Porlwi by Light, Patrimoine et Culture

Les revendications conservatrices se font-elles, en façade, au nom du patrimoine ? Serait-ce un concept fourre-tout qui arrange les intérêts des uns et des autres ?

En ce mois de janvier pluvieux dans la capitale, « Porlwi by Light en son et lumière », éternisé sur les petits écrans des ‘smartphones’ il y a un mois, est déjà un lointain souvenir. Un parapluie et des vieilles chaussures sont essentielles – comme à l’accoutumée – pour cette sortie dans la capitale compte tenu de l’état des routes, les pavés casse-gueule des trottoirs et la crasse habituelle de cette ville vieillie, épuisée et à force d’être piétinée par des milliers d’usagers y convergeant au quotidien. Une jupe courte rend plus aisée une démarche rapide et, surtout, facile à laver en prévision des eaux sales des pluies qui ne manqueront pas de vous éclabousser au passage des mâles, égoïstes et pressés, au volant de leur voiture. La pluie était bel et bien au rendez-vous et le manque de civisme et l’égocentrisme des conducteurs malpolis aussi.

Docteur Joseph Rivière Street, Sun Yat Sen et Emmanuel Anquetil, noms locaux illustres et aussi l’un de l’Empire du Milieu, essaient de préserver un semblant de grandeur dans ce quartier peuplé de vieilles bâtisses en pierre laissées à l’abandon et où l’ancienne Police Station de Fanfaron qui – bizarrement – prit feu dans un passé récent reste figée comme un fantôme d’outre-tombe qui implore la compassion des passants pour le crime commis sur sa personne.

En se garant bien avant du côté de l’église Saint Antoine, on a tout le loisir de cogiter sur l’état d’urgence de la capitale. Toutes les rues descendent de la montagne vers la rade. On s’en est aperçu depuis longtemps lorsque le trajet vers Notre Dame de Bon Secours fut brusquement stoppé à la hauteur de Sir William Newton Street, où il a fallu se réfugier sur le seuil d’une banque, le regard effaré à cause des torrents d’eau qui dévalaient des hauteurs de la ville. On est effaré mais aussi fasciné par les excès des éléments qui passent outre l’avis des hommes.

La magie de « Porlwi by Light » est captée et déjà rangée dans la rubrique « photo des portables ». La baguette de la fée du spectacle est aussi rangée au fond d’un tiroir. Et certains de ses comparses sont repartis vers d’autres cieux tandis que la fée, elle, ne voit plus l’utilité d’arpenter les rues une fois le spectacle bouclé… En effet, après un passage forcé sur scène, la ville se revêt de son vieil apparat usé, comme un vieil acteur qu’on maintient en vie en lui donnant des accoutrements neufs et on le force à se donner en spectacle.

La vue des îles au nord de l’île – Coin de Mire, Ilot Gabriel -, et la silhouette ronde et plate d’autres îles au loin sont beaucoup plus agréables et reposantes, les soirées mondaines sur un yacht privé, les cocktails, les bungalows au bord de mer et tutti quanti… Bref, la fée a repris sa vie normale loin des projecteurs, du son et de la furie des lumières et de l’excitation de la populace, l’espace d’une fête.

C’est dans le tintamarre des centres commerciaux, lieux improbables pour la contemplation de l’art, que désormais quelques artistes exposent leurs tableaux sur un périmètre restreint dans l’indifférence totale des gens s’affairant à leurs emplettes… Il se trouve que le goût se cultive et rien n’a été fait depuis 50 ans dans les quatre coins de l’île pour promouvoir l’art sous toutes ses formes. Absolument rien ! Un désert culturel règne en maître partout dans les villages. Les « Drama Clubs » d’antan, issus d’une initiative privée, n’ont eu point de relais. Les rares expositions dans les centres sociaux appartiennent à un passé lointain. Point de concert… Aucune école de musique…

L’ambition des gouvernements est-elle inexistante ? Sont-ils inconscients de la valeur et de la portée de l’art et de sa contribution au raffinement de l’être, un facteur indispensable à tout projet de civilisation ? Exiger une grande ambition culturelle des élus inconscients, incultes, bourrus, lourds et grossiers, cela relève d’un paradoxe certain.

