastre imminent étaient présents : un bilan financier viré au rouge depuis deux ans, la mise sur pied d’un comité présidé par un novice de l’aviation pour se pencher sur la transformation de la compagnie, et la démission subséquente du directeur général. La pandémie n’a fait que précipiter la chute en privant la compagnie de ses vols indispensables à la poursuite des activités et, partant, de revenus cruciaux.

Administration volontaire

Mise sous administration volontaire en vue d’une restructuration, Air Mauritius parviendra-t-elle à sortir la tête hors de l’eau ? Essentiellement, cette mesure de précaution prise sous l’article 213 de l’Insolvency Act, 2009 vise à assurer l’existence continue de la compagnie (going concern). Il s’agit pour la compagnie de trouver un compromis avec les créanciers en vue de réduire ou de rééchelonner ses dettes en attendant qu’elle puisse réorganiser ses opérations, diminuer ses coûts d’exploitation et réaliser des revenus.

Techniquement, Air Mauritius voulait éviter une cessation de paiement, une situation dans laquelle les valeurs d’actifs courants (current assets) réalisables et disponibles sont insuffisantes pour régler les dettes échues. Elle s’est donc mise en état d’insolvabilité, une situation dans laquelle elle n’est pas en mesure de payer ses dettes au moment où elles deviennent exigibles (parce que la réalisation de la totalité des actifs ne permet pas de rembourser intégralement les créanciers). Il appartiendra donc aux créanciers soit d’accepter les propositions de la compagnie, soit de les rejeter et d’exiger la vente d’actifs pour recouvrer les dettes en partie ou en totalité, ce qui mettrait la compagnie en état de faillite.

Le bilan financier donne le tournis. Pour l’année se terminant le 31 mars 2019, la compagnie a subi des pertes de 21,7 millions d’euros contre des bénéfices de 4,5 millions d’euros en 2017-18 (selon le rapport annuel 2018-19). Au 31 mars 2019, elle avait des dettes de 12 millions d’euros et des dettes provisionnées (provisions) de 5,9 millions d’euros. Le fonds de pension de la compagnie avait un déficit de 59, 4 millions d’euros, soit Rs 2,4 milliards. En 2018-19, elle avait une charge salariale de 91,3 millions d’euros (soit Rs 3, 9 milliards) pour environ 2 929 employés, soit un salaire annuel en moyenne de Rs 1,3 millions par employé. Les pertes ne tiennent pas compte du manque à gagner à partir des billets d’avion gratuits accordés chaque année aux présents et anciens directeurs.

Diagnostic irréfutable

Les problèmes de la compagnie ne datent pas d’hier. Elles remontent loin dans le passé. Dans un article publié le 19 mars dernier (Air Mauritius: un autre modèle de gouvernance est-il possible ?), nous avions analysé les déboires de la compagnie, qui sont les résultats d’une accumulation d’erreurs et d’échecs provenant d’une mauvaise planification stratégique. Récapitulons les faiblesses majeures :

(a)            L’interventionnisme politique qui impose sur la compagnie l’embauche d’employés sans tenir compte du critère de compétence, des contrats d’approvisionnement en biens et services qui ne répondent pas aux besoins d’économie et d’efficacité, et des routes non-viables à desservir.

(b)            La servilité des directeurs qui courbent l’échine devant le pouvoir pour avaler des décisions sans aucun rapport avec la rationalité d’une entreprise commerciale qui est en proie à la concurrence coupe-gorge avec d’autres lignes aériennes plus grandes et ayant des économies d’échelle significatives.

(c)            Les compétences douteuses des experts qui recommandent des contrats de location d’avions ou de couverture du prix du carburant (hedging) avec des pertes conséquentes.

(d)            Les émoluments/honoraires prodigieux et autres privilèges octroyés aux directeurs et aux membres du conseil d’administration qui seraient sans commune mesure avec leur niveau d’efficience.

(e)            Un personnel surnuméraire avec de multiples niveaux de supervision et de direction qui ne tiennent pas compte de la taille de l’entreprise. Le personnel administratif est pléthorique avec 1,258 employés.

