Que nous réserve 2023 ?

Analyse

Par Dr Avinaash Munohur, Politologue

L’année 2022 touche finalement à sa fin. Elle aura été marquée par ce qui nous apparait comme la fin définitive de la pandémie de la Covid, signifiant par la même la reprise de l’activité économique. Mais elle aura également été marquée par un approfondissement des effets socio-économiques de la pandémie et du ralentissement de l’économie mondiale. En effet, malgré une reprise soutenue de l’activité dans les secteurs majeurs de notre économie – tourisme, finances et immobilier notamment -, l’inflation mondiale a touché de plein fouet les Mauriciens. La cherté des matières premières, du prix des énergies et notre trop grande dépendance à l’égard des importations ont eu un impact direct sur le pouvoir d’achat des ménages.

Mais l’augmentation des prix, la difficulté à stabiliser la Roupie ou encore l’inflation qui peine à être contrôlée malgré l’augmentation du Repo Rate, sont les signes d’un problème plus vaste, plus profond également. Problème que nous avons encore du mal à saisir entièrement en réalité. Il est pourtant assez simple et pourrait se résumer ainsi : la pandémie de la Covid a produit un shift radical dans les rapports de pouvoir de la géopolitique mondiale avec, pour effet immédiat, une transformation qui va prendre d’autres formes – formes qui seront conditionnées par les impératifs liés au réchauffement climatique et à la révolution digitale ou numérique.

Ces transformations de la mondialisation sont, pour nous à Maurice, des données essentielles qu’il est impératif de comprendre car notre pays est entièrement exposé à ses dangers, mais également à ses potentialités. Et ces transformations vont impacter nos vies de manière de plus en plus significative en 2023.

Que nous réserve donc 2023 ? Et qu’est-ce qui nous attend sur le plan géopolitique, économique, sécuritaire et politique ?


« L’Inde est petit à petit en train d’occuper le vacuum créé par le retrait progressif de la marine britannique de notre océan. Cette intensification de la sécurisation de l’océan indien par la marine indienne s’inscrit dans un ensemble d’accords tacites avec les Etats-Unis et la France – le Président Macron indiquant clairement que la France travaillerait de concert avec l’armée indienne afin que le respect des souverainetés insulaires soit conservé – ; même si la politique internationale indienne continue à prôner un non-alignement hautement stratégique… »


1. Géopolitique, alliances historiques et stratégiques

Sur le front géopolitique, nous devinons facilement qu’il faudra compter sur une accélération de la militarisation de l’océan Indien. Cette région du monde, où Maurice compte près de deux millions de km2 de Zone Économique Exclusive (ZEE), devient rapidement le cœur névralgique de la sécurité mondiale. Ceci est dû au déploiement des Nouvelles Routes de la Soie et aux investissements massifs de la Chine sur le continent africain.

Après l’accord AUKUS pour l’achat de sous-marins nucléaires par l’Australie, les Etats-Unis semblent aujourd’hui plutôt se concentrer sur ses intérêts sécuritaires dans notre région du monde. La négociation pour le retour de l’archipel des Chagos sous souveraineté mauricienne aura lieu dans ce contexte, et le PM a déjà indiqué que Maurice ne cherchera pas à faire bouger le statu quo, ce qui implique que le gouvernement se concentrera sur la rente que nous pourrons percevoir de la part des Etats-Unis pour leur base de Diego Garcia.

Parallèlement à cela, les efforts militaires de la marine indienne continueront à s’intensifier. L’Inde est petit à petit en train d’occuper le vacuum créé par le retrait progressif de la marine britannique de notre océan. Cette intensification de la sécurisation de l’océan indien par la marine indienne s’inscrit dans un ensemble d’accords tacites avec les Etats-Unis et la France – le Président Macron indiquant clairement que la France travaillerait de concert avec l’armée indienne afin que le respect des souverainetés insulaires soit conservé – ; même si la politique internationale indienne continue à prôner un non-alignement hautement stratégique pour les intérêts de la Grande Péninsule.

Maurice va devoir naviguer prudemment dans cet océan de la multipolarité géopolitique, consolidant ses alliances historiques tout en créant d’autres alliances stratégiques.

2. Économie et la reprise

Sur le plan de l’économie, nous savons que les prévisions pour 2023 ne sont pas optimistes avec le pic de l’inflation mondiale qui devrait arriver d’ici le milieu de l’année (si les conditions actuelles restent les mêmes). Cela aura forcément un impact non-négligeable sur les ménages à Maurice. Notre trop grande dépendance aux importations et notre stratégie économique fondée dans le consumérisme de masse feront que le pouvoir d’achat des ménages continuera à chuter.

