Le Proche et le Lointain

Familiarity breeds contempt, dit-on, pour expliquer cette fâcheuse manie de scruter de nos rivages insulaires, d’autres horizons lointains supposés plus aptes à apporter une réponse à nos multiples besoins. Cette dépendance est, certes, indispensable lorsqu’il s’agit d’importer des avions et autres produits high-tech. Mais c’est au prix d’une sous-estimation de nos connaissances et savoir-faire locaux que les décideurs déroulent le tapis rouge pour une somme d’experts. Le coût financier de ces opérations, puisé des deniers publics, et dont l’aboutissement reste encore incertain, choquerait plus d’un si tant est qu’un jour un rapport sérieux en dévoile l’indécence.

Considérons les péripéties européennes en vue de trouver la panacée au système éducatif. Le système moderne des pays avancés nous envierait notre examen de fin de cycle primaire qu’il faudrait peut-être alléger un peu, et les deux examens de fin de cycle secondaire : des examens qui agissent comme un rite de passage à une autre étape de la vie.

A force d’enlever les barrières et sous prétexte de démocratisation dans certains pays avancés, on a rendu service ni au demos ni à l’élite. Dans ces pays, la réalité c’est aussi tous ces métiers qui ont disparu à force de production de masse dans les usines. Et on a continué à faire croire à ceux qui peinent sur les bancs de l’école que hors du système, il n’y a point de salut. En outre, un certain concept de la liberté ou l’absence des barrières a engendré un comportement et une mentalité chez les jeunes Européens qui pousserait un bon nombre d’enseignants à plier bagages pour enseigner dans des sociétés où l’éducation a encore un sens. Comme ici, par exemple. Là-bas, l’agressivité verbale, l’insolence, l’arrogance et le manque de respect ont pris des proportions qu’on imaginerait difficilement à Maurice.

Un système trop occidentalisé focalisant uniquement sur l’intellect a engendré des dégâts considérables dans les esprits, hormis ceux qui sont solidement ancrés dans leur propre héritage culturel. D’autres savoirs ont été négligés au profit d’un modèle qui favorise une approche matérialiste de l’éducation. Certains se tourneraient même vers la France pour s’inspirer d’une prétendue sagesse ! Serait-ce une partie de l’élite déculturée et décérébrée ? D’autres, installés à la Sorbonne, nous livrent de temps à autre une littérature indigeste et, nous invitent à faire la ‘nécrologie’ de je-ne-sais-trop-quoi. Sinistre culture!

Tant mieux si le recteur d’un collège estime que ce serait mieux d’enseigner les valeurs que de promouvoir l’éducation sexuelle dans les établissements secondaires. L’éducation sexuelle, telle qu’elle est enseignée à de jeunes esprits en Europe, cautionne une liberté qui donnerait à chacun le loisir de déterminer, selon ses désirs, une vie dite ‘sexuelle’ qui lui convienne. L’essentiel serait de prendre des précautions. Nulle mention des valeurs de respect de son corps et celui des autres, d’éviter la chosification du sexe et la haine de soi qu’une trop grande liberté engendre au fil du temps. Est-ce le rôle des enseignants d’assister avec leurs élèves à une démonstration du port du préservatif sur un pénis en plastique et en érection posé sur une table dans une salle de classe?

C’est une grande chance d’être un pays libre et ouvert sur le monde : une ouverture qui ne se mesure pas forcément au nombre de voyages effectués par habitant en dehors du territoire vers de lointaines contrées. Une fringale sourde tenaillait longtemps l’esprit des premières générations de nos ancêtres qui ne servaient que de main-d’œuvre et dont les mains, effectivement, s’activaient dans les champs pour assurer leur survie au quotidien. Mais la curiosité de la connaissance animait certainement leur intellect qui s’est mis à s’épanouir dès que se sont manifestées les premières opportunités de l’instruction publique dans les baitkas et autres établissements qui, bon gré mal gré, ont ouvert leurs portes au plus grand nombre.

Depuis plus d’un demi-siècle, le système éducatif a créé un paysage intellectuel mauricien tout à fait honorable et même excellent à en juger par l’ouverture d’esprit de ses meilleurs éléments. Ces derniers étaient disposés à recevoir des connaissances linguistiques, historiques et culturelles des différents groupes ethniques de la population. Ces éléments n’étaient pas forcément ceux qui étaient bardés de diplômes. On les retrouve chez le forgeron, le laboureur, le commerçant, l’instituteur, l’agriculteur, le musicien, l’artiste et bien d’autres encore. Cette réceptivité aux langues et aux coutumes des autres proviendrait d’un désir de découverte et d’une curiosité de mieux connaître ceux qui sont arrivés avec un bagage culturel différent. La volonté de conserver les divers atouts surtout en matière linguistique a permis aux uns et aux autres de s’enrichir de l’apport de leurs compatriotes. Dans les villages et les villes, ces échanges ont abouti à façonner un paysage mental qui est typiquement mauricien, et ce, en dépit d’une imprégnation inégale de la connaissance des uns et des autres.

L’évolution n’est pas linéaire et l’usure du temps ne suscite pas le même élan de découverte aujourd’hui. Mais loin de se lamenter et de patauger dans l’auto-flagellation importée et vociférée à grand bruit dans la langue de Molière dans la presse écrite et sur les ondes des radios privées, il convient de se rappeler cette flamme qui a animé les esprits et les cœurs les plus réceptifs, et de la réanimer constamment avec l’objectif de construire l’unité nationale. Sans tomber ni dans l’angélisme ni dans le sentimentalisme ni dans l’idéalisme, nous avons, ici, le potentiel d’agrandir davantage le paysage mental mauricien en puisant dans nos ressources et aussi en combattant fermement toute tentative de propager l’obscurantisme. Et cela ne signifie nullement l’abandon de sa propre richesse pour un modèle réducteur supposé représenter une réalité culturelle et linguistique.

L’élite issue du système éducatif national et qui a su profiter de son parcours, ici et ailleurs, est surtout remarquable par son authenticité et sa capacité de comprendre, de rendre compte et d’expliquer les réalités du monde et ses courants de pensée du point de vue civilisationnel, économique, culturel et historique. Leurs compétences ne sont pas forcément mises à contribution dans les milieux autorisés à prendre des décisions pour le progrès général du pays.

Tout est loin d’être parfait, certes. Mais l’embellissement de notre univers commun en tenant compte de tous les apports existants ne dépendra que de nous.


* Published in print edition on 11 October 2013

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