« Bibliothèque Nationale », joli mot tout comme « National Library » : cette institution s’est vue confinée dans un espace restreint dans un environnement peu attrayant. Le bâtiment des Archives a été relégué à Plaine Lauzan. N’est-ce pas révélateur des priorités de ceux qui dirigent le pays depuis des décennies ?

Que dire lorsque la possibilité d’une ville moderne envisagée par le projet Heritage City a fait sortir plus d’un de leur gond, de leur zone de confort et du train-train quotidien de leurs activités commerciales sur un territoire considéré comme conquis par eux depuis des lustres ?

A l’heure d’une grande écoute des infos en décembre, la MBC nous a donné l’aperçu d’un accord commun bien affiché – en y mettant les formes civilisées entre la marraine de la fête profane et les organisateurs d’une fête destinée au Tout-Puissant qui se cache derrière les nuages – et a légitimé en quelque sorte l’appropriation du territoire conquis. Ce fut cocasse à voir.

Personne n’est dupe. Heritage City a libéré les énergies créatrices, on va dire, d’une part, pour sauver le statut conféré par l’ancêtre Mahé de Labourdonnais et, d’autre part, pour préserver le gagne-pain des commerçants. Mais comme disait l’autre, depuis Labourdonnais au 18ème siècle, l’infrastructure est restée inchangée sauf pour un pont bouché et transformé en bazar et, un peu plus loin, en parking pour une grosse compagnie privée.

La population de l’époque, quelques milliers ? Et de nos jours, il y a environ 1,250,000 habitants… Courage, Port Louis ! Tenez bon encore, vieille Ville, aussi longtemps que vos défenseurs s’accrochent à votre jupe !

Beaucoup d’encre a coulé dans la démarche de préserver le statu quo et d’écarter tout projet de transfert du pôle administratif et gouvernemental dans une infrastructure plus moderne et qui donnerait vie à d’autres lieux et un gagne-pain à d’autres personnes.

Autant garder jalousement les privilèges, non ? Ceux qui se sont lamentés de la menace qui s’annonçait, selon eux, sur la capitale sont invisibles dans les rues poussiéreuses et outrancièrement nauséabondes sous les pluies. Il semblerait qu’ils disposent de peu de temps entre leur voiture garée au sous-sol de leur bureau et, pour d’autres, leur chauffeur qui les dépose devant la salle de rédaction.

Invisibles aussi, ceux de la Rue Pope Hennessy. Que s’y passe-t-il ? En robe noire, ils ne jouent pas aux veuves mais défendent tant bien que mal au tribunal les innocents, les diables et les démons que compte l’île. D’autres s’adonnent à des savants calculs dans leur bureau d’étude tandis que certains de leur confrères, s’aventurent sur le trottoir, la robe noire à la main pour rappeler leur statut au bon peuple, un œil lorgnant le Government House plus loin , là où ils aimeraient bien atterrir un jour.

Les revendications conservatrices se font-elles, en façade, au nom du patrimoine ? Serait-ce un concept fourre-tout qui arrange les intérêts des uns et des autres ?

– Bonjour, comment ça va ? Sur le seuil, au rez-de-chaussée de l’immeuble d’un ministère, un monsieur s’arrête sur le trottoir pour saluer son amie de longue date du Q.E.C. Ils s’étaient donné rendez-vous pour déjeuner ensemble.

Bisous et présentation faits, ce monsieur annonce à son amie qu’il est ravi de prendre bientôt sa retraite.

– Plus de quarante ans de loyaux services à l’État, dit-il, tout sourire. Et je suis content de partir à la retraite. Il est temps maintenant.

Il y a des gens comme lui qui prennent très au sérieux leur rôle de commis de l’État et ils en sont fiers, manifestement. On se dit qu’ils doivent faire abstraction de ceux qui sont propulsés au premier rang des corps étatiques et qui donnent des ordres à ceux qui sont plus méritants qu’eux par une mécanique de favoritisme et d’indulgence faite aux incompétents nombreux.