La marge de manœuvre du gouvernement est, en réalité, extrêmement réduite sur cette question. Notre modèle de développement ne peut pas être radicalement transformé et orienté vers la production locale du jour au lendemain. Trop de fondamentaux – comme la baisse de la productivité, le manque de main-d’œuvre, les formations inadéquates, etc. – ne sont pas présents pour pouvoir envisager des transitions rapides vers une économie réelle et de la production locale. De ce fait, nous resterons extrêmement dépendant des investissements directs étrangers (Foreign Direct Investments – FDI) et extrêmement exposés aux fluctuations des prix sur les marchés mondiaux.

La reprise actuelle de nos secteurs clés est, en revanche, un signe extrêmement encourageant. En phase avec la reprise mondiale, il fallait que les secteurs qui ont fait leurs preuves puissent redémarrer afin de stabiliser l’économie nationale. Mais il est également essentiel que le gouvernement se penche sur l’ouverture d’autres secteurs d’activités, et surtout ceux qui seront porteurs pour les transformations à venir et qui sont moins dépendant des FDI.

Le défi est immense dans ce domaine puisque cela implique de revoir tout autant nos politiques économiques que nos politiques d’éducation, d’aménagement du territoire et nos politiques migratoires. 

3. Politiques énergétiques et sécuritaires

L’année 2023 risque également d’être une année charnière pour nos politiques énergétiques et sécuritaires. Nous constatons tous la fragilité de nos portefeuilles en face des fluctuations importantes des marchés du pétrole et du gaz. Certes, les prix de ces énergies sont en baisse depuis quelques mois – baisse que la STC n’a pas reflété sur le prix à la pompe pour l’essence et le diesel – mais les prix peuvent repartir à la hausse à la moindre déstabilisation mondiale. Ce fut le cas au début du conflit russo-ukrainien, et nous ne sommes pas à l’abri d’autres conflits.

Ce qui est certain c’est que nous devons absolument commencer à repenser notre politique énergétique pour le long terme. Le projet du gouvernement d’investir dans le Gaz Naturel Liquéfié (GNL) pourrait s’avérer extrêmement intéressant de ce point de vue, mais ce choix requiert une stratégie clairement définie en matière d’approvisionnement, et notamment en matière de la géopolitique de l’approvisionnement. Mais cela ne suffira pas pour permettre une baisse importante du prix de l’électricité.

Il devient urgent de revoir le modèle de la production, de la distribution et de la consommation de l’énergie à Maurice. Cela implique de redéfinir le rôle et le scope ou marge de manœuvre du CEB afin de permettre l’émergence de micro-producteurs et libéraliser l’autoconsommation. Les technologies de production et de stockage de l’énergie évoluent, il devient urgent de faire également évoluer notre politique nationale en matière d’énergie.

L’autre grand défi de l’année 2023 sera celui de la gestion de l’eau. Nous faisons dans ce domaine face à deux problèmes fondamentaux à Maurice : les ressources en eau se raréfient à cause du réchauffement climatique et l’accès à l’eau devient une source d’inégalité profonde dans notre pays.

Par exemple, un individu habitant une Smart City ou un PDS consomme sept fois plus d’eau qu’un individu vivant dans les régions du sud ou du sud-est. Cette équation va devoir être réglée rapidement et il faudra pour cela des investissements massifs dans les infrastructures de captage, de traitement et de distribution de l’eau. Ce chantier doit commencer le plus rapidement possible si nous ne voulons pas faire face à une crise sécuritaire qui se transforme en une crise sociale d’envergure.

4. Agitations sur le plan politique

Enfin, l’année 2023 risque également d’être très agitée sur le plan politique. Le cas de Suren Dayal sera entendu au Privy Council dans le courant de l’année, ce qui pourrait produire un cataclysme politique majeur. En effet, le Premier ministre risque de se retrouver mis hors-jeu si les ‘Law Lords’ donnent raison à Suren Dayal. Ce n’est pas la première fois que Pravind Jugnauth aura une épée de Damoclès passant par le Privy Council sur la tête. Mais cette fois-ci il risque beaucoup plus gros.

En face, les partis traditionnels de l’opposition peinent à trouver le consensus nécessaire pour contracter une alliance. Nous imaginons mal une telle alliance se fonder sur un projet de société qui adressera frontalement les problèmes évoqués ci-dessus. Mais au contraire, on imaginerait aisément une bataille d’égos et une lutte pour la distribution des tickets et des responsabilités et aussi garantir la survie de certaines dynasties politiques.

Toutefois nous voyons mal une alternative crédible aux partis traditionnels capable d’émerger aujourd’hui, ce qui donne au gouvernement des arguments solides pour des élections générales anticipées.

Le PM aura tout intérêt à prendre ses opposants au dépourvu, en pratiquant une politique de redistribution économique massive, en renouvelant son équipe et en devançant le jugement du Privy Council. De ce point de vue, l’année 2023 pourrait également bien être celle des élections générales anticipées.


Mauritius Times ePaper Friday 30 December 2022

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