(f)             L’achat d’avions coûteux dont le coût d’amortissement annuel pèse lourd dans le bilan financier en l’absence de revenus suffisants tirés de leur exploitation. La surcapacité opérationnelle entraîne des coûts d’exploitation fixes et des coûts variables énormes.

(g)            Les frais de location d’avions à prix fort sous un contrat de location-exploitation (operating lease) ou un contrat de location-acquisition (capital lease) sans une étude de viabilité économique sérieuse, incluant une étude de marketing sur les marchés potentiels. Faute de routes rentables, la compagnie a sous-loué deux avions à une ligne aérienne (South African Airways) aujourd’hui en faillite.

Le diagnostic est sévère, indiscutable et irréfutable. Pour sauver la compagnie, il faudrait une thérapeutique non moins sévère. Tout le monde est d’accord que le pays ne saurait abandonner sa ligne aérienne, qui lui assure la connectivité avec le monde et la capacité de soutenir le tourisme et l’exportation (fret-cargo). Avoir une ligne aérienne est surtout une question de souveraineté nationale. Cette compagnie était le fleuron du patrimoine mauricien. S’il faut la sauver à tout prix, il faut prendre des mesures draconiennes, quitte à redimensionner la taille de l’entreprise avec tout ce que cela comporte de dégraissage des effectifs, à commencer au niveau de la direction et de la supervision.

Les administrateurs provisoires ont pour mission de prendre les mesures qui assureraient un cash flow adéquat à la compagnie pour honorer ses obligations envers les créanciers. Il s’agirait sans doute de couper dans le gras, de fermer les routes non-rentables, de vendre des actifs non-essentiels et de maintenir les vols essentiels afin de renflouer la compagnie à court et moyen termes. Si le modèle d’affaires peut être modifié pour assurer l’équilibre des coûts-revenus (break even) à court terme en attendant le retour à la rentabilité après la reprise des vols, c’est surtout le modèle de gouvernance qui pose problème. L’actuel modèle de contrôle politique de la compagnie est périmé et désastreux.

Si l’on acceptait le postulat de base que la compagnie devrait rester une entreprise publique avec l’Etat comme actionnaire majoritaire pour des raisons stratégiques, il serait absolument essentiel d’assurer l’autonomie de gestion avec un conseil d’administration indépendant et professionnel qui ne prend pas des ordres du pouvoir. Une nouvelle gouvernance exige que l’on ne retourne pas aux anciennes pratiques de gestion, de direction et de délégation de pouvoirs qui ont plombé les ailes de la compagnie.

Options de réforme

Seules trois options en matière de restructuration de la compagnie sont envisageables:

(a)            L’injection de nouveaux fonds par les actionnaires afin d’augmenter le capital et le fonds de roulement, suivie d’une restructuration visant à baisser les coûts d’exploitation.

(b)            L’apport d’un partenaire stratégique qui prend une participation d’au moins 40% au capital afin de pouvoir exercer une influence significative. Le modèle de Mauritius Telecom où 40% du capital furent cédés à un partenaire français est valable. Grâce à ce partenariat, Mauritius Telecom a pu faire des progrès techniques bien que la gestion laisse à désirer dans certains domaines.

(c)            Le redimensionnement (right-sizing) de l’entreprise pour lui permettre de se focaliser sur ses compétences propres (core competencies) et vendre les filiales qui ont des activités accessoires telles que l’hôtellerie, le centre d’appels, le transport par hélicoptère, et les immeubles de location.

La débâcle prévisible de la compagnie est emblématique de la mauvaise gouvernance des entreprises d’Etat. Tous les gouvernements qui ont présidé à sa destinée y ont leur part de responsabilité. D’autres entreprises publiques comme le CEB, la CWA et la MBC ont eux aussi des problèmes de gestion, mais elles ne risquent pas l’insolvabilité ou la faillite parce qu’elles opèrent chacune dans un marché monopolistique qui leur assure une clientèle stable à des tarifs fixes. Par contre, Air Mauritius opère dans un environnement concurrentiel où la maîtrise des coûts, l’offre et les prix sont des facteurs cruciaux. Aucune dose d’amateurisme n’est de mise.


* Published in print edition on 28 April 2020

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