« Commis de l’État », voilà un autre joli mot. Qu’est-ce que c’est, l’État ? Une entité abstraite ou un groupe d’individus qui savent pourquoi ils se battent pour gouverner ? L’État ne mérite pas ces commis loyaux car ils valent beaucoup plus que ceux qu’ils servent. Quel gâchis ! se dit-on, de voir des esprits brillants comme les anciennes de Q.E.C. des collèges Royal et bien d’autres qui ont dû se contenter des postes peu épanouissants, faute de conditions socio-économiques reluisantes. Quel énorme gâchis !

Pour le quartier de Trou Fanfaron et ses rues aux noms illustres, l’heure n’est plus à la fanfaronnade. Vu l’état de délabrement avancé des constructions, doit-on s’en étonner ? Trottoirs casse-gueule un peu partout, quelques gros arbres livrent une bataille sans merci aux murs anciens en pierre. Un véritable trou.

Par ces temps pluvieux, les mendiants désertent le parvis de l’église Saint-Antoine. Je vous épargne les détails du dépotoir qu’est devenu le terrain vague dans la rue qui se situe derrière l’église. Les vieilles chaussures font bien l’affaire dans la poussière et les odeurs de certaines rues.

Imperturbable, arborant une multitude de couleurs, un peu plus bas, le kaylasson, le kovil d’en face, raconte des légendes millénaires. La jupe est pratique pour hâter le pas et s’éloigner des odeurs puantes des eaux usées du malheureux pont, accentuées en ce jour par l’émanation pestilentielle d’un cadavre de chien accidenté, laissé sur le trottoir, en état de décomposition, véritable festin pour les mouches.

Le maire de la ville y pensera-t-il derrière son bureau ?

Donc, que faire d’un quartier qui a conservé un certain cachet ? Les rues perpendiculaires aux trois rues principales abritent d’autres échoppes et maisons cadenassées et des bâtiments en pierre abandonnés. Si tant est qu’il faille les remettre en état et trouver preneurs, cela requiert un énorme investissement. En état de perpétuel abandon, ils susciteront la convoitise des prédateurs des vieilles pierres. Quelques commerces survivent dont les propriétaires rappellent l’ébullition commerciale d’un autre temps et d’un peuplement venu de l’Empire du Milieu. Combien de temps tiendront-ils la route ? La relève se fait rare. L’arrière-boutique d’une des échoppes évoque le vieux quartier de Shanghai. Des pavés dans l’allée, pierres et vieilles charpentes en madriers solides ont gagné le pari de la survie.

Les chaussures, la jupe et les jambes ont déjà fait par trois reprises les frais des gerbes d’eaux sales projetées par les goujats bourrus du volant rapide, sans gêne, sans un regard car ils ne voient pas et ne pensent jamais aux autres. Ce n’est pas dans leur culture, nous dit-on !

Arrêtons-nous là. Sinon, ce sera sans fin. L’inconfort matériel, poussières et odeurs, somme toute, c’est secondaire.

Le haut-le-coeur remonte, d’ordinaire, à l’écoute des discours des élus, généreusement diffusés par la MBC-TV. On a un peu de répit ces temps-ci, vacances parlementaires obligent. Mais le peuple reprend le relais. On s’interroge sur la sensibilité, l’humanité et la moralité de nombreuses personnes.

Il y a pire : l’assassinat d’un cambrioleur dans un faubourg de la capitale alors qu’il est ligoté face à deux hommes qui continuent de frapper et de piller un corps qui supplie d’arrêter la mise à mort.

L’autre à Fond du Sac : c’est une vengeance sans merci d’un criminel au volant qui fonce sur ses cibles et les écrase sans état d’âme. Que diable ! D’où vient cette folie de vengeance qui contamine le peuple depuis des années ? De ceux d’en haut ? Pardi, ben oui ! La nation est-elle gangrenée ? Dans la famille des vengeurs, cherchez-le…

Pourrait-on évoquer l’absence de culture, de raffinement, de sensibilité et d’humanité des uns et des autres ? C’est effrayant ! La culture, c’est le dernier de leurs soucis ?

Concluons en disant qu’en n’ayant pas voté pour certains candidats des partis non traditionnels, Quatre-Bornes où habite une bonne partie de l’élite, a envoyé un mauvais signal au pays.

Et, en retour, ce signal a donné des ailes à ceux qu’on pensait réduire en cendres comme le phénix ! Les voilà de retour…

 

* Published in print edition on 19 January 2018

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